Laïcs et vocations, un premier bilan


Marc LEBOUCHER,
laïc, membre de l’équipe pastorale du Service National des Vocations

Quelques trois ans après le congrès de LOURDES, le temps est venu de dresser un premier bilan de l’engagement des laïcs en pastorale des vocations. La réalité oblige à se livrer au constat de ce qui existe vraiment. Elle invite à mieux mesurer l’apport original des laïcs à cette pastorale de l’appel. Elle conduit aussi à évaluer les difficultés et les pistes pour l’avenir.

I - Une prise de conscience plus effective

Tel est le constat principal que l’on est en droit de faire aujourd’hui, en observant la prise en compte plus forte pour les diocèses du souci des vocations, depuis ces toutes dernières années. Cette prise de conscience nouvelle se traduit tout à la fois par la mise en place d’antennes-relais, les propositions de temps forts diocésains et un climat général plus tonique.

1) LA MISE EN PLACE d’ANTENNES-RELAIS

Au sortir du congrès de Lourdes, on aurait pu croire que l’invitation à créer dans les diocèses des équipes relais des Services Diocésains des Vocations n’était qu’un slogan ou un vœu pieux. Or la réalité oblige à constater que nombre de diocèses ont pris cette invitation au sérieux. Qu’elles s’appellent antennes-relais ou équipes-vocations, de nombreuses instances de sensibilisation ont vu le jour sur le terrain. A chaque fois, elles essaient d’obéir à une certaine souplesse pour ne pas alourdir les structures déjà existantes. Dans beaucoup de diocèses, un petit document précise ce que l’on attend des antennes, énonce quelques convictions et propose des pistes d’actions concrètes. Le plus souvent, le "relais" du S.D.V. peut prendre deux formes :

- soit l’équipe "relais" ou "antenne" sur une ville, un secteur, une paroisse.
Diversifiée et souple, cette petite instance va s’attacher surtout à promouvoir quelques actions ponctuelles de sensibilisation durant une année : à l’occasion de la Journée Mondiale de prière pour les Vocations, d’une ordination, d’une confirmation... Elle va aussi se faire l’écho des informations du S.D.V.

- soit la personne relais, qui travaille davantage à faire le lien entre le S.D.V. et les lieu, mouvement, aumônerie, paroisse.., dont elle est partie prenante. Elle contribue elle aussi à promouvoir le souci des vocations. Pensons en particulier à la diffusion des fiches du dossier pour la J.M.V. ...

Durant ces dernières années, nombre de diocèses ont pu réunir ainsi leurs équipes-relais pour des temps forts de sensibilisation, de formation et de célébration. Il n’est que de citer les diocèses du MANS, de LANGRES, d’ANGERS, de QUIMPER... Ces réunions sont l’occasion pour les membres des antennes de mieux percevoir leur responsabilité propre.

2) LES TEMPS FORTS DIOCESAINS

Autre aspect très important de cette mobilisation du laïcat, les rencontres diocésaines autour du thème de l’appel. Si certaines regroupent exclusivement les membres des antennes-relais, d’autres s’ouvrent très largement aux autres secteurs de la pastorale diocésaine : services, mouvements, secteurs pastoraux... Dans tous les cas, de telles réunions constituent des occasions de formation, de célébration et de renforcement de la conscience diocésaine.

a/ des temps de FORMATION

Il est impressionnant de constater combien la demande de formation sur la question des vocations est allée croissante durant ces derniers temps. A de nombreuses reprises, par exemple, l’équipe du S.N.V. s’est trouvée sollicitée pour intervenir sur ce thème, proposer des apports sur la question. Et cette demande de formation se traduit de plusieurs manières :

- en savoir davantage sur la situation des vocations en France aujourd’hui : obstacles, potentialités, statistiques, poids des mentalités,

- se sentir plus responsables du souci des vocations : redécouvrir ce souci en lien avec la vocation de baptisé, sortir d’une problématique du type "recrutement". Beaucoup de laïcs sont heureux d’entendre d’abord qu’ils sont eux-mêmes appelés, que la question est à aborder avec réalisme et espérance, que chacun est responsable à sa manière de l’avenir de l’Eglise...

