La vie communautaire... dans la vie religieuse apostolique


Marcel NEUSCH,
assomptionniste, responsable de la formation

"Avant tout, vivez unanimes à la maison, ayant une seule âme et un seul cœur tournés vers Dieu" (St Augustin, Règle)

"Assomptionnistes, nous sommes des religieux vivant en communauté apostolique..."
(Règle de vie, §.1)

Si la requête de vie communautaire est une constante aujourd’hui, tant chez les jeunes qui se présentent dans les séminaires que chez ceux qui frappent aux portes des monastères ou des communautés religieuses, elle est généralement très forte chez les candidats à la vie assomptionniste. Les deux textes cités en exergue, l’un tiré de la Règle de saint Augustin, l’autre du premier paragraphe de notre Règle de vie, soulignent aussi que la vie communautaire est la condition sine qua non d’une vie à l’Assomption. Il n’est donc pas surprenant qu’un jeune qui aspire à la vie religieuse à l’Assomption mise en priorité sur la communauté, ou découvre celle-ci très vite comme une dimension constitutive de la vie religieuse.

Les considérations qui suivent commenceront par présenter, à l’état brut, la "requête de vie communautaire" telle que les jeunes eux-mêmes l’ont exprimée. Il ne s’agit donc pas des simples impressions d’un "formateur" mais des résultats d’un sondage réalisé auprès des jeunes actuellement engagés dans la vie religieuse à l’Assomption. Une deuxième partie portera sur les exigences qu’une telle requête contient pour les formateurs. Il va de soi que je ne parle ici que de la France, et qu’en ce qui concerne d’autres jeunes en formation, notamment au Zaïre et à Madagascar, des nuances seraient à apporter.

> LIBRE EXPRESSION DES JEUNES RELIGIEUX EN FORMATION

Avant de donner la parole aux jeunes, il est important d’attirer l’attention, en ce qui concerne l’Assomption, sur trois points :

1. Les jeunes en formation en France, depuis le postulat jusqu’à l’ordination, représentent une trentaine : ces chiffres traduisent à la fois un net recul par rapport aux années fastes, mais aussi une reprise, après la période de crise qui a suivi mai 68.

2. Il y a eu, depuis le Concile, une redécouverte du charisme de la vie religieuse, ce qui s’est traduit par une dissociation entre sacerdoce et vie religieuse. Plusieurs de ces jeunes n’envisagent pas le sacerdoce.

3. Pour leur formation, les jeunes sont dispersés dans les différentes communautés, sauf pendant le noviciat -, et ils bénéficient de la formation d’institutions diverses, surtout universitaires.

Voici maintenant les sept questions que je leur ai posées.

I - EN VENANT A 1’ASSOMPTION, LES ATTENTES COMMUNAUTAIRES TENAIENT-ELLES UNE PLACE IMPORTANTE DANS TA DEMARCHE ?

"Absolument, c’est-à-dire que sans attentes communautaires, je n’aurais jamais rencontré 1’Assomption, puisque c’est à cause même de ce désir (je vivais déjà en communauté laïque) que je suis arrivé pour vivre : la communauté, la prière, l’accueil, la mixité homme/femme et laïc/religieux..."
"Ayant cheminé depuis l’âge de 15 ans avec des communautés charismatiques, je suis marqué par ce que l’on appelle le renouveau communautaire. Cela s’est manifesté chez moi par la nécessité de ne plus cheminer seul : ’On ne devient pas un saint tout seul’ (Daniel Ange). L’Assomption, découverte à 20 ans, répondait à mes attentes : un lieu de vie avec un certain esprit de famille fait d’ouverture, de sens de l’accueil, de partage des différences. La vie commune m’a fait découvrir certains traits nécessaires pour le bien-vivre-ensemble : franchise, cordialité, initiative. Vivre en commun m’est apparu comme un choix de vie évangélique pertinent (’Voyez comme ils s’aiment !’) face à une société individualiste."

