Etre étudiant : obstacle ou chance pour la foi


En mission étudiante

Jean-Marie MALLET-GUY
prêtre du diocèse de LIMOGES,
aumônier national de la Mission étudiante
et délégué diocésain aux vocations sur Limoges

Etre étudiant et chrétien, est-ce fréquent, normal, dingue ou facile ?
La question intéresse les médias, l’Eglise, et les instances politiques. Cet âge est auréolé dans les esprits d’un certain prestige, ce qu’il vit est souvent décisif pour l’avenir des individus mais aussi pour l’avenir de la société.
Quelque soit le lieu d’observation, il est bien difficile de rendre compte avec exactitude de l’intérêt des étudiants pour la religion, ainsi que des difficultés ou des chances que donne la vie étudiante pour vivre sa foi.
Trois approches différentes peuvent permettre d’en débattre :

- ne convient-il pas d’être prudent lorsqu’on parle des jeunes et de la religion ?

- Les étudiants eux-mêmes qu’en disent-ils ?

- Quel itinéraire dans la foi proposer aujourd’hui à des étudiants ?
Témoin de ce qui peut se dire et se vivre au sein de la Mission étudiante (aumôneries de l’Enseignement Supérieur, d’universités et d’écoles) je me propose d’apporter quelques éléments pour ouvrir à une confrontation, sachant que le sujet demanderait de plus amples développements.

• ET S’IL FALLAIT ETRE PRUDENT !

Lorsqu’on s’interroge sur l’intérêt des étudiants pour la religion, combien il faut être prudent avant d’émettre quelques réponses. Et cela pour plusieurs raisons.

  • La première, c’est que "les étudiants, ça n’existe pas", il y a DES ETUDIANTS, en situation d’études fort différentes, par la discipline, la durée, les conditions de travail, et les débouchés professionnels ; divers par l’âge, l’origine sociale et l’éducation religieuse. Méfions-nous donc de la tendance à la globalisation et à la généralisation, que ce soit dans les médias ou dans l’Eglise.
  • Une deuxième raison invite à la prudence : on peut émettre sur le sujet des avis à la fois contradictoires et justifiés.
    Par exemple, en 1984, Michel Serres, professeur de philosophie à Paris I affirme : "Dans les années 67-70 quand je voulais intéresser mes étudiants je leur parlais de politique et si je voulais faire rire je parlais religion. Aujourd’hui c’est exactement l’inverse" (1). La même année, dans la revue JEUNES ET VOCATIONS, Marie-France Fortin, religieuse, responsable de l’aumônerie des étudiants à la Sorbonne, écrit :
    "La question religieuse en fac suscite plus d’indifférence que d’intérêt" (2)

Les deux disent vrai. Parlent-ils de la même chose ? Pas sûr. Une chose est l’intérêt que l’on porte à la religion pour reconnaître qu’elle a de l’importance et qu’elle compte dans la société, une autre est de s’approprier la question religieuse, d’y investir de soi-même, de confronter sa recherche à celle des autres et d’en vivre.

  • En troisième lieu, méfions-nous des "modes et des idées toutes faites" sur la religion et les jeunes.
    Lorsqu’une revue, à grand public étudiant, publie (après sondage) deux chiffres "pour ébranler quelques idées reçues sur l’indifférence des jeunes à l’égard de la religion", (47 % disent croire en Dieu, 17 % sont pratiquants hebdomadaires toutes confessions confondues) il faut savoir que ces résultats sont approximatifs et peu fiables.
    Pour autant ne doit-on pas considérer comme essentiel le fait qu’une revue comme "l’ETUDIANT" et qu’un journal comme"LE MONDE", mettent en avant l’idée "qu’il y aurait aujourd’hui de l’intérêt pour la religion parmi les jeunes". Souhaitons que l’idée et la réalité concordent. Est-on en mesure d’en apprécier réellement l’exactitude, avec quels moyens ?

    Le lieu d’observation n’est donc pas sans importance. Un enseignant, un aumônier, un sondage, très bien ! N’y aurait-il pas aussi à entendre le point de vue des étudiants ?

