La pastorale des vocations aujourd’hui


Marc LEBOUCHER,
Laïc, a été membre de l’équipe pastorale du S.N.V.

On peut, bien entendu, présenter la pastorale des vocations de manière déductive, avec ses convictions et ses directions propres, qui s’inspirent directement du Concile Vatican II repris par le Congrès mondial de 1982. Ceci a été très bien fait ailleurs, en particulier par Yvon BODIN et Claude DIGONNET, dans la revue "JEUNES ET VOCATIONS" (1). Nous procéderons donc ici un peu différemment, en partant davantage des questions que chacun peut se poser légitimement sur son bien-fondé, en partant des objections un peu brutales qu’on peut lui adresser.

Faut-il une pastorale des vocations ? Ne risque-t-on pas alors de promouvoir une pastorale du recrutement désincarnée, intimiste, uniquement tournée vers le ministère de prêtre diocésain ? Une pastorale qui serait affaire de quelques-uns, trop immédiate et forcément irréaliste ? Reprenons ces différentes objections.

1) Une pastorale du recrutement ?

Ce n’est absolument pas un mythe ! La tentation de recruter existe bel et bien, surtout en période de pénurie. Et d’ailleurs, avant le Concile, la revue publiée par les organismes qui précédèrent le Service National des Vocations s’appelait celle du "recrutement sacerdotal"...

D’où d’emblée une insistance de notre part sur le respect de la liberté. Liberté de la personne, de ses choix, tout en soulignant que ce respect n’est pas indifférence ou silence. Il implique donc :

- le respect et la prise en compte de l’appel de Dieu, avec sa densité et sa liberté. Le Dieu de Jésus-Christ appelle bien souvent par des chemins qui ne sont pas les nôtres.

- le souci de faire des propositions pédagogiques identifiées aux jeunes qui ont un projet de vocation, le souci aussi de présenter les différentes vocations comme autant de chemins possibles. Car proposer, ce n’est pas imposer, mais c’est permettre à une liberté de se construire, de se situer, de faire des choix, comme le souligne récemment le Père H. SIMON, dans un ensemble de "JEUNES ET VOCATIONS" (2)

- le souci de construire, d’aider cette liberté à grandir. On ne vérifie pas seulement le respect de la liberté au départ d’un cheminement, mais on aide aussi à ce que cette autonomie aille croissant, se libère de certaines contraintes extérieures, voire de modèles (3).

2) Une pastorale intimiste ?

La vocation ne serait-elle qu’une aventure personnelle, purement subjective ? Sans verser dans une théologie purement objective de la vocation, qui insiste sur le caractère exclusif de l’appel par la communauté, comme celle développée par Hervé LEGRAND dans "L’INITIATION A LA PRATIQUE DE LA THEOLOGIE"(tome III) (4), il est indispensable cependant de rappeler combien la vocation n’est pas un simple destin individuel... Surtout dans une société qui valorise tant l’individu.

D’où l’insistance sur des fondements qui rattachent la vocation à des réalités théologales plus larges :

- la dimension ecclésiale de toute vocation. Car avant que tout baptisé ne soit appelé, c’est d’abord l’Eglise qui est appelée, qui est "sujet de la vocation". C’est elle qui est envoyée en mission par le Christ, pour l’annonce de la Bonne Nouvelle. Les textes conciliaires redisent d’ailleurs tout cela avec force.
C’est aussi l’Eglise qui appelle, qui est le lieu où les vocations peuvent naître et être accompagnées.

- la dimension trinitaire de toute vocation, qui se construit dans un lien étroit avec le Dieu de Jésus-Christ. En d’autres termes, une vocation filiale (lien au Père), évangélique (lien au Fils), spirituelle (lien à l’Esprit). La vocation invite à entrer dans une dynamique divine qui elle-même est relation.

- Cette dynamique, qui invite à un élargissement de perception de la vocation, essaie de se traduire aussi dans certaines pratiques pédagogiques. Pensons en particulier aux "groupes de recherche", qui permettent à des jeunes de mener une recherche ensemble, de relire à plusieurs leur propre histoire, de confronter leur projet, de prendre de la distance avec des moyens souvent assez proches des intuitions de l’Action Catholique.
Avec d’autres "lieux d’appel" - pensons à tout ce qui naît actuellement comme "année d’appel", lieux de discernement,... - ils participent d’une même volonté de faire découvrir la dimension communautaire de toute vocation.

3) Une pastorale désincarnée ?

La vocation, une affaire de l’ordre de la pure grâce ? Une relation purement verticale avec le Dieu qui nous appelle ? Certains courants religieux actuels ne sont pas sans valoriser ou représenter cette tendance.

- D’où le rappel très fort de la dimension de l’incarnation.
L’expérience spirituelle chrétienne ne situe pas le sacré dans un ailleurs mystérieux. Elle est la rencontre blessée d’un Autre qui a pris chair. Elle conduit à voir dans tout homme une image de Dieu.
D’où la nécessité de relire sa propre histoire personnelle, de se livrer à un regard sur sa propre existence conçue comme une histoire sainte, avec ses moments de mort et de résurrection. Ce qui invite en même temps à s’enraciner dans la prière, à faire le lien entre l’existence et la contemplation.

