Prêtres et futurs prêtres d’aujourd’hui


Joseph DORÉ
prêtre de St Sulpice et professeur de théologie
à l’Institut Catholique de Paris

- DEUX TENDANCES : GENERATIONS ET TEMPERAMENTS -

Ces pages n’ont d’autre prétention que d’apporter un éclairage pour un regard un peu plus ajusté sur le présent et l’avenir du presbytérat, tel qu’on peut le percevoir aujourd’hui.

Je demande que l’on veuille bien me croire si je déclare d’emblée que j’ai la vive conscience de me lancer dans une entreprise difficile parce que à la fois complexe et délicate. Dans le seul but d’être, je l’espère, utile à quelques-uns, je propose quelques indications un peu mises en forme, mais je prie mon lecteur de bien vouloir ne pas systématiser. Je fais part de mes observations sans être bien sûr qu’elles aient toutes une égale justesse ; il conviendra en tout cas d’en mesurer la pertinence à la différence des situations locales et des itinéraires individuels.

On comprendra, j’en suis sûr, que j’aie tenu à prendre ces précautions de langage. Je donne maintenant quelques précisions sur la façon dont j’aborderai, puis traiterai mon sujet.

* Mon titre distingue "prêtres" et "futurs prêtres".

Il est clair que, parlant de futurs prêtres, on traitera des séminaristes d’aujourd’hui. Quant aux prêtres, je dois prévenir que je ne vise pas à faire état de tous ceux qui le sont aujourd’hui. Je me limiterai, en fait, à la tranche d’âge des 20 ans d’ordination et moins, car c’est celle que je connais le mieux pour en avoir accompagné la formation d’assez près (par mon ministère en séminaire et par nombre de rencontres et sessions). Ce choix n’est cependant ni totalement arbitraire ni seulement circonstanciel, me semble-t-il, car il paraît bien porter sur un groupe qui réunit de fait plusieurs caractéristiques propres : ces prêtres des décennies 60 et 70, et du début des années 80, ont été formés dans l’esprit d’ouverture et d’initiatives de l’immédiat après-Concile ; ils sont entrés en fonction dans une Eglise que marquaient nettement, en France du moins, les orientations de l’Action Catholique et la perspective des engagements dans le monde ; ils constituent une classe très précisément repérable dans la pyramide des âges de l’ensemble du clergé... et de par leur âge même, ils sont évidemment parmi les plus actifs dans la tâche pastorale.

* Chez ces "prêtres et jeunes prêtres d’aujourd’hui", je vais être amené à distinguer deux tendances.

Pour faire bref, je caractériserai l’une comme plus apostolique, plus soucieuse de la "signification" que la foi peut et doit prendre par rapport au monde contemporain - avec le risque corrélatif d’estomper sa spécificité -, l’autre comme plus spirituelle, plus portée à mettre en avant la nécessité de sauvegarder et de cultiver 1’"identité" chrétienne comme telle -au risque de ne plus se préoccuper suffisamment de sa crédibilité aux yeux de ceux qui ne la reconnaissent pas déjà.

Il ne m’échappe pas que cette distinction reprise par J. MOLTMANN (identité/signification) comporte une part d’approximation, mais personne ne contestera, je pense, qu’elle n’en correspond pas moins à des données tout à fait vérifiables dans la réalité. Je précise toutefois que, parlant de tendances, je ne parle justement pas d’exclusives : aucun prêtre ne saurait être ou que "spirituel" ou que "apostolique" !

On pourrait tout aussi bien faire état, d’ailleurs, de dominances ou de priorités, et il est clair que ce qui "domine" ne fait que prendre le pas sur quelque chose qui existe aussi, tout comme ce qui reçoit la priorité n’est que "mis devant" quelque chose qui doit obligatoirement suivre !

* Il ne manque pas de raisons pour estimer qu’on peut traduire en termes de générations ce qui vient d’être dit en termes de tendances. On peut penser que les prêtres des années 60-70 (et un peu après sans doute) relèvent davantage de la tendance "apostolique/signification", tandis que les futurs prêtres actuels (et sans doute un certain nombre de tout jeunes prêtres) se rattacheraient plutôt à la tendance "spirituelle/identité".

