Le ministère des prêtres : une brève exploration théologique


PRESENTATION DE Mgr Emile MARCUS
par le Père Yvon Bodin

- Nous mettre en devoir de réfléchir à l’appel au ministère de prêtres diocésains, nous obligeait à passer par le sens de ce ministère.
Appeler oui, mais appeler à quoi ? Question de l’identité de ce ministère : identité théologique, pastorale et spirituelle du ministère des prêtres.

- Nous avons confié cet éclairage à Mgr MARCUS. Nous lui avons posé deux questions :
. Quelle est la mission des prêtres aujourd’hui :
un propos qui éclaire bien nos questions de tous les jours.
. Et comment, pour vous qui êtes évêque, se traduit le souci de l’appel à ce ministère ?

- Pourquoi Mgr MARCUS ?
. Parce qu’il est un théologien de cette question du ministère.
. Parce qu’une grande partie de son ministère fut consacrée à la formation de séminaristes
. Parce qu’il fut un des rédacteurs du document de Vatican II sur "MINISTERE ET VIE DES PRETRES"
. Parce qu’il est évêque, c’est-à-dire premier appelant.

- Mgr Emile MARCUS est originaire de l’Ile-de-France, prêtre depuis trente ans et incardiné alors au diocèse de PARIS, entré à St Sulpice en 1958. Il fut successivement professeur au séminaire de RODEZ en 1959 ; directeur puis supérieur au séminaire de la Mission-de-France à PONTIGNY de 1962 à 1969 ; supérieur d’ISSY-les-MOULINEAUX de 1969 à 1972 ; supérieur du séminaire des Carmes de 1972 à 1977 ; évêque auxiliaire de PARIS de 1977 à 1982. Il est évêque de NANTES depuis 1982.
Mgr MARCUS est membre du Bureau doctrinal de l’Episcopat français et depuis peu, membre de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi.
Il a publié divers articles et collaboré à plusieurs ouvrages collectifs sur le prêtre, la sacramentalité, l’évangélisation, la formation des prêtres. Son dernier ouvrage personnel s’intitule : "LES PRETRES", dans la collection "Héritages du Concile".

Monseigneur MARCUS,"POURQUOI LES PRETRES" ?’

 

LE MINISTERE DES PRETRES ,
UNE BREVE EXPLORATION THEOLOGIQUE

Mgr Emile MARCUS

QUAND LES CHRETIENS COMPTENT LEURS PRETRES...

Je vais parler du ministère des prêtres sous l’angle de sa nécessité. C’est un bon moyen pour tenter d’en dire l’essentiel.

Le besoin de prêtres, nous le ressentons de manière émotive. Tous ! Je ne peux pas sortir de ma mémoire, en vous parlant, ce prêtre ami de la région parisienne qui, pratiquement seul, est le pasteur de 30 000 habitants, avec trois lieux de culte et un hôpital. Mais précisément parce que les chrétiens, inquiets de la relève, comptent leurs prêtres, il faut aller plus avant dans la compréhension du ministère sacerdotal, globalement considéré, et du ministère des prêtres en particulier (1) . L’émotion ne suffit pas. Sur la nécessité du ministère des prêtres, il importe de vérifier nos convictions.

Pourquoi voulons-nous des prêtres ? Ou, pour poser autrement la même question, vers quelles données de notre foi, vers quels aspects de notre expérience ecclésiale pouvons-nous nous tourner pour justifier notre besoin de prêtres ?

La réponse peut aller dans trois directions. La nécessité du ministère des prêtres peut se prendre du côté du mystère du Christ ou, plus précisément, de l’envoi par le Père du Verbe Incarné puis de l’Esprit Saint comme achèvement de sa Pâque. La nécessité du ministère des prêtres peut se prendre aussi du côté des activités de l’Eglise : réponse à laquelle on est aujourd’hui très attentif à cause du petit nombre des ordinations ; enfin, la nécessité du ministère des prêtres peut se prendre du côté "du monde", notamment à partir de certains aspects difficiles ou dramatiques de l’actualité : réponse qui s’inscrit dans des sensibilités très contrastées, les interprétations des appels venus de la société en général et de chaque groupe humain en particulier étant fort diverses.

Les jeunes qui envisagent de devenir prêtres se retrouvent mieux, au point de départ, dans l’une ou l’autre de ces trois démarches. Il en est qui veulent devenir prêtres essentiellement pour suivre le Christ sans trop s’inquiéter de ce qu’ils auront à faire dans un diocèse ; d’autres pour remplir telle ou telle fonction ecclésiale qui leur a paru importante et qui leur plaît ; d’autres enfin pour répondre à certains appels perçus dans la société. Ces trois démarches, bien sûr, se recoupent et aucune d’elles ne doit rester étrangère aux deux autres. Il est bon cependant d’esquisser chacune d’elles séparément pour mieux déchiffrer notre désir d’avoir des prêtres (2).

