Les jeunes, un souci du Conseil de l’Europe


Le Père Gilbert Caffin est représentant de l’Office international de l’Enseignement catholique au Conseil de l’Europe depuis 1980 et a été responsable du regroupement Éducation et Culture des ONG de 1988 à 1999. Ces propos veulent partager quelques éléments travaillés au Conseil de l’Europe sur les questions de jeunesse en Europe.

Gilbert Caffin
prêtre de l’Oratoire

Le Conseil de l’Europe est une institution peu connue. Elle fut fondée en 1949 par les Anglais, en application de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1948. La Convention européenne des Droits de l’Homme fut signée par les dix pays fondateurs en 1951. Aujourd’hui, elle compte quarante-cinq états membres. Le Saint-Siège, pays observateur, est partie prenante pour tout ce qui touche la jeunesse, la culture et les sports. Cette institution est une organisation intergouvernementale, une sorte de grand forum à la disposition des peuples de l’Europe, un formidable lieu d’échanges et de compréhension entre les peuples.

Depuis sa fondation en 1949, le Conseil de l’Europe porte le souci de l’avenir de l’Europe démocratique et donc de l’éducation des jeunes, futurs citoyens responsables et héritiers du patrimoine de l’Europe. Le Conseil fonde à Strasbourg le Centre européen de la Jeunesse, cogéré par les Associations européennes de Jeunesse puis, après 1989, un autre Centre de la Jeunesse à Budapest pour la promotion de la démocratie et des droits de l’homme en Europe centrale et orientale.

Pour aider la jeunesse à entrer dans la construction d’une Europe de paix et de fraternité, le Conseil de l’Europe se préoccupe des conditions de vie des jeunes et de leur éducation, qu’il veut la meilleure possible.

Les difficultés

Le Conseil a pris acte des importantes mutations de la société en cette deuxième partie du XXe siècle et tente d’aider les gouvernements à partager les difficultés et à mettre en œuvre des projets pour mieux traverser cette période de transition de civilisation. Le Conseil de l’Europe a travaillé sur les conditions de vie de la jeunesse en Europe. Les difficultés sont dues à une mutation formidable de la culture qui entraîne une période d’instabilité pour les familles et les sociétés et qui déstabilise la transmission des valeurs de la société européenne. Cette civilisation naissante d’un nouveau monde a du mal à naître.

Le multiculturel envahit le mono-culturel majoritaire des états-nations

La transmission de la culture d’un peuple se voit contestée par la présence de plus en plus diverse et nombreuse de populations en migrations. Comment vivre ensemble en se respectant, en se comprenant et pourquoi pas en s’enrichissant les uns les autres du multiculturalisme ambiant ? Ces sociétés se développent très rapidement et une question se pose : faut-il transmettre la culture majoritaire traditionnelle du pays ou accueillir ce multiculturel comme une chance d’enrichissement ? Le Conseil de l’Europe a pris deux orientations.

Défendre les cultures et les langues minoritaires de l’Europe

Nous ne voulons pas être un « melting-pot », nous devons défendre les cultures et les langues régionales comme une grande richesse à garder.

Réaliser que le multiculturel peut être une source d’incompréhensions et de violences

Il faut travailler sur la pédagogie interculturelle et proposer aux états de l’introduire progressivement. Passer du multiculturel à l’interculturel, c’est apprendre à vivre ensemble. Les guerres « mondiales » étaient des soubresauts européens. Il faut préserver un continent de paix, aider les cultures à se comprendre et peut-être à collaborer.

Ce programme a du mal à passer dans les programmes scolaires. L’Europe doit être un laboratoire de cette acceptation du multiculturel et de cette volonté de dialogue.

Une société de plus en plus complexe

La complexité de plus en plus grande de l’organisation de nos sociétés développe le pouvoir des technocrates et éloigne la compréhension du réel social des populations et encore plus des jeunes. Un désintérêt grandissant pour le politique et la responsabilité citoyenne encourage au mépris de l’engagement politique et social. Les abstentions de plus en plus désastreuses aux élections en sont le signe. Un sentiment d’impuissance chez les jeunes accentue ce désengagement de la jeunesse.

Les chefs d’États et de gouvernements réagissent lors de leur premier sommet et demandent au Conseil de mettre en œuvre un programme d’éducation à la citoyenneté démocratique dont les conclusions et les recommandations sont présentées lors de la Conférence finale du Projet en septembre 2000.

Les bouleversements de l’organisation du travail salarié rendent souvent caduques les formations. La jeunesse se décourage parfois et désespère de trouver une place dans la société. Le premier chômage a des conséquences catastrophiques sur la volonté d’apprendre et de se former. Les motivations s’évaporent et les formateurs et enseignants se découragent. Devant cette crise sociale de tous les pays, le Conseil de l’Europe redéfinit sa charte sociale rénovée pour défendre les plus démunis et lutter contre l’exclusion sociale en prenant particulièrement en compte les aspirations des jeunes.