- partager des pistes d’actions concrètes : beaucoup de laïcs en effet sont désireux de servir la naissance des vocations, mais ne savent pas trop comment s’y prendre... Ces rencontres diocésaines sont donc l’occasion de partage d’expériences, d’écoute de témoignages et de propositions de pistes d’actions concrètes. Cela est tout à fait important pour aider une antenne à se mettre en place, par exemple.

Plus largement, il est intéressant de noter combien cette demande de formation rejoint celle qui s’exprime dans les diocèses de la part des laïcs : formation permanente, école des ministères, parcours théologiques ou bibliques... La pastorale des vocations n’est pas étrangère à ce vaste mouvement qui traverse l’Eglise de France.

b/ des temps de CELEBRATION

La plupart du temps, la rencontre diocésaine ne se limite pas à un travail de formation ni de conscientisation : elle s’achève toujours par un moment de prière ou une eucharistie.

Plus qu’un apport pastoral ou qu’un travail de carrefour, cette ouverture au Seigneur redit toute l’importance d’une authentique prière pour les vocations et d’un enracinement dans la foi, la confiance au Dieu qui appelle. La qualité générale de ces temps de célébration aide beaucoup ainsi à un ressourcement plus fort de ce service pastoral, (cf. l’article de J. QURIS sur le congrès des vocations d’Angers).

c/ Une CONSCIENCE DIOCESAINE RENFORCEE

Là encore, la pastorale des vocations n’est pas étrangère à un autre mouvement de fond qui marque actuellement notre Eglise de France : le renouveau de la conscience diocésaine, dont les synodes sont l’une des expressions les plus remarquables. Parce qu’elles se déroulent le plus souvent au chef-lieu du diocèse, parce qu’elles sont l’occasion de retrouvailles pour beaucoup, parce qu’elles réunissent des personnes aux engagements divers, ces rencontres autour du thème de l’appel constituent elles aussi des signes d’une visibilité diocésaine renforcée. Cette visibilité est un stimulant positif et se traduit aussi par deux éléments notables :

  • la présence le plus souvent de 1’évêque qui vient redire l’urgence de l’appel, au nom même de la tâche pastorale dont il est chargé (cf. l’article du Père GILSON). Bien située au milieu d’un souci des vocations porté par le plus grand nombre cette prise de parole est bien reçue la plupart du temps.
  • le souci de bien greffer le travail du S.D.V. sur les axes de la pastorale diocésaine se voit lui aussi souvent honoré.
    Et l’on insiste sur le fait que la pastorale des vocations n’est pas un "en soi", mais une prise de conscience qui va se greffer sur le travail pastoral habituel.

3) UN CLIMAT PLUS TONIQUE

En dépit des difficultés, il serait faux de prétendre le contraire ! La seule atmosphère de toutes ces rencontres diocésaines interdit les jugements pessimistes à l’emporte-pièce. On peut remarquer la réalité de ce climat plus sain à plusieurs signes :

- d’abord, bien sûr, l’arrêt de la chute du nombre des vocations depuis quelques années, avec même une légère croissance dans les effectifs des lieux de formation pour le ministère presbytéral, ou la vie religieuse, et la remontée du nombre des ordinations qui sont passées de moins d’une centaine par an à près de 150 en 1989, ont un impact psychologique non négligeable.

- ensuite, la prise en compte non polémique de la question des vocations, au cours des rencontres suscitées à cet effet. Bien souvent les questions de statistiques, l’objection au célibat ou les critiques adressées à l’Eglise post-conciliaire sont vite dépassées. En revanche, on s’attèle rapidement aux vraies difficultés : comment aider les jeunes à découvrir le sens de la durée, comment aider un secteur pastoral qui se met en place à aborder la question, comment proposer des temps de prière, etc.

