Appeler, c’est servir une liberté


Hippolyte SIMON,
prêtre du diocèse de COUTANCES,
Supérieur du séminaire interdiocésain de Basse Normandie.

Ce texte reprend une intervention donnée à la session des S.D.V. de l’Ouest à MUR DE BRETAGNE, les 10-11 mars 1990

Servir une liberté, n’est-ce pas d’abord proposer, offrir l’aventure de la foi, au rebours du silence ou du recrutement ?

Introduction

En réfléchissant sur cette affirmation "PROPOSER, APPELER, C’EST SERVIR une liberté", je me sens attiré par deux lignes de pente contradictoires.

D’un côté je vois bien tout ce que cette affirmation peut avoir de vertigineux. Il suffit, pour le mesurer, de noter ici deux éléments :

l/ LA RETICENCE ressentie par de nombreux chrétiens, même parmi les plus engagés, devant ce qu’il est convenu de nommer "la reprise de l’appel aux vocations spécifiques". Beaucoup disent : "De quel droit pouvons-nous appeler des jeunes à s’engager sur cette route ? "

2/ L’AGACEMENT que peuvent susciter en nous-mêmes les attitudes intempestives, et à la limite indiscrètes, de certains prosélytes, qu’ils soient catholiques, évangéliques, ou adeptes d’autres religions, tout ce qui ressemble, même de loin, à la mise en oeuvre d’un recrutement organisé.

Ces gens qui se précipitent sur moi, alors qu’ils ne m’ont jamais vu, ne savent rien de moi, de mes attentes ou de mes refus, et qui me proposent de m’embarquer avec eux ne font preuve d’aucun discernement, d’aucun respect, ni d’eux-mêmes, ni de moi. Ils n’ont aucun respect d’eux-mêmes car ils ne semblent pas se demander quel co-équipier je ferai dans leur organisation. Après tout, il n’est pas impossible qu’au lieu d’être un plus pour eux, je devienne tout simplement une charge ou un fléau !

Ils n’ont aucun respect de moi car ils ne semblent pas me laisser le temps de mettre en oeuvre la recommandation que je trouve dans l’Evangile :
"Celui gui veut construire une tour doit d’abord commencer par s’asseoir pour vérifier s’il a les moyens d’aller jusqu’au bout de son projet" (Lc 14, 28)

Et je me dis aussi que s’ils ont besoin de moi pour se savoir forts et heureux, c’est peut-être le signe que leur doctrine et leur communauté ne suffisent pas à les combler. Je soupçonne donc, derrière cette immédiateté, voire cette agressivité de la proposition, un risque d’artifice et de manipulation. Surtout, et d’autant plus, lorsque ces propositions intempestives me sont faites au nom d’un Salut. Je me dis qu’un Salut doit d’abord faire ses preuves de salut par les transformations qu’il opère en ses messagers. Ceux-ci, quand ils m’abordent, doivent me sembler suffisamment paisibles en eux-mêmes pour me donner envie d’être sauvé à leur manière. Faute de quoi leurs propositions me donnent bien plutôt envie de me sauver... le plus vite possible !

Plus sérieusement, devant tout appel à nous adressé, il convient de se souvenir que la tradition de l’Eglise insiste sur la nécessité du temps pour le discernement et la germination d’une vocation. Cette image du blé qui prend le temps de germer, de croître et de mûrir est déjà une bonne indication. Mais on trouve aussi la tradition du catéchuménat comme préalable à un engagement baptismal.

On rencontre aussi la tradition des probations comme nécessaire préparation à un ministère, et enfin la sagesse de Saint Benoît qui préconisait, dit-on, de laisser les postulants pendant trois jours à la porte du monastère pour savoir si leur volonté d’y entrer était fermement établie. On est loin des appels racoleurs et des vocations instantanées.

Tout indique que cette fameuse relance de l’appel, pour être authentique, ne doit pas se faire n’importe comment et doit être interrogée, aussi, sur son contenu. En d’autres termes, si appeler c’est servir une liberté, il s’agit aussi de savoir à quoi et comment on appelle. La pédagogie mise en oeuvre et le contenu de la proposition ne peuvent être indifférents lorsqu’il s’agit de servir une liberté.

Arrivé, au moins du regard, au bas de cette première ligne de pente, je considère l’autre côté de la ligne de crête sur laquelle je dois m’avancer. Et j’observe alors, d’un deuxième côté, qu’il n’est pas de liberté sans appel. Je note simplement quelques exemples de cette relation étroite entre liberté et appel.

  • nous avons fêté cette année le cinquantième anniversaire du célèbre appel du 18 juin qui a suscité tout le soulèvement moral, militaire et politique que l’on sait.
  • au cinéma, le film "Hiver 54 a connu un succès certain ; or, ce n’est rien d’autre que l’histoire d’un appel lancé de façon poignante par l’abbé Pierre
  • plus haut dans le temps, Socrate revendique sa liberté de pensée en attribuant son initiative à un appel intérieur dont il ne peut rendre totalement raison. Un daimon venu de plus loin que lui-même lui a suggéré de se mettre en quête de la vérité
  • et, dans ce même ordre d’idées, Christophe Colomb, dont on s’apprête à fêter le cinquième centenaire, se disait aussi irrésistiblement appelé à traverser l’océan parce que, disait-il, "il y a un autre monde". Mais il n’en savait rien de façon probante vu qu’il serait le premier, sinon à aller voir, du moins à en revenir !

Je pourrais multiplier les exemples. Et dans tous les domaines de l’existence humaine. L’idée qu’à l’origine de toute aventure humaine il y a eu appel, ou comme on dit facilement vocation, cette idée devient vite banale tellement elle semble évidente. Et même s’il n’y a pas eu toujours, comme dans les exemples que je viens de citer, un appel explicite, prononcé verbalement, et dont les intéressés ont immédiatement pris conscience, il y a toujours (du moins me semble-t-il), au minimum, une rencontre ou un incident qui survient dans l’histoire de ces personnes et qui est ressenti rétrospectivement, comme l’amorce d’une vocation. Les médecins, les chercheurs, les aventuriers, les artistes s’expriment volontiers selon ce schéma de la vocation découverte à l’occasion d’une rencontre, d’une lecture ou d’une conversation.

Quand bien même ces personnes reconnaissent avoir "depuis toujours" désiré s’engager sur la voie qui est devenue la leur, il reste qu’à un moment donné quelqu’un d’autre leur a servi de catalyseur pour prendre conscience de leurs talents et de leur propre désir. En d’autres termes, à l’origine des aventures humaines on rencontre presque toujours l’idée d’un appel qui a révélé ces personnes à elles-mêmes. Il y a eu révélation pour passer d’une attente diffuse, parfois angoissée, toujours incertaine d’elle-même et de ses buts, à une vision claire et déterminée de ce qui est devenu pour la suite l’axe majeur de toute une existence.

Au terme de cette exploration rapide et schématique de mes deux lignes de pente je choisis maintenant de les analyser dans l’ordre suivant.

l/ tout d’abord je voudrais faire part de mon étonnement devant nombre de réticences quant à l’idée d’avoir à appeler des jeunes

2/ j’essaierai ensuite de montrer que l’appel est constitutif de toute liberté humaine. Il fait partie, me semble-t-il, de la structure de l’être humain comme être humain. A ce titre-là, l’appel aux vocations me paraît s’inscrire dans le droit fil de la liberté humaine. Car c’est l’appel qui fonde la liberté de la réponse.