Pour beaucoup, la vie communautaire a été "le facteur déterminant". Pourtant, disent certains, la communauté "n’a pas été à l’origine de mon choix. Il s’agissait pour moi de faire le point sur ma vie avant un engagement professionnel et d’apprendre à prier. La communauté m’a été présentée comme un lieu où je pouvais concilier discernement, prière et poursuite de mes études. Je ne savais pas ce qu’était la vie communautaire...". "La communauté est devenue peu à peu un chemin d’évangélisation personnelle et d’ouverture aux autres, un lieu de vérification de l’aptitude à vivre avec d’autres : il s’agissait pour moi de ’dépasser l’utopie communautaire’ ; elle a été un ’chemin d’ouverture et de mission’".

II - CES ATTENTES ETAIENT-ELLES PRIORITAIRES OU FAISAIENT-ELLES NOMBRE AVEC D’AUTRES ATTENTES ?

Si, pour la plupart, l’attente communautaire était prioritaire, elle n’était pas exclusive d’autres attentes. On vient de le voir, pour certains, la communauté est d’abord apparue comme un lieu où l’on cherche ensemble à discerner.

"En y réfléchissant bien, je dois avouer que l’attente de vie communautaire n’a pas été prioritaire dans mon désir de venir à l’Assomption. Je suis plutôt venu pour faire le point sur ma vie, réfléchir sur un éventuel choix de vie, et ce pourquoi pas avec d’autres personnes en recherche."

Pour ceux qui ont fait une expérience assez longue de vie communautaire, des attentes plus précises se font jour, telles que l’approfondissement spirituel, l’ouverture, l’accueil, la mission, etc. "L’attente communautaire pourrait se dire en termes de lieu d’Eglise où l’on essaie de vivre quelque chose de l’Evangile. L’important est le ’ensemble’".

Voici, pour illustrer ces dimensions, deux témoignages :

"La vie communautaire m’apparaît comme le moyen le plus simple d’éviter les illusions pour que ma vie soit centrée sur le Christ. Elle exige la prière commune et personnelle, le partage des points de vue et des engagements de chacun, un pôle de décision aussi. L’accueil est un élément essentiel, un critère d’ecclésialité.."

"J’ai trouvé à l’Assomption des convictions nées d’expériences antérieures, principalement dans deux directions : La recherche de l’unité : ’Dans un monde divisé, la communauté assomptionniste témoigne que le Christ est vivant au milieu de nous et fait notre unité pour l’amour de l’évangile".

Le souci d’annoncer Jésus-Christ : Dire sa foi haut et fort va de pair avec la construction d’un monde plus juste et fraternel, ce qui se traduit par le recours aux moyens modernes de communication et le travail avec les laïcs.

III - QUELS SONT POUR TOI LES ELEMENTS CONSTITUTIFS D’UNE COMMUNAUTE ASSOMPTIONNISTE ? CES ELEMENTS SONT-ILS EFFECTIVEMENT VECUS ?

"Dans l’Esprit de l’Assomption, il y a le primat de la vie fraternelle. D’une communauté à l’autre, il peut y avoir des différences. Il n’en demeure pas moins que j’ai souvent retrouvé dans différentes communautés : une simplicité de vie, un grand sens de l’accueil, une ouverture sur le monde, etc."

Ces mêmes éléments sont soulignés surtout par les plus anciens qui les ont découverts et intégrés au cours de la formation. Ainsi, l’accent est mis sur : unité de lieu ; prière (office, eucharistie, adoration commune, retraites communautaires) ; temps d’échange effectif ; esprit franc, ouvert, simplicité, cordialité, liberté ; référence à l’Institut (supérieurs, religieux) ; l’ouverture de la communauté par l’accueil : celui-ci doit être adapté au style de chaque communauté, mais "il faut que l’extérieur perçoive le religieux sur fond communautaire, en sorte que la communauté devient le lieu du témoignage évangélique ; solidarités selon les besoins de l’Eglise, de la société..."

"Les vœux, en radicalisant les points majeurs de la vie religieuse, font d’elle un rappel de ce que tout baptisé est appelé à vivre : c’est une sorte de parabole de la communauté chrétienne. Elle devient ainsi une sorte de mémoire évangélique, avec ses béatitudes... Elle n’existerait pas sans le don de Dieu reçu et accepté. C’est pourquoi, la vie religieuse est témoignage en elle-même... et aussi sujette à l’hypocrisie quand elle oublie qu’elle se reçoit d’un autre ou pense qu’elle est un chemin d’excellence... pour les meilleurs !"

