Le S.N.V. et l’éventail des vocations spécifiques


Dominique SADOUX,
religieuse du Sacré Cœur de Jésus, est membre de l’équipe pastorale du S.N.V.

Ce qui revient en propre au Service National des Vocations est circonscrit dans ce qui regarde les vocations "célibataires". Donc l’élément qui limite l’éventail est le célibat consacré.

Qu’il s’agisse du ministère ordonné ou du religieux frère, de l’ermite, de la vierge consacrée, de toute forme de vie religieuse monastique ou apostolique, toutes ces vocations se retrouvent sous le vocable "SPECIFIQUES". C’est à dire particulières à l’intérieur de la commune vocation baptismale et au service de cette vocation dans l’Eglise. (1)

A l’intérieur de l’éventail, le célibat consacré est un élément réinterrogé par le fait du surgissement de types de vie consacrée non célibataire et par l’accroissement des diacres (3 en 1970, plus de 450 aujourd’hui).

Par ailleurs, même des laïques ne se reconnaissant pas une vocation "spécifique" interrogent cette spécificité du S.N.V. (vocation de célibataires), comme dénotant un jugement de valeur sur la vocation "commune" des baptisés. Si toutes les vocations se répondent, se font signe, si "la vie religieuse" comme signifiant, par exemple, n’a pas à confisquer le signifié de la perfection chrétienne, il reste à expliquer aux laïcs en quoi les vocations "spécifiques" le sont plus que le mariage ou le célibat "baptismal". Il semble que pour le sacerdoce ce soit plus facile à expliquer.

Ouvrons l’éventail et commençons par le ministère ordonné presbytéral.

> De la fenêtre du S.N.V., de quel prêtre s’agit-il ?

Selon le Père Yvon BODIN :

"Dans la ligne de la théologie du signe, le prêtre Signe du Christ Tête et Pasteur, accomplit son ministère comme ’main de l’évêque’ d’annonce de la Bonne Nouvelle (évangélisation), de rassembleur de la communauté autour du Christ (Pasteur) et de célébrant du mystère du Christ (culte, sacrements), signes du Christ (tête du Corps).

Tous sont appelés a être témoins de l’évangile, à construire le corps du Christ au cœur du monde..., mais quelques-uns sont appelés à être charpente de cette Eglise, à être serviteurs des serviteurs : ministère ordonné. Les uns comme représentants (signe) du Christ Tête et Pasteur de son Eglise, jointure et ligature du Corps, veilleur et rassembleur du troupeau : Episcopat, presbytérat, l’évêque et sa main droite : les prêtres. D’autres comme représentants du Christ Serviteur, mémoire incitatrice du service et de la primauté de la Charité : les diacres, autre main de l’évêque. Les uns et les autres comme sacrements de l’Eglise-Sacrement (cf. Vatican II. Image du pasteur et Tête, "au nom du Christ Signe").

La présentation de la vocation au ministère ordonné presbytéral, se fait à partir de la vocation baptismale et de la co-responsabilité de tout le peuple de Dieu.

- Le point de départ est l’annonce de l’Evangile et la construction de l’Eglise, pour lesquelles tous les baptisés sont engagés, chacun dans sa spécificité.

C’est pourquoi l’originalité du ministère des pasteurs ne se comprend qu’articulée à la responsabilité de tous.

  1. le ministère de prêtre et d’évêque est un don de l’Esprit pour guider l’Eglise, pour construire le corps du Christ
  2. C’est un ministère en lien avec l’Eglise entière
  3. Il désigne une responsabilité de quelques-uns au service de la responsabilité de tous

a) exprimant officiellement la confession de Foi de l’Eglise et veillant sur elle,
b) stimulant la responsabilité des chrétiens à l’égard de la Foi, l’unité , la sainteté et la catholicité de l’Eglise.

Ce ministère implique une présidence en vis-à-vis fraternel pour que l’Eglise fasse l’expérience d’être convoquée, rassemblée, envoyée et expérimente la présence sacramentelle du ministère du Christ dans la foi et la communion de l’Eglise. Il implique aussi un ministère collégial. (2)

> Les vocations à la vie consacrée

Nous pouvons d’abord faire une constatation, à partir de l’expérience, des questions posées par les jeunes et à partir des documents ecclésiaux.

Nous constatons un glissement de langage. On parle aujourd’hui davantage de vie consacrée que de vie religieuse. Par ailleurs pour le code de 1917, la vie religieuse était la seule forme de vie consacrée (vie commune et pratique des conseils évangéliques).