3/ Ceci établi - du moins je l’espère - je reviendrai sur nos réticences et j’essaierai de montrer comment et à quelles conditions nous pouvons les dépasser dans un service sain et cohérent de la liberté.

I - ETONNEMENT DEVANT CERTAINES RETICENCES VIS-A-VIS DE l’APPEL

Je viens de le dire et je voudrais développer un peu mon étonnement : c’est un fait d’observation banale : à l’origine de toutes les aventures humaines il y a un appel, plus ou moins explicite, mais profondément ressenti comme tel. J’ai déjà donné des exemples. Je pourrais les multiplier. Et c’est justement cette banalité qui m’intrigue. Je me demande aujourd’hui - mais je me le demandais déjà il y a vingt ans - pourquoi tant de chrétiens ont fait tant de complexes devant l’idée d’avoir à appeler des jeunes. Qu’il s’agisse d’appeler au baptême (je pense ici aux parents qui disaient de leur enfant : "nous ne le faisons pas baptiser maintenant, comme cela il sera libre de décider plus tard"), ou qu’il s’agisse d’appeler à d’autres engagements (à la vocation religieuse ou sacerdotale). Cette réticence, chez nous, est allée de pair avec une réticence à l’égard de la démarche missionnaire de l’Eglise. De quel droit, disait-on, peut-on proposer le christianisme à des peuples qui ont déjà leurs coutumes, leurs valeurs et leurs rites religieux ? Pourquoi arracher ces peuples à leur vie paisible et les intégrer dans notre histoire ? A quoi bon troubler leur spontanéité naturelle pour leur imposer un Evangile que nous avons dénaturé tout au long de notre histoire ? Autrement dit, n’est-ce pas leur créer des histoires (au pluriel !) sous prétexte de les faire entrer dans l’histoire du Salut ?

Je rappelle seulement pour mémoire toutes ces interrogations sur la légitimité de l’évangélisation, souvent confondue, à l’époque, avec la colonisation. Cette mauvaise conscience va d’ailleurs probablement se réveiller à l’occasion du cinquième centenaire de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb en 1992. Je ne veux pas justifier le massacre des indiens d’Amérique ; mais j’observe simplement que si les missionnaires sont arrivés en même temps que les colons, il est arrivé aussi que les colons soient repartis et que les missionnaires soient restés. Ne serait-ce qu’en Algérie. Ils n’étaient donc pas venus tout à fait pour les mêmes raisons. Je me dis donc qu’il doit y avoir un sophisme dans les raisonnements de cette mauvaise conscience ou bien une recherche d’alibis.

Car enfin, pourquoi les chrétiens auraient-ils dû être les seuls à ne plus appeler des jeunes alors même que tout le monde, partout, ne fait que proposer et appeler ? La publicité appelle à consommer. Les politiques appellent à l’union, au rassemblement, à des manifestations. Les sportifs appellent à les imiter dans leur pratique. Bref la vie sociale est un appel permanent à s’engager, à prendre parti, à décider. Et tout le monde trouve ça normal.

Je trouve bizarre, donc, que nous ayions eu ce problème avec l’appel alors même que tout un chacun, autour de nous, s’organise, manifeste et prend à témoin l’opinion publique pour faire avancer les idées ou les associations qui lui tiennent à cœur.

Il a failli nous arriver, avec cette notion de l’appel et la conscience de sa légitimité, ce qui a failli arriver aussi avec le mot Séminaire. Je vois une grande similitude entre ces deux affaires et je m’en étonne de la même façon. Je prends cet exemple du mot séminaire car il fera mieux percevoir ce que je veux dire.

Pendant des décennies, sinon des siècles, l’Eglise a eu le monopole du mot séminaire. Chacun savait ce qu’étaient les séminaires, grands ou petits. Et puis, dans les années soixante, le mot séminaire a failli être abandonné par les chrétiens. Il fallait trouver un autre mot pour désigner les centres de formation au ministère sacerdotal. Le remplacement a failli avoir lieu ; il a été engagé jusqu’au moment où l’on s’est aperçu que le terme séminaire faisait florès dans la société civile. Un peu partout, les gens les plus divers se sont mis à organiser des séminaires, et sur les sujets les plus divers. Du coup, voyant que le mot, loin de disparaître, avait plutôt tendance à proliférer, on a, in extremis, gardé ou repris notre vocabulaire et plus personne ne se sent aujourd’hui gêné de dire qu’il est étudiant dans un séminaire ou séminariste. C’était, par mode de petit excursus, un exemple capable d’illustrer ce que je voudrais établir avec l’importance de l’appel pour le service de la liberté (1).

Pour ma part, j’essaierai de montrer que l’on peut réhabiliter l’appel sans le lier à la restauration d’une époque révolue, mais tout simplement parce qu’il est constitutif de toute expérience chrétienne, passée, présente et à venir.

Lorsque des gens disent qu’ils ne veulent pas appeler de jeunes, précisément pour les laisser libres de choisir, je soupçonne aussitôt le sophisme et je me dis que la crainte ne repose peut-être pas là où on le dit. Ce n’est pas le fait d’appeler ou d’être appelé qui est contradictoire avec la liberté. Bien au contraire. Je reviendrai sur cette question. J’indique seulement que derrière ce refus d’appeler des jeunes, des enfants ou des païens, se profile probablement un refus, plus ou moins conscient, de l’expérience chrétienne en ce qu’elle a de déroutant. Pour l’instant, à partir de cet étonnement, je voudrais montrer que nous sommes tous libres, précisément parce que nous avons été appelés à le devenir.

II - L’APPEL EST NECESSAIRE POUR QUE LA LIBERTE SOIT

Il me semble que nous avons été victimes, à l’époque dont je parle, d’une apparence. Il est apparu à beaucoup de chrétiens que leur identité chrétienne leur avait été donnée à leur naissance, sans libre décision de leur part. Et bizarrement, cette illusion d’optique s’est exprimée au moment précis où elle cessait d’être vraie.

On a cru que la liberté chrétienne était une liberté native au même titre que la liberté civile.

A force de répéter à la fois : "les hommes naissent libres et égaux en droit" et "catholiques et français toujours", on a fini par confondre les deux registres, pour les mettre sur le même plan.

On a oublié :

- d’abord que l’Article 1 de la déclaration des « droits de l’homme et du citoyen » est moins un indicatif qu’un optatif ou un impératif : "faisons en sorte que les hommes naissent libres et égaux en droit" ;

- on a oublié surtout que nous ne sommes pas chrétiens comme nous sommes français.

A/ Nous avons été appelés à être chrétiens

D’ailleurs, il faudrait aussi se rappeler que nous n’avons pas toujours été français, ni en Normandie, ni, encore moins, en Bretagne ! L’identité française n’est pas native ; elle est le résultat d’une histoire. A fortiori, l’identité chrétienne n’est-elle pas native ; elle est, elle aussi, le résultat d’une histoire.

  • D’une histoire personnelle. Qu’il me suffise de rappeler cette évidence dont les conséquences sont probablement plus grandes que nous ne le soupçonnons : "nul ne naît chrétien" disait Tertullien. On le devient par le baptême. Deux parents chrétiens engendrent... des petits païens. Selon la spontanéité de la nature, nous naissons en quelque sorte "sauvageons", pour reprendre l’image de Saint Paul. Il a fallu que nous soyions – historiquement - greffés sur le Christ pour devenir membres de son corps.
  • Plus lointainement, les peuples de nos régions n’étaient pas chrétiens. Ils ne le sont pas devenus spontanément, selon la logique de je ne sais quel développement interne. Ils sont devenus chrétiens parce que des gens venus d’ailleurs sont venus évangéliser nos contrées. Notre actualité nous fait nous tourner vers la Roumanie. Ce pays des Daces et de leurs voisins, les Dalmates (Yougoslavie), a donné les premiers missionnaires du Cotentin.

