Etudiants avec projet de ministère


Serge DENECHERE
prêtre, responsable national des GROUPES DE FORMATION UNIVERSITAIRES

Les Groupes de Formation Universitaires (G.F.U.) sont nés, après Vatican II, du besoin de trouver de nouvelles voies d’acheminement au ministère presbytéral.
Ils apparaissent ainsi en 1967, de la conjonction de deux situations : d’une part, la Mission de France transformait son 1er cycle de séminaire en Groupe de Formation ; Jean-Pierre MARCHAND était alors chargé de lancer les Groupes de Formation à partir du monde étudiant. D’autre part, plusieurs Groupes de Recherche de jeunes universitaires désiraient une formation plus suivie et structurée.
C’est donc de la rencontre de ces deux besoins que se constituent les G.F.U. A la même époque se forment les G.F.O. (pour les jeunes issus du Monde Ouvrier).
Les G.F.U. ne sont alors affiliés à aucun mouvement, ni reliés à la Mission de France. L’intuition de base qui les inspire tient, pour une part, à la prise au sérieux de l’acquisition d’une compétence humaine par le biais des études, et, par ailleurs, au constat de l’incroyance qui marque les milieux étudiants et professionnels. Ce qui explique que les projets de vocation - souvent indéterminés au départ - prennent une orientation nettement missionnaire : volonté de présence chrétienne dans le cadre des études et de la profession.
En 1968, les G.F.U. sont reconnus officiellement comme "filière" de formation de 1er cycle, par l’épiscopat. En 1971, se crée le troisième temps G.F.U. en lien avec le prolongement professionnel des études. Jusqu’en 1977 les G.F.U. vont nombreux à la Mission de France (plus d’un tiers), mais aujourd’hui ce choix est exceptionnel. En 1985 est publiée la Charte des G.F.U.

PROFILS ET MENTALITES

Les chiffres des G.F.U. ont été assez fluents, mais se sont maintenus longtemps au-dessus de la centaine. Depuis 1981 ils ont régulièrement baissé, pour se stabiliser actuellement vers 70. Il faut voir là l’effet de la création de Propédeutiques, de Foyers-Séminaires, de la volonté de regroupement dans un lieu de formation. Quoi qu’il en soit, la question reste posée par un certain nombre de jeunes : comment répondre à un projet de ministère, tout en continuant des études ou en débutant un travail professionnel ? Des raisons familiales, ou un désir personnel, les conduisent à s’intégrer dans la société tout en cherchant à mûrir leur projet de vocation. Cela peut durer de trois à cinq ans ou même davantage. Les G.F.U. apparaissent ainsi comme un service d’Eglise original, qu’il serait bien dommage de laisser tomber. Ils expriment une sensibilité particulière, mais ouverte, dans la formation au ministère. L’expérience humaine et l’expérience ecclésiale sont les lieux où la foi se mûrit et où simultanément se forgent une décision pour le ministère ou un choix de vie religieuse.

  • Nous pouvons donner l’état actuel du groupe G.F.U. :
    - il y a 70 G.F.U., comme l’an dernier, dont 26 nouveaux, de 35 diocèses.
    - de l’année passée, 12 sont entrés au séminaire
    - il y a 7 coopérants et 5 en Troisième Temps
  • La répartition d’études ou de professions
    - Sciences et Ecoles d’ingénieurs........................... 17
    - Sciences économiques - Gestion, Comptabilité... 12
    - Médecine - infirmiers......................................... 11
    - Lettres - Philosophie - Psychologie ................... 10
    - Histoire....6 - Droit....5 - Langues...1 - Sciences Politiques...2 Musique.....2
    - Architecture...1

Par rapport aux années passées on voit s’accroître le nombre de scientifiques et du monde de la santé.

Il faut noter aussi l’évolution des mentalités. Le profil a changé par rapport à 1967 : on peut dire que la situation s’est en quelque sorte inversée. Ce qui prédomine c’est moins le souci de présence au monde, pour des jeunes qui sortaient alors d’un petit séminaire ou de famille chrétienne, que le désir d’une formation forte et d’un soutien structuré d’une vie chrétienne fragile. Besoin d’identité et de repères, de communauté et de modèles-témoins, de leaders qui aident à cadrer sa foi et son existence chrétienne. Un certain nombre sont des "convertis" qui ont perçu la difficulté d’exister comme chrétiens dans un monde éclaté et permissif, marqué par l’indifférence religieuse, mais aussi par la recherche d’un sens à la vie.

