Le discernement en vie communautaire


La "Maison Philippe Neri" à VILLEURBANNE

Bernard MEURET et Robert DUMONT,
oratoriens, formateurs au Centre Philippe Néri de VILLEURBANNE

Depuis les analyses, en particulier du Père Tony ANATRELLA, il est devenu banal de dire que l’adolescence s’étale aujourd’hui sur une longue période. La réponse à cette situation, elle, ne va pas de soi. Tous les Services Diocésains des Vocations, tous les responsables de noviciat se battent pour gérer des demandes venant de jeunes tant garçons que filles, pas assez matures. Il est de moins en moins rare que ceux auxquels les questions sont posées aillent frapper à une autre ou plusieurs autres portes pour ne pas avoir à y répondre. Souvent ils y trouvent les mêmes interrogations. Parfois, ils y sont accueillis à moindres frais. La solution de leur problème n’en est que repoussée.

Devant ce constat largement partagé, 1’ORATOIRE, à la suite et parmi d’autres, mais en fidélité à sa vocation initiale de service des vocations, a souhaité ajouter sa participation, aussi petite soit-elle, à la recherche de réponses. D’où, la "MAISON PHILIPPE NERI", ouverte à Villeurbanne en septembre 1988.

EN QUOI CONSISTAIT LE PROJET

• Aider des jeunes gens ou des jeunes filles (la communauté est mixte), à partir de 22 ans jusqu’à... 30 ans et plus, à voir clair dans leur désir de servir l’Eglise.
• Le faire en AMONT DES LIEUX DE DECISION, afin d’éviter des essais trop souvent malheureux qui hypothèquent la pédagogie des Services des Vocations ou des Postulat/Noviciat en les encombrant de situations psychologiques parfois lourdes. D’autant que pour le(la) jeune cela ne fait qu’ajouter une nouvelle blessure à celles déjà reçues avant, les enfonçant davantage dans leur "Mal-Vie".
• Le faire en situant les vocations spécifiques au cœur de la vocation baptismale et non en alternative avec elle.

En effet, clarifier un désir de service, suppose que les formateurs aient le souci de clarifier les motivations, et toutes les implications psychologiques qui sous-tendent ce désir. Clarifier un désir de service, c’est aussi discerner si la "VOCATION EXPRIMEE" n’est pas une "VOCATION REFUGE" qui, subrepticement, permettrait d’éviter d’affronter le monde. Si tel était le cas, c’est encore rechercher si derrière cette vocation refuge ne se cacherait pas, et pourquoi pas, une "VOCATION REELLE" qui demanderait à être libérée. C’est enfin aider à asseoir cette vocation réelle sur des données, spirituelles, ecclésiales, anthropologiques, objectives.

Comment aider un ou une jeune à passer d’une demande, ou d’un rêve ambivalent, au REALISME DU SERVICE ECCLESIAL ? Et à l’intérieur de cette vocation chrétienne, au SERVICE DES HOMMES d’aujourd’hui ?

Ou encore, comment élargir une vocation qui se pense au départ "UNIQUEMENT CONTEMPLATIVE" jusqu’au sens de la MISSION qui doit habiter toute vocation réellement contemplative, y compris pour les filles de Thérèse d’Avila ? Réciproquement, comment aider à enraciner un désir de service des hommes dans une vie de prière personnelle profonde, et tout autant communautaire ?

Plus concrètement par exemple, comment aider un ou une jeune qui fait l’aveu douloureux, et longtemps refoulé, de n’avoir jamais connu le moindre geste de tendresse dans sa vie, ou du moins qui n’en a pas le moindre souvenir, à libérer en lui (ou elle) la nécessaire capacité de tendresse sans laquelle toute vie relationnelle, communautaire ou apostolique resterait figée ?

A l’inverse, comment aider à assumer des expériences de vie de couple, parfois commencées très jeunes, voire de relations passagères réalisées dès les 15 ou 16 ans, afin que le CHOIX DE VIE, quel que soit celui-ci, soit bien posé ?

Nous avons tous rencontré des situations de ce genre et nous sentons le besoin sinon de trouver les moyens d’y apporter la solution, du moins de permettre des évolutions favorables.

MOYENS PEDAGOGIQUES MIS EN PLACE

La "MAISON PHILIPPE NERI" propose un cadre de vie, d’une durée d’une année, fondé sur un certain nombre de repères.

CADRE DE VIE : une vie communautaire réelle. A savoir :

- UN HABITAT COMMUN
Plusieurs jeunes pensent, quand ce ne sont pas les responsables des vocations eux-mêmes amenés à les rencontrer au sein d’un Service Diocésain des Vocations ou d’un postulat "externe", que l’expérience d’une vie communautaire réelle est révélatrice et structurante pour les jeunes. La quotidienneté permet échanges, affrontements, qui bousculent les faux-fuyants ; les autres sont là, ils voient, ils réagissent avec leurs propres problèmes. La différence expérimentée interpelle. De même, la présence d’animateurs adultes permet un "regard analysant" avant même tout discours. Mais elle facilite aussi des conversations sans trop de décalage dans le temps, à la différence des rendez-vous pris longtemps d’avance.