IV - COMMENT CONCILIER LES EXIGENCES DE LA VIE COMMUNAUTAIRE AVEC LES AUTRES ASPECTS DE LA VIE ASSOMPTIONNISTE, TEL QUE LA DIMENSION APOSTOLIQUE ?

"Il ne s’agit pas de conciliation, mais d’exigence. Vivre en communauté, c’est vivre en relation avec le monde et l’Eglise. Comme pour le reste, l’apostolat d’un religieux n’est pas individuel, même si c’est lui et pas un autre qui fait ceci ou cela... La vie apostolique est davantage la conséquence d’un choix de vie que sa raison d’être : si la vie communautaire pâtit exagérément des contraintes de la vie apostolique, cette vie apostolique a de fortes chances de ne plus être véritablement assomptionniste... Je crois que la vie ensemble est difficile et que, sous prétexte d’apostolat, on trouve facilement un moyen d’y échapper !"

"Notre spiritualité augustinienne nous invite à faire le va et vient entre vie communautaire et mission apostolique. Cela demande une responsabilité réelle, une discipline de vie personnelle et communautaire, des structures de dialogue entre jeunes, avec les supérieurs, des communautés où se vit réellement l’accueil des différences, etc. Ce respect de l’autre dans sa différence est la source de l’amour augustinien..."

La plupart des jeunes étant en période de formation n’a pas réellement éprouvé la difficulté à concilier les différents aspects de la vie religieuse. Mais, comme ils vivent dans des communautés où l’engagement apostolique a souvent le pas sur le "vivre ensemble", ils ne manquent pas d’imaginer des solutions pour parvenir à un tel équilibre."Le moyen de concilier les exigences communautaires avec les autres aspects est d’équilibrer les religieux dans une communauté selon leur apostolat et leur disponibilité. Une communauté où tous les religieux exercent un travail professionnel à plein temps devrait être assez nombreuse (environ 10) pour qu’on puisse parler de communauté de vie sans que cela fasse ’dortoir’".

V - COMMENT ACCORDER LIBERTE PERSONNELLE, RESPONSABILITE ET COMMUNAUTE ?

On s’est beaucoup plus senti concerné par cette question que par la précédente, car elle touche à la liberté de chacun. Si l’on reconnaît le bien-fondé des normes, on veut aussi que la liberté de chacun soit pleinement respectée, sans trop envisager les conflits qui peuvent survenir, "il est nécessaire qu’on se plie a des normes, des conventions... Mais cela n’exclut pas la liberté personnelle, notre esprit critique et notre jugement. La communauté doit garder sa diversité, elle n’implique pas la perte de personnalité..."

"Je crois que cet accord est possible, Dieu merci. Cela exige une bonne structuration personnelle. Toutefois, les dangers de dé-responsabilisation existent aussi, notamment durant tout le temps de la formation où nous pouvons être tenus loin des contraintes matérielles et économiques auxquelles les hommes et les femmes de notre temps sont confrontés."

"Le ’communisme’ n’est pas le ’collectivisme’ ! La communauté - et le responsable de communauté a pour tâche essentielle d’y veiller - doit permettre à chacun de grandir et d’être respecté... Le fait que les responsables de notre congrégation aient un mandat limité permet un roulement bénéfique De même, changer de communauté assez fréquemment favorise les remises en question de certaines habitudes communautaires déshumanisantes. L’apostolat aide aussi chacun à se situer en homme responsable."

"La liberté personnelle me semble un point assez fort à l’Assomption. Je ne crois pas que ce soit une démission, un laisser-faire, mais une réelle confiance des uns et des autres. Une certaine’ sagesse aussi, peut-être, liée sans doute à notre esprit d’initiative... L’obéissance est encore, je pense, une victoire de la liberté : une liberté personnelle plus essentielle face à une liberté personnelle moins essentielle."

VI - UNE VIE COMMUNAUTAIRE EST-ELLE COMPATIBLE AVEC L’ACCUEIL ET L’OUVERTURE SUR L’EXTERIEUR ?

"L’Eglise a besoin aujourd’hui de lieux de vie où le témoignage est visible. Ensuite l’ouverture est nécessaire pour que la communauté ne végète pas dans des problèmes insignifiants, mesquins, de relations trop humaines. L’Evangile suppose la communication."

