Ouvrages analysés


"DEUX MILLE ANS d’EGLISE EN QUESTION - Des Martyrs à l’Inquisition" Gustave Martelet, s.j. - Le Cerf, 1990 - 435 pages - 150 fr.

L’auteur est professeur de théologie au Centre Sèvres à Paris et à l’université grégorienne de Rome. Depuis longtemps il se consacre à la recherche sur le sacerdoce dans le christianisme.

Le présent volume a été précédé, en 1984, d’un premier tome intitulé : "DEUX MILLE ANS d’EGLISE EN QUESTION - Crise de la foi, crise du prêtre". Par un effort patient de discernement, une sorte de "psychanalyse" spirituelle autant que doctrinale, il apparaît que la crise du prêtre actuelle relève d’une crise bien plus profonde dont la foi chrétienne est l’enjeu.

Le projet du deuxième tome qui vient de paraître se formulait ainsi en 1984 : "retrouver le prêtre à la source". En fait, c’est un immense déroulement historico-théologique qui nous est présenté, la traversée de dix-neuf siècles d’histoire de l’Eglise, pour se donner le droit de dire soi-même ce que l’on pense du prêtre. L’ampleur de cet itinéraire a demandé une édition en deux volumes ; le premier dont il est question ici va "des martyrs à l’Inquisition", le second, à paraître bientôt, aura comme parcours "du grand Schisme à Vatican II".

L’espace limité de ce compte-rendu et la compétence encore plus restreinte du rédacteur ne permettront pas de donner une analyse évaluative de l’ouvrage. On voudrait simplement offrir un résumé honnête et qui encourage une lecture patiente, parfois austère, mais combien enrichissante.

L’idée maîtresse qui va guider la recherche historique est celle qui a été bien établie dans le tome paru en 1984 : 1’apostolicité est le principe unifiant de l’Eglise et de son ministère ; elle n’est pas le tout du mystère du Christ, mais elle en est un élément irremplaçable.

A partir de là, et toujours marqué par un souci d’œcuménisme, la première partie de l’ouvrage traite du développement homogène qui produit l’apparition du vocabulaire sacerdotal pour qualifier le ministère des épiscopes et des presbytres, durant les deux premiers siècles.

La seconde partie (3ème-14ème siècle) est dominée par la question du cléricalisme, où le devoir de servir se dissocie mal de la tentation de régner. Ce point névralgique important et persistant concerne les rapports de l’Eglise et du ministère apostolique avec la société politique, et plus encore avec la liberté des hommes et la légitime autonomie de l’humain.

I

Comment s’est produit le développement homogène du presbytérat au sacerdoce. En effet, un sacerdoce des presbytres semble inconnu du Nouveau Testament. Dans l’Epître aux Hébreux, le sacerdoce est le propre du Christ. S’il passe à d’autres, c’est au corps des baptisés, comme dans la 1ère Epître de Pierre et dans l’Apocalypse. Par contre, un siècle et demi plus tard Hippolyte de Rome dans son livre "LA TRADITION APOSTOLIQUE", atteste de manière formelle, et comme une donnée traditionnelle, le sacerdoce des évêques et des presbytres.

Certains refusent la légitimité de cette évolution qu’ils mettent sous le nom de "pré-catholicisme" au compte de la parousie différée et considèrent comme une trahison du véritable paulinisme de la Révélation elle-même. La source de ce refus est un manque d’évaluation du rôle du développement homogène de la conscience de la foi assistée de l’Esprit saint au cours de l’histoire. N’est-il pas normal que l’affirmation du sacerdoce universel et de tous les croyants induise la conception sacerdotale de ceux qui sont ordonnés au service de ce peuple sacerdotal ?

Quelques mots sur les principaux repères de ce passage au cours du 2ème siècle, de la Gnose à Hippolyte de Rome.