- enfin, la réalité des conflits n’est pas niée, mais regardée avec plus de réalisme que d’agressivité. Dans bien des cas, les prêtres ne sont pas toujours prêts à voir des laïcs s’emparer de la question ou bien se sentent un peu découragés. Avec ténacité cependant, nombre de laïcs essaient de la prendre à leur compte en invitant ces prêtres à avoir davantage d’attention à la question, à se soucier de mieux célébrer la Journée Mondiale de prière pour les Vocations, par exemple.

On le constate donc sans forcer la réalité : les chrétiens sont motivés davantage aujourd’hui autour de ce souci de l’appel. Et ils enrichissent de manière originale la pastorale des vocations.

II - L’apport original des laïcs

Par leur dignité de baptisés, engagés dans les tâches sociales et familiales, les laïcs apportent une note originale à la pastorale des vocations. D’une certaine manière, ils contribuent un peu à la décloisonner et à l’ouvrir à des problématiques nouvelles. Il est intéressant de rappeler ici quelques aspects de cet apport nouveau :

1) La richesse d’une DIVERSITE DE TEMOINS

Les laïcs interviennent aussi avec leurs frères prêtres, diacres, religieux, religieuses, missionnaires... Ils participent du témoignage d’une Eglise-sacrement où les vocations sont diverses, s’interpellent mutuellement ;

2) La valorisation de la VOCATION BAPTISMALE, en saine articulation avec les VOCATIONS SPECIFIQUES

Les vocations ne sont plus perçues comme une réalité isolée mais en lien direct avec l’appel du baptême et de la confirmation.
C’est un peu dans ce sens que se situe aussi la réflexion d’H. MINGUET, dans un numéro récent de la revue "Vie consacrée" qui distingue trois niveaux de vocations qui s’articulent entre eux : la "vocation au sens large" (appel à vivre, à avoir un nom, à la création, la communion et la divinisation), la "vocation de l’instant" (conversion, vie dans la Parole de Dieu, devoir d’état, vie dans l’Esprit) et les "vocations particulières" (1).
La présence de laïcs dans les Services des Vocations permet de mieux percevoir cette réalité.

3) L’apport d’une EXPERIENCE SPIRITUELLE vécue AU COEUR DU MONDE

De par leur vocation, comme le souligne d’ailleurs le document de Jean-Paul II "Christi fidèles", les laïcs sont effectivement engagés dans une présence concrète au monde, dans toutes ces dimensions. A cause de l’attention qu’ils portent aux réalités humaines, ils peuvent apporter là aussi un regard neuf dans cette pastorale.

4) La place du MARIAGE ET DU CELIBAT

Si la pastorale des vocations n’est pas chargée d’accompagner les jeunes au mariage, si le choix de ce sacrement n’est pas directement rapportable à la problématique des vocations spécifiques, il n’empêche que la présence de laïcs mariés dans des Services des Vocations n’est pas sans modifier la conception de l’appel :

- Là encore ils peuvent jouer un rôle important comme témoins d’une forme de vie chrétienne et aider les jeunes à discerner sur leur propre manière de vivre l’affectivité, de choisir le célibat...

- et puis, il est vrai que pour beaucoup aujourd’hui, dans une société sécularisée et indifférente, le mariage chrétien est souvent perçu comme une vocation spécifique. Il peut être intéressant de tenir compte de ce trait de mentalité pour parler des vocations, sans confusionnisme cependant.

5) L’accent mis d’abord sur l’EVEIL.

De par leur engagement dans le monde et l’Eglise, les laïcs sont sans doute plus à même de jouer un rôle au cœur des tâches d’éveil, et en particulier dans les familles, la catéchèse, les mouvements, les aumôneries. Si certains sont déjà engagés dans l’accueil et l’accompagnement de jeunes en recherche, ils reste que leur spécificité les invite d’abord à être des éveilleurs.

6) La mobilisation de LIEUX NOUVEAUX

Il y a encore beaucoup à faire pour mobiliser d’autres lieux pastoraux où les laïcs sont engagés en grand nombre, autour de ce sens nouveau des vocations. D’ores et déjà, des initiatives nouvelles sont prises : pensons à l’Ecole catholique, ou au mouvement "Chrétiens en monde rural" qui viennent de provoquer des réflexions importantes au plan national.

