Echos du groupe réactif après l’intervention de N.Copin


ECHOS DU GROUPE REACTIF
après la conférence de M, Noël COPIN
Les propos de Noël COPIN campant la situation de notre société aujourd’hui et ses attentes possibles face à l’Eglise, appelaient un débat. Ce fut alors a un petit groupe de personnes diversement situées de réagir à chaud sur cette première intervention.
Le Père Jean BOUGAREL animait ce débat.

- P. BOUGAREL : Après vous être rapidement présenté, pourriez-vous exprimer en un qualificatif votre sentiment sur l’exposé de Noël COPIN ?

Robert BOUCHER, diocèse de Quimper, 46 ans, marié, deux enfants, ouvrier ajusteur de formation, aujourd’hui employé de bureau, militant syndical et membre de l’A.C.O. :

- adjectif : pessimiste

Pascal GOLLNISCH, prêtre du diocèse de PARIS, membre de l’équipe d’animation à la Maison St Augustin, aumônier dans l’Enseignement Public :

- adjectif : inaugural, sans compromission

Cécile LIONNET, religieuse de la Congrégation de NOTRE-DAME DE CHARITE, diocèse de VERSAILLES... et quelques compromissions avec le S.N.V. ! en travail social à mi-temps : accueil d’urgence de femmes avec leurs enfants et d’adolescents en crise :

- adjectif : frustrée

Jean-Huges SORET, 35 ans, prêtre en milieu rural, diocèse d’ANGERS, en mission d’études de philosophie à Paris :

- adjectif : sympathie pour l’homme et le monde

Nadine REDONNET, laïque, 52 ans, responsable d’une aumônerie d’étudiants à TOULOUSE. Travaille dans les médias au Centre Diocésain d’Information et dans une Radio locale :

- adjectif : pas assez appelant - frustrée

- Vous avez remarqué : d’un côté sympathique et inaugural, de l’autre pessimistes et frustrés.
Alors on ne peut pas laisser plus longtemps les frustrés... Ma Sœur, expliquez-vous !

Cécile LIONNET : J’ai cru comprendre en écoutant Noël COPIN que quand il est agacé, il commence à se mettre en route, et j’ai reçu la frustration comme une invitation à me mettre en route.

Frustration car effectivement il a eu l’art de nous mettre tout dans tout. Il y a un risque et une chance, il y a des choses possibles mais aussi pas possibles, comme s’il fallait que tout le monde trouve sa place. Or, il m’a bien semblé que c’était un peu le projet de Noël COPIN de nous mettre bien les pieds dans ce monde où tout le monde doit trouver sa place. J’avais des attentes donc un besoin de réponses alors qu’en fait Noël COPIN m’a renvoyée au travail de construire quelques réponses là où je suis avec tous les autres

Nadine REDONNET : J’ai été sensible à certaines interrogations, à l’analyse en gros de tous les phénomènes de société, mais j’aurais aimé creuser davantage ce que l’Eglise, ce que les chrétiens ont à faire là-dedans.

Et je suis assez d’accord pour dire que je suis renvoyée à moi-même et à ceux avec qui je travaille, mais j’attends aussi d’un congrès comme celui-ci de pouvoir avoir des éclaircissements avec d’autres.

Noël COPIN : Je vais essayer de commencer à répondre aux deux personnes qui ont été frustrées en leur disant que moi je suis frustré de leur frustration, mais que je ne suis pas frustré de l’explication qu’elles donnent à leur frustration. Car après tous si mes propos les ont incitées à retourner vers leur propre travail et à accomplir ce travail, et si mes propos les ont incitées à attendre d’autres choses de ce congrès que mes simples propos, je crois que j’ai rempli, je dirais, mon contrat. Je ne voudrais pas donner l’impression de me défendre et de plaider ma cause mais il y a un adjectif prononcé tout à l’heure, c’était pas assez "appelant" Si finalement je vous ai incités à faire ce que vous faites et à continuer à le faire et, pourquoi pas, à le faire davantage, je pense que ça aura été quand même un peu appelant.

