Une fragilité offerte


Sœur Simone DANNEELS,
religieuse du CENACLE, formatrice dans cet Institut

Des jeunes femmes sont aussi accompagnées à la suite de leur entrée en vie religieuse apostolique : Simone DANNEELS, religieuse du Cénacle, en fait l’expérience quotidienne à travers sa responsabilité de formatrice dans son propre institut.
"JEUNES ET VOCATIONS" est allé la rencontrer pour mieux comprendre justement les enjeux de cet accompagnement, au sein d’une congrégation qui met fortement l’accent sur la dimension apostolique.
J. et Voc. - Accompagner, c’est déjà accueillir toute une histoire préalable, tout un vécu antérieur. A ce point de vue, qu’est-ce qui vous frappe le plus chez les personnes que vous accompagnez ?

S.D.- D’abord toute cette expérience humaine qu’elles possèdent. Ces jeunes femmes, âgées de trente ans ou plus, ont eu en effet une vie professionnelle, des relations multiples, une formation et une connaissance propre de la réalité qui les entoure. Tout ceci constitue un riche terreau humain, un point de départ intéressant pour un chemin de vocation spécifique. Car le choix de la vie religieuse apostolique les amène justement à renoncer à leur profession, à leur vie relationnelle antérieure pour découvrir un nouveau type de service et de présence aux autres. Reconnaître cette richesse humaine pour mieux mesurer ensuite le sens d’une dépossession...

- Qu’en est-il de la maturité humaine et psychologique ?

- Même à trente ans, tous les équilibres particuliers à ce domaine ne sont pas encore bien mis en place. La fragilité psychologique apparaît souvent réelle et les divers cheminements personnels reflètent les handicaps qui marquent nos sociétés actuellement : beaucoup des filles viennent ainsi de milieux incroyants, de familles désunies, ou ont traversé des expériences amoureuses pas toujours bien vécues. Souvent, l’équilibre psychologique se cherche peu à peu.

- Cette fragilité ne les conduit-elle pas à rechercher dans la vie religieuse une sorte de sécurité ?

- On ne peut pas dire cela, car ce trait n’est pas vraiment marquant. De plus, beaucoup d’entre elles ont déjà vécu indépendamment de leur famille auparavant et ont donc acquis une autonomie utile pour prendre en charge une existence, construire un projet de vie. En revanche, certaines doivent prendre davantage de distance par rapport au milieu familial et mieux faire percevoir à ce dernier que les ruptures impliquées par la vie religieuse ont une signification particulière. Or, on ne peut bien rendre compte du sens de la vie religieuse apostolique que si on l’a soi-même découvert, intériorisé. Le temps de formation doit justement permettre cette découverte, aider la décision à mûrir pour que la personne soit apte à prendre position dans sa famille en rendant compte de son choix de vie spécifique. Ce temps d’accompagnement est l’occasion d’un échange sur toutes ces questions, de reconsidérer les relations aux autres, à la famille, aux biens...

- Mais accompagner, c’est aussi être témoin d’une évolution de la personne, d’un apprentissage de ruptures successives... Quelles résistances percevez-vous au cours de ce chemin de conversion ?

- Prenons par exemple la nouvelle gestion du temps, des loisirs, de la vie relationnelle, qui découle de l’entrée en vie religieuse, et qui constitue souvent un lieu où cet apprentissage ne va pas de soi. Même si elles savent que leur nouvelle existence appelle à des ruptures, les jeunes vivent difficilement, au départ, la relation d’obéissance, le sens communautaire. Elles ne peuvent plus, comme avant, sortir avec des amies, aller au cinéma quand elles le veulent. Il leur faut apprendre à concilier leur liberté personnelle avec la dimension communautaire, ce qui n’est pas sans les dérouter. Tout ne peut plus être accessible tout de suite...

Peu à peu, elles sont invitées à prendre de la distance par rapport à ce qu’elles pensent, à ce qu’elles désirent. Même si ce chemin est constructeur, éducateur au sens fort du terme, même s’il est toujours le fruit d’une négociation où se rencontrent des libertés, il reste aussi semé d’embûches inévitables... Et l’on pourrait suivre le même raisonnement pour ce qui touche à l’attitude face aux biens, aux cadeaux, par exemple...

- Ces résistances ne traduisent-elles pas des mentalités, des traits plus forts ?