III - L’avenir, difficultés et promesses

"Le monde change, l’Eglise aussi", rappelait voici quelques années le titre suggestif d’un petit livre de Gaston PIETRI et Guy REGNIER.(2) Pour bien vivre leur responsabilité dans la pastorale des vocations, les laïcs devront avoir présente en eux cette attention aux mutations en cours, tout en ayant à cœur de ne pas s’essouffler dans ce service des appels. Car l’évolution du contexte social et ecclésial ne leur rend pas la tâche facile :

a) comme le montrent les derniers chiffres publiés sur la pratique religieuse ("TEMOIGNAGE CHRETIEN" - 12/2/1990), les chrétiens deviennent peu à peu une minorité dans notre société.
Du coup, la pastorale des vocations prend encore plus d’importance : elle doit inviter notre communauté à se renouveler, à ne pas devenir une secte fermée... C’est la chance du ministère ordonné de nous rappeler justement la dimension d’altérité, du Christ pasteur... C’est aussi la chance de la vie religieuse d’être inventive pour poser aujourd’hui des signes qui parlent du Royaume. A nous de permettre que les chrétiens soient des ferments authentiques de vie évangélique, même s’ils sont peu nombreux. Pour ne pas nous enfermer dans un catholicisme pur et dur de minoritaires...

b) L’autre difficulté qui risque de marquer aussi la pastorale des vocations durant les années à venir tient à la pauvreté humaine et sociale qui traverse certaines régions de France. On parlait autrefois de "Paris et du désert français". Force est de reconnaître qu’il y a peut-être aujourd’hui, sans vouloir porter de jugement de valeurs, une "Eglise à deux vitesses" dans notre pays.
Les contextes humains ou économiques (présence d’entreprises, universités, zones urbaines...) font que certaines Eglises locales suscitent davantage de vocations que d’autres. Comment faire pourtant pour que les disparités ne soient pas trop criantes ? Là aussi, les laïcs et les Services Diocésains des Vocations vont être affrontés à des défis nouveaux, à des réalités tout à fait différentes.

Deux promesses d’espérance se dégagent cependant, au-delà des lourdeurs du contexte :

1) L’INTERIORISATION croissante chez les baptisés de leur VOCATION CHRETIENNE.
Pour la plupart à présent, l’adhésion au Christ, à son Eglise, n’est plus de l’ordre de l’obligation mais vraiment de la conviction qui fait vivre. Cela ne peut pas à terme ne pas avoir de conséquences sur la naissance de vocations spécifiques.

2) La PARTICIPATION CROISSANTE DES LAICS AUX TACHES PASTORALES, sans confusion.
Pensons aujourd’hui à tout ce qui est en jeu à travers la "révolution tranquille" des synodes ou des conseils pastoraux.(3) Cet éveil au discernement, à la maturité pastorale et au sens de l’Eglise, tout en reconnaissant le caractère positif et irremplaçable des vocations de chacun, ne peut que conduire à un souci meilleur de l’appel. Et là aussi ce mouvement de fond ne fait que commencer.

Conclusion

Les laïcs ont donc bel et bien pris leur place dans la pastorale des vocations, sans se substituer à leurs frères et sœurs qui témoignent d’une vocation particulière.

Comme chrétiens ils veulent être eux aussi les relais des appels de Dieu. Pour que tous les hommes de ce temps accèdent à la vraie vie.

NOTES ----------------------------------------

1) H. MINGUET : "Vocation et vie chrétienne", in "VIE CONSACREE" - 15/9/1989 [ Retour au Texte ]

2) G. PIETRI et G. REGNIER : "Le monde change, l’Eglise aussi" - Paris, le Centurion, 1986 [ Retour au Texte ]

3) En ce sens, voir le numéro de PANORAMA d’avril 1990, sur les nouvelles paroisses. [ Retour au Texte ]