  • Les écrits de Saint Jean nous montrent que les élucubrations de la Gnose sont déjà répandues au 1er siècle. Elles sont une sorte de faux-semblant du mystère chrétien pensé abstraitement, loin de ses données historiques  ; récusant la bonté du Créateur, la validité de l’Ancien Testament et l’humanité réelle du Christ, inventant des révélations particulières faites à l’un ou l’autre Apôtre, conservées en secret et communiquées aux initiés qui veulent leur retour à l’absolu qu’ils sont par l’étincelle divine en eux.
  • Voilà la toile de fond assez fantasmagorique et abstraite des débats théologiques du 2ème siècle. Et pourtant, c’est une question tout à fait concrète et pratique qui est le motif de la lettre que Clément de Rome écrit vers 95 aux chrétiens de Corinthe : "Il n’est pas juste de démettre de leurs fonctions ceux gui ont rempli leur office envers le troupeau au nom du Christ d’une manière irréprochable".
Il fonde son argumentation sur le principe de succession à partir des Apôtres dans leur responsabilité ecclésiale (non pas des Apôtres comme témoins oculaires de Jésus et ainsi constitués dans un rôle intransmissible de fondateurs).
Cette succession rendue nécessaire par la mortalité naturelle de l’homme, ne se fait pas par la voie biologique comme le sacerdoce d’Aaron en Israël. Elle résulte d’une désignation accomplie dans l’Esprit par les responsables eux-mêmes avec l’accord de la communauté et appuyée sur la maîtrise eschatologique que le Christ ressuscité exerce sur l’Histoire.

Notons aussi que, par référence aux lévites de l’Ancien Testament, Clément introduit la dénomination de "laïques" pour distinguer ceux qui dans le peuple de Dieu n’exercent pas les fonctions de presbytres : annonce de la notion de "clergé".

  • Vers 107, Ignace d’Antioche en se rendant à Rome pour y être livré aux bêtes, écrit sept lettres aux Eglises d’Asie Mineure. Episcopat, Presbyterium, diacres, toute une structure ecclésiale y apparaît clairement en place. Et pourtant, l’union au Christ lui apparaît plus importante que la structure. Cette union passant des Apôtres à nous-mêmes est pour lui la vraie finalité de la structure ministérielle qu’il découvre dans l’Eglise, sans l’inventer lui-même. Quand il dit que "sans l’évêque il n’y a pas d’Eglise" c’est d’un moyen indispensable au Seigneur ressuscité qu’il s’agit, et non pas d’une "puissance" constituante. Parler "d’épiscopat monarchique" est donc un faux-sens.
  • Le 2ème siècle est marqué par l’oblativité de nombreux martyrs : Polycarpe de Smyrne, Carpus de Pergame, Perpétue et Félicie de Carthage, les martyrs de Lyon et de Vienne, Justin de Rome. Cela justifie avec éclat la qualification "archisacerdotale" que Justin, dans son "DIALOGUE AVEC TRYPHON", donne au peuple de Dieu de la Nouvelle Alliance, se souvenant d’une offrande prophétisée par Malachie. Comment le ministère d’un tel peuple ne serait-il pas bientôt appelé sacerdotal à son tour ?

Par ailleurs, Justin décrit le rôle de celui qui "préside" l’Eucharistie comme celui d’un responsable de communauté de style paulinien, que les Actes et les Pastorales appellent un "presbytre".

  • Irénée de Lyon est le maillon qui va faciliter à la fin du 2ème siècle, le développement homogène du ministère presbytéral en ministère sacerdotal. Il est venu d’Asie Mineure où il avait été auditeur de chrétiens qui avaient connu des témoins du Seigneur Jésus. Il est lui-même un témoin résolu de la foi des Apôtres, un homme de Tradition et de synthèse. Soucieux de vérité et d’orthodoxie contre les gnostiques, il veut, selon le mot de Tertullien son contemporain, assurer "notre consanguinité de doctrine avec les Apôtres". Pour lui, il y a une Eglise critère et révélateur d’apostolicité par excellence, c’est "l’Eglise très grande, très ancienne et connue de tous, que les deux très glorieux Apôtres Pierre et Paul fondèrent et établirent à Rome". Irénée ne parle pas de la forme sacerdotale du ministère presbytéral, mais l’importance qu’il reconnaît à la fonction des presbytres pour la fidélité au mystère du Christ, va favoriser une prise de conscience dans ce sens.
  • Hippolyte est un presbytre de Rome qui meurt exilé en Sardaigne, vers 230. On lui attribue "la Tradition apostolique", petit directoire disciplinaire et liturgique, en particulier sur les ordinations des évêques, des prêtres et des diacres, considérées comme des pratiques ecclésiales fondatrices.
La communauté ecclésiale propose celui qui sera son évêque, mais celui-ci ne sera pas pour autant son délégué, il sera le délégué du Christ en vertu de l’ordination célébrée par les évêques voisins qui lui imposent les mains et prononcent un appel à l’Esprit Saint où il est dit :
"Accorde, Père, à ton serviteur que tu as choisi pour l’épiscopat qu’il fasse paître ton saint troupeau et qu’il exerce à ton égard le souverain sacerdoce sans reproche... qu’il offre les dons de ta sainte Eglise ; qu’il ait en vertu de l’esprit du souverain sacerdoce le pouvoir de remettre les péchés suivant ton commandement..."
Le même rite, imposition des mains et épiclèse, constitue l’ordination des prêtres et des diacres ; ainsi est signifiée l’unité de la mission apostolique confiée. Mais quelques variantes, surtout dans l’imposition des mains, manifestent des "degrés" différents de responsabilité.

