Les jeunes d’aujourd’hui face aux moniales


Ce texte a été rédigé par Sœur Marie-Chantal de LA VISITATION DE VOIRON. pour l’Atelier national "VIE CONSACREE-S.N.V.", dans le cadre de sa recherche 1989-1990, sur la pastorale des vocations des Instituts.
Il nous semble que sa publication aidera bien des monastères par sa clarté et son analyse des jeunes d’aujourd’hui, face aux moniales.

 

A/ JEUNES DE LA TRANCHE
d’AGE : 20-25 ANS
I) Ces jeunes en recherche vocationnelle Les instituts, à travers telle ou telle sœur

1. Assez nombreuses sont les jeunes qui cherchent un accompagnement souvent en vue d’un discernement. Viennent au monastère dans l’attente d’être entendues gratuitement et aidées efficacement. (cf. les trois jeunes chez nous).

  • Il peut y avoir, dans ces âges-là, une "population", notamment chez les jeunes "converties" de fraîche date, des jeunes qui demandent leur entrée au monastère et qui refusent dès l’abord un processus de discernement, comprenant mal les questionnements relatifs au mariage ou à une autre forme de vie consacrée.

1. Nécessité d’une réponse "désintéressée", pas toujours facile.
Cela engage qu’une ou deux sœurs se forment à l’accompagnement, autant sur le plan humain que spirituel.

  • Que le monastère puisse connaître prêtres, communautés avec qui travailler pour le vrai bien de la jeune. (Le test nous est souvent donné par les prêtres, religieux quand ils nous envoient des jeunes en recherche "parce que leur liberté sera respectée").
    Au contact de beaucoup de jeunes, elles-mêmes connaissant d’autres communautés apostoliques comme monastiques, nous souhaiterions que grandisse cette capacité d’aider vraiment sans vouloir "garder". Des procédés, brûlant les étapes de discernement préalables ou ne jouant pas assez la carte de la complémentarité, sont préjudiciables, tant venant des communautés apostoliques que monastiques.
  • Ceci est d’autant plus nécessaire, à notre avis et selon notre expérience, lorsqu’une jeune est fort résolue et dit être assurée de sa vocation. Cela se rencontre assez aujourd’hui : le piège serait de ne pas faire un vrai discernement en imposant des délais.

2. Il y a aussi quelques jeunes parfois "aidées" par des adultes qui entament un discernement, font une retraite - stage de discernement d’une façon un peu ... magique, attendant en dehors de leur propre existence, expérience, sentiments intérieurs, tout ce "langage" qu’ils sont à eux-mêmes, LA réponse qui leur éviterait de risquer la foi.

  • Connaissant généralement d’autres communautés : leur "arrêt" sur l’une d’elles va dépendre de plusieurs facteurs : un style de vie, de prière, fera "tilt" ; une sœur sera le catalyseur ; la spiritualité propre n’a pas l’impact premier.
2. Des communautés monastiques jouent le jeu, parfois, de demander une retraite de discernement à telle jeune. D’autres, un peu échaudées (car il peut y avoir des erreurs assez graves) préfèrent conduire une jeune à vérifier ce qu’elle vit avec telle paroisse, tel prêtre. Il arrive aussi que des communautés ne désirent pas courir ce risque. L’on peut regretter parfois que telle communauté monastique, ou telle et telle communauté apostolique jouent seules le discernement.
II) Qui sont ces jeunes de 20-25 ans qui frappent à nos portes ? Les communautés ou telle ou telle sœur en accueil
1. Généralement ont vécu dans une grande liberté : famille - loisirs - relations

1. Des communautés se rendent "capables", parce qu’elles acceptent de se faire aider (écoute psychologique humaine, etc.) d’entendre ces jeunes sans panique, sans a priori, sans majorer ni positivement ni négativement tout ce tissu humain où peut naître une authentique vocation.