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I - LA NECESSITE DES PRETRES PRISE DU COTE DU CHRIST

Y a-t-il dans le mystère du salut quelque chose que compromet l’absence ou le manque de prêtres, qui donc éclaire la nécessité du ministère presbytéral ?
Oui .- la proximité de Dieu quand il vient nous sauver.

1) II ne nous a pas sauvés de loin

Je souligne ici l’aspect le plus surprenant du mystère du Christ : l’Incarnation. Telle est, plus encore que la Résurrection je crois, la pierre d’achoppement de la foi. L’Incarnation fait trébucher des gens simples, autant que de grands théologiens.

Celui qui, par définition - si l’on peut dire - nous dépasse, le "pur esprit, infiniment parfait, éternel, Créateur, et souverain Maître de toutes choses" (question 22 du catéchisme de mon enfance), Celui que les croyants de l’Ancien Testament n’osaient même pas nommer, le Tout-Autre, l’Autre tout court, quand il est venu pour nous sauver, ne s’est pas penché sur nous, mais s’est fait l’un de nous. "Le Verbe était Dieu... et il est venu" (Jn 1).

Pourquoi fallait-il que le grand prêtre de notre salut devînt de façon aussi réaliste "notre Frère", notre semblable en tous points, hormis le péché ? Poser une telle question, c’est aller au-devant d’un mystère : celui du libre dessein de Dieu dont il faut admettre la totale gratuité. L’auteur de l’Epître aux Hébreux indique un chemin pour comprendre que le Sauveur ait pu "sans rougir" nous appeler "frères" : puisque les enfants que Dieu lui a confiés, dit-il, "ont en commun le sang et la chair, lui aussi, pareillement, partagea la même condition..." (He 2, 14).

L’originalité du christianisme parmi les religions réside là. Le christianisme n’est pas seulement la mise en oeuvre de l’élan vers Dieu dont un sage, un prophète ou un prêtre aurait communiqué le secret, mais le développement des conséquences d’un événement qu’il faut bien qualifier d’inouï : la venue du Fils de Dieu en notre histoire, et même en notre chair. Il ne pouvait pas monter de l’esprit de l’homme livré à lui-même que Dieu puisse, à ce point, s’approcher. Mais telle est notre foi : "Dieu né de Dieu... vrai Dieu né du vrai Dieu...descendit du ciel ; par l’Esprit Saint il a pris chair de la Vierge Marie et s’est fait homme".

Cette proximité trouvera au Calvaire sa réalisation la plus forte et la plus scandaleuse. Semblable aux hommes, le Fils de Dieu va les rejoindre jusque dans l’expérience de la mort. La proximité qu’avait réalisée l’Incarnation se fera sacrifice. Ses frères humains, Jésus, comme dit Saint Jean, "les aimera jusqu’à l’extrême" (Jn 13, 1).

C’est ainsi que le Christ nous sauve de la mort et du péché. Nous ayant rejoints jusque là, s’étant fait semblable à ses frères "afin de devenir un grand prêtre miséricordieux", il réduit pour nous la mort à l’impuissance et "il efface les péchés du peuple". L’auteur de l’Epître aux Hébreux complète ainsi son explication : "Puisqu’il a souffert lui-même l’épreuve, il est en mesure de porter secours à ceux qui sont éprouvés" (He 2, 18).

2) L’Eglise, grand sacrement de la présence du Christ

Le Christ donc ne nous sauve pas de loin. L’Eglise, de ce fait, sera l’expression efficace de sa présence. Car la proximité de Dieu est maintenue. Il n’est pas devenu inaccessible après nous avoir visités en son Christ. Jésus nous a été "enlevé pour le ciel" (Ac 1, 11) à l’Ascension, il est monté vers son Père et notre Père, mais cela ne veut pas dire qu’il ait pris ses distances. La préface de la Messe de l’Ascension le dit admirablement : "Il s’élève au plus haut des cieux (mais) il ne s’évade pas de notre condition humaine". D’ailleurs, il a promis et sa présence et son assistance de chaque jour. "Et moi je suis avec vous jusqu’à la fin des temps" (Mt 28, 20).