Autrement dit, le christianisme n’est pas une réalité autochtone. Il est une réalité importée. Pourquoi n’accepterions-nous pas qu’il soit importé ailleurs que chez nous ? Ce n’est ni le granite breton ni les prairies normandes qui nous ont engendrés à la foi, "nous sommes tous spirituellement des sémites" disait, je crois, Pie XI. Nos pères étaient des araméens nomades. En ce sens nous sommes tous des métis ! Pire encore, nous sommes tous des esclaves affranchis, nous dit saint Paul. De quel droit pourrions-nous refuser la liberté du Christ à ceux qui sont encore esclaves du péché et de la mort ? Mais vivons-nous notre christianisme comme une libération ?

Il suffit de ce rappel, de cette anamnèse : au commencement de notre histoire chrétienne, il y a eu mission, il suffit de ce rappel pour en conclure :
Nous sommes libres d’être chrétiens,
parce que des missionnaires ont été envoyés à notre rencontre.

Sans cet Appel à eux adressé et par eux entendu, nous serions encore adorateurs de nos fétiches et esclaves de nos peurs ancestrales. Notre liberté chrétienne se fonde sur une histoire. Et cette histoire s’inaugure dans un envoi, dans un Appel venu d’ailleurs et de plus loin que nous.

C’est parce que des chrétiens, en ces temps-là, ont fait leur l’enseignement de Paul que nous avons été évangélisés, car "comment l’invoquer sans d’abord croire en Lui ? Et comment croire sans d’abord l’entendre ? Et comment entendre sans prédicateur ? Et comment prêcher sans être d’abord envoyé ?" (Rm 11, 14)

Dès que nous essayons de faire mémoire de notre histoire personnelle ou de notre histoire communautaire, nous rencontrons cette vérité élémentaire :
La vie chrétienne est structurellement Vocation ou Appel
Elle naît d’une vocation et repose toujours déjà sur une vocation.

Il n’est plus besoin d’y insister. Dès que nous y réfléchissons, ceci s’impose d’évidence. Les Missions de Paul s’originent dans son appel personnel sur le chemin de Damas et dans sa mise à part, pour le service des païens, par la Communauté d’Antioche : Ac 13, 1-3.

Si nous prenons les choses du point de vue de la communauté chrétienne, nous voyons qu’elle s’enracine, elle aussi, dans un Appel. Celui de Pierre, au jour de la Pentecôte : Ac 2, 14.

Je crois pouvoir aller très vite dans cette analyse régressive. Des communautés, nous remontons vers les Apôtres. Des Apôtres, nous remontons vers le Christ. Lui-même se présente à nous, non de sa propre initiative, de sa seule spontanéité, mais comme l’Envoyé du Père. Les citations abondent. Je cite seulement Jn 8, 18.

TOUT CHRETIEN A DONC ETE APPELE A LE DEVENIR.

B/ L’appel, structure de toute vocation

Mais ce rapport à un Appel, comme commencement d’une nouvelle manière d’être, n’est pas complètement inédit. Déjà, dans l’Ancien Testament, nous voyons comment un Appel, venu d’ailleurs et souvent déroutant, est à la base de toutes les vocations prophétiques. Isaïe, Jérémie, Amos, Osée, Samuel, et bien d’autres, nous sont présentés comme des croyants dont la vocation n’est pas une génération spontanée.

Ce qui était vrai pour les Apôtres, pour Paul, Pierre, Matthieu ou Nathanaël, était déjà vrai pour Amos ou Jérémie. Ces hommes étaient tous faits pour autre chose. Ils avaient leur vie, leurs projets et ils ont été véritablement arrachés au cours ordinaire de leur existence. Ils ont été appelés. Ceci n’est pas allé sans débat. Les atermoiements et les reprises de Pierre en sont la preuve. La plainte de Jérémie (20, 7) en est la plus belle expression :

"Tu m’as séduit Yahvé, et je me suis laissé séduire ; tu m’as maîtrisé, tu as été le plus fort... Je me disais : je ne penserai plus à Lui, je ne parlerai plus en son Nom.
Alors c’était dans mon cœur comme un feu dévorant enfermé dans mes os."

Il n’est pas de vocation qui soit une génération spontanée. Il n’est pas de vocation qui n’apparaisse d’abord comme un accident dans une histoire et qui n’entraîne de dures batailles intérieures.

Même le plus serein des prophètes, celui chez qui la vocation semble aller de soi et couler de source, le prophète Samuel lui-même, n’était pas d’abord "destiné" à ce métier de prophète. Il vivait dans le sanctuaire de Silo et se formait auprès du prêtre Eli. Mais il n’est pas resté dans la ligne de ce service sacerdotal. Appelé par son nom, il reçoit une vocation de prophète et sa mission, désormais, va largement déborder le service du culte dans le sanctuaire.

Que retenir de ces deux exemples ? Au moins ceci :

C’est la parole qui détermine une vocation et non pas d’abord la nature ou le désir spontané de ceux qui sont appelés. Une Parole est intervenue dans leur histoire personnelle et les a envoyés dans une direction qu’ils n’auraient pas envisagée spontanément.

En d’autres termes, et pour le dire avec le vocabulaire d’aujourd’hui : il n’y a pas de chromosome de la vocation. C’est la Parole, survenant dans l’histoire, qui la détermine et la structure.

Pour autant, cette vocation n’est pas une contrainte complètement extérieure. Elle serait alors une corvée aliénante au sens propre de cet adjectif. Elle suscite des réticences et des révoltes, on l’a vu avec Pierre et Jérémie. Mais elle bouleverse et finit par entraîner l’adhésion de celui qui est envoyé. Quelle que soit sa fatigue, quels que soient ses tourments, Jérémie ne peut pas ne pas adhérer à cette Parole car il se souvient aussi de sa saveur toute particulière :

"Quand tes paroles se présentaient, je les dévorais : ta parole était un ravissement et l’allégresse de mon cœur. Car c’est ton Nom que je portais, Yahvé, Dieu Sabbaot" Jr 15, 16

Quant à Pierre, nous savons aussi comment, par delà tous ses enthousiasmes et toutes ses reprises, cet Appel culmine pour lui dans un aveu :

"Seigneur, tu sais bien que je t’aime" (Jn 21, 17).

La Parole vient d’ailleurs, elle vient de plus loin que nous, et c’est à ceux qui l’accueillent qu’il appartient de se conformer à elle et d’y trouver leur ravissement, l’allégresse de leur cœur. Ce n’est pas la Parole qui se modèle sur les désirs de ceux qui la reçoivent, c’est précisément la force de cette Parole, de cette vocation, que de transformer ceux qu’elle rencontre et de les emmener, comme Pierre, là où leur spontanéité ne les eût pas conduits.

C/ L’appel, structure de la foi

La logique de ma réflexion m’amène à évoquer toute vocation comme une marche, comme un itinéraire, comme une mise en route à la suite d’un Appel singulier.

A cette évocation je ne peux pas ne pas penser à un autre itinérant : Abraham. Et je découvre, là aussi, au commencement de son aventure, une Parole, un Appel. Nous sommes habitués à cette évocation. Ça nous paraît naturel : "Dieu dit à Abraham".