- D’où une pastorale qui doit prendre en compte les différents aspects de la vie de la personne : psychologie, affectivité, études, vie familiale, vie professionnelle, vie relationnelle... Aucun n’est indifférent à une telle recherche.
Nul besoin de redire ici l’importance d’une démarche d’accompagnement personnel, qui vient compléter l’accompagnement de groupe.

- Elle s’appuie sur une liberté incarnée, pour l’inviter à s’engager aujourd’hui afin de prendre une décision demain, en toute responsabilité.

4) Une pastorale tournée exclusivement vers l’appel au ministère presbytéral diocésain ?

Là encore, dans une situation de pénurie, la tentation est grande de ne penser qu’à ce type de vocation.

D’où l’affirmation que notre pastorale doit être mise au service de l’éveil et de l’accompagnement de toutes les vocations particulières. Appel au ministère presbytéral, mais aussi vie religieuse apostolique ou monastique, vie missionnaire, vie consacrée séculière.

A ce propos, les critères de discernement apparaissent donc tout à fait essentiels. Ainsi dans l’accompagnement d’un groupe de recherche de garçons, pour lui faire percevoir que la recherche ne se réduit pas à celle du ministère mais peut s’ouvrir aussi à d’autres formes de vie consacrée. De même pour faire percevoir que vie religieuse ne signifie pas ipso facto vie monastique, et que la vocation des autres est aussi importante que la sienne propre.

5) Une pastorale qui ne serait l’affaire que de quelques-uns ?

Des évêques et des prêtres qui ne se préoccupent que de l’appel au ministère presbytéral, des religieux qui ont en charge leur institut, des laïcs qui restent indifférents ! Notre perspective se veut tout autre... Il nous paraît urgent en revanche d’aider les chrétiens à retrouver dans leur ensemble le sens de l’appel tout en décloisonnant certaines réalités :

- En effet, le souci de l’appel n’est pas que l’affaire de quelque-uns mais doit reposer sur l’ensemble du peuple de Dieu. Sur les témoins de vocations spécifiques bien sûr, mais aussi sur les baptisés dans leurs responsabilités diverses. D’où la nécessité de convertir les chrétiens, de les éveiller à cette question pour en faire autant de médiations des appels de Dieu. C’est tout le sens d’un éveil auprès des familles, des mouvements, de la catéchèse, des communautés, ou des paroisses, auquel le Service National des Vocations prend part (cf. le texte récent (5) réalisé avec l’Ecole catholique).

- Il est important aussi de travailler davantage ensemble, Services Diocésains et congrégations, même si les approches sont nécessairement différentes. Ce témoignage est le signe d’un travail d’Eglise...

6) Une pastorale de l’immédiateté ?

L’immédiateté, la force d’un attrait, la puissance de conviction marquent aujourd’hui fatalement des jeunes plongés dans un monde cool, tiède... Certes, le rôle du "Viens et vois", de la séduction, est souvent déterminant dans un projet de vocation. Face à cette réalité, l’apport du Service des Vocations peut être bien utile :

- pour inviter à prendre du recul, de la distance, et discerner dans une durée minimale

- pour aider à découvrir que la vocation s’inscrit dans une histoire à travers des appels successifs, comme autant de réalités un peu "emboîtées" : vocation humaine, vocation baptismale, vocation spécifique...

- pour souligner aussi le rôle des médiations, de la part du Dieu de Jésus-Christ qui ne nous parle pas "en direct".

7) Une pastorale un peu irréaliste ?

C’est vrai qu’il peut paraître complètement fou de proposer à des jeunes une vocation qui suppose un engagement dans la durée, définitif. N’est-ce pas un peu de l’ordre de l’héroïsme ? Mais s’il y a folie, c’est davantage celle de la Croix, celle du Christ dont nous parle Saint Paul. Et cette folie se double d’espérance :

- Espérance dans un Dieu qui appelle toujours. Il est étonnant que des jeunes répondent toujours à son appel, même s’ils demeurent peu nombreux. Cette confiance en Dieu nous amène à promouvoir la prière pour les vocations, qui nécessite que chacun s’implique et se convertisse.

- Espérance qu’il faut mettre en oeuvre aussi à travers des tâches pastorales concrètes, dont les Services Diocésains des Vocations sont actuellement les promoteurs dynamiques.

NOTES : ------------------------------------------

1) Entre autres, Yvon BODIN - L’EVEIL AUX VOCATIONS PARTICULIERES" - "Jeunes et Vocations" - Juillet 1986
Claude DIGONNET "LA PASTORALE DES VOCATIONS AUJOURD’HUI" - Jeunes et Vocations" - Avril 1990 [ Retour au Texte ]

2) Hippolyte SIMON - "APPELER C’EST SERVIR UNE LIBERTE" - "Jeunes et Vocations" - Juillet 1990 [ Retour au Texte ]

3) Bernard PITAUD - "EVEILLER A LA LIBERTE SELON l’EVANGILE" - "Jeunes et Vocations" - Avril 1989 [ Retour au Texte ]

4) Hervé LEGRAND - "INITIATION A LA PRATIQUE DE LA THEOLOGIE " Tome III - "L’Eglise se réalise en un lieu" - Cerf, 1983 [ Retour au Texte ]

5) Revue "ENSEIGNEMENT CATHOLIQUE DOCUMENTS" - Février 1990 [ Retour au Texte ]