A l’ordination des évêques seuls les évêques présents imposent les mains "que le Presbyterium se tienne sans rien faire" dit Hippolyte.

Pour l’ordination des prêtres, l’imposition est faite par l’évêque et le presbyterium pour signifier "l’Esprit commun de leur charge" ; il s’agit alors non d’un geste de consécration mais d’approbation.

Enfin, pour le diaconat, seul l’évêque impose les mains, car les diacres ne font pas partie du Presbyterium. Ils sont reliés directement à l’évêque à qui ils présentent les offrandes pour l’Eucharistie qu’ils distribueront aux présents et aux absents. Ils ne sont pas ordonnés au sacerdoce mais au service de l’évêque "pour faire ce que celui-ci leur indique", mais aussi "pour leur signaler ce qui est nécessaire".(Notons en passant que certains ont aujourd’hui une conception du diaconat plus axée sur une solidarité temporelle vécue dans le mariage ou le métier, ou bien sur le rappel aux évêques, aux prêtres et à l’Eglise que c’est l’esprit de service, et non l’appétit de domination, qui doit nous animer, etc. Est-ce là un développement homogène de la conception du ministère apostolique ?)

Une brève réflexion sur les diaconesses termine ce chapitre.

II

Au cours des premiers siècles, le ministère structurant l’Eglise à la suite des Apôtres n’est pas qualifié "sacerdotal". On ne le dit pas, mais on n’en dispute pas non plus. Cette qualification apparaît clairement à la conscience ecclésiale au début du 3ème siècle : on le dit mais on n’en dispute pas. Ni davantage au 4ème siècle durant les grands conciles qui s’y tiennent.

Pendant mille ans, ce sera une "possession tranquille" du développement homogène qui s’est réalisé dans la conscience chrétienne. Animée par l’Esprit, elle a approfondi sa propre vérité à la lumière du sacerdoce de Jésus qui rejaillit sur elle et sur son ministère.

Mais possession tranquille doctrinalement ne veut pas dire que le ministère apostolique sera exercé sans difficultés, sans conflits, sans bavures. Il s’agit, dans cette deuxième partie, de voir comment l’Eglise jouissant de la paix civile assumera ses responsabilités, exercera ses pouvoirs, servira le monde en s’y défigurant parfois mais sans se détruire. Considération spéciale va être apportée au rôle prépondérant joué par les papes, en raison de leur primauté dans l’exercice du ministère apostolique.

L’auteur insiste sur la pure diaconie de l’Esprit qui doit caractériser le service des évêques et des prêtres. La doublure affective de son écriture se manifeste parfois quand il fustige des attitudes ou des comportements affectés par ce qu’on appelle aujourd’hui le juridisme ou la prépotence des juristes.

  • La première affaire évoquée a été suscitée par la prétention des diacres de Rome à être égaux aux prêtres, du moins en dignité. Un auteur inconnu qu’on a appelé l’Ambrosiaster, suivi par Saint Jérôme, pour réfuter cette opinion affirme qu’elle va plus loin qu’elle ne pense puisque les prêtres sont égaux aux évêques, au moins pour ce qui est du pouvoir sacerdotal. Mais ce pouvoir n’épuise pas la charge apostolique de l’évêque : lui seul en effet, par l’ordination qui lui est réservée, assure la succession et donc l’existence historique du ministère apostolique.
  • Le Pseudo-Denys, encore un auteur inconnu de la fin du 5ème siècle, introduit dans la pensée chrétienne des mots et des idées inspirées par la théologie néo-platonicienne de Proclus et le langage des mystère païens. Il en résulte une conception "hiérarchique" et abstraite de la réalité, dominée par la sur-essence divine. Des lors le détour par l’histoire semble bien appauvrissant et le ministère ordonné ne paraît plus prendre sens dans la succession apostolique, mais dans les structures ontologico-hiérarchiques. Apostolique par essence, puisqu’elle est envoyée au monde pour annoncer le Christ, l’Eglise ne devient hiérarchique que par condition d’apostolicité.