CE QUE DISENT DES ETUDIANTS

Recueillir certaines paroles c’est déjà les sélectionner, c’est appliquer une première lecture à la réalité observée. Reconnaissons-le.

Je retiens plusieurs expressions, prises sur le vif, choisies parce que différentes les unes des autres, parce qu’elles éveillent à la complexité de la réalité, parce que tout en étant singulières elles expriment l’avis de plusieurs.

Je les ai entendues, ou lues, dans la Mission Etudiante, ce qui réduit le champ d’observation, mais en même temps nous permet de mesurer en quels termes la question de la religion et des jeunes (ou de la foi et des jeunes) se pose pour des étudiants chrétiens.

Etudiant en Droit à Lille :

"En fac c’est le désert, le désert spirituel, mais si tu parles de Dieu il y en a certains que cela intéresse. Beaucoup d’étudiants cherchent un sens a leur vie."

Etudiant en Lettres à Grenoble :

"...il semble que la recherche d’universel qui est le leitmotiv des études en communication, incite les étudiants à reconsidérer leurs croyances en Dieu. Mais comment témoigner de la présence vivante du Christ dans cette immense faculté encore plus déchristianisée que les autres facultés ?"

Etudiant Sup. de Co. à Grenoble :

"-Vous êtes cathos, vous .’- Eh oui. -C’est dingue, c’est un monde bien bien différent, fondé sur des traditions démodées et dans lequel les gens sont tous renfermés. -
C’est ainsi que commença un cours passionnant de culture technique sur le ’moteur à quatre temps’ qui allait s’avérer fort enrichissant.
Nos relations entre élèves nous permettent de remettre en cause notre foi grâce à des discussions comme celle ci-dessus.
C’est la première fois que nous en parlons si ouvertement. Peut-être parce que nous sommes deux, peut-être parce qu’aujourd’hui notre foi est un choix personnel, peut-être parce que nous avons plus de contacts avec les autres du fait de 1’éloignement de notre ville d’origine, peut-être parce que chaque jeudi soir nous participons à l’aumônerie, ce qui nous donne la possibilité de confirmer notre joie de vivre grâce à la bonne entente qui y règne."

Etudiante en Psychologie à Nanterre :

"C’est dans le monde étudiant, dans le monde de l’enseignement supérieur, fac, écoles, CHU, IUT, qu’il nous revient d’être chrétien et de pouvoir dire au moins un des pourquoi de notre acte de foi. Etre étudiant, être chrétien, il y a là la nécessité d’articuler un savoir et une foi religieuse pour assumer sa propre identité et, en même temps, les inévitables discordances."

Etudiant à Télécom à Paris :

"Lorsque je suis en conversation avec des étudiants qui appartiennent à des communautés chrétiennes nouvelles, tous azimuts, et qui ne savent pas que je suis chrétien, je suis frappé de voir combien ils en arrivent très vite à parler de Dieu. Ils abordent très spontanément la question et font des adeptes. Nous les étudiants des aumôneries nous n’agissons pas ainsi, pourquoi ?"

Il serait bien périlleux de vouloir dégager des analyses approfondies à partir de ces quelques lignes. Mais comment ne pas remarquer qu’il y a échange, débat, entre des étudiants sur le sens de la vie et sur la religion. La question est UNE QUESTION OUVERTE, d’autant plus que les propositions, en réponse, sont multiples, de la scientologie aux sectes, des courants religieux les plus divers aux Eglises établies. Le pluralisme rend possible l’échange, il introduit aussi au relativisme et au spectacle.

Pris dans le champ d’un religieux ouvert et multicolore, les étudiants chrétiens se posent la question de leur propre identité et du témoignage qu’ils ont à donner, non seulement au regard des incroyants, mais ENTRE CROYANTS.

S’il est vrai que se manifeste de plus en plus d’intérêt pour la religion parmi les étudiants, viendra le temps où l’on ne pourra plus faire l’économie d’une véritable réflexion sur le contenu des propositions, réflexion qui conduira à une étape obligée, souhaitée ou non, celle de la confrontation.

UN ITINERAIRE POUR LA FOI

Les aumôneries étudiantes, actuellement en France, regroupent des étudiants qui participent aussi à des mouvements, à des courants spirituels, à des paroisses, à des aumôneries les plus divers. De plus, les cheminements dans la foi y sont multiples.

