L’école de la Foi pour jeunes témoins


Thierry Anquetil
responsable de l’Ecole de la Foi de Coutances

A l’origine : premières années

Les deux premières Écoles de la Foi créées en France ont fêté leur vingtième anniversaire l’année dernière. C’était l’époque des grands rassemblements de jeunes : Lourdes, Taizé... et le début de la vague de fond des JMJ. Une expérience spirituelle forte avait mis au cœur de nombreux jeunes le désir d’approfondir leur foi pour mener une vie chrétienne authentique, prêts même à y consacrer une année à temps plein. Quelques communautés nouvelles faisaient bien une proposition mais elles n’étaient pas en prise avec les Églises locales, diocésaines.

En 1988, le Père Michel Santier, aujourd’hui évêque de Luçon, posa la question : « Que peut-on faire pour que le dynamisme des grands rassemblements de jeunes rejaillisse et porte du fruit dans nos Églises locales de l’Ouest ? » Les évêques de la région apostolique de l’Ouest lui demandèrent de présenter un projet, auquel ils donnèrent leur aval. C’est ainsi que l’École de la Foi pour jeunes témoins des douze diocèses de l’Ouest naquit à Coutances en septembre 1989, accueillant vingt jeunes gens, garçons et filles de dix-huit à trente ans.

Par la suite, d’autres initiatives ont vu le jour en France. Ainsi en 1998, on recensait vingt propositions différentes d’année sabbatique qui rassemblaient plus de deux cent cinquante jeunes. Les propositions étaient variées et diverses et bon nombre d’entre elles restaient à l’initiative de communautés nouvelles. Depuis, s’il y a eu quelques initiatives nouvelles, le mouvement s’est fortement ralenti. Par exemple, l’École de l’Évangile de Lourdes, créée dans un esprit proche de l’École de la Foi de Coutances, n’a pas pu ouvrir depuis deux ans faute de candidats. L’école Jeunesse-Lumière s’est maintenant beaucoup internationalisée. Mais si, il y a quinze ans, elle accueillait une quarantaine de français, aujourd’hui elle n’en reçoit que cinq ou six. Quant à l’École de la Foi de Coutances, elle n’accueille plus, depuis cinq ans, que huit à dix jeunes par année, dont une proportion grandissante venant d’autres diocèses que l’Ouest.

Le contexte actuel

C’est clair : le monde a changé. Les jeunes ne vivent plus aujourd’hui dans le même contexte qu’il y a vingt ans. Sans parler de la déchristianisation qui continue (cf. la diminution de la pratique religieuse, de la fréquentation des catéchismes, etc.), ils vivent dans un monde où il est très difficile de s’orienter : que choisir parmi les mille et une propositions qui s’offrent à eux ? Qui croire, quelle idéologie, quelle institution, quelle secte, quelle église... ? L’incertitude de l’avenir et l’angoisse diffuse qu’elle génère invitent à croquer l’instant présent, à s’étourdir pour oublier.

Certes, la générosité de cœur ne leur manque pas. Les jeunes aujourd’hui répondent volontiers aux appels d’aide ou de solidarité, portés par les vagues émotionnelles suscitées par les catastrophes et la misère. On applaudira à leur engagement dans la coopération pour le développement, la coopération missionnaire, l’aide humanitaire... mais qui ose encore les encourager à poser le sac pendant un an pour prendre en main leur vie en lui donnant son poids d’humanité, pour se structurer, pour apprendre à connaître et aimer le Christ, pour s’enraciner dans la foi en la vivant dans l’Église ?

Pour le Père Guy Lescanne, sociologue, supérieur de séminaire, cette génération a particulièrement besoin de lieux assez sûrs pour être libérants. Il y a trop de sables mouvants dans notre société pour permettre à des jeunes de libérer leur créativité, de grandir en prenant racine. La consigne, facile : « Tu fais comme tu sens » ne suscite pas une liberté. C’est à l’intérieur d’un espace où sont posées des limites, avec des « règles du jeu », des consignes claires que, sécurisé, on peut oser la confiance en soi en faisant confiance à autrui. Il suffit de voir des joueurs évoluer sur un terrain de sport : c’est grâce au règlement, aux lignes de touche et à l’arbitre, indispensable, que les joueurs peuvent en toute sécurité faire valoir le meilleur d’eux-mêmes.