Vérifiez, faites l’expérience. Spontanément, vous pensez connaître ce verset par cœur. Et je suis sûr que si je vous demandais d’écrire, ici, maintenant, les débuts de l’histoire d’Abraham, vous écririez  : "Yahvé dit à Abraham". Or, en Genèse 12, 1, il est écrit : "Dieu dit à Abram" et c’est seulement au chapitre 17, après la Promesse, que nous trouvons : "Et l’on ne t’appellera plus Abram, mais Abraham, car je te fais Père d’une multitude de peuples."

(Même la Bible et la TOB, dans les titres - qui sont de la rédaction - écrivent Abraham dès le chapitre 12 : "vocation d’Abraham").

On me dira : mais ce sont deux versions d’un même dialecte, et qui veulent dire la même chose ! (cf. note W de la TOB en Gn 17, 5). Eh bien, moi, il me plaît de m’arrêter ici un instant. Il me semble que cet accident, typographique ou dialectal, comme on voudra, a plus de signification qu’on ne le croit. Si Abram devient Abraham, c’est peut-être pour nous dire que la Foi est d’abord Vocation. La Foi d’Abraham est structurée comme une Vocation. Ou plutôt la Vocation reproduit la structure de la Foi d’Abraham.

L’Alliance n’est pas une découverte spontanée d’Abram. Elle n’est pas une production de sa "nature". Elle est un accident de son histoire, au sens propre du mot accident : quelque chose qui advient dans une histoire. Elle n’est pas venue spontanément de lui. Ce n’est pas une invention à sa mesure. Elle n’est pas simple prise de conscience ou déploiement de quelque chose qui serait inscrit d’avance dans la structure interne de sa propre personnalité.

Je me souviens ici d’un débat entre Jean-Paul SARTRE et Maurice CLAVEL. Sartre demandait : "Comment Abraham a-t-il reconnu qu’il avait affaire à Dieu ?" Clavel répondait, en substance : "Abram ne pouvait pas savoir a priori qui était Dieu. Il ne pouvait donc pas le reconnaître. Abram devient Abraham car il est révélé à lui-même dans l’acte même où Dieu se révèle à lui. Dieu révèle son Alliance et révèle l’homme à lui-même. Abram se découvre capable de Dieu dans le moment même où Dieu se révèle à lui."

La foi n’est pas auto-déploiement d’une expérience. Elle est Révélation. C’est pourquoi seul peut en parler celui qui a été appelé à en faire l’expérience. Elle est Révélation gratuite d’une existence qui précède la nôtre et vient d’ailleurs et de plus loin que nous. A cette expérience il faut être, un jour, initié.

Cette structure dissymétrique de la Foi comme révélation, nous la retrouvons exactement chez Saint Jean :

"Ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est Lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils..." ( Jn 4, 10)

Ou, équivalemment, chez Saint Paul, citant d’ailleurs Isaïe (64, 3) :

"Ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment, nous l’annonçons." (1 Co 2, 9).

L’Alliance offerte par Dieu à Abram, et dont il a pris gratuitement l’initiative, déborde, et de loin, les rêves les plus vastes qu’un homme ait jamais pu former. C’est donc de l’intérieur, et seulement de l’intérieur de cette expérience, qu’Abram peut reconnaître que cette Alliance vient de Dieu. C’est pourquoi sa fidélité, en réponse à la Parole de Dieu, va sembler folie au regard de la raison naturelle. En dehors de son dialogue personnel avec Dieu, si l’on se tient à l’extérieur, il est impossible d’admettre comme possibles la Promesse et l’Alliance.

Sara elle-même ne peut que rire et se moquer de cette promesse. Exactement comme les spectateurs de la Pentecôte, au moment de la manifestation de la nouvelle alliance : "ils ont bu du vin doux !" diront-ils au spectacle de la diffusion et de la fécondité de la parole apostolique.

Abraham, lui, se laisse éduquer et conduire par la Parole. L’affaire de ses trois fils est à cet égard très significative. Vous avez bien entendu, les trois fils d’Abraham.

Il y a d’abord Ismaël, engendré selon la nature,
il y a ensuite Isaac reçu selon la Foi,
mais il y a aussi le second Isaac - ou Isaac restitué -
lorsque la Foi est allée jusqu’au renoncement ultime.

Par là, nous sommes invités à comprendre que la parenté et la filiation ne sont pas seulement affaire de nature. Elles sont aussi accueil d’une vie qui vient d’ailleurs et de plus loin que nous. "Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils viennent à travers vous, mais ils ne sont pas de vous" dit Khalil GIBRAN (2).

Cette simple observation nous amène à comprendre que l’Appel n’est pas seulement constitutif

        • de toute vocation,
        • et de la Foi.
        • Il est aussi constitutif de l’être humain.

D/ L’appel, structure de l’être humain

La vie humaine n’est pas seulement génération selon la nature et auto-reproduction des êtres. Elle est accueil d’une autre vie qu’il s’agit de respecter dans son altérité. En d’autres termes, nous ne sommes pas la copie, la réplique de nos parents : nous avons été appelés à la Vie. Ici encore je pourrais développer. Je noterai seulement :

Dans les récits de la Genèse, les êtres humains ne sont pas seulement le développement de la chaîne animée qui les précède. Ils reçoivent leur souffle et leur vocation du même souffle créateur de Dieu. Ils sont toujours établis en vis-à-vis et ne pourront donc plus s’accomplir seulement dans le développement autarcique de leur volonté subjective. Une Parole d’Alliance sera toujours déjà là pour, en même temps, susciter et limiter leur désir.

Il est tout à fait remarquable, à mon sens, que les développements des sciences humaines, et en particulier de la psychologie, aient remis en valeur cette importance capitale de l’Alliance comme parole structurante de toute existence humaine.

Le jeu de mots bien connu de LACAN "L’interdit, c’est 1’inter-dit" ne peut que nous inviter à méditer sur cette antériorité structurante de la Parole sur nos désirs spontanés. L’universalité de la loi de prohibition de l’inceste et son importance sur laquelle tout le monde semble aujourd’hui s’accorder soulignent bien, me semble-t-il, que l’Appel de l’Autre est fondateur d’une existence humaine à la fois libre et responsable.

Je ne peux être responsable que si j’ai à répondre : donc seulement si je suis libre. Mais réciproquement, je ne peux être libre que si j’ai à répondre devant quelqu’un qui m’appelle.

On peut donc dire, pour conclure cette anamnèse, ou cette analyse régressive vers les racines de notre être, que l’Appel est la seule possibilité pour susciter des être libres et responsables.

C’est à la fois trivial et vertigineux : essayez donc de penser un autre moyen pour dynamiser quelqu’un : pousser, tirer, séduire, fasciner, apeurer, épouvanter, effrayer, acheter, programmer... quelqu’un ce n’est jamais le traiter en être véritablement libre, capable de répondre de lui-même et de sa décision. Par contre, un appel crée, à la fois, la distance et la complicité qui invitent à répondre, tout en laissant la possibilité de dire oui ou non.

Mais il existe encore un moyen de tuer la liberté : c’est de ne pas appeler. Celui qui n’aura pas été appelé à vivre l’aventure de l’existence ne répondra jamais : "me voici !". Voyez ce que disent tous les artistes de cinéma ou de théâtre : ils passent leur vie près de leur téléphone, à attendre qu’on les appelle. Et certains en meurent : personne n’a eu besoin de leur talent.

Il y a donc correspondance exacte entre la structure de notre être et la structure de la vocation en passant par la structure de la Foi. Les ouvriers de la onzième heure qui traînent leur vie lamentablement ne peuvent que répondre : "Personne ne nous a embauchés" (Mt 20, 7) (3).