Quoi qu’il en soit de l’évolution des mentalités, la démarche des G.F.U. reste fidèle aux intuitions premières, notamment en ceci :

  • L’acquisition d’une compétence intellectuelle et professionnelle, pour une meilleure maturité et liberté .
  • La présence et le témoignage chrétien en milieu étudiant et professionnel .

MENTALITES ET REQUETES

L’environnement culturel actuel retentit fortement sur les besoins exprimés ?

  • DESIR D’UNE FORMATION FORTE

Vivre dans un monde sécularisé apparaît désormais normal. Il n’y a plus à faire la découverte de l’athéisme et de l’indifférence que l’on rencontre partout, à commencer dans sa famille. Les étudiants sont donc habitués à vivre dans un monde où la question de Dieu n’est ni évidente ni première. L’Eglise elle-même ne rythme plus guère la vie sociale et n’a plus pignon sur rue sauf occasionnellement. La foi est devenue une affaire privée, une liberté qu’il faut assurer et même défendre, dans un monde éclaté et pluraliste qui connaît une véritable foire aux idées et aux valeurs. "L’ère du vide" est devenue aussi l’ère de "l’Ephémère".

D’où la requête d’une formation plus forte à tous les points de vue. IL FAUT CADRER SA FOI. Plus que jamais il est besoin de points de repères doctrinaux ce qui conduit à privilégier dans les rencontres un long temps d’enseignement sur une question de vie chrétienne. Mais la manière de proposer se modifie : l’exposé sous forme critique, avec analyse des Sciences humaines (histoire, sociologie, psychologie...) laisse assez indifférent et insatisfait. On attend des valeurs sûres, le positif qui construit l’être croyant, l’identité chrétienne. D’où la nécessité d’une présentation sereine, du Credo, de la foi ancrée dans la Tradition, les Pères, les Conciles, fondée sur l’autorité papale et épiscopale.

La présence en milieu étudiant et le travail universitaire conduisent à une recherche de LIENS ENTRE ETUDES ET FOI.

Une transformation de la réflexion et de l’attitude est en train de s’opérer au sujet des Sciences exactes, au moins au plus haut niveau des chercheurs. Mais cela se vit déjà dans certains laboratoires. Les rapports Sciences et Foi ou Sciences et Religion font l’objet de nouvelles considérations. Tout en assurant l’autonomie de l’étude scientifique et de l’expérimentation peu à peu est abandonnée la perspective positiviste et matérialiste qui fermait à la question de la croyance et de la Foi.

Les étudiants en Sciences arrivent ouverts à la question du sens de l’Homme et d’une possible quête de Dieu, liées à la démarche scientifique approfondie. Il y a là un terrain privilégié pour la recherche d’une nouvelle "vision du monde", et des rapports avec la Création.

Du côté des étudiants en médecine, un grand souci se manifeste concernant l’éthique médicale dans le monde de la Santé, il y a là un autre registre qui mérite une particulière attention. La présence future dans les diocèses de ministres formés au plan médical et éthique devrait un jour contribuer à créer un nouveau type de relations humaines et pastorales avec les malades et les mourants.

  • BESOIN d’UNE VIE CHRETIENNE STRUCTUREE

Une question revient souvent, lancinante, au moins chez ceux qui ont vécu quelques années d’études : "COMMENT FAIRE l’UNITE DE SA VIE ?"

Il ne s’agit pas seulement d’un problème de jeunesse, mais aussi d’une prise de conscience de l’éparpillement de la vie moderne, où les sollicitations sont nombreuses, le temps déficient, la reprise silencieuse insuffisante.

On veut donc trouver des temps et des lieux pour "sauver sa vie". D’où la valeur en hausse des abbayes, des "temps de désert", de reprise dans le silence. On y cherche des témoins de l’Absolu de Dieu et des initiateurs de la prière ; mais aussi des "modèles" inspirateurs de vie de communauté et de partage de vie.

Il ne faut donc pas s’étonner de voir passer beaucoup de temps en groupe pour le partage d’Evangile, de foi : désir de profiter de l’expérience multiforme des autres, besoin de se connaître, recherche de transparence. A ce type de demande ne répond pas la "Révision de vie" ; la problématique n’est pas la même : c’est sans doute pourquoi certains ont des difficultés dans la relecture de vie, qui oblige à un réalisme sur soi-même, à un regard objectif sur ses pratiques et ses relations.

