Faibles en Christ... mais vivants pour Lui


Pierre de COUESSIN,
prêtre, responsable du SDV de SAINT BRIEUC

C’est avec cette affirmation reprise à St Paul que Pierre de COUESSIN nous invite, ici, à poser un regard plus lucide sur les jeunes que nous rencontrons, dans la prise en compte de leurs fragilités.

A partir des multiples propositions faites par le Service Diocésain des Vocations, des jeunes, garçons et filles se font connaître et expriment - plus ou moins adroitement, plus ou moins fermement - leur recherche de vocation spécifique. D’autres sont orientés vers le Service Diocésain des Vocations à l’initiative d’un prêtre, d’une religieuse, d’un animateur de retraites.

Parmi ces jeunes, certains ne posent pas question. C’est vrai au premier^con-tact, et cela se confirme souvent aux contacts qui vont suivre. A coup sûr, des déficiences existent et des inachèvements, mais il n’y a rien de vraiment préoccupant. La santé humaine et spirituelle est évidente.

Je m’empresse d’ajouter que ces jeunes ne sont pas "meilleurs" que ceux dont je vais parler dans un instant, ni plus doués, ni plus généreux, au bon sens du mot. Dans le langage courant, on dira qu’ils sont plus équilibrés.

Car, c’est vrai, d’autres jeunes, sympathiques et même séduisants, révèlent des failles et des fragilités qui font problème.

En voici un descriptif. Evidemment c’est du reconstitué mais bien réel.

  • LYDIE a 23 ans - Famille chrétienne où le conflit des générations se double de difficultés économiques. Climat assez lourd. Par ailleurs, Lydie ne s’épanouit guère dans son travail de secrétaire. Sait-elle vraiment ce qu’elle veut ?
    Elle se dit déçue par les couples qu’elle connaît. Sa recherche de vie religieuse l’amène à s’enflammer successivement par rapport à plusieurs communautés. Mais au moment d’établir un type de relation plus engageant, elle se retire. Elle a beaucoup de mal à objectiver ce qu’elle vit. Elle ressent plus qu’elle ne réfléchit. Elle oscille en permanence de l’exaltation à la remise en cause la plus radicale.
  • FRANCIS est étudiant - L’année qu’il a passé dans une petite "communauté" (deux filles, deux garçons) a-t-elle été bénéfique ?
    Ce n’est pas sûr quand on remarque qu’il s’investit affectivement beaucoup dans un tout petit nombre de relations sans arriver, malgré son désir et sa générosité, à trouver sa place dans un engagement de type associatif et dans la "grande" Eglise.
    Au fond, il a peur de l’autre. L’a-t-il d’ailleurs vraiment rencontré ? Il va de niche en niche, gentil, disponible, étrangement fragile.
  • GERARD est étudiant lui aussi. Il en veut terriblement à son père "parti" quand il avait 10 ans. Autour de lui des femmes : sa mère et ses deux sœurs ; il n’a pas de frère. Dans les week-ends, il s’adresse en priorité aux religieuses présentes pour le dialogue et pour l’accompagnement. Sa quête spirituelle est incontestable, sa bonne volonté est émouvante...
  • PHILIPPE a toujours la blague au bord des lèvres. Il rit et il fait rire. Il parle de tout et de tous, très peu de lui. Ses confidences, il faut les décrypter dans des ironies et des mises en boite dont on se demande toujours si elles visent au camouflage de ses sentiments ou à des appels du pied subtils. Quelle blessure cache-t-il ? Quelle détresse ? Quelle attente ?
  • GEORGETTE est une infirmière consciencieuse. Abord très réservé. Tempérament "contemplatif" (c’est elle qui le dit). Son enfance a été rude. A tort ou à raison, elle estime n’avoir pas été aimée. Par périodes, elle connaît des raz-de-marée de tristesse, d’auto-accusation et de dépréciation. Dans ces moment-là elle ne peut communiquer. Elle est bloquée, malheureuse d’être ainsi, convaincue qu’elle n’en sortira jamais...
  • GABRIELLE est timide, d’une timidité excessive. Cela se remarque tout de suite en même temps que sa qualité d’âme pour peu qu’on fasse attention à elle. Quand elle se laisse rejoindre, on est émerveillé. Mais, c’est vrai, dans un groupe c’est toujours comme si elle s’excusait d’être là et d’exister...
  • LUC semble toujours au garde-à-vous ! Toujours prêt à faire des choses. Il aime obéir. Il a besoin de règlements, de mots d’ordre et de chefs. Les "partages" ne lui plaisent pas. Il ne dit pas tout haut que c’est du bla-bla parce qu’il ne veut pas faire de peine, mais il doit le penser tout bas. Une générosité d’ailleurs un peu intempestive. Il a sûrement beaucoup de bonne volonté mais a-t-il une volonté personnelle ?
  • MARIO n’a pas fait de bonnes études. Depuis trois ans il va de stage en stage. Il a tendance à se faire valoir et il s’invente des qualifications qui n’existent pas. Dans un groupe, il monologue plus qu’il ne dialogue. Il fuit toute interpellation un peu directe. Il est solitaire et sans amis...