A vrai dire cependant, les tendances en question ne sont pas seulement affaire de générations, mais aussi de tempéraments, et la distinction proposée ne joue donc pas seulement d’une génération à l’autre : les deux tendances se retrouvent en fait dans les deux générations.

De même donc que je préciserai bien tout-à-1’heure que et une dimension spirituelle et une dimension apostolique se vérifient chez chaque prêtre, avec seulement deux types d’accentuation différents selon les personnes, de même - passant des individus aux générations - je précise maintenant que les choses ne sont pas à trancher au couteau, ici non plus : des tempéraments "plus apostoliques" se retrouvent aussi chez les plus jeunes, et des tempéraments "plus spirituels" chez leurs devanciers immédiats ; non négligeables, certes, les différences ne sont que de proportion.

* Reste que des dominantes, priorités et autres accentuations paraissent bien repérables d’une génération à l’autre et que, ayant pris préalablement les précautions qui s’imposaient, on ne dénature pas la situation en la présentant, comme je le ferai ci-après, sur la base d’une telle distinction.
Sous le couvert de préambules auxquels je tenais absolument et que j’achève, je distinguerai en effet trois parties dans la réflexion qui va suivre :
* LA GENERATION DES PRETRES d’ENVIRON 20 ANS d’ORDINATION, ET MOINS : l’insistance y apparaîtra mise sur le pôle "signification" ;
* LA GENERATION DES TOUT JEUNES ET DES FUTURS PRETRES : le pôle "identité" prendra ici la priorité.

Je préciserai au début de chaque partie en quel sens exactement je prends la tranche d’âge dont elle traitera.

Mais ces deux premières parties n’auront, à mes yeux, pas d’autre sens que d’en préparer une troisième :
Puisque j’appartiens moi-même à la première génération, comme ce sera le cas, je présume, d’un certain nombre des lecteurs, du moins parmi les responsables des Services des Vocations, je voudrais en effet dire :
* COMMENT JE VOIS NOTRE RESPONSABILITE ET NOTRE TACHE d’AINES près de ces jeunes qui nous suivent et nous précèdent à la fois.

On le voit donc bien, je pense : mon propos est moins de fournir une analyse détaillée de différentes "catégories de prêtres", que d’inviter les pairs et contemporains, après s’être un peu regardés eux-mêmes, à regarder avec un peu plus de précision - et peut-être avec un peu plus de sympathie encore - ceux qui, appelés à nous succéder et qui commencent déjà à collaborer avec nous, représentent de toute manière l’avenir. Cela, afin de mieux voir, si possible comment nous pouvons les aider à répondre, à leur propre titre, au même appel du Christ pour son Eglise et pour sa mission dans le monde, qui nous a nous-mêmes saisis et qui continue de nous tenir.

* *
*

I - LES PRETRES d’ENVIRON-VINGT ANS COORDINATION, ET MOINS

Je dis "environ vingt ans" et moins. Il me semble en effet que forme une certaine unité - qui autorise à parler d’une "génération" au sens précisé - l’ensemble des prêtres qui ont été marqués par le Concile Vatican II, soit qu’ils aient été contemporains de son événement et qu’ils aient partagé de près l’espérance qui l’a porté, soit qu’ils aient été formés et aient commencé leur ministère dans sa mouvance immédiate.

Je me propose ici de relever chez ces prêtres un certain nombre de traits assez caractéristiques, sans nulle prétention à 1’exhaustivité bien sûr. J’ai déjà dit qu’on pourrait assez aisément reconnaître chez eux une certaine prédominance de la dimension "apostolique", et donc de la volonté de mettre de plus en plus nettement en lumière la signification de la foi chrétienne dans et pour le monde d’aujourd’hui  ; il s’impose de vérifier de près dans quel sens exact il convient d’entendre pareille opinion.

I - La première chose à souligner chez ces prêtres, me paraît tout simplement : LEUR FIDELITE

Ils sont encore là ; en général ils font correctement leur travail de prêtres - en plus grand nombre qu’on ne le croit ils le font même, c’est mon sentiment, admirablement, dans une conscience très réelle pourtant de leurs limites. Tant s’en sont allés de leur propre génération et de celle qui les précédait, que la simple poursuite de leur travail apostolique, et déjà leur seule présence, attestent un choix qu’ils ont non seulement fait mais maintenu.