Robert BOUCHER : Je pense que l’analyse sociologique sur l’individualisme, la bio-éthique, le choc des cultures, tout cela est vrai mais je suis un peu frustré parce que je crois qu’il n’y a pas que nous autres, chrétiens, qui ayons des convictions. Je crois que dans le monde, il y a des richesses énormes vécues et j’ai bien apprécié, M. COPIN, votre final en forme de convictions personnelles, que je partage. Mais je voudrais souligner que ma conviction profonde, c’est que Dieu nous précède dans le monde, qu’il nous appelle à l’œuvre de libération, que cette oeuvre-là est en marche, que j’y participe moi, dans le monde ouvrier, en étant solidaire de ce peuple dans son action pour la justice, pour la dignité, et que dans ce monde-là il y a des choses, des gestes qui sont vraiment immenses. Je voudrais citer seulement ce geste d’une famille ouvrière :
le père, 43 ans, au chômage depuis août dernier, sa femme employée de ménage à l’Equipement, quatre enfants, et qui aujourd’hui, malgré un manque de ressources évident, trouve les moyens de la solidarité avec une famille frappée durement par la maladie, privée d’emploi et qui n’a plus les moyens minimum de l’existence.

Je crois qu’on ne regarde pas cela suffisamment dans le monde car nous ne savons pas accueillir finalement ce Dieu qui nous précède et qui est à l’œuvre ici et maintenant.

Noël COPIN : Je suis, bien sûr, tout à fait d’accord avec ce qui vient d’être dit. Sur mon pessimisme, quand vous avez lâché ce mot tout-à-1’heure, j’était un peu surpris, cela peut correspondre à mon exposé, mais je dois dire, sur un ton très personnel, que ça ne correspond pas du tout à mon tempérament. Alors je me suis dit que j’avais dû un peu trop forcer mon talent pour faire sérieux ! Mais c’est vrai aussi que quand on essaie de décrire, même sommairement mais rapidement, des phénomènes de société, et qu’on les décrit au début d’un congrès qui a pour but d’inciter à la réflexion et à l’action, je ne dis pas qu’il faut forcer le trait, mais il faut essayer de voir que ce qui est noir est noir, ce qui est gris est gris, et aussi que ce qui est rosé est rosé. Peut-être n’ai-je pas assez insisté sur le rosé mais dans les quelques mots que j’ai pu rassembler à la fin, quand je dis que des chrétiens doivent être au premier rang dans le combat chaque fois que l’homme est en cause dans sa dignité, dans sa liberté, etc., je ne dis pas que nous soyons les seuls, bien loin de là.

Et croyez bien que si je l’ai dit, peut-être en quelques secondes, ce qui ferait quelques lignes d’écriture, quand je dis qu’à partir de là nous devons avoir le sens du dialogue et aussi, au-delà du dialogue, de la coopération, de la collaboration, pour moi c’est une conviction qui est sans commune mesure avec les secondes que j’ai consacrées à cette déclaration.

Jean-Hugues SORET : J’avais parlé de sympathie et je me référais à votre deuxième conviction : essayer de découvrir cette vérité des hommes que nous devons essayer de mieux connaître.

Je voudrais vous demander comment vous voyez l’effort de l’Eglise au niveau du monde, justement, pour essayer de mieux connaître cette vérité des hommes et j’en prendrai un symptôme, si on veut : Vous avez dit des mots comme "inculturation", ou parlé de la réception de textes comme ceux sur la bioéthique, qui ne passaient pas. Est-ce que vous pensez que c’est simplement une question de forme ou que ça renvoie à une question de fond, et qu’il n’y a pas là un choc des cultures qui demanderait un approfondissement du dialogue, avant d’affirmer des convictions, peut-être ?

Noël COPIN : Alors là, je suis très embarrassé, car comment vous répondre sans que ma réponse tombe sous le coup de l’adjectif "pessimiste" ! Mais je vais essayer de répondre de façon optimiste pour tenter de replacer tout cela dans le temps.