La proposition de l’École de la Foi est-elle toujours pertinente ? Nous pensons pouvoir répondre oui.

Une proposition pour aujourd’hui

Il nous semble que, si le contexte a évolué, l’intuition du début n’a pas vieilli. Au fil des ans, selon les circonstances et les jeunes qui nous arrivent (chaque nouvelle année nous oblige à nous remettre en cause) nous avons adapté et remis à jour les horaires, le contenu des cours, le rythme des jours et des semaines, nos relations avec les diocèses et l’extérieur, mais l’orientation de fond demeure. L’institution perdure, vivante, par-delà son fondateur. Elle est pour nous une aventure ecclésiale renouvelée chaque année au souffle de l’Esprit par la volonté de nos évêques, soucieux de l’éclosion et de la maturation de toutes sortes de vocations dans leurs diocèses.

La vie à l’École... ou « les quatre piliers »

Chaque année s’ouvre par la messe de rentrée, présidée par notre évêque. Les jeunes de la nouvelle promotion prononcent publiquement la prière d’engagement suivante : « Seigneur, durant cette année je désire persévérer à l’enseignement des Apôtres, à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières et témoigner de l’Évangile. »

On aura reconnu les quelques lignes des actes des Apôtres (Ac 2,42 ; 4,32) qui relatent comment vivaient les premiers témoins de la foi au Christ. Le projet de l’École repose sur les quatre mêmes piliers.

L’enseignement

Dans une école, on enseigne. Notre école ne déroge pas : il y a quinze heures de cours par semaine. Les cours veulent être une catéchèse baptismale, éclairant les données essentielles de la foi : initiation biblique, sacrements, histoire de l’Église, anthropologie biblique, combat spirituel, initiation à la réflexion philosophique... avec aussi un regard sur les sciences dans leur confrontation à la foi. Les enseignants sont très variés : prêtres, religieux, religieuses, laïcs hommes et femmes, d’horizons divers : nous tenons à ouvrir les jeunes et à les confronter à la diversité.

Outre les heures de cours, l’horaire hebdomadaire comporte des « temps personnels » consacrés pour une large part à l’étude. Nous leur demandons aussi des travaux personnels. Chacun doit faire au premier trimestre un résumé de livre, et par la suite un dossier sur un thème choisi avec lui, qu’il devra partager devant tous.

La prière

Les jeunes qui arrivent à l’École ont tous, peu ou prou, une expérience de prière ; mais les expériences sont aussi variées que les personnes. La prière liturgique rythme nos journées, encadrées par les laudes et les compiles ; au milieu du jour une courte prière, et au centre de la journée, l’eucharistie. Cet élargissement de la prière à la dimension de l’Église est une découverte pour la plupart.

En même temps, nous nous efforçons de les introduire plus avant dans la prière personnelle par la pratique de l’oraison. Pour les aider, il y a quelques cours d’initiation à l’oraison en début d’année, l’enseignement sur les grands maîtres spirituels et sur les psaumes ainsi que des « travaux pratiques » :

- au début de l’année, une mini-retraite communautaire de « mise en route » ;

- au début du mois de janvier, trois jours et demi d’exercices spirituels, avec accompagnement personnel par un membre d’une équipe ignatienne.

Et tout au long de l’année, chaque jeune rencontre régulièrement un accompagnateur(-trice) spirituel(-le) pour l’aider à relire au quotidien son vécu spirituel et humain et apprendre à unifier sa vie à la lumière de l’Évangile. Jour après jour, les jeunes sont invités à entrer dans une expérience de fidélité et de persévérance où il s’agit de passer d’une subjectivité à une intériorité.