Leurs conséquences

Ces difficultés ont trois conséquences sur le comportement et l’attitude des jeunes devant la vie.

La difficulté de s’engager à long terme

Le sentiment du fugitif et de l’incohérence réduit la générosité à des coups de cœur limités allant parfois, malgré tout, jusqu’à un ou deux ans de service humanitaire. Comment engager toute sa vie ?

Le repli sur soi, seul lieu de consistance

La force du sujet développe ce qu’on regarde comme de l’individualisme. Comment s’insérer dans un projet collectif ?

Faute de motivations à apprendre, la curiosité s’émousse et la volonté de se former n’est plus tendue par l’effort de réussir.

Comment acquérir des compétences pourtant de plus en plus nécessaires et complexes ?

Trois conseils pour dépasser cette désespérance

Restaurer la dignité du politique et du service du bien commun

Les vocations à l’engagement politique et social doivent être une grande cause. Il y a un grand danger pour les chrétiens de se réfugier dans un piétisme qui se désintéresse du bien commun. La fuite vers le haut a toujours été une tentation des meilleurs. Or, l’Europe a besoin d’hommes qui s’engagent dans la politique.

Décrypter la réalité avec les jeunes

Il faut découvrir les courants profonds des mutations du monde et les distinguer des simples tempêtes d’actualité de surface.

Regardons les problèmes concernant la pollution : la terre est la chose de tout le monde. Tous les replis identitaires, les « calfeutrages » sont dangereux. L’avenir, c’est la terre, c’est la fraternité universelle ou la guerre mondiale. « Penser mondial, agir local » : il faut tenir ces deux dimensions. Pour apprendre à vivre la terre ensemble, aidons à décrypter les réactions de repli.

Le travail ne sera plus comme avant. Des métiers vont disparaître, d’autres vont apparaître. C’est notre affaire, à nous aussi chrétiens. Ne rêvons pas : attention aux nostalgies d’un passé révolu ou rêvé.

Redonner vie aux grandes causes

L’Europe peut en être une pour l’avenir du monde si elle se présente autrement qu’un simple marché commun. Il faut développer une culture de l’utopie. Des réalités existent en Europe qui sont uniques au monde :

• la Cour européenne des Droits de l’Homme,
• cinquante ans de paix dans un continent déchiré par les guerres,
• le dialogue interculturel.

Il faut redonner de l’idéal aux grandes causes. C’est le discours de Vaclav Havel, venant demander l’entrée de la Tchécoslovaquie au Conseil de l’Europe. Il parle comme un poète : « Nous rêvions, donc nous réfléchissions » et interroge les pays occidentaux : « Que faisiez-vous de votre liberté quand nous étions en prison ? »

Des chantiers ouverts

La famille

La famille est en péril. L’idéal est d’avoir des familles heureuses. Comment faire pour que les familles retrouvent une certaine stabilité ? La tendance actuelle du Conseil Européen est de dire qu’il faut pallier la défection des familles par l’éducation, pour aider les jeunes à survivre. Nos institutions européennes n’ont pas de prise sur l’évolution des familles. On peut les soutenir par des tutelles. Depuis quinze ans, la vie associative, les organisations non gouvernementales se sont développées de façon considérable. De consultatif, le statut des ONG est maintenant devenu participatif. Comment collaborer avec la société civile ?

Au Conseil de l’Europe, les institutions gouvernementales n’arrivent pas à avoir d’influence sur la vie en société. Il faut donc mobiliser tout le monde, y compris les associations. C’est ainsi que vingt-cinq organisations internationales catholiques ont entamé une réflexion sérieuse sur la défense et la promotion de la vie familiale.

Quelle hiérarchie des valeurs : la réussite ? l’argent ? Quelle Europe voulons-nous ?

Le multiculturel

Plus on va vers une volonté interculturelle, plus les cultures se renforcent (ce qui est naturel, c’est la guerre des cultures). C’est lorsque je rencontre l’autre que je me demande qui je suis.

Premier réflexe : j’ai rencontré quelqu’un de très intelligent ; il pense comme moi. C’est l’éducation par le semblable. Second réflexe : j’ai rencontré quelqu’un qui ne pense pas comme moi. Comme c’est intéressant !

Passer du premier au second réflexe, c’est passer du monoculturel au pluriculturel. Cela demande beaucoup de maîtrise de soi.

Pour sortir les jeunes de leur isolement, montrons-leur la richesse de la vie associative. Que les écoles favorisent les clubs, les groupes de volontaires (cf. la campagne « Envie d’agir » développée en France en 2003 (1)).

Note

1 - Cf. Jeunes et Vocations n° 112, février 2004, p. 9-13. [ Retour au Texte ]