- LE REALISME DES TACHES MATERIELLES
Elles sont à assumer par tous et par chacun. Les achats, la cuisine, le lavage, le repassage. Le tout payé au prix coûtant réel. Tous seront demain, soit en vie communautaire, soit seul dans un presbytère, soit en responsabilités familiales.
Peu arrivent en connaissant le coût de la vie, le poids de la gestion quotidienne. Il faudrait avoir la place de décrire le départ en flèche du coût des repas jusqu’à ce que s’équilibre l’apprentissage des achats. Tout autant le pittoresque des premiers menus ou cuissons qui cette fois mettent mal à l’aise l’estomac et pas seulement la caisse commune. Plus encore combien se révèlent les tempéraments, les équilibres ou les blessures affectives du cuisinier (de la cuisinière) du jour par ce qui arrive sur la table.
De la même manière, l’affrontement aux tâches matérielles remet les pieds sur terre aux élévations appelées parfois un peu trop rapidement "mystiques". Pas de fuite possible devant les fourneaux.

- DES PROPOSITIONS DE FORMATION
A travers un parcours biblique, et une réflexion sur les racines historiques et la suite à donner à Vatican II, faire découvrir que la foi, la prière, la vie apostolique S’INCARNENT dans une histoire, dans un donné humain, aide à descendre des nuages et à sortir d’une projection parfois un peu trop affective et "compensatrice" d’un projet qui se veut apostolique.

- UNE ECOUTE ATTENTIVE
Pour la plupart, les difficultés de maturation tiennent à un manque de repère. "Jeunes sans repère dans une société sans repère"..."Jeunes immatures nés de parents qui n’ont pas toujours eu eux-mêmes les moyens de leur propre maturation". Normalement, pour ceux-là, le style de vie de la maison doit suffire.
Mais pour d’autres, à ce manque de repère s’ajoute une enfance plus profondément perturbée, donc une "histoire à démêler". Sans être psychothérapeute, et tout en refusant d’en jouer le rôle, il faut alors une extrême qualité d’écoute, une attention qui, progressivement, "libère la parole". Souvent cela suffit pour que le(la) jeune se réconcilie avec lui(elle)-même... Le regard du "témoin" devient alors "contemplatif" dans l’émerveillement et pour l’action de grâce devant le "travail sur soi-même", après l’avoir été dans l’attente incertaine. Parfois, par touches successives, il faut orienter vers une psychothérapie.
En tout état de cause, cela demande beaucoup de temps, d’énergie. Il y faudrait aussi une extrême délicatesse que l’on n’est jamais sûr d’atteindre.

- UNE VIE DE PRIERE PERSONNELLE ET COMMUNAUTAIRE
Les deux dont l’articulation est souvent à découvrir. C’est normal au seuil d’une vie adulte. Le goût peut en exister, la mise en oeuvre est le travail de toute une vie. En poser l’exigence et en proposer les moyens en début de parcours n’est pas sans importance.

DES REPERES POUR ACCEPTER UN JEUNE DANS LA COMMUNAUTE

• Manifester une interrogation sérieuse, si possible déjà des engagements pour un "service d’Eglise et des hommes".
La Maison, même si elle se veut chaleureuse, ne se situe pas au niveau de "l’émotionnel-refuge". Pas de retrait par rapport aux engagements au sein d’aumôneries, des campus universitaires, etc. Au contraire, renvoi explicite aux lieux d’insertions apostoliques ou humaines déjà vécues ou à expérimenter. Puis, réflexion au sein de la Maison avec chacun des jeunes sur ce qu’il(elle) vit à l’extérieur.

Manifester tout autant un souci, voire déjà un goût pour la prière. Insistance de notre part sur le lien constitutif de toute vocation baptismale, entre "la mystique et la mission".

Mener fermement les études commencées ou l’engagement professionnel

Etre en lien avec un lieu d’Eglise (S.D.V. - G.F.U. - Groupe 18-25 ans -Paroisse - Aumônerie - etc.) dont nous ne pouvons et ne voulons pas être que le complément.
Nous n’acceptons pas de jeunes sans la recommandation et l’accord des responsables de ces lieux. C’est pour nous un moyen de faire prendre conscience à ceux qui partagent avec nous une année que la "DIMENSION SUBJECTIVE" de toute vocation DOIT S’OBJECTIVER dans une reconnaissance et un appel de la communauté ecclésiale.

Avoir au "FOR INTERNE" un accompagnateur spirituel extérieur à la communauté, afin d’éviter le mélange de genres avec les animateurs de la Maison

• Bien sûr, cela a déjà été souligné, la prise en charge de la vie matérielle et économique de la communauté.

Cet ensemble de repères est valable tant pour un jeune qui envisage d’ancrer sa vie dans la vocation baptismale que dans une vocation "spécifique de cette vocation initiale et plénière" que le baptême est déjà en lui-même.