Notons positivement que la conception "hiérarchique" du Pseudo-Denys l’empêcha de réduire la différence épiscopale à un rôle honorifique et de simple juridiction. Cela entraîna Saint Thomas à affirmer la sacramentalité de 1’épiscopat.

  • La crise Donatiste au 4ème siècle ne remettra pas en question l’existence du ministère ordonné, mais ses conditions d’exercice. Donat, évêque de Carthage par intrusion, rassemble autour de lui une "Eglise de saints, de justes, de martyrs", qu’il oppose à "la catholica" Eglise de pécheurs et d’apostats. Seuls les "saints" peuvent baptiser validement. Donc le baptême de ceux qui viennent de la catholica est nul et il faut les baptiser. D’où le problème : la sainteté du ministre est-elle essentielle au ministère ? Augustin répond non car "quand Pierre baptise, c’est le Christ qui baptise". "De Dieu, toujours, la grâce et le sacrement de Dieu ; de l’homme, uniquement le ministère" .
  • Si forte fut-elle, l’argumentation d’Augustin ne convainquit pas les Donatistes ; ils devinrent même violents à l’égard de la catholica. Or, depuis 380 Justinien avait fait du christianisme la religion d’Etat exclusive. Il pouvait donc agir, même par la violence, pour rétablir l’unité religieuse considérée comme nécessaire au bon ordre politique. C’est ce qui advint à l’égard des Donatistes.
En effet, excédé par leur oppression incessante, malgré tous les efforts de dialogue, Augustin finit par demander l’intervention de l’Empire. Il s’appuie sur deux textes du Nouveau Testament : Rm 13 (rôle du pouvoir d’Etat) et sur Lc 4 (compelle intrare). Il convient que la coercition est un pis-aller et il exclut la torture ainsi que la peine de mort. D’ailleurs, pour lui, forcer au bien n’est pas vraiment forcer ; la coercition n’existe vraiment que dans le cas du mal qui, lui, enlève vraiment la liberté. Il ne faut pas oublier ce rapport de la liberté à la vérité et au bien objectivement évalué. Il pense que seule la grâce de Dieu nous libère, quels qu’en soient les chemins, et que la coercition extérieure a pour fin la coercition intérieure, la conversion : "Contrains-toi à retrouver la vérité et le bien de ton âme".
La primauté absolue que seules la grandeur souveraine de Dieu et la splendeur de sa vérité révélée exerçaient dans le cœur d’Augustin, semble bien l’ultime explication de son attitude en cette affaire. Sur ce point, il ne se rétractera jamais.

Que penserait-il d’une conception de la personne humaine considérée en sa conscience comme un absolu et un sanctuaire inviolable ? Au sujet de la liberté, il y a eu un développement dans la conscience chrétienne ; pour qu’il demeure homogène, il y a sans doute des vérités fondamentales à respecter. Vatican II y a pensé, même quand il affirme : "En matière religieuse, la personne, dans la cité, doit être soustraite à toute contrainte humaine". Quoi qu’on ait pu dire, à gauche ou à droite.

  • Durant le millénaire que nous parcourons dans l’ouvrage, c’est le siège apostolique de Rome qui résout la plupart des problèmes concernant la pratique du ministère, c’est sa "consistance ecclésiastique" qui, par rapport à l’Orient, assure l’identité de l’Occident dépouillé d’unité politique. D’où vient cette autorité singulière de l’évêque de Rome et de quels moyens dispose-t-il pour l’exercer ? Il trouve en Mt 16 (la profession de foi de Pierre) sa justification la plus claire. L’Eglise de Rome fut toujours la seule à porter le nom "d’apostolique", même dans la bouche de Justinien au 6ème siècle. A partir de la rupture de 1054, elle parut aux Eglises d’Orient attentatoire à leur autonomie, surtout celle des quatre Eglises patriarcale : Jérusalem, Antioche, Alexandrie et Byzance. En Occident on reconnaît sans difficulté la priorité du pape, à la fois comme patriarche de l’Occident et primat de l’Eglise universelle.
Au centre d’un service d’évangélisation organisé, cette autorité apostolique est d’ordre spirituel dans son origine et sa fin. Elle a pour responsabilité de veiller à la communion et à la coopération missionnaire. Elle doit éviter d’agir comme une puissance dominatrice. Pourtant elle a besoin, pour être en bon ordre de marche, d’établir des structures administratives et des juridictions définies.