J’ai tendance à penser que c’est à partir de cette donnée de base qu’il faut toujours les considérer - en particulier lorsqu’on se sent porté à souligner leurs limites, voire leurs échecs -. Il n’est pas sûr que leurs divers responsables et supérieurs les abordent toujours en tenant réellement compte de ce trait dont par ailleurs, en général, les plus jeunes de leurs confrères ne mesurent pas toujours la portée.

Enfin, si eux-mêmes s’estiment parfois mal compris de leurs pasteurs, un certain nombre de laïcs, y compris de très bons chrétiens, n’ont guère idée de la somme de disponibilités et de générosités que représente la simple fidélité d’un prêtre à ses tâches et responsabilités, aujourd’hui.

II - Car ces prêtres sont quasiment tous, et quelquefois terriblement, CONFISQUES par l’abondance et la diversité des occupations et préoccupations qui les assaillent.

Il leur faudrait être multi-compétents : capacité de contact et sens de l’organisation, don de la prédication et aptitude au conseil psychologique, goût de l’administration et mordant apostolique... Ils portent, douloureusement parfois, les confidences de tant de couples blessés ou désunis, les problèmes de tant de jeunes insaisissables ou si fragiles, de tant d’hommes et de femmes qu’atteignent les nombreux maux dont souffre notre société.

Ils se sont tant approchés de ceux qui leur étaient pastoralement confiés, ils se sont faits si fraternels pour eux que, loin de leur rester étranger, tout ce qui opprime, vulnère ou abaisse ces hommes et ces femmes dont ils partagent la vie, retentit profondément sur eux.

Et pourtant, quand ils ont le souci préférentiel des pauvres, il n’est pas rare qu’on leur reproche alors d’oublier ceux qui sont leurs plus proches, pour aller vers "ceux qui sont loin"...De même que, lorsqu’ils soignent leurs célébrations, il leur arrive d’être suspectés de donner trop d’importance au "culte"...

Chez plusieurs, l’équilibre de vie est difficilement assuré, jusqu’à faire craindre parfois le surmenage. Etant en somme le plus souvent la proie de l’immédiat qu’il faut coûte que coûte assurer, ils souffrent, pour la plupart, de n’avoir plus le temps suffisant pour lire, pour réfléchir et même pour prier.

Mais il n’y a pas que les activités, si diverses qu’elles soient déjà. Les prêtres de cette génération sont en effet appelés à porter, beaucoup plus tôt que leurs aînés, des responsabilités qui seront pour eux d’autant plus lourdes qu’ils peuvent légitimement manquer d’expérience ou de savoir faire en plusieurs domaines, dont ils se trouvent pourtant institués responsables.

Par exemple, ils participent à un titre ou à un autre à l’administration centrale de leur diocèse ; ils ont des affectations qui, pour telle activité ou tel Mouvement, les partagent entre plusieurs départements ; ils se voient confier ces tâches de formation (initiale ou permanente) ; et parfois ils ont encore des liens plus ou moins étroits avec diverses instances nationales qui les obligent à des déplacements fréquents.

Dans certains secteurs ruraux en particulier mais pas seulement, toute disparition de prêtre (maladie, décès, etc.) se solde pour ces prêtres par un surcroît de travail et de charges qui ne pourra aller que s’accroissant avec les années.

III - Cela étant, QU’EST-CE QUI LES MOTIVE donc à poursuivre envers et contre tout, dans cette fidélité qu’intentionnellement on a soulignée d’emblée ?

* Au risque de paraître courtiser La Palisse, je serais porté à mettre au premier rang ce que j’appelle, tout simplement là encore, l’amour des gens : les jeunes et les vieux, les couples et les enfants, les militants et les malades (même si, le cas échéant, chaque prêtre peut légitimement accorder plus d’attention à telle ou telle catégorie, couche sociale ou classe d’âge).

Nourris en profondeur par cet amour du Christ dont St Paul dit justement qu’il "nous presse", une immense attention aux personnes et aux réalités de la vie, un immense désir d’ouvrir à leurs frères les lumières et les trésors de l’Evangile, traversent et portent ces existences de prêtres qui se vouent le plus totalement possible au travail apostolique.