L’intérêt grandissant pour l’Eglise locale s’inscrit peut-être aussi dans cette ligne : elle apparaît, en effet, comme le lieu indiscutable de l’enracinement et de la vérification de sa vie et de son identité chrétienne. Ces jeunes n’ont plus vraiment de compte à régler avec l’Eglise : ils aiment l’Eglise pour ce qu’elle est et leur apporte.

Tout ceci ne va pas sans un regard sur ce qui, de fait, se vit dans les diocèses. Une grande inquiétude se fait jour parfois devant la vie menée par les prêtres. Leur existence leur paraît surchargée en multiples tâches et encombrée. Ils s’inquiètent de savoir s’il reste le temps de prier, de vivre une vie "humaine", d’avoir du temps à soi. Le prêtre paraît souvent aussi un homme seul. Comment vivre la foi et le célibat sans communauté de vie et de soutien ? Le prêtre a besoin de se ressourcer au milieu d’un peuple qui le porte et qu’il porte. Le partage peut se faire aussi bien avec des laïcs qu’avec des prêtres !

  • PRESENCE AU MONDE, MARQUEE PAR LA MISSION

Vouloir faire des études est un des aspects premiers de la démarche de ces étudiants. Mais à travers elle s’exprime en fait un désir déterminant : acquérir une compétence humaine, se valoriser comme homme dans la société. Elle est voulue comme un chemin normal pour la libre disposition de soi-même et l’aptitude à assumer son avenir. Est ainsi recherchée une véritable autonomie par l’acquisition d’une qualification professionnelle et par la prise de distance financière et affective par rapport à la famille. D’où une plus grande maîtrise de son existence et de ses engagements.

Il s’agit donc de mener une vie d’étudiant ou de jeune professionnel et de partager la condition des jeunes de leur âge. Mais ceci constitue pour eux une étape de vie qui permet d’entrer plus avant et plus concrètement dans la mission de l’Eglise auprès des jeunes et de certains milieux professionnels. Dans ce milieu étudiant CEUX QUI CROIENT FONT SOUVENT FIGURE DE "PETIT RESTE". Le contenu des études apparaît souvent comme une mise en cause de la foi. Le contact avec les non chrétiens est permanent. Pour eux vie de foi et mission ne vont pas l’une sans l’autre.

C’est pour avoir pris le temps de se situer comme croyants dans une perspective missionnaire que ces jeunes pourront mieux répondre aux besoins de l’Eglise, en particulier d’avoir des prêtres capables par leur formation d’être présents et attentifs à des milieux bien spécifiques (monde de la santé, monde scientifique...) et à même d’aider les gens à vivre la foi dans la culture moderne.

Il n’est alors pas surprenant que leur regard sur la vie et le ministère des prêtres les conduisent à des constats et à des desiderata. Ils craignent le côté "administratif" du ministère, qui semble minimiser la présence et le contact direct avec les gens. Bien des prêtres leur paraissent enfermés dans des structures et des "idéologies" trop figées. De plus, avec le petit nombre de prêtres, comment avoir contact avec les non-croyants, si l’on est accaparé par la communauté chrétienne ? Que les prêtres ne soient pas présents au monde que par l’intermédiaire des laïcs, mais aussi par leur vie, leur habitat et leurs relations !

Une question vient alors naturellement : comment seront honorées et prises en compte la formation intellectuelle et l’expérience professionnelle acquises ? Quel lien pourra-t-on faire avec le ministère ? Il est vrai que certains "tournent la page" sans regret, parce qu’ils n’ont pas été vraiment mobilisés par ces études. Mais d’autres sont prêts à entrer dans une mission qui tienne compte de cette dimension de leur vie.

LES GRANDS AXES DE LA FORMATION

Il s’agit d’accompagner des jeunes en recherche de ministère. Des orientations ont été données par la "Ratio" pour la formation au ministère presbytéral publiée en 1983 par l’Episcopat français. La Charte des G.F.U. s’y reporte, mais propose un cheminement original et des moyens adaptés.

1/ UNE RELECTURE DE LA VIE :

C’est une attitude primordiale en G.F.U. Il s’agit de faire le point sur tout le vécu de chacun : vie personnelle, universitaire, professionnelle, ecclésiale. C’est une des fonctions de l’équipe, si marquante en G.F.U.

2/ UNE FORMATION INTELLECTUELLE :

Elle est riche et variée ; et elle tient compte des besoins perçus dans les études. Elle suit aussi les indications essentielles de la "Ratio" et comprend notamment :

- une réflexion philosophique sur l’homme dans le monde, la question de Dieu, les divers courants de pensée ;

- une initiation au Mystère chrétien : Jésus-Christ, l’Eglise, la Foi, les Ministères ;

- une formation biblique : introduction à la lecture de l’Ancien et du Nou-veau Testaments ;

- une réflexion sur l’éthique ;

- une étude de l’Histoire de l’Eglise des origines et des temps modernes ;

- une initiation à la prière et aux Psaumes.