Alors peuvent surgir des difficultés d’articulation et même d’usurpation ou d’empiétements par les instances de la société civile, à commencer par l’Empereur.

  • En effet, avec Constantin une situation nouvelle est créée, inversée par rapport à celle des siècles précédents. Au lieu d’un César persécuteur, le ministère apostolique et l’Eglise ont devant eux un Empereur qui se prend pour "l’évêque des affaires extérieures", un "13ème Apôtre", un "vicaire de Dieu". Justinien, entre autres, prétend régler les conflits doctrinaux. Jusqu’où la conscience chrétienne de César doit-elle marquer son action ? Par ailleurs, dans quelle mesure l’autorité impériale qui est un don de Dieu tombe-t-elle sous l’autorité du ministère apostolique qui doit veiller à "la gérance des choses temporelles selon Dieu", comme dira Vatican II. Sans compter la vieille tentation, issue du paganisme, de considérer la religion comme le ciment de la cohésion politique. A cette fin, Justinien élève le christianisme au rang de religion d’Etat exclusive : motif de persécution des non-chrétiens et aussi d’intrusions césaro-papistes dans l’Eglise.
Le pape Gélase réagit. Il affirme que le pouvoir royal reste spirituellement soumis à l’autorité sacrée des pontifes, et d’abord à l’autorité prééminente de l’évêque de Rome sur le Siège de Pierre.
Avec l’affaiblissement de l’Empire d’Orient, le rôle temporel du pape s’accroît à Rome où la puissance des Lombards tend à s’incruster. Pour y parer le pape se tourne vers l’Ouest et va demander près de Langres le protectorat de Pépin le Bref qui le reçoit avec beaucoup d’honneurs. La manœuvre, si l’on peut dire, se développe et aboutit à deux actes. D’abord le couronnement, à Rome, par le pape en l’an 800, de Charlemagne proclamé Empereur d’Occident et Patrice des Romains. Ensuite, l’Empereur ainsi constitue fait glisser l’Exarchat de Ravenne dans le domaine temporel du Saint-Siège. Ainsi naissent ce qu’on appellera les Etats pontificaux  ; cette opération sera considérée comme une "restitution" supposée faire suite a la fausse "Donation de Constantin".

L’implication temporelle et politique de la papauté devient de plus en plus grande. Le chaos féodal post-carolingien y porte. Il explique aussi, sans les justifier les mesures ecclésiastiques abusives prises durant le haut Moyen Age.

  • Mais à la même époque, des abus en sens inverse se multiplieront, constituant dans toute l’Eglise d’Occident une forme terre-à-terre de Césaro-papisme : l’investiture des ministères apostoliques est conférée par les puissances de la société civile. Cela commence par les seigneurs féodaux qui vassalisent les paroisses rurales, fondées sur leurs terres par eux-mêmes ou leurs ancêtres. Ils s’en arrogent les revenus (en nature ou par dîme) et se réservent les nominations et l’installation des curés (remise des clefs de l’église). Les rois agissent de même à l’égard des évêques à qui ils confèrent l’investiture par la remise de l’anneau et de la croix.
Il en résulte une forte sécularisation du presbytérat et de l’épiscopat, même si l’investiture ne dispense jamais de l’ordination sacramentelle qui échappe toujours au pouvoir temporel.

Qui va réagir ? Le 10ème siècle, à Rome, est marqué par une totale décadence pontificale. Le remède viendra de quelques évêques lorrains et surtout du renouveau suscité par les abbayes clunisiennes auxquelles les papes accordent l’exemption de la juridiction des évêques locaux. La question finit par être posée clairement : "De quel droit les laïcs vendent-ils les ordres ?".