Ainsi donc, nous voici parvenus au terme de cette analyse : il nous apparaît que, bien loin d’être une atteinte à la liberté, l’Appel en est une condition. Et la vocation personnelle, comme accomplissement de l’acte de Foi, ne fait que porter à son achèvement le mouvement de notre être.

Nous sommes des êtres

- appelés à la vie,

- appelés à la Foi,

- appelés à donner notre vie,
en réponse à la libre initiative de Dieu.

Nous pouvons donc retenir ceci :
la vocation chrétienne, l’appel adressé à chaque chrétien personnellement,

- remet à jour

- et porte à son achèvement le mouvement inaugural de la création.

L’appel que l’Eglise adresse à chaque chrétien, de la part du Christ, est donc dans le droit fil de la vocation première de l’humanité, dans le droit fil de la dignité première de l’être humain.

En effet, par là, chaque chrétien retrouve cet honneur fondamental d’être traité comme un interlocuteur de Dieu. Christ nous restitue cette vocation dont Caïn n’a pas voulu. Tout le monde connaît son esquive : "suis-je responsable de mon frère ?" (Gn 4 , 9).

Nous comprenons par là que la liberté humaine est une liberté de vocation : nous sommes libres de répondre, nous devenons responsables, justement parce qu’un appel nous est adressé, à chacun personnellement, de la part de notre Père, tel qu’il se révèle à nous dans le Christ, par son Esprit vivant en son Eglise.

Mais alors, s’il est clair que l’Appel est constitutif de toute démarche chrétienne, comment expliquer que nous ayions eu tant de mal à honorer cette donnée fondamentale de la vie de l’Eglise ?

Nous retrouvons donc ici notre troisième question - ou plutôt notre question de départ - là où je l’avais laissée.

III - L’OUBLI DE L’APPEL OU LE MYTHE DU LIBRE DEPLOIEMENT DE SOI

Nous n’avons jamais oublié complètement les aspects que je viens de rappeler, mais il faut bien reconnaître que nous avons eu quelque peine à nous en convaincre et à les mettre en oeuvre concrètement.

Nous avons traversé une époque - j’y faisais allusion à propos du chômage - où nous avons érigé la spontanéité en valeur dominante. Il s’agissait de devenir soi, de s’accomplir, d’aller jusqu’au bout de ses rêves et de ses potentialités ou virtualités. Mais les objectifs étaient facilement et prioritairement déterminés à partir de soi-même.

Mais je viens de dire aussi que les sciences humaines nous ont rappelé que, pour être soi, il fallait savoir se libérer du piège du même pour s’ouvrir à la reconnaissance de l’altérité qui nous constitue. Elles nous ont rappelé que la liberté n’est pas un donné mais un devenir, et que pour devenir libre il faut accepter la leçon de l’inter-dit qui nous fait entendre l’appel de l’autre : qu’il s’agisse de l’appel d’autrui ou de l’appel de l’Autre.

Or, curieusement, c’est parfois au nom des sciences humaines que certains chrétiens en sont venus à récuser la légitimité de l’Appel, et en particulier de l’appel aux vocations spécifiques. Je crois pourtant en avoir assez dit pour montrer qu’il ne devrait pas, a priori du moins, y avoir de contradictions sur ce point.

C’est donc qu’il y a eu des confusions, ou des problèmes mal posés. Je ne vais pas refaire l’histoire de tous les démêlés qui ont embrouillé cette question. Je ne dirai pas, comme GAVROCHE, que tout ça est de la faute à Rousseau ! Lui-même est probablement plus victime que coupable. (On peut penser que son éducation a connu, à la fois, trop et pas assez d’interdits).

Il faudrait peut-être aussi remonter à DESCARTES, refusant a priori tout appel à l’histoire et préférant s’en tenir aux évidences de sa raison. Il faudrait épingler aussi le brave KANT cherchant à enfermer la religion "dans les limites de la simple raison". Il y aurait aussi à parler de HEGEL avec son fameux auto-développement du Concept. Mais en le citant, je fournis aussi comme une excuse à ces penseurs. Hegel insiste pour dire que tout philosophe n’est que "le fils de son temps" (4). Il en est plus le reflet que l’initiateur. Nous aurions donc tort de nous défausser sur les philosophes, de les traiter comme les boucs émissaires des démissions de notre culture. Quelle que soit leur responsabilité, que je n’ai pas à établir ici, dans la mesure où ils ne sont que "les fils de leur temps", il nous faut assumer ce qui s’est joué de beaucoup plus profond, avant eux et pour une part sans eux, dans la culture occidentale de ces derniers siècles.

Je résumerai d’un mot. Il me semble que beaucoup de nos réticences vis-à-vis de l’Appel s’originent dans une illusion communément partagée en occident depuis quelques siècles : l’idée que l’on pourrait RAMENER LE CHRISTIANISME dans les limites d’UNE RELIGION NATURELLE OU "NATIVE". Je hasarde une hypothèse : à force d’entendre l’Eglise dire que les exigences de l’Evangile étaient conformes en tout aux exigences de la loi naturelle, (ce qui n’est pas faux si on le comprend bien), les occidentaux ont fini par comprendre que la loi de nature contenait tout l’Evangile (ce qui constitue une réciproque parfaitement erronée).

Il y avait confusion des registres. Mais le résultat est là : il y a eu comme un essai de naturalisation du christianisme. Et comme le christianisme était là depuis des siècles et des siècles on a cru qu’il avait poussé spontanément. On a cru que l’homme occidental était naturellement chrétien. On n’avait donc plus besoin de cette étrange histoire qui nous reliait à la première annonce, à ces temps apostoliques. On a gardé, comme on dit, les valeurs - esthétiques, religieuses et morales - de l’Evangile. Mais on a évacué l’histoire, la mémoire, le mémorial - c’est-à-dire l’Eucharistie et les sacrements de l’Eglise. Ou, si on les gardait, on les gardait comme "l’expression" de l’Eglise, son ornement, beaucoup plus que comme la pierre d’angle de tout l’édifice.

Dans ces conditions, si les valeurs évangéliques suffisent à l’épanouissement d’une existence humaine, à quoi bon encore appeler pour une vocation spécifique ?

Chacun peut lire le texte et s’approprier les valeurs. A chacun de choisir selon sa propre subjectivité. Et, justement pour que cette libre subjectivité puisse se déployer, il fallait éviter tout conditionnement historique, toute intervention d’un autre que soi dans ce discernement. Ou, plus encore comme disait un jeune : "moi, pour avoir des idées vraiment personnelles, je ne lis aucun livre !".

Bien plus, il s’est trouvé, historiquement, que l’Eglise est apparue comme ANTERIEURE aux sociétés modernes qui se développaient contre elle et s’émancipaient de sa tutelle. Et l’Eglise, en défendant son pouvoir, aggravait cette référence au passé antérieur. On a donc eu cette impression, - c’était une illusion d’optique mais cette illusion s’explique -, on a eu l’impression que les sociétés modernes, qui révolutionnaient le vieil ordre du monde, étaient porteuses d’un appel à la liberté alors que l’Eglise représentait le passé et la répétition morte d’un ordre des choses révolu. Révolu, donc à renouveler par la ...révolution.