Le Concile Vatican II, lui, tient compte des Instituts séculiers (cf. Lumen Gentium n° 44 : le mot "religieux" a un sens plus large qu’en 1947 - date de la constitution apostolique de Pie XII Provida Mater).
Par religieux on entend :

"Ceux qui par les vœux ou d’autres engagements sacrés s’obligent à la pratique des conseils évangéliques et se livrent ainsi entièrement à Dieu, aimé par dessus tout, pour être ordonnés au service du Seigneur et à son honneur à un titre nouveau et particulier" (L.G. n° 44)

Perfectae Caritatis donne au terme de "vie religieuse" une extension théologique large : la profession des conseils évangéliques est l’élément constitutif de la consécration.

En 1974 on parle clairement d’abord des Instituts de vie consacrée. Et finalement en 1983, dans la troisième partie du droit canon, le titre donné est "LES INSTITUTS DE VIE CONSACREE ET LES SOCIETES DE VIE APOSTOLIQUE" et la première section ne s’intitule pas la vie religieuse mais : les instituts de vie consacrée. Du canon 573 à 606, on se trouve re-situé dans un ensemble bien plus vaste que notre vocation religieuse spécifique, à savoir : LA VIE CONSACREE.

Au titre II, on a les Instituts religieux et finalement les Sociétés de vie apostolique et les mouvements ecclésiaux.

On voit comment le déplacement qu’on constate au niveau du langage courant se trouve confirmé par le langage canonique, et on peut ajouter par le langage de la curie romaine, puisque la Congrégation pour les Instituts religieux se voit baptisée maintenant : CONGREGATION POUR LES INSTITUTS DE VIE CONSACREE ET LES SOCIETES DE VIE APOSTOLIQUE.

Ainsi il y a comme un élargissement des murs. Dans la vie consacrée, la vie religieuse a sa place, pour la bien situer il faut la re-situer dans un ensemble plus vaste qu’elle.

Poursuivons notre lecture du code. Les n° 573 et suivants explicitent ce qu’est la vie consacrée : elle suppose"la profession des conseils évangéliques comme vie stable pour la construction de l’Eglise et le salut du monde, au service du Royaume, annonçant déjà la Gloire Céleste."

Dans cette catégorie de "consacrés" se placent les religieux, les Instituts séculiers, les ermites, les Vierges consacrées.

Le canon 607 aborde la vie religieuse.

"En tant que consécration de toute la personne, la vie religieuse, monastique et active, manifeste dans l’Eglise l’admirable union sponsale établie par Dieu signe du siècle à venir. Ainsi le religieux accomplit sa pleine donation comme un sacrifice offert à Dieu par lequel toute son existence devient un culte continuel rendu à Dieu dans la Charité."

Le code poursuit :

"L’Institut religieux est une société dans laquelle les membres prononcent, selon le droit propre, des vœux publics perpétuels ou temporaires à renouveler à échéance et mettent en commun la vie fraternelle".

Vœux : profession publique et vie fraternelle dans un institut de droit propre, voilà le spécifique de la vie dite religieuse.

Le dernier numéro est à bien interpréter :

"Le témoignage public que les religieux doivent rendre au Christ et à l’Eglise comporte la séparation du monde qui est propre au caractère et au but de chaque institut".

Par le terme "séparation du monde", il ne s’agit pas de coupure du monde ou de mépris du monde comme tel. Il s’agit de cette "publicité" qui anticipe le Royaume nouveau, allant "comme en raccourci" de par le monde vers le Terme ; c’est à dire en se passant de certaines médiations pour signifier l’essentiel d’aujourd’hui : la réalité "A-venir".

"...renoncer au monde... à certaines de ses valeurs, non pas parce qu’il est mauvais mais parce qu’on signifie le sens profond de ce que le monde porte : le Royaume de Dieu dont la vie religieuse manifeste qu’il dépasse toutes choses d’ici bas, n’est pas de ce monde. L.G. n° 40" (cf. texte sur la formation des religieux : Directives de la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée - D.C. n° 8 - 15 avril 1990)

Ainsi on peut parler de "séparation du monde" dans la mesure où la vie religieuse signifie déjà son "accomplissement".

La vie religieuse est signe visible du Royaume. A propos de la difficulté de ce témoignage visible, on pourrait relire les écrits de Jean-Claude GUY, s.j. Ce dernier exprime bien l’exigence de la vie religieuse quand il parle d’équilibre entre distance et proximité. La vie religieuse devrait manifester (signifier) à la fois la distance et la proximité, une vraie expérience de Dieu dans une vraie expérience humaine : une trop grande distance peut devenir aliénation, une trop grande proximité peut devenir insignifiance, dilution, oubli de l’altérité.