Ces garçons et ces filles sont des jeunes. Ils sont en marche. Les accompagnateurs de Groupes de Recherche savent, par expérience, qu’ils vivent des passages. L’évolution d’un certain nombre d’entre eux est évidente et positive. D’autres, par contre, continuent de me soucier. Je vais d’abord essayer de dire pourquoi.

Ensuite, je noterai comment, à mon avis, notre accompagnement doit s’appuyer sur quelques convictions fortes pour accueillir ces jeunes sur le chemin du discernement sans les engager, d’emblée, sur un chemin de consécration.

SOUCIS....

  • Je mentionnerai en premier lieu l’inaptitude à se faire disciple.
    Cela peut prendre différentes formes. Depuis une suffisance particulièrement marquée jusqu’à une inconsistance évidente. D’un côté on sait tout et on manifeste, en toutes circonstances, une sorte d’incapacité à se remettre en cause ; de l’autre, on ne prend pas position et on n’arrive pas à dire vraiment "je".
  • II y a l’insatiable besoin de reconnaissance
    C’est autre chose que la banale vanité, la légitime ambition ou le tonique goût d’entreprendre. La liberté intérieure est bloquée par une affectivité meurtrie de frustrations profondes conduisant à érotiser certaines relations et à fuir systématiquement d’autres relations.
  • J’ai plus de mal à qualifier d’autres difficultés relationnelles,
    et je sens bien que le regard d’un psychologue de métier est nécessaire. Ainsi, par exemple, je m’inquiète d’un désir de vie religieuse (et donc communautaire) qui, dans la durée, sur-valorise l’adoration au détriment complet de la convivialité. De la même façon, dans l’hypothèse du ministère presbytéral, je suis soucieux quand le garçon fuit la contradiction et même la concertation. Saura-t-il un jour parler autrement que de loin et de haut ?

NE PAS ENGAGER ET POURTANT ACCUEILLIR

  • Il m’a semblé que, face aux constats de fragilité humaine et affective des jeunes, la pente de certains éducateurs étaient de s’effacer derrière les instances de discernement, afin de n’être pas piégés par des accueils trop larges ou trop rapides. Mais, à la limite, y a-t-il encore accueil  ?
    Et accueil par des personnes et non par une structure anonyme ?
  • Les situations de départ sont évidemment à retenir. Et parfois les itinéraires ont été tourmentés. Mais qu’on se montre spirituellement attentifs aux passages en train de se vivre. "Il faut donner le temps au temps" disait le bon pape Jean.
  • La prise en compte de la durée ne doit pas évacuer l’exigence et l’établissement de butoirs avec l’intéressé(e). Une mise à l’épreuve réfléchie, comme la participation à un camp de jeunes, un engagement ecclésial approprié, une retraite de discernement.

* * *

Est-il permis de conclure ce rapide survol d’une situation que tous les S.D.V. connaissent bien, en émettant un souhait ?

  • Que les accompagnateurs que nous sommes, soient bien lucides sur leur propre fragilité passée et convaincus de celle d’aujourd’hui...
  • Qu’ils aient trempé leur assurance dans une authentique expérience spirituelle et, pas seulement dans la seule compétence psychologique.
"Nous aussi, nous sommes faibles en Christ, bien sûr, mais nous serons vivants avec Lui par la puissance de Dieu, dans notre conduite à votre égard" (2 Co 13, 4).