- Certes. Nous avons été frappées, lors d’une récente réflexion commune sur le célibat, de voir combien ces jeunes femmes paraissaient marquées par un climat de grande liberté, de tolérance. Face à des questions comme la réincarnation, l’euthanasie, l’homosexualité, elles n’ont pas le réflexe de condamner d’emblée, de juger les comportements, car elles ont connu elles-mêmes des personnes touchées par ce type de phénomènes. Cette attitude, qui accorde une grande importance au respect de la liberté individuelle, peut très bien dériver vers le relativisme. Il est donc essentiel d’échanger, de découvrir ensemble qu’on ne peut pas tout faire, que l’éthique ne se limite pas au respect absolu de la liberté individuelle. Ce même trait un peu relativiste se retrouve aussi en matière de foi, où certaines manquent de données fondamentales et ignorent les positions de l’Eglise.

- En dépit de ces faiblesses, elles sont attirées par la vie religieuse. Comment expliquez-vous cet attrait ?

- Longtemps elles ont cherché un sens à leur vie, tâtonné pour découvrir ce à quoi elles étaient vraiment appelées. Aussi, en discernant leur propre vocation, elles ont eu le désir de se donner pleinement à cette mission d’aide spirituelle des autres pour qu’ils puissent mieux trouver la signification profonde de leur existence, à travers le service des retraites qui constitue le charisme particulier du Cénacle. Bien souvent elles ont pu faire un pas par le biais d’une catéchèse, d’une retraite qui a davantage éclairé la dimension apostolique de leur vocation. Et un travail en Eglise, avec d’autres, leur a permis ensuite d’accentuer cette ouverture apostolique en leur montrant que la foi n’est pas une affaire personnelle et qu’elle s’expérimente dans la rencontre de personnes différentes.

- A ce propos, comment perçoivent-elles l’Eglise ?

- Justement, dans un sens profondément apostolique, dans ce souci de l’annonce et de la mise en lien avec d’autres. Nous attachons beaucoup d’importance, dans nos critères d’entrée, au fait qu’elles aient déjà pratiqué des engagements en aumôneries, en mouvements, en paroisse... Cette ouverture apostolique traduite en actes apparaît comme un élément de discernement essentiel et constitue de plus une étoffe humaine précieuse.

- Le sens apostolique ne peut pas rester non plus sans incidence sur La vie de prière...

- Oui. Il faut intégrer cette dimension d’ouverture dans la contemplation, entrer dans le mouvement de communion avec ceux qui sont là, en Eglise. Le noviciat va permettre aussi cette entrée dans la prière, cette ascèse qui permet un décentrement par rapport à soi-même.

- Dans tous ces itinéraires que vous suivez personnellement, êtes-vous témoin de conversions radicales, fortes, ou au contraire de cheminements plus lents ?

- C’est surtout la seconde forme qui domine..

- Revenons à la dimension apostolique, si présente dans une congrégation telle que la vôtre. Comment bien l’honorer dans l’accompagnement poursuivi au cours de la formation ?

- On ne peut que veiller à la capacité de relation de ces jeunes : possibilité d’adaptation, d’écoute d’hommes et de femmes forcément très divers. En même temps leur permettre de garder un bon équilibre entre la vie personnelle et la vie communautaire.

Accompagner, c’est aussi susciter cet éveil à la disponibilité, au travail sur soi-même pour découvrir à la fois ses richesses et ses limites en apprenant à les articuler... Il est important de voir qu’au terme d’un accompagnement un chemin s’est tracé, des progrès existent... Au prix d’une attention, d’une vigilance de celui qui accompagne.

- Par son service de l’accueil et des retraites, le Cénacle insiste beaucoup sur le sens de la gratuité. Comment cela est-il reçu par les jeunes ?

- Ce charisme reste très attirant : il pousse chacune d’entre elles à une attention aux pauvres, aux plus démunis et à leurs besoins. En même temps il n’est pas bon de verser dans l’idéalisation ! Comme d’autres congrégations religieuses, nous traversons une période de vieillissement, de plus grande pauvreté... Au-delà du rêve, il faut concilier confiance et réalisme, espérance et choix de certaines priorités.

- Toute une éducation de longue baleine...

- Et surtout la vision d’une liberté intérieure qui grandit, le sentiment de joie profonde devant la découverte d’un service des autres possible, d’une vie ensemble pour le Christ ! Je suis frappée de voir combien en découvrant leur vocation personnelle, en devenant plus elles-mêmes, elles découvrent davantage la dimension communautaire, avec son appel propre. Comme des petites lumières, peu à peu, percent la nuit et avancent en vérité, dans une fragilité offerte...