Ainsi, à la proximité de Jésus en son temps, succède non pas la distance pour la suite des temps, mais sa proche présence, autrement. Du creuset des cinquante jours entre Pâques et la Pentecôte, émerge l’économie sacramentelle de sa présence. Il ne sera plus visiblement présent parmi les siens, mais il sera présent, ET EN TOUTE PROXIMITE par sa Parole et les sacrements, donc par le ministère sacramentel. Saint Léon a dit cela en une formule impérissable, dans son deuxième sermon sur l’Ascension du Seigneur : "Ce qu’on avait pu voir de notre Rédempteur est passé dans les sacrements..."

3) Les prêtres garants de la proximité du Christ

Une communauté sans prêtre, et donc sans sacrements, ne connaît plus vraiment la proximité du Christ. Elle peut s’en faire UNE IDEE bien sûr, elle peut SAVOIR que sa présence remplit l’univers, qu’il est attentif à toute vie humaine. Mais dans une telle communauté, la proximité du Sauveur n’est plus signifiée, actualisée, expérimentée.

La nécessité du ministère presbytéral apparaît ici comme inscrite dans l’économie de notre salut. Elle correspond au fait que Dieu ne nous sauve pas de l’extérieur de notre histoire, ni de l’extérieur de notre humanité. Au fil du temps, les hommes disposent de plus que du souvenir d’un Sauveur, mais de sa présence MEDIATISEE PAR CEUX QU’IL ENVOIE : SES APOTRES.

Voilà pourquoi l’Eglise a été si attentive, depuis ses débuts, à la manière dont les prêtres sont liés au Christ qui les envoie. A travers leur enseignement, c’est le Christ qui enseigne. S’ils baptisent, c’est le Christ qui baptise. S’ils pardonnent, c’est le Christ qui pardonne. S’ils offrent le sacrifice eucharistique, c’est le Christ qui s’offre, rendant contemporain de nos vies, son unique sacrifice. C’est au point que le Christ est pour ainsi dire, compromis à travers l’exercice des fonctions presbytérales, quand, du moins, elles sont accomplies, selon la volonté de l’Eglise, dans les règles de la communion ecclésiale. Le Décret de Vatican II exprime ces choses comme ceci : le sacrement qui fait les prêtres "les configure au Christ prêtre pour les rendre capables d’agir au nom du Christ tête en personne" (P.O. n°2) (3).

Peut-on aller plus loin encore et s’exprimer sur l’identité spirituelle des prêtres ? La Tradition sacerdotale le fait, en disant qu’ils sont des envoyés du Christ. Des "envoyés", c’est-à-dire des apôtres. "Ils participent pour leur part à la fonction des apôtres" (P.O. n°2) dit à son tour Vatican II. L’apôtre rend présent celui qui l’envoie. Déjà, dans l’Ancien Testament, l’envoyé est compris comme le fondé de pouvoir dans lequel celui qui envoie doit être considéré comme présent. On lit dans le Talmud que "le schaliah (l’envoyé) d’un homme est un autre lui-même". L’apôtre chrétien se comprend à partir de là, mais dans la nouveauté du Christ qui a dit :
"Celui gui vous reçoit me reçoit : et celui qui me reçoit reçoit celui qui m’a envoyé" (Mt. 10, 40).

On objectera que tout cela est insensé, car les prêtres sont des hommes comme les autres... et aussi des croyants comme les autres. Et il est bien exact que l’ordination ne les soustrait pas, quant à leur fidélité, à la condition commune à tous les disciples de Jésus. Et pourtant ils marquent la place du Christ. Ils rendent le Christ NON SEULEMENT PRESENT, MAIS PROCHE. L’étonnement est finalement le même que celui ressenti devant le mystère de l’Incarnation. Mais l’émerveillement aussi...

II - LA NECESSITE DES PRETRES PRISE DU COTE DE l’EGLISE

La vie quotidienne des communautés chrétiennes exige des prêtres. Le besoin est criant. Et pourtant tout le monde n’y est pas également sensible. Il arrive qu’ici ou là des chrétiens prennent leur parti du manque de prêtres. Il y a moins de prêtres ? disent-ils, ce n’est pas grave ! On va former des laïcs qui prendront davantage de responsabilités et tout ira bien. Il restera toujours assez de prêtres pour dire la Messe...
Cette manière de voir les choses servira de point de départ à notre réflexion.

1) Seul le prêtre remplace le prêtre

Ceux qui se consolent de cette façon considèrent un peu trop le prêtre comme "un permanent" que l’on pourrait remplacer par plusieurs "temps partiels". Ils oublient que Jésus n’a pas défini un certain nombre de tâches destinées à prolonger sa mission, en laissant à son entourage le soin de s’en répartir l’exécution. C’est autre chose qu’il a fait. Il a choisi, désigné, appelé pour le suivre, des hommes pour "être-avec-lui" dans une relation modifiant le cours de leur existence, les constituant au plus intime d’eux-mêmes SES ENVOYES. Ces apôtres, ensuite, ne se sont pas contentés de dire aux chrétiens de faire face aux tâches qu’ils avaient eux-mêmes accomplies, de manière indistincte et comme ils le pourraient. Ils se sont donné des successeurs, comme aussi des collaborateurs : les prêtres et les diacres.