"Cette question semble en cacher d’autres plus profondes. Je pense en particulier à la peur et au désir de tranquillité... Ne pas vouloir être dérangé se comprend parfaitement. Ne jamais vouloir accepter de l’être peut traduire une certaine suffisance (on ne ressent pas le besoin de l’autre). Il y a sans doute aussi quelque chose de l’ordre de la chasse gardée, d’un pouvoir à maintenir. Une façon de la vérifier serait de regarder comment on travaille avec les ’laïcs’"

"Le dialogue dans la liberté, à partir d’un enracinement profond en Jésus-Christ, peut aider la communauté à trouver l’équilibre toujours délicat entre différents binômes : vie commune/vie apostolique ; exigence communautaire/liberté personnelle ; communauté/ouverture sur l’extérieur ; anciens/ jeunes, etc. Il n’y a pas de communauté idéale. Des choix s’imposent constamment pour garder le bon cap..."

VII - LA DIVERSITE DES GENERATIONS DANS UNE COMMUNAUTE EST-ELLE UN HANDICAP OU UNE CHANCE ?

"Il est vrai qu’il est parfois difficile de cohabiter avec des personnes qui ont 30, 40 ou 50 ans de plus... Le conflit des générations est inévitable. Mais je n’irai pas parler de handicap. Nous pouvons profiter de ce qu’ils ont à nous révéler sur la vie, sur Dieu, sur la vie religieuse..."

"Ce n’est pas un handicap, à condition qu’un minimum d’équilibre soit respecté. Après, ce n’est qu’une question de personnes. C’est une chance dans une communauté où les jeunes sont en formation et sont responsabilisés. Rien de plus infantilisant qu’une grande maison de formation où la responsabilité est déchargée sur l’encadrement..."

"La diversité des générations est d’abord une chance s’il existe un dialogue vrai et confiant. Les aînés font bénéficier les plus jeunes de leur expérience et de leur fidélité, et ils leur permettent de se situer dans une histoire. Les plus jeunes peuvent aider les aînés à se renouveler et à mieux comprendre les changements de mentalités qui s’opèrent..."

"En tant que jeune religieux, je puis affirmer que vivre avec des aînés représente à la fois une richesse et un risque. Une richesse, car le témoignage de religieux fidèles à leur vocation, heureux de leur choix, est un encouragement et un désir de poursuivre mon cheminement. Un risque, car si ces ’aînés’ sont assez nombreux, la communauté peut avoir certaines réticences aux changements. Si les jeunes ne sont pas soutenus, ils peuvent se fondre dans un certain conformisme, au risque de ne pas pouvoir déployer leur sensibilité spirituelle et communautaire..."

"La diversité n’est pas facile à vivre. Il faut s’attendre, s’écouter, se respecter, relativiser sa vérité... Est-ce un handicap ? L’autre me gêne toujours quand je le rencontre vraiment. La difficulté avec l’autre gênération, c’est que je ne peux pas maquiller les divergences. Il faut donc se mettre d’accord, et c’est une chance pour la vie ensemble. C’est encore une chance au sens de la tradition : les plus âgés nous transmettent ce que nous n’aurions jamais pu comprendre aussi bien autrement. Derrière des façons de vivre différentes, il y a des hommes croyants. Chance encore de se donner mutuellement des raisons de vivre.."

> EXIGENCES POUR LES RESPONSABLES DE LA FORMATION

Ayant ainsi livré à l’état brut les réactions des jeunes, il me semble qu’en tant qu’Institut accueillant des jeunes, nous avons comme tâche de veiller à ce que les conditions soient réunies pour que la transformation soit de qualité. Partant de mon expérience, je voudrais souligner les conditions d’une croissance du jeune religieux puisque la formation n’a pas d’autre but que d’aider chacun à devenir pleinement lui-même.

J’aborderai trois aspects :

1 . les attraits de la vie religieuse
2. les dimensions d’une communauté religieuse
3. les chances offertes par la communauté pour la formation.

1 - Les attraits de la vie religieuse

Si dans les attraits pour la vie religieuse, la requête communautaire est prioritaire, il est clair qu’un tel attrait doit faire l’objet d’un discernement. Parmi les critères à prendre en compte, je voudrais attirer l’attention sur trois d’entre eux.

Premier critère : l’âge. L’âge avancé est souvent l’indice de retards affectifs et de déséquilibres persistants, difficilement compatibles avec la vie communautaire.