La vie communautaire

C’est certainement une des expériences les plus fortes vécue par les jeunes. En arrivant à l’École, ils ne soupçonnent pas la découverte qu’ils vont faire sur eux-mêmes, le chemin qu’ils vont parcourir dans la rencontre de l’autre, la joie de vivre la fraternité dans la simplicité... et que la vie fraternelle est constitutive de la vie chrétienne.

On n’est plus là dans le domaine des concepts ni dans la bulle de sa subjectivité. La vie communautaire se vit concrètement au quotidien dans les services (ménage, lessive, vaisselle...). On prépare aussi des projets communs : missions à l’extérieur et récollection annuelle donnée à l’École, liturgie, pèlerinage et aussi loisirs en commun. Chaque semaine, lors de la réunion communautaire, on peut se confronter, relire ensemble le vécu commun, critiquer et proposer dans un dialogue fraternel, s’accepter différents et se demander pardon.

Notons que, la communauté étant mixte, la vie communautaire permet un chemin de maturation et de maîtrise affective. Au début de l’année, il est demandé à chacun de ne pas déclarer à l’autre un sentiment d’attirance particulier : la vie fraternelle exclut la vie de couple. Cela fait partie du contrat. C’est particulièrement important pour ceux et celles qui se posent la question d’une consécration pour la vie.

Oser être soi-même dans le respect de l’autre, accueillir ses propres limites et celles des autres, c’est à la fois se rendre apte à servir, et vérifier l’authenticité de sa vie spirituelle.

La mission

« École de la Foi pour jeunes témoins » : j’aime dire aux jeunes que les trois derniers mots justifient les trois premiers. En effet, suivre le Christ, ce n’est pas pour se mettre à son compte, c’est toujours pour répondre à un appel en vue de servir. Mission et vocation sont inséparables. Et puis, « la foi s’affermit en se donnant », rappelait Jean-Paul II.

La mission se vit à l’École d’abord au long cours. Chacun participe chaque semaine à l’animation d’un groupe, le plus souvent une équipe de jeunes : catéchèse en 4ème, une équipe MEJ ou d’ACE ; d’autres visitent des personnes âgées dans une maison de retraite ou bien accueillent les familles qui viennent visiter les prisonniers de la maison d’arrêt. Cette insertion permet aux jeunes de s’inscrire dans la durée et la fidélité et elle sollicite leur créativité en vue de la mission qui leur est confiée.

Au cours de l’année, les jeunes participent aussi, à l’occasion, à l’animation de temps forts pour des enfants, des adolescents ou des lycéens et étudiants. Chaque trimestre, à la demande de lycées, de paroisses, ou d’aumôneries, l’École se rend dans un diocèse pour une semaine d’animation pastorale. Les jeunes se mettent au service du lieu qui les accueille. Le plus souvent ils vont à la rencontre de jeunes dans des classes de lycée. Ils partagent la foi qui les anime et témoignent de ce qu’ils vivent à l’École de la Foi. C’est pour eux l’occasion de relire leur histoire et de prendre conscience des passages de Dieu dans leur vie. Leur histoire en devient une histoire sainte. Dans les échanges qu’ils ont avec les autres jeunes, ils affrontent aussi la difficulté d’accueillir les objections et de dire sa foi et ses propres raisons de croire.

La mission est pour les jeunes l’occasion d’apprendre qu’il faut d’abord écouter pour être écouté, comprendre l’autre pour lui annoncer l’Évangile. Aussi prennent-ils contact, autant que possible, avec les réalités sociales et économiques du lieu, sans oublier les élus. Et ils auront aussi, au passage, découvert d’autres visages d’Église.

Au retour de mission, nous retrouvons des jeunes à la fois confortés : « Je ne me serais pas cru capable de ça » et remotivés pour reprendre la tâche quotidienne de leur formation personnelle et en groupe.