J’ai la chance, comme c’était dit gentiment au début de cette séance en me présentant, d’avoir derrière moi plus de trente ans de journalisme et j’ai la chance aussi que n’ont pas un certain nombre, j’allais dire d’éminentes personnalités qui sont devant moi, je ne dis pas d’être un Père conciliaire mais d’avoir vécu le Concile. Pas la totalité, mais trois des sessions. Il y en a parmi vous gui ont vécu aussi le Concile, et je vois quand même le chemin considérable qui a été parcouru - c’est vrai que j’étais un peu pessimiste, un peu critique sans méchanceté - sur le plan de la communication. Je serais tenté de dire que l’Eglise peut encore mieux faire dans son langage mais qu’elle a quand même considérablement évolué et je crois que si on s’amusait à un exercice, alors purement intellectuel, de comparaison entre les textes d’aujourd’hui et les textes d’avant le Concile, ce serait quand même tout à l’avantage des textes d’aujourd’hui. Il y a encore des mots, des termes, mais le journaliste que je suis a conscience du fait que ce n’est pas seulement l’Eglise qui a du mal à s’exprimer ; l’Eglise qui a son propre vocabulaire et, employons l’expression "langue de bois", même si cette expression appartient aussi à la langue de bois ! mais c’est vrai que toutes les institutions ont leur langue de bois, l’Eglise aussi mais, honnêtement, pas beaucoup plus que les autres.

J’essaie de trouver des exemples mais à mon sens, et c’est pour ça que j’ai parlé du Concile, ça a été non seulement un changement de langage mais je pense que ça a été aussi une évolution profonde sur le fond. Nous vivons fort heureusement dans la période post-conciliaire et il y a une évolution qui se poursuit.

Cela dit, il y a le langage, moi je m’étais beaucoup amusé pendant le concile lorsqu’on débattait sur la liturgie, c’est un peu à cela que je pensais tout-à-1’heure, à propos d’inculturation, lorsqu’on parlait de langue vernaculaire. Je ne sais pas qui a inventé ce terme mais baptiser "vernaculaire" la langue qui par définition doit être comprise de tout le monde, ça me paraissait vraiment un goût du paradoxe.

Quelques souvenirs du Concile : Un jour j’avais assisté à une conférence extrêmement intéressante d’un éminent théologien qui était déjà un peu en difficulté à ce moment-là avec Rome, et qui je crois l’est toujours mais j’ai moins bien suivi ses évolutions depuis quelque temps, et qui parlant de l’eucharistie disait : "Il faut employer le langage de notre temps, n’employons plus le langage de St Thomas d’Aquin, ne parlons plus de transsubstantiation. Pour être compris parlons de trans-signification et de trans-finalisation" !

Je citerai aussi, ça me revient en mémoire un peu par association d’idées, un évêque que j’avais interviewé sur le texte du Concile qui était à ce moment-là en préparation sur les prêtres, et il me dit : "En l’état actuel on pourrait reprocher à ce texte de ne pas être assez christocentrique" et je lui dit : "Monseigneur, sans me vanter j’arrive à comprendre ce que ça veut dire mais dans un journal ce ne sont pas des mots qu’on emploie tous les jours, pourriez-vous trouver une autre expression ?" Alors cet évêque a réfléchi pendant quelques secondes et il m’a dit : "Oui ; c’est vrai, vous avez raison. Hé bien dites que ce texte est encore un peu trop anthropomorphique" !
Je cite celles-là parce que je suis dans un milieu ecclésiastique, mais on pourrait en dire autant dans le domaine du syndicalisme, dans le domaine de la politique, dans des quantités de domaines.

Alors je reviens quand même à votre question de fond. Un évêque faisait remarquer il n’y a pas si longtemps dans une interview, qu’effectivement dans le domaine de la sexualité et de l’amour on peut se demander si, de temps en temps, derrière la difficulté de communication il n’y a pas davantage que le plan du langage. Et puisqu’après tout vous me provoquez et que, tout à l’heure, j’ai fait quelques réflexions, je me dis que ce n’est pas simplement une question de langage, même si c’est une commodité d’expression, que de poser les problèmes en termes de "licite" et "d’illicite". J’en reviendrais presque à ces expressions sur lesquelles j’ironisais tout à l’heure, je ne dis pas qu’il faut parler de trans-signalisation ou de trans-finalisation, mais pour employer aussi un terme en "tion", et je reviens à ce que je disais, parlons peut-être surtout de "signification" et de "sens".