Deuxième critère : la capacité de solitude. L’un des critères les plus surs qui permet de dire si un jeune est apte à la vie commune est sa capacité de vivre une réelle solitude. Le besoin excessif de la présence d’autrui doit susciter la vigilance.

Troisième critère : la capacité de relation, ce qui ne contredit pas le critère précédent, mais le complète.

En ce qui concerne maintenant la vie religieuse, je me bornerai à indiquer les trois attraits qui en sont constitutifs.

  • ATTRAIT MYSTIQUE

Une foi vécue suppose d’entrer en relation personnelle avec le Christ sur lequel on veut miser sa vie. C’est la dimension mystique. Elle se traduit par la prière, la méditation, ce que les spirituels du XVIIème siècle appelaient le "commerce" avec Dieu. On peut dire que c’est l’une des forces de nos jeunes : ils aiment la prière, du moins la prière communautaire.

Ce que je constate, c’est que, en France, ils ont au départ une religion d’abord "mystique", sinon fusionnelle. Ayant souvent découvert la vie chrétienne après le choc d’une conversion, à l’intérieur de groupes de prière plus ou moins marqués par le renouveau, la dimension d’intériorité est très forte, prioritaire même, au point que les autres dimensions sont parfois inaperçues. Par là s’explique aussi que plusieurs des jeunes qui étaient en discernement chez nous et même déjà au noviciat aient choisi de s’orienter vers des instituts contemplatifs.

  • ATTRAIT COMMUNAUTAIRE

La foi vécue suppose une dimension communautaire, ce qui ne veut pas dire aussi institutionnelle. Que l’attrait communautaire soit venu en premier dans le sondage réalisé plus haut s’explique par la question posée. Il n’est pas indépendant de l’attrait mystique. Certes, la vie communautaire est attractive pour les jeunes mais, comme je viens de le dire, une vie communautaire où la priorité est souvent donnée à l’aspect "communionnel", plus qu’à l’aspect institutionnel, ce qui se traduit par la difficulté d’assumer la dimension conflictuelle et engendre parfois des déceptions.

S’ils refusent légitimement le modèle de la cohabitation, ils ont une soif de convivialité, souvent excessive, qui se corrige avec les années. Mais c’est un fait qu’ils sont plus communionnels qu’institutionnels. La formation à la vie religieuse consiste à découvrir la réalité de la communauté avec ses limites et même ses échecs, et donc à en éliminer les auréoles.

  • ATTRAIT APOSTOLIQUE

Une foi vécue a une dimension apostolique, c’est à dire qu’elle comporte l’exigence d’ouverture, d’accueil de l’autre, bref de témoignage. Cette dimension fait partie intégrante de toute vie religieuse, indépendamment d’un appel au sacerdoce. On ne peut pas dire que ce soit l’attrait le plus fort chez le jeune. On a constaté un peu partout la désaffection pour les institutions de vie apostolique et un attrait pour les formes monastiques, qui valorisent mieux les deux autres dimensions, mystique et communautaire. Entrer à l’Assomption, c’est accepter une certaine forme d’apostolat, que l’on soit prêtre ou non. En entrant à l’Assomption, les jeunes n’ont pas toujours une expérience d’Eglise, et ils ont besoin de découvrir cette dimension au cours de leur formation.

En conclusion, on peut retenir :

1. que la vie religieuse à l’Assomption doit harmoniser ces trois attraits. Il n’y a pas à brimer l’attrait particulier d’un jeune, mais on ne peut pas accepter quelqu’un pour qui l’un de ces attraits serait inexistant.

2. chacune de ces dimensions doit subir des purifications : qui n’a pas éprouvé l’aridité spirituelle est exposé à bien des illusions ; qui n’a pas affronté la conflictualité n’a pas encore découvert ce qu’est la communauté ; qui n’a pas rencontré la détresse humaine n’a pas encore la tripe apostolique.
Ce sont là des tests de l’authenticité de la vie religieuse. C’est pourquoi d’ailleurs

3. la durée est un élément indispensable de la formation. Ce qui ne se fait pas avec le temps, le temps le défait !