D’ailleurs, l’expérience présente de l’Eglise, très marquée par le développement des activités des laïcs, démontre plus encore la nécessité des prêtres. Comment cela ? Parce que plus les laïcs prennent leur place dans les communautés chrétiennes, plus la présence du prêtre est réclamée, et - c’est bien important - mieux on se déclare à même de comprendre son rôle.

Il y a en France, dit-on, 200 000 catéchistes. Les prêtres étant peu nombreux, il aurait pu arriver que là où les laïcs et les religieuses remplissent bien leur mission dans ce domaine, on finisse par considérer que les prêtres n’avaient plus rien à y faire. Or, c’est l’inverse qui se produit. Non pas qu’on leur demande de reprendre la place qu’ils tenaient autrefois, dans la catéchèse, mais d’y exercer LEURS FONCTIONS DE PRETRES.

Alors, dira-t-on, quelles sont ces fonctions ? C’est la question à laquelle il faut répondre à présent.

2) Quelles sont ces tâches réputées indispensables ?

Elles gravitent autour de trois mots que Vatican II a repris de la longue tradition sacerdotale : ANNONCER LA PAROLE DE DIEU (c’est la fonction d’évangéliser et d’enseigner) ; CELEBRER 1’EUCHARISTIE ET LES AUTRES SACREMENTS (pour faire des disciples de Jésus "une sainte communauté sacerdotale" selon l’expression de l’apôtre Pierre dans sa 1ère épître) ; CONDUIRE, SOUS 1’AUTORITE de 1’EVEQUE, LA FAMILLE DE DIEU. Ainsi, nous dit le Concile, "par l’ordination et la mission reçue des évêques, les prêtres sont-ils mis au service du Christ, Docteur, Prêtre et Roi ; ils participent à son ministère qui, de jour en jour, construit ici-bas l’Eglise pour qu’elle soit le Peuple de Dieu, Corps du Christ, Temple du Saint Esprit" (P.O. n° 1).

Le Concile par cette énumération n’a pas innové. Par contre, il a donné à chacune des trois fonctions une tonalité nouvelle tenant compte des conditions dans lesquelles il faut les exercer. Il a ouvert ainsi des perspectives pour les prêtres de demain.

  • ENSEIGNER : OUI. Mais avec le souci de parler aux hommes un langage qu’ils puissent comprendre :
    "La prédication sacerdotale... ne doit pas se contenter d’exposer la Parole de Dieu de façon générale et abstraite, mais elle doit appliquer la vérité permanente de l’Evangile aux circonstances de la vie".

    Quelque forme que prenne cette "prédication sacerdotale", la mission commande :
    "Les prêtres se doivent à tous les hommes : ils ont à partager la vérité de l’Evangile" (P.O. n°4). Leur ministère "participe aux dimensions universelles de la mission confiée par le Christ aux apôtres" (P.O. n°10).
  • CELEBRER : OUI. Mais, le faire comme un service de l’initiative de Dieu, particulièrement en ce temps où l’homme est fasciné par la maîtrise qu’il acquiert sur son environnement et sur lui-même. Ce que font les prêtres, dans les sacrements, c’est le Christ qui le fait "exerçant pour nous, par son Esprit sa (propre) fonction sacerdotale" (P.O. n°5).
  • CONDUIRE LA COMMUNAUTE : OUI. Mais comme on conduit "une oeuvre de construction" (P.O. n°6), c’est-à-dire avec le souci de faire valoir et de mettre en oeuvre les aptitudes et les dons de chacun. Car s’il y a "diversité de dons... de ministères... de modes d’action", c’est par le même Esprit et pour une oeuvre unique.
    L’apôtre Paul signale que c’est "par ses articulations et ses ligaments que le corps tout entier tire de la tête la croissance que Dieu lui donne". (Col. 2, 19).

S’il est permis d’exploiter un peu plus cette comparaison, disons que souvent nous rêvons une Eglise "toute en muscles" (les muscles des services bien organisés, des mouvements bien vigoureux, des communautés paroissiales bien fournies). Le prêtre, lui, est plutôt préposé aux articulations et aux ligaments ; il a en charge la cohérence de l’Eglise. En cela aussi son ministère est proche de celui de l’évêque.