  • D’autres craignent ces profils et ne leur donnent ni la possibilité ni le goût de venir faire chemin. (Les stéréotypes de la future postulante circulent encore... bien !... même dans des communautés très "neuves" (parfois... "surtout" ! )
  • Des communautés emboîtent trop rapidement le pas de ces jeunes "qui savent se débrouiller", ont la maîtrise des choses, au risque d’en faire encore les... "sauveurs" de la communauté, en ne leur donnant pas la possibilité d’une vraie immersion et de jouer le jeu à fond. Il en est aussi qui essaient de les aider à donner toute leur mesure, neuve et originale, en intégrant cela dans la formation avec sérieux.
  • Ont vécu beaucoup d’expériences :
 
  voyages au long cours
loisirs choisis librement
expériences sentimentales voire sexuelles
approches de foi parfois contradictoires,
plus ou moins ésotérisme
etc.
  • Semblent avoir la maîtrise de bien des domaines :
  technique - ordinateur - économique -audio visuel - aisance dans les relations etc. sens des responsabilités
  • Mais cela peut cacher un manque de maturité (non péjoratif) dont il faudra tenir compte, même lorsqu’un discernement sérieux et long aura pu être mené.
2. Ont besoin d’un cadre bien défini, réclament même une "règle du jeu" claire et précise : besoin de sécurisation, parfois à la mesure exacte de la grande liberté antérieure. Généralement, le costume religieux a beaucoup d’importance auprès de ces jeunes, nombreuses aujourd’hui. (Non dans son caractère "sacral" mais comme positionnement clair et appartenance visible à telle communauté) . Chez quelques-unes : il fait partie de la règle du jeu. A noter aussi parfois l’ambiguïté de cet aspect : il arrive qu’une fille soit attirée chez Mère Teresa ou chez X. ou Y. pour le costume : souvent un aspect affectif ou un ... engouement qu’il est bon de déceler. Costume, retrait du monde, règle de vie : ces âges-là aussi en saisissent le sens. Lorsqu’une jeune est particulièrement axée sur ces aspects, voire coincée, alors c’est parce qu’il y a un autre problème, humain la plupart du temps, non évacué. 2. Face aux demandes "strictes" de structures et de contours bien définis, de costume religieux, le paysage monastique et... apostolique parfois est très varié :
- Des communautés entendent "cela" comme le "signe" qu’elles sont dans la vérité quand elles absolutisent ces dimensions : "vous voyez "nos" jeunes ne sont pas contre, mais le recherchent même..."
Autre façon d’utiliser les jeunes qui n’ont pas forcément toute la vérité et parfois de les enfermer dans leur schéma déjà trop étroit.
- D’autres entendent "cela" comme faisant partie du profil dont il faudra bien tenir compte et voir quoi en faire, dans un souci réel d’aider l’intégration de la réponse en vérité.
Dans le discernement cet aspect-là, secondaire ou qui perd beaucoup de place, aura ainsi son mot à dire, en positif ou en négatif... On pourrait souhaiter aujourd’hui que les communautés tant apostoliques que monastiques, et vice-versa, ne se laissent pas "abuser" par cet aspect (! !...), auquel les médias donnent importance.
3. Mais... ce sont souvent les mêmes qui vont contester tout cela, soit en vertu de leur vie autonome. ("Je ne veux pas me ’piétiner’" etc.) soit parce que cette vie les fait sortir de l’adolescence, en les mettant dans la nécessaire solitude et vérité avec soi-même. Contestent-elles l’obéissance, le responsable, certaines lois ?... Ce n’est pas refus systématique mais souvent simple besoin de s’affirmer. Leur lucidité et leur désir d’être vraiment aidée leur donne la possibilité de reconnaître cette attitude inconfortable tant pour elles que pour les responsables. 3. Les communautés qui essaient d’entendre la "totalité" de la jeune ne seront pas désarçonnées par un comportement semblable, mais se donneront les moyens de bien le gérer, entre responsables d’abord et parfois en communauté : passage souvent obligé et souvent la marque que la formation est à la fois ouverte et consistante, exigeante.
En déduire que ces jeunes ne sont pas aptes à la vie religieuse, monastique particulièrement, serait aussi erroné et injuste que leur "aménager" une vie sans exigence. Cela aussi peut être souhaité face à certains contextes formateurs.
4. Il n’est pas rare que dans cette tranche d’âge, des jeunes s’orientant lucidement, généreusement en vie monastique, après un cheminement sérieux et éclairé autant que faire se peut, portent en elles des traces traumatiques de certains problèmes qui ne se disent pas dès l’abord du cheminement - d’où une fragilisation du terrain nerveux, affectif même chez une fille très saine, (cf. certaines expériences affectives ou sexuelles malheureuses ; voire certaines violences subies en ces domaines ; habitudes de vie déstructurées par rapport à l’alimentation, à l’alcool, au sommeil ; problèmes familiaux : désaccord ou possessivité parentale ; voire... approche-flirt avec la drogue, sans autre impact que de créer un certain état de culpabilisation latent ; certains échecs scolaires ou relationnels vont entretenir le sentiment d’instabilité ou d’être... rejeté - etc.) 4. Des communautés monastiques ou non, ont parfois en ce domaine la naïveté de penser que l’Appel du Seigneur peut tout guérir de ces blessures ou déséquilibres et engagent très vite des jeunes pour... hâter la guérison. D’autres communautés, monastiques notamment, se font aider par des prêtres ou autres experts, pour bien entendre ces traumatismes et faire qu’ils soient aussi lieu de réponses. Il s’avère que, de toute façon, un monastère une supérieure et une responsable de formation ou de discernement, ne peuvent agir seuls.
L’on en vient à souhaiter que toutes les communautés, y compris apostoliques, prennent ce chemin-là : bien des souffrances, des cassures graves, des... névroses pourraient être évitées...
  • Ont besoin de coupures de rythme, (notamment monastique) ET dans le même temps les craignent souvent de peur que l’impact de l’autonomie antérieure soit à nouveau trop fort : cinq exemples !
 