2 - Les dimensions d’une communauté religieuse

Les jeunes (et moins jeunes) qui entrent à l’Assomption en France sont de jeunes adultes, déjà riches d’une expérience humaine importante, universitaire ou professionnelle. Le fait d’être en face d’adultes est une chance, mais une chance qui ne doit pas conduire à les idéaliser. Nous avons à entrer dans un processus de formation qui doit intégrer ce passé, souvent blessé, en tous les cas riche d’expérience. Le réalisme du regard évitera le surinvestissement : tendance à faire porter au jeune tout le poids de l’avenir ; mais il évitera aussi la sous-évaluation : les traiter comme s’ils n’avaient pas de passé. Etre reconnu tel qu’on est et pour ce qu’on est, est toujours source de joie pour le jeune. L’institut qui a la responsabilité de la formation trouve dans la communauté le meilleur point d’appui :

  • UNE COMMUNAUTE SANS IDEALISATION

Il faut d’abord éviter d’idéaliser la communauté qui accueille le jeune, au besoin enlever au jeune sa propre idéalisation en jouant la carte du réalisme. S’il vient avec l’idée qu’il a choisi le meilleur institut existant aujourd’hui, il fait certainement fausse route car il est prisonnier d’une idéalisation qu’il risque de payer cher.

Présenter l’institut dans sa réalité concrète, avec la diversité même des communautés qui le composent, c’est mettre le jeune en situation de responsabilité de son propre avenir. En France surtout, où le vieillissement gagne du terrain, nous avons constamment à faire un effort pour que l’Assomption soit perçue telle qu’elle est, dans ses germes de mort tout comme dans ses germes de vie. Il est à présenter comme un espace où il est possible de vivre en plénitude un engagement de vie religieuse, mais qui ne dispense pas des risques de l’avenir.

  • UNE COMMUNAUTE RICHE D’UNE TRADITION

En venant dans un Institut, un religieux devient membre d’une communauté de vie, dont aucun aspect ne peut le laisser indifférent. Il va se familiariser avec une histoire qu’il devra assumer, découvrir une tradition, faire la connaissance des hommes qui l’on faite.

Cette tradition dont il hérite, non pas pour s’y enfermer comme dans une forteresse, mais pour enrichir sa propre capacité de créativité, doit élargir son horizon. Dans un monde où l’individualisme gagne du terrain, le jeune qui fait le choix de vivre avec d’autres, associe sa vie avec celle d’autres hommes avec lesquels il s’engage à construire un avenir, mais à partir d’un héritage qu’il reçoit. Comme le disait le cardinal MARTY, au moment du centenaire de la mort du fondateur, le Père d’ALZON : "vous êtes des héritiers, soyez des fondateurs !".

  • UNE COMMUNAUTE OUVERT L’AVENIR

Dans la plupart des Instituts, en France, l’avenir paraît parfois bouché. Il manque entre les jeunes en formation et les formateurs actuels une génération intermédiaire. A l’Assomption, cette tranche intermédiaire n’est pas totalement inexistante, mais elle est mince et s’il faut tabler sur elle, il ne faut pas lui faire supporter trop tôt la responsabilité de l’avenir. Même si l’Institut ne peut pas lui offrir les conditions idéales de la formation, il est important que, en y entrant, le jeune découvre qu’il n’est pas un membre isolé, mais qu’il fait partie d’un corps social dans lequel il a sa place, qui lui offre des possibilités réelles de formation et donc un avenir pour son propre projet de vie à la suite du Christ. Il devra aussi assumer cet écart entre les générations, même si l’Institut doit veiller à ce que cet écart joue d’abord en faveur des jeunes. Sans perspective d’avenir, il n’y a pas d’engagement possible.

  • UNE.COMMUNAUTE DONT L’HORIZON EST LE MONDE

En entrant à l’Assomption, le jeune découvre aussi l’internationalité, qui est une des formes de la catholicité. Il ne l’éprouve pas seulement quand il voyage et à l’occasion de visites à d’autres communautés dispersées à travers le monde. L’internationalité se vit au présent, là où l’on est, et elle comporte des exigences dès la formation : apprentissage des langues étrangères, intérêt pour les autres cultures, ouverture à d’autres sensibilités, rencontre des religieux d’autres provinces, etc.

Entrer dans la vie religieuse, ce n’est pas trouver un havre pour son angoisse, mais un port de départ pour aller vers des frères qui ont en charge l’Evangile sur d’autres chantiers et dans d’autres pays. C’est être disposé à quitter son propre pays, bien évidemment aussi sa première communauté.