  • C’est dans ce climat de réforme que survient le pape Grégoire VII. En 1080, dans un écrit appelé "Dictatus papae" il énonce ses idées sur le pouvoir pontifical en une série de 27 propositions. Il s’y arroge le droit de déposer les empereurs, de donner ou ôter à chacun selon ses mérites toutes les possessions de la terre. Pour qu’il retrouve la liberté qui est nécessaire à son exercice, le ministère apostolique a-t-il besoin de revendications politiques qui lui soumettent le pouvoir temporel ?
Certes, il fallait une forte autorité pour briser une pratique sécularisante qui transformait un devoir de protection en droit de propriété. Grégoire VII en 1075 et 1078 affirme : "qu’aucun clerc ne reçoive en aucune façon une église des mains d’un laïc, soit gratuitement, soit à titre onéreux, sous peine d’excommunication". L’Empereur Henri IV viendra à CANOSSA demander à être relevé de cette peine. Mais il reprendra la lutte contre le pape. Et en 1122, au Concordat de Worms son successeur Callixte II composa en distinguant l’investiture spirituelle inviolable et l’investiture temporelle qui peut être concédée à un laïc. Toucher à l’attribution des bénéfices ecclésiastiques formés de biens fonciers aux revenus considérables risquait d’ébranler toute la société.

Notons un paradoxe : dans ce conflit dont les évêques sont le premier enjeu, c’est 1’apostolicité du pape et sa juridiction qui prévalent, et non pas celle des évêques ni des archevêques. Pratiquement ceux-ci sont plus considérés comme vicaires du pape que comme successeurs des Apôtres avec lui.

  • Qu’en est-il des clercs ? Libérés de l’asservissement aux puissances laïques, ils doivent être aussi libérés de leurs mœurs souvent corrompues par le Nicolaïsme et la simonie. Le Concile du Latran en 1123 prend une décision rigoureuse. Il pose le principe absolu que seul un homme sans lien conjugal peut recevoir l’ordination sacerdotale.
Et les laïcs ? Leur nier le droit à l’investiture ne doit pas les renvoyer exclusivement aux affaires temporelles. La réaction grégorienne risque de les écarter de toute responsabilité active dans l’Eglise.

Le résultat le plus clair de la Réforme du 11ème siècle sera "la chrétienté" ayant à son sommet le pape comme "vicaire du Christ", dénomination qui en vient à être réservée au pontife romain à cause de sa juridiction universelle, qui n’est pas pour autant une seigneurie théocratique temporelle.

  • A la suite de la Réforme grégorienne, une poussée évangélique impressionnante se fait sentir dans le peuple chrétien. D’abord par la "via apostolica" d’où sortiront les Dominicains et les Franciscains, mais aussi par les mouvements contestataires des Vaudois et surtout par les Cathares imprégnés de refus institutionnel et de radicalisme manichéen. En réaction de défense, l’Inquisition se met en place pour la recherche et le châtiment des hérétiques qu’elle livre au bras séculier pour l’exécution de la peine du feu. Là encore le ministère apostolique s’exerce par des moyens inadéquats à sa juste finalité de défense de la foi chrétienne, à cause de leur violence et de leur usage abusif de la force politique.

A la même époque, les Croisades en Terre Sainte se succèdent, provoquées conjointement par le développement du culte de la croix et l’urgence de libérer les lieux saints de leur occupation oppressive par les Turcs. Ces expéditions furent souvent des échecs sur le plan militaire, sauf la première avec la prise de Jérusalem et la quatrième qui tourne au sac criminel de Byzance. Dans l’ordre spirituel les résultats furent plutôt favorables.

  • L’auteur du parcours millénaire que nous venons de faire avec lui termine son ouvrage par un chapitre intitulé "Le cléricalisme, un vice de forme à toujours dépasser". On y sent un frémissement inspiré à la fois, semble-t-il, par un grand chagrin et une grande colère, parfois avec un accent de réquisitoire. Nous sommes ainsi introduits aux grands débats et déchirements de la Renaissance et de la Réforme Protestante qui domineront le troisième volume.

Mgr. Joseph WICQUART

"LA CONFIRMATION" René MARLE - Ed. MAME, coll. "Première bibliothèque de connaissances religieuses"

- Album broché - nombreuses illustrations couleur - 16x24— 64- pages

On peut dire que les catholiques sont en train de redécouvrir la confirmation. Des expériences nouvelles sont en cours, qui soulèvent nécessairement des questions.