Si l’on veut rester dans l’esprit du concile, il faut ajouter que des prêtres nombreux sont nécessaires à la vie quotidienne des communautés chrétiennes non seulement pour ce que l’on pourrait appeler leur service interne, mais pour la mission, y compris la première annonce de l’Evangile. En effet, là où les chrétiens sont peu nombreux, voire quasiment absents, il n’est pas négligeable que soit signifiée aussi par le ministère du prêtre la proximité de Dieu, dont nous parlions plus haut. La réflexion faite par des incroyants, à propos d’un prêtre très fidèle aux gens de son quartier, dans l’un de ces déserts spirituels que l’on rencontre dans les banlieues des grandes villes, démontre la force d’un tel témoignage. "Il n’a pas attendu (ce prêtre) que nous ayons besoin de lui pour être déjà là"...

Jésus après tout, n’est-il pas arrivé comme un Visiteur inattendu ? Messie qui dépassait l’attente d’Israël, sauveur que les nations païennes ne s’attendaient pas à rencontrer...

3) Par delà les fonctions pastorales, l’enjeu du ministère sacerdotal

Nécessaires pour la vie quotidienne des communautés chrétiennes, les prêtres le sont, finalement, pour garantir l’identité profonde de l’Eglise, à savoir qu’elle est l’Eglise DU CHRIST.

Pour nous en rendre compte, réfléchissons un instant à ce que signifie, pour l’Eglise, d’être l’Eglise DU CHRIST.

Pour une première réponse on peut dire ceci. L’Eglise est l’Eglise DU CHRIST parce qu’elle rassemble une multitude d’hommes et de femmes de tous âges et de toutes conditions, de tous horizons idéologiques et de toutes races qui ont en commun de faire effort pour pratiquer son Evangile. L’Eglise est DU CHRIST parce que ses membres ne se lassent pas de remettre en chantier leur conversion, persévèrent dans la foi, essaient de faire le bien, espèrent la terre nouvelle et les cieux nouveaux promis par Lui, le Christ.

Mais cette première réponse en appelle une autre : l’Eglise est DU CHRIST parce que les chrétiens ne s’attribuent pas à eux-mêmes la force de pratiquer l’Evangile, pas plus que la grâce de l’avoir trouvé. Ils savent qu’ils sont graciés, sauvés, bénéficiaires des faveurs de Dieu, cohéritiers du Fils de Dieu, tout cela, sans aucun mérite de leur part, sans autre raison que celle-ci : Dieu est amour.

Ainsi, pourrait-on dire que le ministère sacerdotal est ce qui empêche l’Eglise de boucler sur elle-même. Il manifeste la dépendance de tous par rapport au Christ : "de tous", c’est-à-dire des ministres hiérarchiques eux-mêmes. Ce ministère décentre l’Eglise sur le Christ qui est, non seulement son origine, mais son permanent principe (c’est-à-dire sa source) de vie.

Ainsi, cherchant du côté de l’Eglise ce qui fonde la nécessité du ministère sacerdotal, nous pouvons répondre ceci : QU’ELLE SE REÇOIT DU CHRIST. Tout ce qui relève de la grâce en elle, immense Peuple de Dieu, comme aussi en chacun de nous, vient de Lui. De Lui tel que l’on connu Marie, les apôtres et les disciples ; de Lui tel que nous le connaissons aujourd’hui, non pas par nos yeux de chair, mais par notre intelligence et notre cœur, visité par son Esprit.

S’il fallait ici risquer une définition du prêtre, je dirais bien qu’IL EST DANS LA FORCE DE 1’ESPRIT, LE MINISTRE DU LIEN ENTRE LE CHRIST ET CETTE EGLISE DONT IL RESTE, BIEN SUR, l’UN DES MEMBRES.

III - LA NECESSITE DES PRETRES PRISE DU COTE DU MONDE

Une troisième voie permet de déchiffrer notre besoin de prêtres. Elle part des appels que l’Eglise reçoit du monde, de ce qui, dans la vie des hommes, la provoque à parler et à agir. "Il y a Dieu qui appelle, disait récemment le cardinal MARTY, mais le monde aussi appelle". Dieu qui appelle, en effet, le fait à travers des appels humains qui sont souvent des cris.
Cette troisième voie consiste à mesurer le service que les prêtres eux-mêmes, du sein des communautés chrétiennes, sont appelés à rendre à la société, ce qu’ils ont à donner à leurs frères en humanité, au titre de "leur ministère d’Esprit et de justice", comme dit admirablement le Décret conciliaire (P.O. n°12). Car tout se tient dans la sainte diaconie des hommes dont le Christ est le parfait modèle : elle transcende tous ses aspects matériels mais s’exerce à travers eux sans en négliger aucun. La vie spirituelle que les prêtres ont en charge n’est pas séparée de la vie humaine personnelle et sociale : elle la transfigure en son intégralité...
La réflexion que nous allons esquisser à présent s’inscrit dans la lumière de Gaudium et spes, là où il est question du rôle de l’Eglise dans le monde de ce temps. Je n’en cite que ces quelques mots :
"Certes, la mission propre que le Christ a confiée à son Eglise n’est ni d’ordre politique ni d’ordre économique ou social ; le but qu’il lui a assigné est d’ordre religieux. Mais précisément de cette mission religieuse, découlent une fonction, des lumières et des forces qui peuvent servir à constituer et affermir la communauté des hommes selon la loi divine" (n° 4l).