  • LA COMMUNAUTE, CHEMIN DE SAINTETE

La communauté doit enfin proposer un "modèle de sainteté". S’il est vrai que l’on peut créditer les jeunes d’une sensibilité à la fois spirituelle et communautaire, un tel apport initial est un enrichissement pour toute l’Assomption, et souvent une remise en question d’un style de vie trop confortable. L’apport spécifique des jeunes est certainement la qualité de la prière et de la vie fraternelle. Cela ne dispense pas la communauté de proposer un "modèle de sainteté", car une sensibilité spirituelle n’est pas encore une "spiritualité" qui puisse soutenir une vie.

A l’Assomption, nous parlons de "sainteté apostolique" sans que le terme ait d’emblée un contenu précis, mais dont on peut dire qu’elle a un triple accent : christocentrique, ecclésial et humain, autrement dit, la sensibilité spirituelle, qui est la richesse des jeunes, a besoin d’être triplement décentrée.

En parlant de réalisme, il ne s’agit nullement de céder au pessimisme. Avoir un regard réaliste, c’est être capable de mesurer les limites de toutes choses, mais aussi de comprendre les chances qui s’offrent. Les mutations que nous sommes en train de vivre sont un signe de vitalité, donc d’accroissement de la vie. C’est vrai qu’une période de mutation n’est pas facile à vivre. Nous avons à accompagner les jeunes dans leur croissance, celle-ci devant les amener à s’engager en connaissance de cause, ce qui ne veut pas dire à l’abri de tout risque, mais dans le partage d’une communauté de destin qui dépasse leur propre désir.

3 - La communauté comme lieu de formation

Un institut qui n’est plus en mesure de former les jeunes qu’il accueille manque à sa mission. Le cadre institutionnel, dont la finalité est d’accompagner le religieux au cours de sa formation, a évolué de façon assez radicale au cours des vingt dernières années. On a même parlé d’éclatement. De fait, les grandes institutions de formation, telles que nous les avons connues à l’Assomption (alumnats, noviciats, scolasticats) n’ont pas résisté à l’effondrement des chiffres. Il a donc fallu réajuster la formation. Je vais indiquer quelques-unes des possibilités qu’offre la communauté pour la formation.

  • LA COMMUNAUTE EDUCATRICE DU DESIR

En premier lieu, la communauté est une éducatrice du désir. Elle doit aider le jeune à discerner sa vocation qui n’est pas nécessairement la vie religieuse, ni à plus forte raison la vie religieuse à l’Assomption. Nous avons là une possibilité neuve d’exercer le désintéressement auquel invite le P. d’ALZON. Etant donnée la diversité des jeunes, cette formation doit être individualisée, ce qui implique, outre l’accueil initial sans préalable - sinon le désir du jeune de s’engager dans une recherche de vie chrétienne -, un accompagnement individualisé. L’individualisation n’est pas à confondre avec une formation qui répondrait à son désir immédiat. Ce désir est lui-même à éduquer et à ajuster aux besoins de l’Eglise et de l’Assomption. La communauté est un des lieux où se fait cette éducation.

  • LA COMMUNAUTE, LIEU DE VERIFICATION

En deuxième lieu, la communauté est un temps de vérification. Il existe trois maisons (CACHAN, LILLE et STRASBOURG) qui ont pour vocation d’accueillir des jeunes en recherche et de faire un premier discernement avec eux. Les jeunes qui s’y présentent ont découvert ces lieux de manière fortuite, mais souvent par le contact avec l’un ou l’autre religieux qui a su lui faire une proposition concrète de vie communautaire. En tous les cas, ces lieux offrent une structure d’accueil qui essaie de prendre en compte les aspirations communautaires du jeune, et de l’aider à découvrir sa propre vocation. Mais toute communauté doit rester un lieu de vérification du choix de vie que l’on a fait.

  • LA COMMUNAUTE, UN LIEU d’APPRENTISSAGE

En troisième lieu, le noviciat est par excellence "un temps fort d’initiation pratique et théorique à la vie communautaire", dit la charte de formation qui précise : "le jeune entre au noviciat, souvent porteur d’une grande aspiration à la vie commune, avec une part de rêve. Le noviciat doit purifier ces attentes et les approfondir au contact de la tradition communautaire de l’Assomption". Un maître de novices, assisté d’autres religieux, est affecté à plein temps à la formation des novices. Cette autonomie du noviciat est une condition indispensable pour une authentique expérience de vie religieuse.