Pascal GOLLNISCH : Pour la question particulière des séminaristes qui commencent leur formation, il serait intéressant de savoir comment ils portent ces questions que vous avez évoquées, mais ma question voudrait être un peu différente.

En évoquant le choc des cultures, vous avez insisté sur le problème d’une société pleuroticultrice, et je suis bien convaincu que c’est là une question tout à fait fondamentale, mais je crois qu’il y a également dans nos cultures des déplacements de valeurs. Vous avez insisté sur la disparition des valeurs mais il y a peut-être aussi simplement un déplacement des valeurs et une apparition de valeurs nouvelles. En particulier dans les comportements peut-être nouveaux par rapport au travail, même dans les lycées par rapport au travail scolaire par l’extraordinaire pression qu’on fait peser sur les jeunes à ce sujet. Des comportements nouveaux vis-à-vis de la famille qui ne sont peut-être pas uniquement des questions de la place de la femme, sur laquelle mes voisines ont trouvé que vous étiez trop bref, ou trop long, et puis des comportements nouveaux par rapport à la musique, par exemple, ou par rapport au sacré qui nous posent des difficultés. Quelles sont ces valeurs nouvelles qui vous semblent apparaître ?

Noël COPIN : Comment vous répondre cette fois-ci sans courir le risque de me faire dire que je suis à la fois et trop court et trop long ! Bien sûr, je suis d’accord avec vous mais on ne peut pas tout dire dans un exposé comme celui-là, d’autant qu’une de nos questions principales c’est bien de rechercher quels sont ce que nous appeliez le déplacement des valeurs ou les nouvelles valeurs, ou aussi, mais c’est peut-être ce que vous mettez derrière "déplacement des valeurs", une expression différente de valeurs déjà anciennes. Cela est significatif depuis que l’on fait des sondages auprès des jeunes - je crois que le premier sondage qui avait fait du bruit et qui est devenu célèbre avec l’expression "nouvelle vague" lancée par Françoise GIROUD, doit avoir un peu plus de trente ans - : l’une des découvertes émerveillées des génération adultes de l’époque était de voir que les jeunes adolescents et les jeunes adultes croyaient en l’amour. Et c’est amusant de voir que presque chaque année, chaque fois que sort un sondage sur la jeunesse, le monde adulte découvre émerveillé que les jeunes croient en l’amour. C’est vrai qu’ils croient toujours en l’amour, ils croient toujours, ou presque toujours, qu’amour rime avec toujours.

Un dernier sondage, je vais faire de la publicité pour un journal que peut-être peu d’entre vous lisent : LE PARISIEN LIBERE. Au moment où nous faisions nous-mêmes une enquête sur les nouveaux couples, ce journal sortait un sondage sur les jeunes et l’amour qui montrait, et là nouvelle surprise, que les jeunes non seulement croyaient en l’amour mais aussi croyaient en la virginité. Mais la différence essentielle entre eux et la génération qui les avait précédés c’est que, disons globalement, la génération qui les avait précédés croyait en la virginité jusqu’au mariage, tandis qu’eux, ne croyant plus au mariage, croyaient en la virginité jusqu’à l’amour, le véritable amour, le premier amour, etc. Donc là je crois que c’est un cas typique de transfert ou de nouvelle expression d’une même valeur.

Alors je ne vais pas continuer sur ce thème-là, mais je crois qu’effectivement un des plus gros risques actuellement est, parce que l’expression des valeurs n’est plus la même, de croire qu’il n’y a plus de valeurs du tout et notre travail à nous tous, quelles que soient notre place, notre situation (prêtre, laïc, professeur, journaliste, etc.) c’est bien d’essayer de détecter quelles sont les nouvelles valeurs et quelles sont les nouvelles expressions des valeurs.

Ce que j’ai dit sur les femmes, c’est vrai pouvait paraître très pessimiste mais je crois que non. Il y a une évolution et cette évolution il faut essayer de l’analyser et de voir aussi à travers tout cela s’il y a des choses nouvelles qui sont entrain de se créer.