Pour nous, Français, ce renversement des positions a été poussé jusqu’à la caricature. L’appel à la nouveauté, à la créativité, à la liberté est venu de la Révolution alors que l’Eglise semblait définitivement reléguée du côté de l’obscurantisme ancestral, du côté des inégalités sociales et des privilèges de la naissance qui empêchaient, précisément, la mobilité des êtres en fonction du libre déploiement de leurs talents. La philosophie, l’école, l’Etat, au contraire, représentaient la nouveauté, la recherche, bref la libre conquête du monde et l’auto-déploiement des lumières.

Et puis... voici que tout s’est renversé sous nos yeux ! On s’est aperçu que la nature n’est pas spontanément si bonne que cela. Le mythe de la nature comme fondement des sociétés s’est révélé tragique avec le nazisme et sa théorie de la race..., et plus près de nous avec le génocide des Khmers rouges. Le mythe de la bonté originaire naturelle des hommes s’écroule aussi avec les illusions de LENINE. Lui qui rêvait de voir une simple cuisinière illettrée capable de diriger l’empire soviétique, étant entendu que tous les citoyens agiraient spontanément selon le bien commun (5).

Bref - je n’y insiste pas -, on admet aujourd’hui que l’homme a besoin d’un Salut. On admet que si, quelque part, quelqu’un pouvait enfin annoncer ce Salut attendu, ce serait plutôt une Bonne Nouvelle pour l’humanité ! Du coup, l’Evangile, non pas seulement comme ensemble de valeurs, mais d’abord comme kérygme, comme proclamation d’un événement de Salut venu d’ailleurs et de plus loin que nous, cette proclamation retrouve - et c’est la grâce de notre génération - sa force et sa jeunesse.

Et c’est ce crédit retrouvé qui permet aujourd’hui, du moins je le pense, d’essayer.

V - LA REHABILITATION DE l’APPEL COMME SERVICE D’UNE LIBERTE

Que s’est-il donc passé ?

Encore une fois je vais être sommaire, mais il faut aller vite et je ne prends pas les choses du point de vue de leur contenu ni sous l’angle de leur validité théologique, mais du point de vue de leur projection sur le plan des attitudes simples, sur le plan de leur réception ou de leur vulgarisation dans l’opinion publique.

Il me semble que l’on est passé en quelques années, très schématiquement, d’une Eglise perçue comme "Mater et Magistra", selon l’encyclique de Jean XXIII, "Mère et éducatrice des peuples", à une Eglise définie comme "Sacrement de Salut", selon l’expression mise en valeur par le Concile.

Définir l’Eglise comme "Mater et Magistra", c’est la situer comme antérieure aux peuples. Elle est là, d’avance, et c’est elle qui éduque des peuples. Mais ces derniers, pour devenir libres, vont logiquement ressentir la nécessité d’une émancipation. Pour devenir adulte il faut un jour quitter son père et sa mère. Et pour trouver sa vocation personnelle il vaut mieux s’assurer que ce n’est pas notre mère qui a la vocation pour nous ! En regardant les choses sous cet angle psychologique, on peut comprendre un peu la réticence dont j’ai parlé (6). On est tout à fait dans la dialectique : Eglise naturalisée / philosophie des lumières comme émancipation.

Si vous ajoutez à cela une question qui a hanté les gens de ma génération : "Le christianisme va-t-il mourir ?" (7), vous comprenez parfaitement l’impossibilité psychologique où se sont trouvés beaucoup de chrétiens vis-à-vis de l’Appel.

De quel droit appeler des jeunes à se risquer dans un avenir dont on ne sait pas s’il existera ?

Mais, comme bien souvent, la perception des choses était en décalage par rapport à la réalité. Bizarrement, cette perception de l’Eglise comme passée, sinon dépassée, s’est produite au moment même où les choses, déjà, se renversaient.

Je n’hésiterai pas, pour ma part, à dater ce renversement des choses en Mai 1968. C’est une date commode et hautement symbolique pour notre génération. Mais il ne faut pas se tromper d’analyse. Il y a eu, à ce moment-là, confusion et télescopage. Se sont alors produits, en particulier, et entre autres, deux mouvements inverses.

Des gens d’origine chrétienne, pour qui l’Eglise était liée à leur éducation, ont perçu Mai 1968 comme l’éclatement de cette éducation chrétienne, comme la libération d’une tutelle morale et spirituelle pesante.

Mais en réalité, Mai 1968 était d’abord le fait de jeunes qui, n’ayant jamais eu d’éducation religieuse, n’ayant comme référence qu’une philosophie politique plus ou moins inféodée au marxisme, ont, au contraire des premiers, vécu 68 comme la fin de la "vulgate" léniniste. Le rejet des "crapules staliniennes" par Daniel COHN-BENDIT me paraît, à cet égard, hautement significatif. Et Maurice CLAVEL a bien vu ce que contenait de prophétique ce bouillonnement intellectuel et spirituel. J’y insiste : il ne faut pas se tromper de perspective dans notre analyse de Mai 68. Pour les milieux catholiques les plus engagés, le risque était grand de marcher à l’envers, si je puis dire. De se dissoudre dans le mouvement ou bien de le maudire comme le début de la désolation. A cet égard, un "mécréant" récemment converti, comme Maurice CLAVEL, disposait sûrement d’une meilleure boussole. Résultat de cette inversion : un nombre important de religieux, de prêtres, de religieuses, de séminaristes a cru devoir quitter l’Eglise "Mère" pour aller au devant de la société nouvelle qui surgissait de cette émancipation. D’autres se sont enfermés comme dans une forteresse assiégée.

Malheureusement, pour tout le monde, il y a eu méprise. Je ne prends qu’un indice : les revendications majeures du groupe "Echanges et dialogue", dans les années 70, portaient sur le droit pour les prêtres :

- de se marier,

- d’occuper un emploi salarié,

- de prendre des engagements politiques. (8)
Et ces revendications semblaient, pour eux, nouvelles et émancipatrices par rapport à une vocation sacerdotale plus ou moins subie, ou perçue a posteriori comme telle.

Mais c’était une grave erreur de perspective. Je le dis avec tout le respect et toute l’amitié que nous pouvons garder envers ceux de nos frères et de nos sœurs qui ont cru devoir s’engager dans cette direction. Je pense que le temps est venu de le dire en toute honnêteté intellectuelle. C’était tout simplement marcher à l’envers du soleil ! En effet, revendiquer ces trois droits comme une liberté neuve par opposition à une vocation imposée plus ou moins consciemment depuis "toujours" c’était oublier ceci : ces trois droits sont, dans la société moderne, des droits "de nature", alors que la Vocation ne peut survenir que dans une histoire assumée personnellement.

Autrement dit, je n’ai pas à revendiquer ces droits : je les ai toujours et depuis ma naissance. Je suis citoyen français de naissance. Par contre, je n’ai pas, comme on dit, la vocation de naissance. La question n’est pas de savoir si j’ai ou non ces droits : le fait de parler de droit nous établit sur le plan de la société civile ; et en termes de droits, selon la société civile, j’ai toujours ces droits. La seule question est de savoir pourquoi j’ai librement, et au nom de quel Appel, accepté de ne pas les exercer !

Paradoxalement, ce mouvement "Echanges et Dialogue" conduisait des chrétiens à faire retour dans une société civile native qu’ils découvraient comme une société messianique. Je le dis comme je le pense. Nous avons nagé là en pleine équivoque. Mais ce ralliement, cette immersion au nom de droits de nature, manifestent aussi que l’Eglise cesse alors d’être perçue comme native, et que la société civile est ressentie comme la matrice naturelle des citoyens (9).