  • LA COMMUNAUTE, UN LIEU DE RESPONSABILITE

En quatrième lieu, après le noviciat, les jeunes sont dispersés dans les communautés constituées de la Province, la règle étant de les mettre au moins par deux, l’affectation à ces communautés se faisant à partir de plusieurs critères : sensibilité du jeune, type de formation recherché, équilibre de la communauté, etc. Actuellement, il existe cinq lieux : STRASBOURG (plusieurs communautés), TOULOUSE, LILLE, LYON.

"Le cadre de la communauté étant plus souple, dit la Charte, il sera fait appel à l’initiative du jeune qui devra s’imposer une discipline personnelle pour assurer l’équilibre entre la vie fraternelle, la vie de prière, les études et les engagements apostoliques..."

  • LA COMMUNAUTE, UN LIEU DE CONVIVIALITE

En cinquième lieu, la communauté est un lieu de convivialité. Pour remédier à la dissémination des jeunes religieux dans les diverses communautés de la Province, mais aussi pour assurer une sensibilité assomptionniste commune, il est apparu très vite qu’il fallait des espaces de rencontres typiquement assomptionnistes. C’est pourquoi, trois fois dans l’année, tous les jeunes en formation se retrouvent, en commun avec les autres familles religieuses de l’Assomption (quatre congrégations féminines) dans un but de convivialité et de partage sur les différents aspects de la vie à l’Assomption. D’autres rencontres, moins régulières, ont lieu, soit à l’initiative des jeunes, soit à l’initiative des formateurs.

  • LA COMMUNAUTE, UN LIEU DE CONFRONTATION

En sixième lieu, la communauté est le lieu où se réalise la confrontation entre le désir du jeune avec le désir d’une congrégation, dont le formateur est le garant. La liberté authentique réside dans la capacité du jeune à opérer l’ajustement de son propre désir au désir de l’institut. L’avenir qui est à assumer n’est pas seulement le sien propre, mais celui d’un corps social dont il partage la destinée. Aussi, en parlant de responsabilité, je ne dis pas que le jeune doit faire son chemin tout seul. Il doit le faire en mesurant sa responsabilité à la réalité de ce qu’il est et de l’institut dans lequel il entre.

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A l’Assomption, il existe une commission de formation, nommée par le Provincial, qui fonctionne depuis plusieurs années. Un "formateur", dont le mandat est de trois ans, renouvelable, en assure la coordination. Sa charte est la "Ratio institutionis". Elle se réunit trois fois dans l’année pour faire un bilan des frères en formation, et envisager les orientations de chacun. Il revient à la commission de donner son avis au moment des différents engagements, chacun des membres étant "spécialisé" dans tel ou tel secteur. La commission intervient tout particulièrement au moment où se décident les orientations engageant l’avenir, le cycle des études, le choix de la communauté, l’orientation apostolique, etc.

Un tel cadre de formation a l’avantage de la souplesse. La diversité des lieux permet de réaliser une meilleure adéquation entre le religieux et la formation souhaitée pour/par lui. Elle permet aussi des déplacements de religieux d’un lieu à un autre et donc elle offre la possibilité de faire tester le jeune par d’autres communautés. Par ailleurs, le fait d’être dans une communauté non spécifique de formation place le jeune dans un cadre de vie réel, avec des religieux qui ont d’autres engagements. Comparé à ces avantages, les inconvénients sont mineurs et peuvent être corrigés de différentes manières.

Par sa responsabilité, le formateur est appelé à être le témoin d’une croissance. Si un jeune ne fait pas cette expérience d’une croissance, il se sent très vite à l’étroit et se replie sur lui-même. Et c’est là un signal d’alarme qu’un formateur ne peut pas ne pas entendre. Quand on a ce privilège de pouvoir accompagner des frères dans cette période de croissance, on est constamment émerveillé, d’abord par l’éclosion de leur vocation, ensuite par leur progrès dans la vie religieuse. Les joies qu’un formateur peut éprouver résultent toutes de cette expérience de témoin privilégié.