Pour les situer, il est indispensable de rouvrir le dossier de l’histoire, de rappeler les points de vue divers qui se sont exprimés au cours des siècles, les formes différentes de célébration qui se sont pratiquées dans les communautés chrétiennes, à commencer par les toutes premières. Du temps des apôtres jusqu’aux réformes du concile Vatican II et aux pratiques actuelles, ce livre retrace des évolutions et dégage des constantes : de quoi mieux saisir l’enjeu de ce sacrement qui "confirme" le baptisé dans son rôle de chargé de mission à l’intérieur de l’Eglise et dans le monde.

L’auteur, René MARLE, théologien, a longtemps dirigé l’Institut Supérieur de Pastorale Catéchétique (ISPEC). Il a déjà publié, dans la même collection, "LA REFORME ET LES PROTESTANTS".

 


Ouvrage analysé

Patrick CHALMEL "ECONE OU ROME". Le choix de Pierre.- Fayard, 1990

Deux ans après la consommation du schisme de Marcel LEFEBVRE, le livre témoignage de Patrick CHALMEL constitue un élément précieux pour en apprécier la portée et comprendre en particulier le contexte qui a marqué les premières années de formation du séminaire d’ECONE. Sans prétention littéraire ou historique, cet ouvrage entend partager "l’aventure du premier groupe de séminaristes conduit à quitter Mgr LEFEBVRE par fidélité au Saint Siège", selon les termes même de sa couverture.

Entré au séminaire intégriste en 1973 à l’âge de 20 ans, avec plusieurs camarades, l’auteur en sortira près d’un an plus tard pour continuer son cursus à ROME et discerner finalement que sa vocation n’était pas d’ordre presbytéral. Témoignage très intéressant à de multiples points de vue, l’ouvrage de Patrick CHALMEL n’est pas cependant sans appeler de sérieuses critiques.

Il faut d’abord créditer l’auteur d’un indéniable courage : il ne lui était guère facile de revenir sur un itinéraire qu’on devine douloureux. Avec beaucoup de franchise et de liberté de ton, il accepte cependant ici de livrer ce qui lui tient à cœur. Une certaine opposition du clergé "conciliaire" à sa vocation et une mé-compréhension de sa sensibilité traditionnelle. Le choix du séminaire d’ECONE et le refus progressif de la formation qu’il dispense. La déception et le conflit assumé en dépit de tourments intérieurs qu’on pressent aisément. Le retournement qu’a pu constituer le départ pour ROME et le choix d’orientation qu’il lui a fallu faire par la suite. Autant d’épisodes que Patrick CHALMEL raconte ici à travers le journal intime qu’il a su tenir durant son séjour au séminaire intégriste.

Il convient de saluer aussi l’honnêteté intellectuelle de l’auteur qui, tout en se situant dans la mouvance traditionaliste au début de son itinéraire de vocation, n’a pas craint en même temps de lire les textes de Vatican II et de se dire conciliaire. Dès son entrée à ECONE, le jeune séminariste peut donc s’opposer rapidement aux théories contestables de Mgr LEFEBVRE et de ses partisans. Vite suspect de "libéralisme théologique" pour ses derniers, il n’hésite pas à leur rappeler que le Concile a énoncé le caractère essentiel de la liberté en matière religieuse, le respect des religions non-chrétiennes, la juste place de la liturgie. Là encore, face à un milieu qui tente de le conditionner, l’attitude du jeune homme ne manque pas de courage, qui tente de redire même au prélat d’ECONE que l’obéissance au pape passe aussi par la reconnaissance du dernier concile. Combat un peu perdu d’avance lorsqu’on connaît l’obstination d’un tel protagoniste...

Mais incontestablement, la partie la plus intéressante de cet ouvrage tient dans la description qu’il y fait du microcosme intégriste que constitue ECONE durant ce début des années soixante-dix. Une véritable petite secte où l’on s’emploie à traquer les dissidents, à exclure ceux qu’on soupçonne de déviationnisme - comme l’auteur du livre qui ne démord pas, à juste titre, de sa fidélité au pape et au concile. Un groupuscule qui vit de mythologies tenaces, comme le remarque Patrick CHALMEL, plus soucieux de promouvoir une vision théologico-politique maurassienne que d’annoncer l’Evangile, plus ardent à dénoncer des complots judéo-maçonniques imaginaires que d’effectuer un travail de formation réel. Comme tout groupe sectaire, ECONE a son gourou, l’ancien archevêque de DAKAR qui manie à plaisir le double langage de l’obéissance et de la dénonciation forcenée de la trahison pontificale. Et autour de lui gravite une petite cour, avec ses faucons et ses colombes, ses inévitables complots et intrigues....

