Risque l’aventure des métiers


Marc LEBOUCHER,
laïc, membre de l’équipe nationale du S.N.V.

Fait insolite ! A l’automne 1986, les grandes confessions religieuses présentes en France se voyaient sollicitées pour animer un espace à "l’AVENTURE DES METIERS". Cette manifestation inédite prévue du mercredi 8 au dimanche 12 avril derniers, avait pour but de faire se rencontrer mille professionnels venus directement de leur atelier, de leur chantier, de leur bureau, avec 100 000 jeunes de 11 à 18 ans pour leur parler de leurs métiers.

Pourquoi une telle opération, distincte en particulier du "SALON de 1’ETUDIANT" qui se tenait quelques jours avant ?
Pour les organisateurs, il s’agissait avant tout de remédier au manque d’information actuel sur les professions. Ecoutons l’un des organisateurs, Monsieur Armand BRAUN :
"Lorsque j’étais enfant, dans une petite ville de Lorraine, je voyais tous les jours vivre autour de moi le boulanger, le maréchal ferrant, le commerçant, etc. Mon village était un livre de leçons de choses. Mais aujourd’hui, ce livre, nos enfants ne peuvent plus le feuilleter. La pratique des métiers est devenue pour eux invisible ou incompréhensible. Parce que les métiers deviennent abstraits. Parce que les parents savent à peine faire comprendre leur propre métier à leurs enfants. Le sentiment dominant dans la jeunesse française aujourd’hui, c’est donc qu’il y a pénurie de métiers, et pour elle pénurie d’avenir."

D’où l’intuition de réunir durant cinq jours, à travers l’animation d’espaces consacrés à différents secteurs ou thèmes (la santé, le bâtiment, le sport, le commerce, la vie internationale ou l’automobile...) la diversité et la richesse des activités professionnelles exercées à tous les niveaux de hiérarchie et de qualification.

A sa manière, chaque professionnel avait la mission de faire passer trois messages aux jeunes : Qui je suis ? ce que je fais. Pourquoi j’aime mon métier. Initiative privée mobilisant les Entreprises privées et leurs fédérations, 1’AVENTURE DES METIERS était soutenue par les Pouvoirs Publics, dont notamment le Ministère de l’Education Nationale.

Dès le départ, les organisateurs sollicitaient les grandes religions présentes en France pour qu’elles animent elles-aussi un espace de 130 m2, sur "LES METIERS DE l’AME". D’emblée, une réponse positive n’allait pas de soi : une vocation religieuse ne se réduit pas à un métier, une tâche. Et l’on voyait mal au départ les Eglises cohabiter avec les métiers du cosmétique de la publicité ou de l’argent, sans qu’on les accuse d’une sorte de compromission. Après réflexion pourtant, les catholiques décidaient de participer à l’opération aux côtés des protestants, orthodoxes et Israélites. Aussi, à la demande de Mgr Jean VILNET, le Secrétariat National de l’Aumônerie de l’Enseignement Public, le Secrétariat National de l’Ecole Catholique et le Service National des Vocations se voyaient chargés de cette animation.

Peu à peu, l’enjeu de cette présence pastorale se précisait au fil de la préparation.

D’abord, L’AVENTURE DES METIERS représentait une occasion unique de rencontrer des milliers de jeunes, d’être attentif à une question qui les préoccupe tous : leur avenir. Il y avait là, de plus, la possibilité d’une visibilité réelle pour notre Eglise, dans un lieu où l’on ne n’attendait pas à la trouver, au milieu d’une sorte de panorama des activités humaines.

Et puis c’était un moment favorable pour faire de cet espace, où les jeunes pouvaient rencontrer des prêtres, des religieux, des religieuses, des missionnaires et des permanents laïcs, un lieu d’appel par une mise en présence de témoins de la foi diversement situés.

Enfin l’expérience offrait de mener une démarche oecuménique et interconfessionnelle, sans désir de confusion, de prosélytisme ou de concurrence. Sur le même espace voisinaient en effet prêtres, pasteurs, rabbins, religieuses...