Depuis lors, il est clair que ce rapport Eglise / société civile s’est complètement inversé. C’est la société civile qui est devenue "mater et magistra". Elle engendre, éduque, oriente, soigne et accompagne. L’Eglise, elle, est redevenue ce qu’elle n’a pas cessé d’être en réalité : le sacrement d’un Salut qui vient d’ailleurs et de plus loin que nous. Elle est sacrement du Salut réalisé en Christ. Elle est appel, ouverture vers plus haut que l’horizon de notre monde. Elle exerce ce que Mgr VILNET appelle magnifiquement : le service public de la Transcendance (Lourdes 1983) (10).

Elle a donc retrouvé, chez nous comme dans les pays nouvellement évangélisés, sa situation de pôle prophétique. Annonce du Salut, elle établit les chrétiens comme Prophètes, Rois et Prêtres au sein d’une société civile dont ils sont membres par naissance (11).

Il me semble que c’est sur ce fond de renversement, terme pour terme, qu’il faut mesurer le changement de notre sensibilité à l’égard de l’Appel. Il est clair que, dans une société civile dont les activités sont toutes orientées vers la mise en valeur de la nature, les vocations ne peuvent plus germer spontanément. Il redevient nécessaire qu’un Appel surgisse, que le semeur sorte pour jeter la semence, car la société ne peut engendrer le Salut par génération spontanée, pas plus que la terre, aussi bonne soit-elle, ne peut engendrer la moisson par génération spontanée. Il ne suffit donc plus de cultiver les vocations - ni de les soigner - il faut d’abord les semer (12).

Je pourrais illustrer cette conclusion par quelques observations de bon sens. Il n’y a pas de vocation spontanée :

- si un petit d’homme vient au monde mais n’est pas suscité à devenir libre par ceux qui l’ont appelé à être, il est à redouter qu’il ne devienne jamais un homme libre. En ce sens, l’expérience des enfants-loups ruine complètement l’illusion rousseauiste du bon sauvage individuel et autarcique.

- Nous savons aussi que pour être pianiste il faut avoir disposé d’un piano dans sa jeunesse et certains disent même qu’il est préférable d’avoir entendu sa mère chanter, alors même que l’on se trouve encore bercé dans "l’océan primordial".

- Et tous les séminaristes vous diront qu’aujourd’hui leur problème n’est pas tant de s’immerger dans la société civile que d’abord "oser en sortir" (13).

Finalement, les Vocations, c’est un peu comme la planche à voile. Le plus dur n’est peut-être pas tant de prendre le vent que de sortir, d’abord, de l’eau !

J’ajoute, et ce sera mon dernier paragraphe, que toutes les difficultés dont j’ai fait état sont, bien évidemment, sur-déterminées par la question du célibat. Je pense qu’il faut s’en expliquer un peu car cette question nous dit aussi quelque chose sur le couple nature / vocation dont j’ai parlé. On ne peut pas se contenter de dire qu’il y a convenance sans expliciter cette convenance.

J’observe que, sauf en de rares exceptions, le célibat est considéré comme impensable, et la stérilité perçue comme un malheur, dans la plupart des civilisations et des religions. En particulier dans le monde juif et dans le monde gréco-romain où le christianisme s’est d’abord développé. Mais, dès les premières communautés, les chrétiens ont fait l’apologie de la virginité et de la vie consacrée. Qu’est-ce que cela signifie ? Au moins ceci, me semble-t-il : que l’exercice de la sexualité génitale et la procréation ne sont plus vécus comme une nécessité pour les individus ; ne sont plus ressentis comme une fatalité, au sens de "fatum", de destin impersonnel. Cela reste, naturellement, une nécessité de l’espèce mais plus des individus. (Bien sûr une société où tout le monde s’engagerait dans la vie consacrée serait condamnée à terme. Mais ça ne risque peut-être pas d’arriver demain !). Les premières martyres du christianisme sont de jeunes femmes qui revendiquent le droit de disposer librement d’elles-mêmes et de n’être plus soumises aux nécessités sociales du mariage et de la procréation.

En ce sens, leur vocation à la vie consacrée est libération d’une fatalité, d’une nécessité absolue, biologique et sociale. Or, cette soumission - dont les modalités ont changé, je vous l’accorde - continue d’exister :

- sous forme étatique délirante : je pense à la Roumanie de Ceausescu. On s’y retrouve comme au temps de César Auguste qui avait, je le rappelle, interdit le célibat, car il avait besoin de soldats.

- sous forme d’impératif diffus dans les comportements de nos sociétés "libérées".

Il est clair que l’exercice de la sexualité génitale est perçu, dans notre société, comme une nécessité de nature pour les individus. Il faut seulement aménager, canaliser, cette nécessité naturelle de manière à ne pas rencontrer "d’accidents". Il devient donc difficile de faire admettre que la chasteté dans le célibat est non seulement possible mais envisageable positivement pour des jeunes.

Dans ces conditions, si on veut lever cette hypothèque - qui me paraît très lourde aujourd’hui - il convient de rappeler qu’il serait stupide d’opposer mariage chrétien et célibat chrétien. Car si le célibat n’est pas pensable, le mariage est une nécessité de nature, il ne peut plus être une Alliance libre entre deux êtres. C’est parce que certains attestent que la sexualité génitale n’est plus une fatalité de nature que d’autres peuvent choisir de se marier et vivre leur amour comme une Alliance. Alliance qui vient d’ailleurs et de plus loin que la nécessité de la reproduction humaine (14).

C’est parce que l’alliance de célibataires consacrés avec le Christ et son Eglise peut avoir quelque chose de nuptial, que la nuptialité des chrétiens peut être vécue comme une alliance libre entre deux être libres.

J’admets tout à fait que l’on puisse débattre sur la question de savoir si l’Eglise Latine doit continuer de choisir ses ministres (prêtres et évêques) parmi ceux qui ont choisi librement (- par charisme, par vocation historique et non par chromosome ! -) de rester célibataires ; mais je dis aussi que le célibat est un état de vie qui a du sens et qu’il n’est pas étranger à la signification du mariage chrétien. Les célibataires consacrés signifient que le mariage des chrétiens est un choix et les époux signifient que la vie choisie par les célibataires consacrés doit être aimante et féconde. La vocation des uns éclaire la vocation des autres ; ils sont liés dans l’annonce d’une Alliance qui n’est pas l’émanation de notre société native mais qui nous a été donnée d’ailleurs, par des Apôtres, qui sont venus chez nous au nom du Christ.

Il est sans doute plus facile d’appeler un(e) permanent(e) pastoral(e) ou un diacre permanent, car leur service n’implique pas un état de vie. Mais à condition de respecter la liberté de la réponse et sa nécessaire maturation, il me paraît aussi légitime de lancer un appel pour les vocations spécifiques, y compris celles qui impliquent le célibat.

On me dit souvent : "mais le sacerdoce n’est pas, de soi, lié au célibat". J’en suis bien d’accord. Mais il ne faut pas mélanger les débats théoriques, dont on peut effectivement débattre, et les engagements concrets. Concrètement, ceci veut dire pour nous que la loi actuelle de l’Eglise latine constitue un appel de la part de Dieu. C’est à chaque chrétien qu’il appartient - de fait - de se prononcer, à la première personne du singulier, dans cette situation réelle. Un débat théorique ne peut pas déterminer une décision concrète. Car il faut répondre aujourd’hui, dans le moment présent, par oui ou par non. On ne peut pas répondre : ça dépend !

Si donc quelqu’un dit : "Je ne pense pas, en conscience, pouvoir vivre dans le célibat", il est clair, dans le concret de l’aujourd’hui de l’Eglise, qu’il n’a pas la vocation sacerdotale, ni, a fortiori, la vocation religieuse, et il faut scrupuleusement respecter ce choix.