Qui pouvait soupçonner, avant la lecture de ce livre, une atmosphère aussi florentine à ECONE, avec même ces réunions de séminaristes mondains, où l’on ne dédaignait ni les petits fours, ni le thé à cinq heures, ni les cancans et les propos antisémites ? A beaucoup d’endroits, il n’est pas exagéré de dire que l’ouvrage fait frémir. Gageons qu’il contribuera à enrichir beaucoup les analyses sociologiques et historiques de l’intégrisme.

Pourtant, en dépit de ces indéniables qualités et de l’authentique témoignage de fidélité à ROME donné ici par Patrick CHALMEL, on ne saurait souscrire totalement au propos de ce livre qui présente une vision caricaturale de l’Eglise post-conciliaire et repose sur une conception critiquable de la vocation elle-même.

Loin de nous l’idée de contester qu’il y ait eu des déviations réelles lors de 1’après-concile ou que des tentations historicistes ou progressistes aient eu cours durant cette période ! Mais de là à dire que la quasi totalité des évêques et prêtres français étaient devenus hérétiques ou marxistes, de là à opposer les bonnes brebis de la Tradition aux chèvres du Progrès, de grâce, non ! Or, malheureusement, cette analyse sommaire de l’histoire récente de l’Eglise de France sous-tend tout le propos du livre, où l’on veut nous convaincre de la réalité d’une "trahison des clercs" durant toute cette période. Doit-on rappeler à Monsieur CHALMEL que le manichéisme est aussi une hérésie dont il faut constamment se méfier ?

Pendant qu’il se débattait, courageusement certes, dans le giron d’ECONE, d’autres jeunes chrétiens apprenaient à lire l’Evangile dans les mouvements et les aumôneries, priaient et célébraient la messe - mais oui ! - s’engageaient au service du Tiers-Monde et contre la torture ! Il est scandaleux de dévaloriser globalement une telle période en dépit de ses ambiguïtés inévitables !

Aussi est-il bien regrettable de constater que le jugement hâtif de l’auteur reste semblable lorsqu’il évoque la période actuelle à la fin de son ouvrage ! Seuls ne trouvent grâce à ses yeux que les groupements néo-traditionnels comme la Communauté St Jean, le Renouveau charismatique, Jeunes Chrétiens Service, etc. Exit les synodes diocésains, le travail sérieux des séminaires, la formation des laïcs, la fidélité de tous ces prêtres depuis des années au service des chrétiens, les mouvements et les aumôneries, le renouveau des paroisses ! Monsieur CHALMEL n’en parle pas, ne veut pas en parler et préfère voir exclusivement ailleurs la renaissance qu’il salue de ses vœux. Il y a dans ses propos un ton revanchard qui ne peut que blesser nombre de catholiques qui ont vécu, sans progressisme ni marxisme, toutes ces années en fidélité au Concile et à l’Eglise.

Enfin comment ne pas observer dans ce livre une conception bien peu ecclésiale de la vocation qui reste constamment sous-jacent à son propos ? Passons sur le sentimentalisme de certains passages qui insistent sur l’importance d’un climat rassurant au séminaire, la beauté du chant grégorien, etc. Plus grave est sans doute l’attitude de P. CHALMEL durant sa recherche de vocation qui pense sans cesse que cette dernière lui donne des droits sur l’Eglise. Comme si l’Eglise devait ratifier d’emblée son appel, lui offrir aussitôt la formation qu’il souhaite, satisfaire son désir immédiat. Aussi contestables sont les propos tenus sur les évêques dont on refuse sans cesse la médiation et l’obéissance et qu’on s’emploie constamment à mettre en défaut par rapport à ROME. Au fait, Monsieur CHALMEL, est-ce un progressiste post-conciliaire ou un Père de l’Eglise qui a énoncé que l’Eglise, la mission, se trouvent bien là où est l’évêque ? N’est-ce pas aussi Vatican II qui a remis en valeur le rôle de l’église locale et de l’épiscope dans le décret "Christus dominus" en particulier ? Là encore, il convient de ne pas verser dans le manichéisme.

Un livre à lire cependant, en dépit de ces critiques dures parce que fraternelles !

Marc LEBOUCHER


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