1) Une question qu’il faut poser correctement

Ces appels qui montent du creuset de la vie sociale, clairement exprimés ou à peine articulés, c’est bien sûr l’Eglise comme ensemble des disciples de Jésus, ministres compris, qui les identifie et tente d’y répondre.

Promouvoir la dignité de la personne humaine, sauver ses droits essentiels, contribuer à l’organisation de la communauté humaine en vue de plus de compréhension et d’unité, découvrir le sens profond de l’activité humaine et de la vie elle-même, constituent autant de défis pour les hommes de bonne volonté auxquels l’Eglise entière est confrontée.

Dans un monde saturé hier de systèmes idéologiques et bardé d’assurance, envahi aujourd’hui par le son et les images et pris au piège de ses découvertes et de ses technologies, on attend les témoins d’une espérance fondée en vérité. Les disciples de Jésus ont tous vocation à devenir ces témoins.

L’Eglise entière et donc tous les disciples de Jésus sont appelés à rendre compte de l’espérance qui est en eux. Au sujet des prêtres, la question n’est pas de savoir s’ils sont témoins du Christ plus ou mieux que d’autres baptisés. Mais, disions-nous, ils sont les ministres du rapport entre le Christ et cette Eglise (dont eux-mêmes restent des membres) et il nous faut donc préciser ce que leur ministère apporte au témoignage de l’ensemble des chrétiens. En d’autres termes, nous avons à nous demander en quoi leur présence et leur action sont nécessaires à l’Eglise en tant qu’elle se veut, au nom du Christ, EXPERTE EN HUMANITE.

2) De quelques traits du ministère sacerdotal qui pourraient bien concerner la société contemporaine

Nous ne ferons ici que les suggérer.

Dans un monde caractérisé par l’ampleur de la domination humaine sur l’homme, pour le meilleur et pour le pire, le prêtre rend ce premier et essentiel service d’introduire un peu de gratuité. Il accueille. Il écoute. Il n’accorde pas sa considération aux personnes, aux familles ou aux groupes humains en fonction de critères d’utilité. Son célibat contribue à ce signe de la gratuité : il traduit la prévenance de l’amour de Dieu. Le prêtre, en renonçant à une famille dit en quelque sorte : "Je ne suis là que pour vous, parce que la vie et la mort de Jésus n’ont d’autre explication que l’amour de nous..".

Dans un monde de concurrence, de compétition, d’intimidation, le prêtre désigne le lieu du combat décisif : le cœur de l’homme. Au nom du Christ, il interroge les hommes qui sont aux prises avec les données économiques de notre existence pour leur poser- la question : ce combat économique, comment le mènes-tu ? Que fais-tu de ton rival qui est aussi ton prochain ? A travers toutes sortes de tensions et de conflits, quel est ton cœur ? Le renouveau du sacrement du pardon, de ce point de vue, prend un très grand relief.

Dans un monde qui vit au présent, le prêtre est l’homme de l’avant et de 1’après, l’homme d’un événement qui a marqué l’histoire et qui ouvre sur un au-delà de l’histoire. Il fait la mémoire du Christ (le "et maintenant, nous souvenant Seigneur...", de la célébration eucharistique) et il annonce le retour du Christ. En affirmant qu’il s’est passé dans le temps un événement qui ne passe pas, le prêtre invite à chercher le sens du temps... La fidélité qui est la sienne (fidélité du pasteur) dit le prix du temps.

Dans un monde de communications où l’on continue de se comprendre mal, (enfin, disons "pas toujours très bien" !) le prêtre invite à la communion. Avec les chrétiens, il rend à la société ce service de démontrer qu’avec des moyens pauvres on peut aussi s’entendre, se comprendre ; et même peut-être mieux qu’en utilisant des moyens coûteux, quand le cœur n’y est pas.