Je terminerai simplement pour rappeler qu’étant fondamentalement optimiste, je crois aussi beaucoup, malgré tous les discours très pessimistes que l’on entend dans ma génération, aux nouvelles valeurs mais j’avoue que je suis incapable aujourd’hui de bien les analyser. Alors que ce ne soit pas une frustration mais au contraire que ce soit appelant, que ce soit un appel à tous à essayer de mieux les comprendre.

Cécile LIONNET : Je dirais un adverbe : davantage, encore ! Je dirais qu’il nous faut approfondir ces réalités car si je regarde bien certains des paragraphes développés par Noël COPIN, je vois des personnes derrière, des personnes que je rencontre. Si on parle de pluralité des cultures, de changement des valeurs et de montée de l’individualisme, je pense que s’il y a des contradictions internes à ces deux tendances, elles sont vécues par des personnes. Je vois des familles détruites, qui périssent les unes derrière les autres parce que dans ce choc des cultures, dans une société précise, on trouve la mort de l’unité familiale, la mort de l’affection entre les membres d’une même famille ou d’autres types de mort et de négation de l’autre. Alors, est-ce qu’en s’affirmant davantage soi-même on détruit le voisin ? D’où beaucoup de questions que je trouve très importantes. Et c’est pour ça que je dirais : encore, allons plus loin ensemble.

P. BOUGAREL : Monsieur COPIN, vous avez eu vos cinq interlocuteurs pendant une demi-heure. Vous, à tel ou tel, quelle question auriez-vous envie de poser ?

Noël COPIN : Je serais déjà presque tenté de retourner la question qui m’était posée tout-à-1’heure sur le vocabulaire. Est-ce qu’il n’y a pas un problème de fond et, si l’on en reste au vocabulaire, qu’est-ce qui pour vous, et pour ceux avec qui vous êtes en contact, est le moins perceptible dans ce langage disons globalement de l’Eglise et peut-être simplement de nous tous ?

Jean-Hugues SORET : Par profession, encore plus actuellement, je rencontre plutôt des intellectuels et il me semble que, par exemple pour le document sur la bio-éthique, c’est la forme démonstrative et descendante de la conception du texte qui est rejetée plutôt qu’un certain nombre d’affirmations... Si on analyse après, morceau par morceau, toutes les choses sont défendables, mais c’est la structuration elle-même du texte qui, dans le milieu que je rencontre et dans lequel je suis amené à discuter de ce document, est perçue d’abord. Une structure descendante et ressentie comme autoritaire de par sa structure dans les milieux plutôt intellectuels.

Nadine REDONNET : J’ai plusieurs questions, mais l’une me paraît a la fois prioritaire par rapport au travail que je fais auprès des jeunes et aussi par rapport au thème du congrès : c’est le rapport des jeunes à la durée.
Vous avez dit, lors de votre exposé, la difficulté d’engagement des jeunes, moi je traduirais ça dans mon travail par : la difficulté de faire des projets à long terme, même parfois d’en faire à court terme. Ma question serait : Comment faire percevoir à ces jeunes l’importance de projets ? Comment établir une permanence dans ce monde qui bouge ?

Noël COPIN : Alors là je pense que vous m’accorderez quand même le droit de pouvoir vous dire que je n’ai pas de réponse. Là aussi c’est vraiment le type de réponse que nous avons à chercher ensemble.
Je crois que l’explication qui vient tout de suite à l’esprit tient à la
situation économique et sociale aussi. C’est vrai que dans un monde où il ne peut pas y avoir de projet professionnel, c’est bien difficile de faire des projets d’une autre nature et que c’est peut-être un des plus gros changements que je connaisse, moi, par rapport à ma génération.
J’ai peut-être eu de la chance. Je ne dirais pas que je m’étais mal orienté, mais je m’étais cru pendant quelques années une vocation de professeur de philosophie et j’ai compris très vite, au cours de mes études, en négatif que je n’étais pas fait pour cela et en positif que j’étais plutôt fait pour le journalisme. Ce qui veut dire que pendant quelque temps j’ai connu, je ne dirais pas une angoisse mais quand même une incertitude sur mon avenir professionnel alors que, en caricaturant bien sûr beaucoup, j’avais l’impression que dans le monde bourgeois auquel j’appartenais, le monde étudiant de cette époque-là, la vie paraissait toute tracée.
Un garçon qui faisait des études supérieures normales savait, s’il devenait ingénieur, qu’il serait ingénieur toute sa vie et vraisemblablement dans le même domaine. Maintenant, même à ce niveau-là, personne n’est sûr de son avenir et même un jeune qui est dans une grande école ne sait pas si quelques années plus tard il aura du travail et, s’il a du travail, si c’est dans le secteur qu’il a voulu.