Quatre piliers qui ne font qu’un

S’il convenait d’abord de parler de ces piliers de façon séparée, il faut maintenant affirmer que chacun des piliers appuie les trois autres et s’appuie sur eux. La formation donnée par l’École est globale ; tout se tient. L’homme se met debout en même temps que le chrétien, l’histoire personnelle est histoire sainte, la lumière de la foi donne une nouvelle couleur au monde, vivre en communion dans l’Église contribue à la construction de la communauté humaine, une expérience spirituelle authentique ouvre l’accueil du monde entier. Nos jeunes sortent plus unifiés qu’ils ne sont entrés. Cela se voit même souvent sur leur visage à la sortie. Alors...

Objectif atteint ?

Nous rappelions en commençant la question posée à l’origine : « Que peut-on faire pour que le dynamisme des grands rassemblements de jeunes rejaillisse et porte du fruit dans nos Églises locales de l’Ouest ? » Ce que nous avons entrepris a-t-il répondu à notre espérance ? Ce n’est qu’à moitié répondre que de dire que, depuis la fondation de l’École, trente jeunes (garçons et filles) ont fait un engagement définitif dans la vie consacrée, que treize sont prêtres, dont onze prêtres diocésains, que sur les cinquante-sept jeunes qui sont passés par l’école les cinq dernières années, dix sont en cheminement vers une vie consacrée, que 78 % d’entre eux témoignaient lors d’une enquête d’un engagement au sein de leur Église diocésaine

Les chiffres ne disent pas tout. Nous touchons peut-être mieux la réalité du doigt par les nombreux témoignages des anciens de l’École et par quelques constats simples.

Une très grande majorité nous a dit chaque année avoir découvert à l’École ce qu’est l’Église, et plus particulièrement qu’ils avaient découvert leur propre Église diocésaine. L’École, en effet, est implantée dans une petite ville épiscopale où la vie d’un diocèse est palpable, en particulier à travers les contacts fréquents de personnes engagées dans la vie de l’Église passant à l’École. Les insertions pastorales hebdomadaires mettent les jeunes en prise directe avec la pastorale d’une paroisse. Ils vivent au contact quotidien de la communauté « Réjouis-toi », très fortement orientée vers le service du diocèse. Leur participation à des temps forts diocésains fait un peu pour eux le pont entre une pastorale diocésaine des jeunes et les grands rassemblements nationaux ou mondiaux auxquels ils ont pu participer.

Au regard de ce que l’Église vit aujourd’hui, nous pensons être en phase avec une pastorale des vocations à la vie chrétienne, pastorale globale et appel aux vocations spécifiques, masculines et féminines. Nous proposons, c’est vrai, un moyen lourd : un an à temps plein, ce n’est pas rien ! Comme nous voudrions que cet outil serve à plein au service des jeunes, de l’Église et du monde !

Si nous avions besoin d’une confirmation du bien-fondé de cette proposition auprès des jeunes, nous pourrions la trouver sous la plume de Jean-Paul II s’adressant aux évêques des provinces de Bordeaux et de Poitiers en visite ad limina en février 2004 : « La pastorale des jeunes requiert de la part des accompagnateurs, persévérance, attention et invention... pour accompagner les jeunes, leur transmettre l’enseignement chrétien, partager avec eux des temps fraternels et de loisirs, afin qu’ils deviennent missionnaires. Je souhaite que les diocèses se mobilisent toujours davantage pour cela, même si vous êtes dans des périodes difficiles. Que les adultes fournissent aux jeunes les moyens concrets de se retrouver pour vivre et pour approfondir leur foi, les formant à l’étude, à la méditation de la Parole de Dieu et à la prière personnelle, et les appelant à se conformer toujours davantage au Christ. Il convient aussi de les aider à s’interroger sur leur existence et sur leur projet de vie, afin qu’ils se rendent disponibles aux appels du Seigneur à une vocation spécifique dans l’Église... »

Avançons au large !

École de la Foi
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