Rapidement, il a fallu travailler ensemble pour mieux cibler l’objectif principal de l’espace réservé aux religions. S’il s’agissait bien comme dans les autres modules de présenter des métiers où l’on s’engage, où l’on gagne sa vie, où l’on remplit une fonction, où l’on peut se réaliser humainement, il fallait aussi faire ressortir que les métiers de l’âme ne sont pas tout à fait comme les autres.

Ils ne sauraient être réduits à des taches ou des fonctions, mais constituent d’abord une réponse à un appel, signe d’une expérience spirituelle. A travers eux, c’est la dimension transcendante, religieuse, qui est première, c’est un témoignage à une réalité plus forte qui est rendu. Ils sont l’expression privilégiée d’un don, d’une gratuité, d’un service... Il fallait donc que ressorte bien cette originalité propre aux vocations spécifiques tout en rappelant qu’il existe aussi une âme dans tout métier, qu’un ingénieur ou un ouvrier peuvent vivre leur vocation chrétienne à travers leur profession, dans la cité.

Réunissant ensemble les religions dans un cadre commun, le module "METIERS DE l’AME" se voulait être un endroit ouvert, construit autour d’un petit espace de recueillement vitré, orné d’une flamme, d’une icône et d’une Bible symbolisant la dimension spirituelle commune. Autour de ce lieu central rayonnaient des espaces de rencontres, de jeux, de vidéo, de documentation, avec un studio de radio animé par Radio-Scouts de France. Durant cinq jours, l’animation était assurée à la fois par les aumôneries de l’Enseignement Public, l’Ecole Catholique et les Services Diocésains des Vocations de la région Ile-de-France, avec en plus l’intervention ponctuelle de missionnaires, membres du CCFD, du Secours Catholique, de journalistes confessionnels...

Les jeunes furent largement au rendez-vous, dépassant semble-t-il les espérances des organisateurs eux-mêmes. Dès le mercredi, de la 6ème à la Terminale, voire au-delà, ils débarquaient par pleines classes, par cars entiers venus de la région parisienne ou même souvent de la province, prouvant ainsi que l’intuition initiale répondait bien à une réelle attente. En soirée, durant le week-end, ils se montrèrent aussi nombreux à venir avec leur famille passer un moment.

Très vite la réaction face aux stands des METIERS DE l’AME fut plutôt positive. Si beaucoup furent surpris de trouver là les religions parmi les autres activités humaines, peu se dirent choqués : le sentiment de surprise se révélait souvent sympathique, voire intéressé. Et l’on entendait maintes fois cette réflexion :
"C’est une bonne chose que les religions se soient mis d’accord pour cette initiative commune !". Et c’est vrai que la qualité des rapports entre confessions religieuses, sur le stand, fut un réel facteur de sa réussite.

Le premier fait marquant de cette présence reste sans doute la mise en contact permanente ainsi permise avec le "tout-venant" des jeunes. Durant ces cinq jours, des milliers d’entre eux n’ont pas cessé de passer, regardant d’un air indifférent ou intéressé, grappillant les tracts des S.D.V. comme ils prenaient ceux des métiers de l’informatique ou de 1’audio-visuel. Le simple fait d’être là, clairement visibles, était déjà suggestif. Et à cet égard, la capacité sur le stand de proposer des moyens d’animation gratuits et accrocheurs a pris une grande importance, comme ce "jeu de l’oie" proposé par les A.E.P. de Paris. Expérience simple à réaliser mais pleine d’intérêt, ce petit jeu obligeait en effet les jeunes à rencontrer les membres du stand, en leur posant des questions sur leur métier, ou sur la religion à laquelle ils appartenaient. Dans le contexte sécularisé actuel, avec son lot de méconnaissance religieuse, ce petit exercice invitait à parler de la foi, même en quelques phrases. Une occasion qu’il n’est pas toujours donné d’avoir....