Ainsi, à partir du droit canon peut-on cerner les caractéristiques de la vie religieuse apostolique : Elle a sa place parmi les formes de vie consacrée, elle ne se confond pas avec les autres et elle se qualifie spécialement par la publicité et la perpétuité des vœux, la vie commune dans un institut avec une règle. Enfin elle suppose cette recherche constante d’un équilibre à tenir pour témoigner du mystère qu’elle porte. Quelle publicité, comment rendre un témoignage public dans un monde sécularisé ?

Les canons 674, 675 et 676 traitent de l’apostolat des instituts.

Il y est dit que toute vie religieuse est apostolique. Même la moniale et le moine ont une secrète fécondité apostolique, d’où l’importance de ne pas séparer contemplation et apostolat.

Mais pour les Instituts voués aux oeuvres d’apostolat, l’action apostolique appartient (on relit le Concile) à la nature même de la vie religieuse. C’est pourquoi toute la vie des membres est imprégnée d’esprit apostolique et toute leur action apostolique est animée d’esprit religieux. Cette action apostolique exercée au nom et par mandat de l’Eglise est accomplie en communion avec elle.

On voit ici combien la vie religieuse ne sépare pas l’être et le faire. On est tombé dans ce piège ces dernières années pour se défendre devant les critiques et les images négatives, venant même du clergé. Des prêtres et certains évêques n’ont pas toujours une image joyeuse et positive de la vie religieuse et l’on entend parfois de leur part une , réflexion, (en substance)comme celle-ci : "les religieuses ne font plus rien ici donc elles n’existent plus".

D’où l’attitude défensive de la vie religieuse : "On nous définit par un faire et une tâche au lieu de nous définir par un être". Nous pensons que c’est un faux problème parce qu’on ne peut séparer l’être et le faire, surtout dans la vie religieuse active. C’est comme si on séparait la consécration de Jésus de sa mission.

Concluons cette partie en disant que les jeunes d’aujourd’hui qui recherchent leur place dans l’Eglise pensent souvent d’abord vie consacrée avant de parler de vie religieuse. Elles viennent voir en retraite, par exemple, des religieuses pour leur dire : "je voudrais me consacrer à Dieu" mais elles ne pensent pas du tout à la vie religieuse, elles pensent d’abord vie consacrée.

Ce glissement de sens, cette ouverture vers une large palette de vocations à la vie consacrée nous amène à en faire, d’une certaine manière, l’inventaire :

Essayons de déployer rapidement la palette de ce qui naît et de ce qui existe. Quelles sont les images de la vie consacrée aujourd’hui ?

Qu’est-ce qu’on voit dans l’Eglise et dans le monde malgré la crise, à travers la crise ou au-delà ?

On voit d’abord des images claires de vie consacrée et même de vie religieuse Vous avez des images médiatiques : Mère Teresa, frère Roger... Ces images de vie religieuse ou de vie consacrée je pense qu’elles sont claires parce qu’ elles expriment une articulation nette entre un style de vie, une urgence apostolique et une visibilité.

En disant qu’elles sont claires, je ne dis pas qu’elles sont mieux que les autres, je dis qu’elles sont visibles.

Il y a aussi des images qui empruntent à la vie religieuse traditionnelle dont nous faisons partie, beaucoup d’éléments, une certaine renaissance, sans donner à ce terme un sens négatif, ce sont des images de fondations nouvelles, de congrégations religieuses nouvelles.

Par exemple, en France, les "Frères de St Jean". Ce qui frappe chez eux, c’est le ministère de la Parole qui semble particulièrement toucher les jeunes et une vie communautaire plus canoniale ou conventuelle. On remonte à la source franciscaine ou dominicaine, apostolique et canoniale.

Troisième sorte d’image. Il y a des images qui sont moins visibles mais provocantes, soit qu’on les rejette, soit qu’on les porte au pinacle, plus contestées.

Elles sont plus apparentes par exemple en Amérique Latine ou en Afrique, surtout en Amérique Latine ce sont les images de la vie religieuse qui ne pose pas la question de son identité mais qui fait corps avec un peuple, avec une cause, celle de la justice. Cette vie religieuse donne souvent le témoignage du martyre. Cf. Le dernier document de la CLAR (3) disant que la vie religieuse doit être "exorciste". Les mots sont forts. Les religieux en Amérique Latine ne se posent pas de question sur leur identité comme nous et ils sont provocants parce qu’ils vivent des situations très conflictuelles pouvant aller jusqu’au martyre (SALVADOR).