Certains, depuis des années, nourrissent leur foi régulièrement à la Parole de Dieu, à l’Eucharistie, et au partage, ils en témoignent dans leur vie étudiante. D’autres sont davantage "en recherche" confrontés à la radicalité des questions qu’ils rencontrent. D’autres viennent de l’incroyance et demandent le baptême (les accompagnements vers le Baptême et la Confirmation sont actuellement de plus en plus nombreux dans les aumôneries étudiantes). D’autres viennent voir, cherchent une convivialité et des frères à qui parler. D’autres appartiennent à des religions non-chrétiennes, ainsi qu’à des cultures étrangères.

Diversité méconnue ou oubliée par ceux qui parlent de ces "pastorales qui s’essoufflent". Etre dans la ligne de mire des médias n’est pas forcément le critère le plus évangélique.

Lorsqu’on accompagne des étudiants dans les aumôneries de la Mission Etudiante par des activités très diverses (marche pélé ou week-end sur l’avenir de la politique, réflexion sur l’Enseignement Supérieur ou Groupe Biblique, Eucharistie hebdomadaire ou week-end sur l’éthique commerciale...),

ON VOIT SE DESSINER UN ITINERAIRE POUR LA FOI, AU SERVICE DE LA STRUCTURATION DES PERSONNES ET POUR UNE RELLE ADHESION A JESUS-CHRIST.

De plus, apparaît la confrontation entre les études et la vie chrétienne, (science et foi, éthique médicale, éthique commerciale, chrétien et responsable dans la société...). S’appliquer à cette réflexion est une chance pour l’étudiant, mais aussi pour la société de demain et pour l’Eglise.

Voici, mis en forme en raccourci, le parcours proposé. Il appartient aux étudiants qui ont à rendre compte de leur foi dans le milieu étudiant, ainsi qu’aux prêtres, religieuses, laïcs responsables des aumôneries.

1) TU COMMENCERAS PAR LE RESPECT et par la qualité de la relation.
En ne cherchant pas d’abord à comprendre l’autre, mais à l’accueillir. En ne cherchant pas à l’embrigader, ni a lui proposer des solutions "prêtes à porter", mais en prenant le temps d’être proche et de mériter le respect.

2) TU DIRAS ALORS LE GOUT ET LA SAVEUR DE l’EVANGILE,
tu ne commenceras pas à dire que l’on peut aimer Dieu, mais que Dieu nous aime,
tu ouvriras l’espace où la Parole de Dieu peut rejoindre ton frère.

3) TU INTRODUIRAS A LA DUREE,
dans la découverte de l’Evangile tu indiqueras qu’il y a des mûrissements, des étapes à franchir, des sommets à atteindre, mais que Dieu est présent dès le camp de base. Il se fait connaître lorsqu’on entre avec lui "en histoire".
Tu construiras avec les autres la patience des fidélités dans l’engagement pris.
Tu montreras tout ce qu’il y a de factice dans les rassemblements d’un moment, et les fêtes sans préparation.

4) TU DONNERAS LEUR JUSTE PLACE AUX MEDIATIONS, Dieu lui-même les respecte et ne les court-circuite pas : l’étude, la compétence, la confrontation avec d’autres manières de penser... , les sacrements, la communauté chrétienne..., les organismes sociaux, la vie politique...
Tu ne feras jamais prendre la prière, le "berger ou le gourou", la communauté, et même le pape pour le Bon Dieu.

5) TU AIDERAS A DECOUVRIR l’INTELLIGENCE DE LA FOI. Le long et patient travail de ceux qui s’appliquent à comprendre la beauté du message de l’Evangile.
Tu rappelleras que la Bible explique la Bible et qu’elle ne se résume pas à un recueil de formules magiques.
Tu diras que vie et foi se nourrissent et s’interpellent dans l’aventure chrétienne.

5) TU OUVRIRAS A LA LIBERTE, d’autant mieux qu’elle était présente à chaque étape.

AINSI POURRONT NAITRE
DES CHOIX DE VIE
DES PROJETS A BATIR
DES ENGAGEMENTS A PRENDRE.