Mais ceci suppose déjà que la personne ait accepté de se poser la question : "le célibat est-il pensable pour moi ?" Vous le voyez, cette personne a déjà été libre de répondre parce que la question a été posée et pensable. Aujourd’hui, appeler c’est dire que la question est pensable. C’est donc permettre à des jeunes de penser que c’est pensable. C’est leur faire l’honneur de les traiter en êtres responsables, et c’est aussi les libérer des stéréotypes ambiants pour lesquels c’est non seulement impensable mais biologiquement et socialement impossible.

Il me semble donc, et je terminerai par là, qu’il n’y a pas d’opposition entre une pastorale baptismale et une pastorale des vocations. A une condition : de se souvenir que le baptême est déjà Appel du Christ par la médiation de l’Eglise. Je ne suis pas sûr que la pratique du baptême au sein de la famille native, plutôt qu’au sein de la communauté chrétienne, explicite suffisamment ce point de vue.

Inversement je me méfie un peu des démarches de jeunes qui, à peine baptisés, n’imaginent leur vie que comme une vie consacrée. Je pense que la sagesse de l’Eglise consiste à répondre à leur impatience ce que disait déjà le vieil Eli :

"Va dormir et si le Seigneur t’appelle une nouvelle fois tu répondras : me voici !".

NOTES : ---------------------------------------------------

1) Pour être encore plus concret, au risque d’être un peu trop quotidien, je me demande si nous n’avons pas été victimes de ce que j’appellerai "le syndrome des armoires normandes".

Il y a eu un moment de démangeaison : ces armoires, décidément, rappelaient trop de mauvais souvenirs et de servitudes. Elles faisaient, pour tout dire, un peu ringard. On les a bradées contre des meubles en formica, - plus nets, plus modernes -. Et puis, on s’est aperçu que ces armoires étaient de véritables trésors. Plus personne aujourd’hui ne voudrait les abandonner pour rien au monde. Nous avons pris conscience de leur valeur inestimable. Et si c’était la même chose pour la vocation ?

J’ajoute, pour être complet, que certains dans l’Eglise voudraient lier cette réhabilitation du trésor qu’est la vocation, à la restauration concomitante du mode de vie, ou du mode d’existence chrétienne correspondant à l’époque où l’on fabriquait les armoires normandes. Mais pourquoi pas aussi la lampe à huile et la marine à voile ? [ Retour au Texte ]

2) cf. K. GIBRAN "LE PROPHETE" Ed. Casterman, Paris 1956, p. 19 [ Retour au Texte ]

3) Soit dit en passant, nous ne croyons plus aujourd’hui à la spontanéité de la liberté ou, du moins, nous n’y croyons plus comme à la fin des années 60. L’expérience du chômage, en particulier du chômage des jeunes, nous l’a rappelé de façon parfois dramatique : pour être libre, il ne suffit pas de faire ce qu’on veut, encore faut-il être embauché. [ Retour au Texte ]

4) cf. HEGEL : fin de la préface aux "PRINCIPES DE LA PHILOSOPHIE DU DROIT" Ed. VRIN, Paris 1975, p. 59.

Faut-il considérer à part le cas de Karl MARX qui, las d’interpréter le monde, voulait le transformer ? Les faits ont répondu, et je crois pour longtemps. [ Retour au Texte ]

5) Sur cette réalisation spontanée du bien commun, cf. : LENINE "L’ETAT ET LA REVOLUTION" Ed. Sociales, Paris 1975, pp. 66 et 150 [ Retour au Texte ]

6) Encore une fois, très loin de ce que voulait dire le pape Jean XXIII. Il se situait d’un point de logique et non pas directement chronologique. [ Retour au Texte ]

7) Selon le titre à succès de Jean DELUMEAU, en 1977, Ed. HACHETTE, Paris [ Retour au Texte ]

8) cf. "ECHANGES ET DIALOGUE, OU LA MORT DU CLERC" DOC. France, Ed. L’HARMATTAN, Paris 1975, p. 19 [ Retour au Texte ]

9) On pourrait, à cet égard, considérer que l’antisémitisme est un test de ce retour implicite ou explicite à la nature et aux valeurs de la nature. Quand le nazisme et le stalinisme, et d’autres, persécutent les juifs, ils attestent de leur clôture raciale ou sociale. Alors, osons dire que lorsque l’Eglise oublie ses origines sémites et se pense comme une nation "naturellement native", c’est aussi le signe qu’elle ne sait plus qu’elle se reçoit de l’Appel de son Seigneur : Jésus de Nazareth en Galilée.
Cf. les analyses du Père G. FESSARD in "DE l’ACTUALITE HISTORIQUE" Ed. DESCLEE de BROUWER, Paris 1959, Tome 1, p. 216 [ Retour au Texte ]

10) Gérard SEVERIN propose une belle comparaison : La Foi des chrétiens est à la société civile ce que la case vide est au jeu de pousse-pousse, ce jeu qui consiste à écrire des mots avec les lettres de l’alphabet enserrées dans un cadre fixe. C’est le "manque" qui permet du jeu, donc de la liberté.
Cf. Préface à "L’EVANGILE AU RISQUE DE LA PSYCHALANYSE" F. DOLTO Ed. SEUIL collection Points, Tome 2, p. 8 [ Retour au Texte ]

11) cf. H. SIMON "CHRETIENS DANS l’ETAT MODERNE" Ed. CERF, Paris 1984, p. 169 et sq. [ Retour au Texte ]

12) Il n’est pas totalement surprenant que ce soient les communautés dites "nouvelles" qui aient été les premières à nous le rappeler. Fondées souvent par des convertis, elles ont rappelé à tous une vérité première. Mais il est temps de se souvenir que c’est toute l’Eglise qui est une communauté nouvelle venue d’ailleurs que notre culture "native". Il est temps aussi de se souvenir que toute communauté nouvelle, dans l’Eglise qui est la communauté d’une Nouvelle (sans trop pousser le jeu de mots) ne peut rester nouvelle que si elle reste liée à l’histoire apostolique c’est à dire aux évêques. [ Retour au Texte ]

13) Il nous faut, à nous S.D.V., congrégations ou séminaires, comprendre et accueillir cette revendication des jeunes chrétiens. Ils ont pu avoir le sentiment d’être "noyés" ou "asphyxiés" au milieu d’une ambiance difficile, sinon hostile à la Foi. Leur orientation vers la vie consacrée les met en marge des autres jeunes. Ceci peut même induire un léger "déséquilibre" dans leur attitude. A nous d’être pédagogues et de leur donner du temps. C’est seulement lorsqu’ils se seront enracinés dans la Foi de l’Eglise qu’ils pourront reprendre confiance et accepter de retourner vers ces milieux qu’ils connaissent mal, même s’ils en sont issus. [ Retour au Texte ]

14) J’irai même jusqu’à tenir ce paradoxe : poser à un jeune la question d’une vocation possible, en respectant toujours la liberté de sa réponse, c’est lui donner la liberté de décider de se marier ! En effet, tant que quelqu’un ne s’est pas posé cette question, le mariage est une quasi-évidence biologique et sociale. Par contre, en se posant la question du célibat, (il ou elle)brise la chaîne de cette nécessité première, au moins le temps d’un débat intérieur. Dès lors, si ce(cette) jeune choisit de se marier, son mariage peut être vu comme une vocation, comme un appel, non plus de la nature, mais de Dieu. [ Retour au Texte ]