INTERET DE CETTE PEDAGOGIE

• Notre communauté se veut "UN LIEU DEPLACÉ MAIS NON DESOLIDARISÉ" par rapport aux différentes instances d’Eglise.
Cela provoque un certain nombre d’avantages. Ce n’est pas avec nous que les décisions d’engagements spécifiques se prendront. D’où, pour le ou la jeune, une liberté de parole à notre endroit. Encore une fois, nous nous situons en amont des lieux de décision. En situation "facilitante" de cette décision, et en gratuité par rapport à elle.

• Le fait que certains soient venus avec un "PROJET BAPTISMAL" à vivre dans le monde (mariage, engagement professionnel, services divers, etc.), et d’autres en quête de clarification d’une VOCATION SPECIFIQUE (presbytérale ou religieuse) constitue un LIEU DE DISCERNEMENT RÉCIPROQUE. Chacun rencontrant d’autres interrogations, d’autres quêtes, voit les siennes avec plus de relief. Tel(telle) qui ne l’envisageait pas au départ est amené a se poser la question : "pourquoi pas prêtre ou religieuse ?"
A l’inverse, tel ou telle autre qui nous était adressé(e) par des responsables de vocation découvre que le baptême est en lui-même la vocation radicale. Le choix demeure au niveau de la manière de s’engager et de servir !

• La MIXITE provoque le même effet. Et aussi l’éventail des âges, la diversité des insertions étudiantes ou professionnelles. Tout autant celle des cultures (Europe, Asie, Afrique). La composition de la communauté est en elle-même "OBJECTIVANTE DES PROJETS PERSONNELS".

• Cela suppose un nombre suffisant, et en même temps demeurant à l’échelle humaine. Autour de la dizaine.

CONDITIONS DE VIABILITE DE CE TYPE DE FORMATION

Ce qui précède devrait conduire à la conviction que ce genre d’expérience ne s’improvise pas.

• Avant de la lancer, nous avons contacté, pris conseil, vérifié l’opportunité auprès de presque tous les services du diocèse de LYON. Nous avons rencontré nombre de responsables de groupes 18-25 ans, d’aumôneries d’étudiants, etc. Près d’une cinquantaine.

• Nous participons régulièrement à toutes les RENCONTRES DES INSTANCES concernées par cette tranche d’âge : S.D.V., religieux, etc. sur LYON et sur la région Centre-Est, 18-25 ans, etc. C’est onéreux mais le résultat est que presque tous les jeunes nous sont envoyés par les animateurs de ces différents lieux d’Eglise, sur un projet clairement défini avec eux. A chaque fois que nous avons procédé autrement, nous avons raté.

• Pour lancer et animer cette expérience, 1’ORATOIRE a chargé deux de ses membres qui ont connu un itinéraire assez largement diversifié (Enseignement libre, aumônerie d’étudiant, paroisse, travail salarié, etc.). Ce choix n’est pas neutre. Il donne aux animateurs une certaine (!) liberté psychologique face aux jeunes, à leurs évolutions. Face aussi aux responsables des Vocations. Il permet encore un renvoi aux questions, explicites ou inconscientes, posées par les jeunes.
Il faut ajouter que depuis septembre 1989, des religieuses du Bon Pasteur (Ecole Française dans la branche fondée par Jean Eudes), participent avec nous à l’animation par des soirées hebdomadaires passées dans la communauté. Cette mixité dans l’écoute et le regard porté sur les jeunes permet un affinement de la compréhension de chacun. Sorte de supervision.

• Cela a déjà été noté au passage, mais il est important de le souligner à nouveau, 1’ORATOIRE a décidé de jouer avec cette Maison la gratuité du service des diocèses et des congrégations : de ne pas faire à travers elle une voie déguisée de recrutement personnel. Les jeunes ne s’y trompent pas.
La clarté des relations avec ceux qui nous les adressent en est le résultat. Là réside une des conditions premières du sens et de l’éventuelle réussite de notre pédagogie.

• Enfin, depuis un an, il y a maintenant sur LYON six ou sept communautés très différentes les unes des autres par le style et les familles spirituelles de référence (Ecole Française, Saint Ignace, Oblats de Marie Immaculée ou autres), dont les animateurs se regroupent chaque trimestre pour tenter d’ajuster ce genre de service gratuit sur le diocèse de LYON. Cela signifie l’ampleur du besoin, et manifeste la sensibilité "ecclésiologique" des animateurs.
Mais nous savons pour en avoir visité certaines, et pour nous en réjouir, que d’autres communautés s’essayent à des services analogues en d’autres villes de France. Cela prouve que 1’ORATOIRE et la MAISON PHILIPPE NERI n’ont aucun monopole. Ces pages atteindraient leur but si elles nous aidaient les uns et les autres à mieux prendre conscience de nos propres objectifs et des pédagogies correspondantes. Davantage encore, si elles suscitaient d’autres témoignages.

Dernière remarque

Le souci de clarté de ce témoignage ne suffit en lui-même à garantir la facilité de réalisation sur le terrain...

Honnêteté et modestie se rejoignent à ce niveau. Merci de nous en faire le crédit.