Le second fait marquant, moins massif celui-là, tient aux quelques jeunes qui exprimaient une demande plus précise : tel qui voulait rencontrer des coopérants chrétiens, telle qui voulait travailler dans une école catholique ou rencontrer une religieuse d’une congrégation missionnaire. Si le phénomène ne fut pas écrasant, il s’est montré cependant révélateur, là aussi, d’une attente, d’un créneau à ne pas négliger. Et il sera sans doute intéressant de voir, à moyen terme, si des jeunes auront pris contact avec les S.D.V. à la suite d’une telle opération.

De cette expérience pastorale originale, on peut retenir tout de suite plusieurs leçons :

1 - CONTINUER A CREUSE LA DISTINCTION METIER/VOCATION qui ne va pas de soi.

La perspective du métier stable, permanent, qui dure toute une vie, paraît de plus en plus remise en cause dans le contexte d’aujourd’hui, où l’on valorise la possibilité de pouvoir changer plusieurs fois de métier au cours d’une existence, la souplesse dans le temps de travail, etc., ce qui conduit à approfondir cette nécessaire inadéquation entre métier et vocation, tout en recherchant comment, à travers ce souci de l’avenir, de la réalisation personnelle, de l’engagement, l’Eglise a un message original à faire passer aux jeunes.

2 - NE PAS HESITER A ETRE "OFFENSIF" VIS-A-VIS DU "TOUT-VENANT" DES JEUNES.

Savoir proposer des activités, des animations stimulantes au cours de ce type d’opération. L’observation a été souvent faite par les participations de L’AVENTURE DES METIERS : les jeunes attendent qu’on les sollicite... Il ne faut pas se contenter d’attendre qu’ils passent !

3 - MIEUX AFFIRMER - et cela va dans le même sens - NOTRE IDENTITE RELIGIEUSE, NOTRE VISIBILITE.

Non pas en se parant de soutanes, mais à l’aide d’expressions culturelles parlantes pour les jeunes aujourd’hui, à travers le visuel, par exemple. Il a été frappant de voir combien la présence, le premier jour, d’un peintre d’icônes orthodoxe .fut appréciée par les jeunes. Là aussi, un chantier est à travailler, sans pour autant que l’affirmation identitaire ne soit perçue comme un désir d’intégrisme ou ne vienne bloquer une relation avec les autres confessions.

4 - APPROFONDIR l’ENJEU PASTORAL DE CETTE EXPERIENCE. Il y a à ce sujet plusieurs niveaux de perception :

  • L’ouverture d’un vrai chantier missionnaire .
    Comment assurer à ces jeunes, au "tout-venant", une présence chrétienne, en restant bien dans la perspective "rencontre des métiers" ? Comment saisir l’occasion de parler de manière originale à cette masse d’adolescent, livrée sans vrai discernement à une floraison d’images, de discours, de propositions ?
  • Le souci d’un éveil.
    Il est important de pouvoir être là et de poser aux jeunes la question : "Pourquoi pas ? . Parmi tous les métiers de la cité, il existe aussi la possibilité d’un don plus total à Dieu, qui peut être une manière de réaliser sa vie. Il n’est pas absurde de l’envisager...".
    Ce fut l’une des motivations fortes de la participation des religions à L’AVENTURE DES METIERS, que de faire passer cette interrogation. Elle est à approfondir, à renouveler.
  • La perspective d’un suivi.
    Comment renvoyer à un accompagnement, à une démarche plus exigeante, les quelques jeunes qui ont des demandes plus précises ? Comment évaluer l’impact d’une telle opération sur le travail à venir des Services Diocésains des Vocations ?
    Là aussi, le chantier est ouvert...

Le souhait des organisateurs est aujourd’hui que cette réalisation se renouvelle, en axant toujours la perspective d’un meilleur souci des jeunes, avec des répercussions un peu partout en France. Il ne faudra donc pas perdre l’occasion d’être à nouveau présent pour faire de cette initiative un lieu d’appel.