Dans un monde que la souffrance laisse désarmé, le prêtre propose la consolation de Dieu. Ne peuvent sourire de ce mot "consolation" que ceux pour qui la souffrance physique ou morale, la solitude, l’échec n’ont jamais pris les dimensions d’une véritable détresse. Or, "le prêtre est un foyer de tendresse et de miséricorde" selon la formule de l’abbé MONNIN, le premier biographe du Curé d’Ars.

On entend dire parfois que "les autorités religieuses" en général, les prêtres en particulier, n’auraient plus aujourd’hui qu’un rôle folklorique, ce qui était "fonction", pour reprendre le mot d’un sociologue, étant devenu "fiction".

Il faut tenir compte, dans l’évaluation de l’influence des prêtres, de bien des facteurs, de celui-ci en particulier : ils ne sont plus identifiés aussi nettement qu’autrefois à travers un corps social très repérable, le clergé. La cohésion entre eux, moins perceptible peut-être, s’exprime dans la prière et les collaborations pastorales dans le cadre du Presbyterium qu’ils constituent autour de l’évêque.

Je ne crois pas que les prêtres soient sans signification sociale. Ils témoignent certes de réalités "venues d’En-Haut". Mais il est difficile de prétendre qu’elles n’aient pas DE FAIT un impact sur la vie des hommes, même dans notre société sécularisée.

De toutes manières, l’Eglise n’est responsable que du signe qu’elle donne de son Seigneur, du visage qu’elle lui dessine tout au long des temps. Le reste appartient à Dieu.

3) Le prophétisme de toute l’Eglise et celui des prêtres

Les défis auxquels se trouve confrontée la société contemporaine sont autant d’appels à l’Eglise tout entière à sa vigilance au nom du Christ, à sa créativité au nom du Christ, à sa cordialité au nom du Christ... Elle est tout entière provoquée à témoigner du projet aimant de Dieu sur l’homme. Les prêtres ne cristallisent pas cet aspect prophétique de la mission de l’Eglise. La grâce de marquer son temps est accordée à ceux que Dieu choisit. "L’Esprit souffle où il veut..."

Il y a cependant un prophétisme du prêtre, qu’il exerce du sein de la communauté dont il est le pasteur, et même parfois dans l’isolement. Un ancien archevêque de Paris, le cardinal SUHARD, l’a décrit dans une lettre pastorale demeurée fameuse, "LE PRETRE DANS LA CITE" donnée en 1949. Le prêtre, lit-on dans ce texte, doit être "1’éternel ’insatisfait’ : non pour troubler la paix sociale, mais pour en préparer, à chaque moment, la réalisation plus haute". Le prêtre est présenté là comme le "ministre de l’inquiétude", dispensateur d’une soif et d’une faim nouvelles. "Comme le Christ, le prêtre apporte à l’humanité un bienfait sans égal : celui de l’inquiéter".

Dans la communauté chrétienne dont il est chargé, un prêtre n’est pas forcément le plus vigoureux des prophètes ! Il est cependant au service de l’expression prophétique de tous et de chacun. Le prophétisme de toute l’Eglise, en effet, nécessite de la part des disciples de Jésus qu’ils remplissent leurs tâches terrestres EN SE LAISSANT CONDUIRE PAR L’EVANGILE. Gaudium et spes compte "parmi les plus graves erreurs de notre temps, pour des chrétiens, le divorce entre la foi et le comportement quotidien" (n° 43).

Et il fait partie de la mission prophétique des prêtres d’aider leurs frères dans la foi à se porter témoins du Christ "en toutes circonstances et au cœur même de la communauté humaine". Les prêtres, souvent, remplissent cette mission sans être eux-mêmes très en vue. Il arrive même que tout le monde oublie ce qu’on leur doit. C’est bien ainsi. L’humilité dans ce service pourrait bien être utile à l’efficacité du signe.

CONCLUSION : UNE APOLOGIE DE l’IMPATIENCE

Pour cette brève exploration théologique, c’est la nécessité du ministère presbytéral qui nous a servi de fil conducteur. Ce choix ne relève ni de l’arbitraire ni du souci de satisfaire aux exigences d’un congrès dont le thème est celui des vocations sacerdotales. La pratique de l’Eglise est constante sur ce point : l’éveil des vocations et l’appel des prêtres est l’objet de son désir. Dans la prière consécratoire des prêtres, l’évêque exprime en termes pressants son attente :
"... Lorsque ton Fils Jésus, Seigneur... envoya en mission ses apôtres, tu leur as donné des compagnons dans 1’enseignement de la foi pour que l’Evangile soit annoncé au monde entier. Aujourd’hui encore, donne-nous les coopérateurs dont nous avons besoin pour exercer le sacerdoce apostolique".
C’est d’ailleurs à la vocation de prêtre que l’on pense, spontanément, à propos de l’injonction faite par Jésus d’avoir à prier le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson. La vocation presbytérale fait partie de l’impatience de l’Eglise.