Chez nous, les images provocantes existent aussi. Ce sont des images d’hommes et de femmes qui font cause avec les grandes pauvretés, les injustices. Beaucoup de petites communautés en HLM qui durent dans le quart monde ou avec les migrants. Ce n’est pas très visible mais c’est fructueux.

Il y a aussi des images lointaines, missionnaires, de beaucoup de nos congrégations qui, elles aussi, dans leurs Provinces lointaines ne se posent pas trop la question de leur identité et qui sont très articulées sur une mission visible et reconnue : une école au TCHAD, ce n’est pas du tout une école en France et les religieuses qui y travaillent n’ont pas les mêmes problèmes.

Image étonnante, ensuite, des Communautés consacrées souvent confondues avec la vie religieuse mais qui n’en font pas partie : toutes les communautés nouvelles.
Images des origines qui renaissent : Vierges consacrées en particulier. Images monastiques multiples, nouvelles ou traditionnelles, vivantes ou pas. Mystérieusement il y a des fondations qui sont fructueuses dans un lieu de la France et mourantes dans l’autre.

Image enfin d’une Vie Religieuse Apostolique mise à l’épreuve pour ne pas dire floue, parce que quand on dit flou on pourrait le prendre pour un mot péjoratif. Mise à l’épreuve et peut-être encore naissante surtout pour la vie religieuse apostolique féminine.

En effet, pour qu’elle réussisse à être vraiment apostolique active, il a fallu un siècle de bataille contre les lois de l’Eglise qui voulait la garder monastique. Donc elle peut être floue mais elle peut être aussi naissante.

La Vie Religieuse Apostolique est mise au défi : elle s’interroge sur sa mission, sa présence, sa visibilité, surtout dans les pays riches comme les nôtres, face au défi de la sécularisation, de l’athéisme, du monde scientifique, de la consommation, de l’évolution de la femme, etc. Face aussi au vieillissement, au mépris de la vie et à la violence.

Qu’est-ce qu’on peut conclure de cette vision sur toutes ces images de la vie consacrée ? On se place souvent dans la dernière nommée. Ouvrir nos yeux et notre cœur sur l’Eglise et sur tout ce qui jaillit et tout ce qui existe ne peut que fortifier notre identité si on croit en notre vocation.

Cette analyse nous invite à nous re-situer dans cette palette riche de vocations multiples pour y tenir notre place. Elle nous invite aussi à faire un acte de foi en l’Eglise ; en la richesse de toutes les vocations dans l’Eglise (Corinthiens). Ainsi cette Vie Religieuse Apostolique qui est la nôtre trouvera force dans son acte de foi dans la vie et dans la créativité de l’Eglise.

Les questions qui se posent aujourd’hui, dans ce contexte, à la vie religieuse apostolique touchent la visibilité, la mission commune, particulièrement dans les pays très industrialisés.

Pour ces pays dont nous faisons partie, France DELCOURT, présidente de la Conférence européenne des religieux relevait quatre défis :

- soutenir les aîné(e)s

- être solidaire des jeunes Eglises

- évangéliser l’Europe

- revenir aux sources pour vivre une spiritualité dans une authentique vie religieuse.

Le cardinal HAMER, lui, à cette même conférence (Doc. Catholique 18/3/90) élargissait la mission actuelle de la vie religieuse :

"la vie religieuse signifie que Jésus-Christ est l’avenir absolu de la personne humaine". Il lui faut :

      • prendre partie pour la personne humaine
      • stimuler la collaboration
      • offrir des moyens de réflexion et des lieux de prière
      • annoncer l’Evangile

L’exemple des témoins de la vie religieuse en dehors de nos pays développés et riches peut nous aider à relativiser nos peurs et nos questions, tout en nous insufflant un dynamisme cherchant l’Essentiel :

Dans des situations de grande pauvreté, de violence, ou de non croyance majoritaire (ce qui est différent dans nos pays dé-christianisés) l’urgence de la mission l’emporte souvent sur la recherche de l’identité propre. L’incorporation est favorisée et non seulement dans l’Institut mais en Eglise.

NOTES : --------------------------------------------------------------------

(1) Voir aussi "JEUNES ET VOCATIONS" n° 51 p. 23 :"Un défi évangélique" [ Retour au Texte ]

(2) cf. Hervé LEGRAND pour le Synode de CORBEIL, juin 1988.
Cette partie est peu développée dans cet exposé. On peut se référer à JEUNES ET VOCATIONS n° 46 - pp. 31 à 67 [ Retour au Texte ]

(3) Conférence Latino-Américaine des Religieux et religieuses [ Retour au Texte ]