B/ JEUNES DE LA TRANCHE d’AGE 25-30 ANS
ET D’UNE CERTAINE FAÇON : 30-35 ANS
Ces jeunes en recherche vocationnelle Les instituts à travers telle ou telle sœur

1. Ils ne diffèrent pas radicalement de la tranche précédente, bien sûr, mais ils portent des caractéristiques générales assez marquées.

  • Ils peuvent avoir vécu des itinéraires de foi, d’expérience humaine, d’expérience d’Eglise, parfois très particuliers qui les rendent plus prudents, voire méfiants à l’égard des Instituts et des structures.
  • Certaines avaient pensé ensabler définitivement l’appel à une vie consacrée Un amour humain vient bousculer et reposer la question jamais résolue jusque là.
1. Outre ce qui a été dit plus haut, il est intéressant de noter que des monastères sont plus à l’aise pour accueillir ces tranches d’âge (surtout 30-35 ans) "Au moins elles savent ce qu’elles veulent" - "Elles, elles sont faites"... Une réflexion pourrait aider à voir ce qui est en jeu, comme elle pourrait être bénéfique dans le cas inverse où des communautés - et ça existe aujourd’hui (!) - accueillent des très jeunes : 18-21 ans, parce que..."plus malléables", croit-on. Il reste vérifié que l’intéqration en vie monastique est plus difficile -exception faite - après 35 ans...
De toute façon, les Instituts sont à l’épreuve, là encore, d’un vrai service de la personne.

2. L’on assiste assez fréquemment à une sorte de "tourisme spirituel", de préférence monastique, une "gentille" consommation d’accompagnements parfois multiples qui peut donner du temps devant soi.

  • La quête sera un peu différente : pas seulement dans le sens d’un idéal qui s’ouvre, avec un bon capital d’idéalisation normale pour la tranche d’âge précédente, mais la recherche d’une vérité et d’une harmonie profonde avec soi-même.
2. Dans ces cas de "tourisme religieux", il peut être requis pour un monastère, . au lieu d’entretenir le..."pique-assiette" entre plusieurs communautés, de poser la question de fond et de se situer lui-même comme lieu de liberté pour mieux discerner l’Appel.

3. Certaines filles de cette tranche là - et a fortiori de la tranche d’âge 30-35 ans - connaissent l’angoisse de la solitude humaine : "Personne ne m’a jamais demandé de faire sa vie avec moi"...Parfois, encore de nos jours, la pression familiale s’exerce : "Il faut te décider". La demande de discernement pourra être grevée de ce coefficient qu’il faudra BIEN entendre pour aider vraiment à la clarté.

  • Se trouvent des jeunes de ces âges-là que la Prise d’Habit, la Profession d’une amie bousculent de fond en comble, sans que pour autant ce soit le lieu d’un véritable appel.
  • Beaucoup de ces jeunes-là sont relativement prudents quant au "quitte tout" avant d’entrer et éprouvent le besoin d’assurer leurs arrières.

3. Les communautés tiennent parfois le même langage que les familles pour hâter la décision..., en leur faveur, sans assez étudier la chose.

D’autres prennent le même temps, les mêmes relais que pour les autres jeunes. Parfois il leur arrive de freiner le jeu surtout quand l’aspect "solitude", positionnement social ou prise en compte de la sexualité-affectivité ne sont pas faits ou insuffisamment.

L’accompagnement de ces jeunes-là demande une formation parfois plus spécifique encore.