1) De quelques manières de tromper l’attente

Un danger relativement au besoin de prêtres, c’est d’en venir à le minimiser. Certaines façons d’exprimer le manque de prêtres dans un pays comme le nôtre peuvent tromper l’attente, au sens où l’on trompe sa faim. En voici quelques échantillons.

Ne donner aux chrétiens qu’une lecture sociologique des faibles effectifs des candidats au presbytérat ; éventuellement ajouter, de manière sentencieuse, que s’il n’y a plus de prêtres, c’est qu’il n’y en a plus besoin, l’Eglise pouvant vivre autrement (4)  ; prétendre que la raréfaction des prêtres pourrait bien être une mesure divine obligeant à donner aux laïcs la place qui leur revient... D’autres schémas imputent au Concile la crise des vocations : soit que Vatican II n’ait pas été au bout des réformes entrevues et que le ministère presbytéral soit de ce fait devenu intenable. Ces discours qui ont souvent des allures affranchies reposent, en fait, sur bien des a priori.

A l’opposé de tels propos, jouant le rôle de tranquillisants, d’autres ont une tonalité de détresse. Avec si peu de prêtres, on ne pourrait plus rien : l’Eglise serait en train de mourir ! C’est oublier que l’Eglise est tout un peuple aux mille ressources, par le travail de l’Esprit Saint et selon les desseins insondables de la Providence. Et il est tout de même exact qu’une meilleure organisation de la communauté chrétienne permet de vivre avec moins de prêtres. Il n’est même pas faux que puissent subsister ou apparaître des formes de vie ecclésiale quand les prêtres font défaut. L’exemple fameux des communautés chrétiennes redécouvertes au cours de XIXème et XXème siècles au Japon, près de Nagasaki et Osaka, Eglise de l’ombre qui vécut sans hiérarchie pendant des siècles après que les missionnaires eurent été chassés ou exécutés, en est la preuve. Comme aussi la naissance de l’Eglise en Corée, dont les commencements, dans le troisième quart du XVIIIème siècle, furent assurés par des laïcs et qui n’eut ses prêtres et ses évêques que longtemps après.

2) Vivre l’attente qui est dans le cœur du Christ

Nous invitions, au début de cet exposé, à passer du désir spontané d’avoir des prêtres à une attente plus réfléchie. Peut-être pourrions-nous retenir que celle-ci ne doit pas venir seulement de l’ampleur des tâches presbytérales, dans une Eglise qui veut vivre et qui reste très consciente de sa mission d’évangéliser. L’argument du besoin en prêtres, réduit à son aspect utilitaire, est insuffisant.

L’impatience est à prendre dans le cœur du Christ. Elle est d’abord l’impatience du Christ.

Au terme de cet entretien, je vous invite à laisser retentir en vous la question qui figure au récit de la vocation d’Isaïe :
"J’entendis la voix du Seigneur qui disait : qui enverrai-je ? Qui sera notre messager ?" (Is 6, 8).

Tel est l’éternel tourment de Dieu, manifesté en Jésus quand il appelle ses apôtres, manifesté par l’Eglise, à présent, quand elle appelle des prêtres.

NOTES : ---------------------------------

(1) Une remarque qui est à la fois de vocabulaire et de méthode. En bonne logique, il nous faudrait procéder en deux étapes : d’abord considérer dans sa totalité le ministère sacerdotal (ou hiérarchique) qui est celui des évêques et des prêtres, pour ensuite dégager les enjeux particuliers du ministère presbytéral, c’est-à-dire celui des prêtres.
Devant être bref, nous allons ici superposer les deux démarches et aborder directement le ministère des prêtres. De ce fait, on voudra bien considérer que, même en parlant "des prêtres", nous n’isolons pas leur ministère de celui des évêques dont ils sont, selon l’expression de Vatican II, "les coopérateurs". [ Retour au Texte ]

(2) Notre propos sera centré sur le ministère des prêtres diocésains ; il s’étend évidemment aux prêtres des Instituts religieux ou missionnaires qui travaillent au service des diocèses. [ Retour au Texte ]

(3) P.O. Presbyterorum ordinis - Décret du Vatican II sur le ministère et la vie des prêtres [ Retour au Texte ]

(4) Jean-Paul II à ARS, le 6 octobre 1986, a fait sur ce point la remarque que voici :
"II serait ambigu, sous prétexte de faire face avec réalisme au proche avenir, d’organiser les communautés chrétiennes comme si elles pouvaient se passer en très grande partie du ministère sacerdotal." [ Retour au Texte ]