Ce n’est pas la peine d’épiloguer là-dessus mais je crois que c’est une des raisons. Faut-il pour autant se bercer d’illusions et penser que l’on va sans cesse se remettre en question dans un monde qui, comme diraient les hommes politiques, ne sera plus jamais comme avant, bien sûr dans ce domaine de l’emploi mais aussi dans tous les autres domaines.

Comment rétablir la permanence dans un monde mouvant ? Là j’aurais l’idée de dire en jouant sur les mots que c’est non pas en cherchant des solutions statiques, mais précisément des solutions dynamiques, qui vont dans le sens du mouvement et peut-être là qu’en profondeur on retrouve des mots employés tout-à-1’heure, comme "convictions" et "espérance".

Pascal GOLLNISCH : En nous évoquant les questions d’individualisme, de bio-éthique, de choc des cultures, quel appel ceci peut donner par rapport aux prêtres diocésains ?

Vous nous avez quand même parlé du prêtre diocésain sur la fin de votre intervention, vous nous avez appelés à une sainteté de vie et vous nous avez demandé d’être signes par tout notre être - j’espère que les laïcs le sont aussi - mais qu’est-ce que ça appelle de particulier pour le prêtre diocésain ?

Noël COPIN : Par rapport aux différents phénomènes de société et aux problèmes que j’ai abordés, je dirais une première chose mais qui ne concerne pas tellement les prêtres, qui concerne tout le monde : Essayer de bien les connaître, de bien les cerner, c’est un peu ce qu’on disait tout à l’heure sur les nouvelles valeurs, mais on peut dire cela de tous les autres sujets qui ont été abordés.

Deuxièmement, et là peut-être je crois que ça a été dit, être très proche, le plus proche possible de ceux qui vivent ces problèmes.

Troisièmement, vous allez voir que je vais distribuer des bons points après avoir reçu tout à l’heure des adjectifs !.. je dirais aussi, et ça rejoint un peu ma conclusion quand je disais : par la parole, mais aussi par la lettre même et par le comportement et la vie.

Je ne sais pas comment dire parce que je ne veux pas aller trop loin dans l’expression de mes pensées les plus profondes ! Moi j’aime plutôt mieux des prêtres qui, eux-mêmes, s’interrogent, qui éventuellement doutent, en s’entendant bien sur le mot "doute", que des prêtres qui auraient réponse à tout - je voudrais dire aussi pour être honnête que ça a quand même bien évolué dans l’Eglise depuis des années.

J’hésitais un peu à le dire parce que ça peut être une expression qui pourrait être considérée comme sacrilège après avoir dit que je ne connaissais rien en théologie, vous m’excuserez de plaisanter sur le Sainte Trinité, si on dit que le prêtre doit être témoin de Dieu, je crois que peut-être trop longtemps, et y compris quand moi j’étais gosse, on prenait chaque prêtre pour Dieu le Père ! Que peut-être y a-t-il aussi une tentation, à la fois pour les laïcs et pour les prêtres, de penser qu’ils sont le Saint Esprit et, ce n’est pas un choix théologique, je me dis que l’image du Christ me paraît, je dirais par nature même, la plus humaine. Je ne dis pas que je demande qu’ils soient crucifiés mais après tout solidaires de celui qu’ils ont pour modèle et solidaires aussi des autres hommes, qu’ils partagent leurs souffrances et qu’ils partagent, pourquoi pas leurs doutes, mais alors, pour ne pas être pessimiste bien sûr, qu’ils soient ce que je disais tout à l’heure, des hommes d’amour et d’espérance. A partir de là eh bien, je ne sais pas si la formule est religieuse ou simplement populaire, à Dieu va !