Ceci se réalise, durant l’année scolaire, pendant des week-ends ; durant l’été, dans les sessions de Solignac. Certains prennent aussi des cours en faculté de Théologie.

3/ UNE INITIATION SPIRITUELLE :

Celle-ci n’est pas détachable du reste ; mais elle comporte des temps forts : récollections ; fréquentation d’abbayes ; Solignac ; le conseiller spirituel. Elle vise à faire des chrétiens solides, de "plein vent", non des moines mais des pasteurs dans le monde.

4/ L’ENGAGEMENT APOSTOLIQUE :

Il se fait d’abord où l’on vit : dans le monde de l’Université ou de l’Ecole, le milieu professionnel.

Beaucoup participent à des groupes comme l’ACAT, le MAN, SOS, l’ARCHE... Ils s’intègrent à la vie des communautés chrétiennes locales ou des Mouvements : JIC, MCC, MEJ, Scoutisme, Aumôneries de lycées, de la Santé... Avec les années s’accentuent aussi les contacts avec le diocèse et les équipes de prêtres.

LES ETAPES

Il importe de bien gérer la "durée" des études et de proposer un cheminement et des seuils.

- Le premier Temps : il marque le début de la démarche en G.F.U. et s’étale sur une année.
Il permet alors d’acquérir une formation chrétienne de base et de percevoir des points de repère sur le ministère et les vocations dans l’Eglise, tout en apprenant à mieux se situer dans le monde des étudiants. Ainsi s’opère un premier discernement.

- Le deuxième Temps : il dure en moyenne trois ans. Etape programmée de formation, notamment par les sessions longues de Solignac.
Il correspond en même temps à une étape d’apprentissage de la fidélité à son projet et au choix de vie (réussite des études, orientation professionnelle, affectivité, lieu de résidence). Avec la fin des études, il conduit souvent à une décision ferme d’entrée dans un séminaire de 1er cycle ou dans une communauté religieuse.

- Le troisième Temps : il correspond à la période brève d’exercice de la profession pendant deux ans.
Période nouvelle que marquent une autonomie plus nette vis-à-vis de la famille et la prise en charge de sa vie, par une insertion plus concrète et plus marquée dans la vie de l’Eglise locale.

Etape importante qui suppose déjà la fermeté de ses choix en tous domaines (liens plus précis avec le diocèse ou la communauté, exigence missionnaire, célibat, perspective ferme d’entrer dans un lieu de formation). La question peut alors se poser d’un lien entre le ministère et la profession. Ceci est étudié en accord avec les responsables diocésains. Au terme, on est normalement admis en 2ème cycle de séminaire.

LES MOYENS d’ACCOMPAGNEMENT

L’ensemble des G.F.U. est pris en charge par une équipe animatrice composée de prêtres nommés dans chaque Région. Monseigneur PICANDET, d’Orléans, en est l’évêque accompagnateur.
- La vie d’équipe : tous les quinze jours pendant l’année scolaire, avec un aumônier en contact avec le monde universitaire.

- Les week-ends par Région : quatre ou cinq fois l’an, pour la formation intellectuelle, à partir d’un thème annuel : cette année "Sciences et Foi"

- Les sessions de Solignac : dix ou vingt-deux jours selon les "Temps" : c’est une sorte de séminaire intensif

- L’accompagnement spirituel

- Les liens avec le diocèse : participation aux rencontres de séminaristes.

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Loin d’être un facile compromis, à durée indéterminée, la voie G.F.U. constitue une chance pour l’Eglise, aujourd’hui encore.

Elle reste une démarche adaptée à un certain nombre de candidats au ministère.

Elle répond à des besoins réels, chez des jeunes qui n’envisagent pas au début l’entrée dans une maison de formation. L’Eglise de France a beaucoup à gagner en recevant des futurs prêtres qui ont porté les mêmes questions et les mêmes recherches que ceux qui les entourent.

Comme le dit Vatican II :

"Ils ne pourraient être ministres du Christ s’ils n’étaient pas témoins et dispensateurs d’une vie autre que la vie terrestre, mais ils ne seraient pas non plus capables de servir les hommes s’ils restaient étrangers à leur existence et à leurs conditions de vie."
(décret sur le Ministère et la vie des prêtres)