Robert BOUCHER : Vous avez dit tout à l’heure, fort justement, qu’on ne peut pas choisir dans l’Eglise ce qui nous plaît et laisser de côté ce qui nous plaît un peu moins.

Je crois que c’est ce que j’essaie de vivre en monde ouvrier, totalement solidaire de l’Eglise d’aujourd’hui, totalement solidaire aussi de l’Eglise d’hier, de son passé, avec ses richesses et sans doute aussi ses faiblesses. Il est important d’être connu comme solidaire et d’être reçu comme étant donc entièrement de cette Eglise-là.

Je voudrais dire aussi qu’il nous faut être responsables dans l’Eglise, acteurs dans l’Eglise mais il y a aussi une autre fidélité, c’était la première que vous évoquiez tout à l’heure, la fidélité au monde. Là aussi j’entends être sérieux et je crois que c’est important que tous les chrétiens soient des acteurs aussi dans ce monde, responsables dans ce monde, participant chacun avec sa manière et dans une diversité qu’il nous faut accueillir, très large ; acteurs aussi et fidèles, solidaires du monde auquel nous appartenons.

Une question sur la laïcité. Est-ce que vous pourriez nous dire l’importance de ce phénomène ?

Noël COPIN : Je risque un peu de répéter ce que j’ai dit tout-à-1’heure et puis de retomber dans le travers que vous dénonciez, mais à mon sens je crois que ce n’est pas un travers, une vérité humaine est toujours nécessairement, ou presque nécessairement, ambiguë, avec du bon et du mauvais.

Je me souviens encore du témoignage d’un prêtre, qui est loin de pouvoir être considéré comme un réactionnaire, qui rentrant d’autres pays me disait que c’était la France qui était arrivée au point de laïcisation ou de sécularisation le plus fort. C’est un peu de lui que je m’inspirais en disant que, même si on se place sur un plan laïc et culturel, c’est dommageable pour la culture de notre pays de penser par exemple que non seulement des jeunes français, mais également des moins jeunes, ont pu passer une grande partie de leur existence en ignorant la Bible. Je crois que c’est dommageable pour tout le monde et bien sûr aussi tout simplement pour la pensée chrétienne, pour la possibilité aussi que des chrétiens ont de s’adresser aux autres.

Mais comme je suis, et c’est vrai, fondamentalement optimiste et parlant peut-être là pour moi-même comme journaliste qui a à animer un journal qui s’appelle LA CROIX, et qui a participé de temps en temps à des débats publics, je dois dire qu’il y a des gens qui me disent quelquefois : "est-ce que ce n’est pas difficile, est-ce qu’on n’est pas gêné de se situer comme chrétien dans une société très laïcisée ?", etc. Je dis sans forfanterie que je me sens totalement à l’aise dans une société comme la nôtre où précisément les gens peuvent exprimer ce qu’ils ressentent, leurs convictions, sans que aussitôt on leur demande de se taire ou qu’on se moque d’eux.
Seulement c’est à nous à trouver ce langage, et c’est à nous à faire alors que notre langage de convictions ne soit pas apparenté au langage sectaire.

Je vous proposerais bien des critères personnels qui reviennent d’ailleurs un peu à ma conclusion de tout à l’heure. Je pense que si dans notre langage nous montrons - en prenant le schéma de la verticalité et 1’horizontalité - qu’à travers la dimension verticale de nos convictions, celles-ci nous incitent à être vraiment dans le monde dans lequel nous vivons, à être proches des autres, à essayer de les comprendre et d’en être solidaires et que notre religion n’est pas une fuite en dehors de cette réalité et de ces solidarités humaines. C’est un premier critère.

Le deuxième critère qui le prolonge : si nous montrons que nous ne sommes pas sectaires, au sens étymologique du terme, mais que dans l’affirmation de nos convictions, bénéficiant du fait que nous sommes dans un pays de liberté, où nous pouvons affirmer nos convictions, nous respections également les convictions des autres et que nous sommes prêts à discuter avec les autres de leurs propres convictions et des conséquences pratiques de ces convictions dans notre vie commune.

Je pense qu’à partir de ces deux critères-là nous avons quand même quelques chances d’être entendus.