* Une autre motivation forte est fournie par tout l’effort accompli dans le sens d’une responsabilité multiforme des laïcs : catéchèse, animation liturgique, divers Mouvements d’Eglise.

Cette génération est manifestement plus désireuse de favoriser la promotion du laïcat et plus heureuse de contribuer à la réaliser pour sa part, que soucieuse de préserver les prérogatives de type "clérical" qu’une telle montée pourrait menacer.

* Motivation forte encore : le service sacramentel. Les prêtres de cette tranche d’âge paraissent beaucoup moins réticents à l’égard de la sacramentalisation que ne l’étaient nombre de leurs devanciers immédiats : Préparation au baptême ou au mariage, qualité des divers types de célébrations eucharistiques, etc. Un grand nombre des prêtres qui paraissent à la fois les plus épanouis en eux-mêmes et les mieux reconnus par les autres dans leur vie presbytérale, sont ceux qui cultivent le goût de la foi qui se célèbre et qui se plaisent à servir le peuple de Dieu qui se rassemble pour chanter son Seigneur et recevoir sa grâce, pour se nourrir de sa Parole et de son Pain.

Le temps et le soin apportés à la préparation de la prédication sont souvent de bons révélateurs du goût même que ces prêtres ont à être prêtres. Mais qu’il s’agisse de prédication ou de sacramentalisation, le souci est manifeste de tenter de "rejoindre" les hommes là où ils sont et de les "faire cheminer" à partir de là.

* Au titre des motivations, toujours, je ferais figurer enfin un nombre plus ou moins important d’activités de type "humanitaire" : immigrés, prisonniers, malades, handicapés, hospitalisés, etc., d’une part ; ACAT, Secours Catholique, Amnesty International, Institutions de prévention ou de guérison dans le domaine de la drogue, initiatives de résorption du chômage, etc. d’autre part.

A condition que, loin d’être concurrentielles, elles s’articulent judicieusement avec la tâche apostolique, de telles activités contribuent notablement à l’estime que beaucoup de prêtres, et beaucoup de ceux qui les voient vivre et faire, portent à leur mission de prêtres. Par les uns et par les autres, elles sont perçues comme un élément important de témoignage chrétien dans le monde.

IV - De ce qu’ils font, et de ce qui les motive à le faire, - et avant d’en venir, au contraire, à ce qui leur pèse - on peut passer maintenant à CE QUI LES AIDE A VIVRE.

* Méritent sans doute d’être mentionnées en premier diverses formes et modalités de la convivialité sacerdotale.

Il y a bien sûr l’équipe sacerdotale locale, avec les accords, les complémentarités et les convergences diverses qui s’y jouent. Mais, d’une part, de plus en plus de prêtres sont de fait habituellement seuls ; et d’autre part, même là où elle existe, une telle équipe ne suffit pas à assurer cette convivialité dont l’importance est, semble-t-il, telle qu’elle apporte aux prêtres une dimension d’existence qui est pour eux vitale, et leur évite d’éprouver le besoin d’aller chercher ailleurs ce qui, fût-ce en tout bien tout honneur, ne serait que suppléance ou compensation.

Ne suffisent pas non plus les rencontres, éventuellement nombreuses, que permet et requiert à la fois la participation à l’aumônerie des divers Mouvements et organisations.

Une aide sans égale semble apportée par des regroupements beaucoup plus optionnels, appelant des réunions espacées mais régulières. Basés soit sur une connaissance mutuelle antérieure (datant du temps de la formation reçue en commun, par exemple), soit sur des affinités personnelles découvertes par la suite, ces regroupements particuliers prennent souvent la forme d’"équipes" électives où se vivent différentes formes de partage (d’expériences, de prière, de finance ; etc.). Des motivations apostoliques sinon menacées peuvent s’y relancer, et s’y refaire des énergies missionnaires sinon déclinantes.

* Une autre forme d’aide est apportée par certaines formes de ressourcement spirituel dont deux surtout me paraissent à souligner.

D’une part, des retraites faites seul, en abbaye. Les retraites faites en groupes restent certes fréquentées par ce type de prêtres, mais je suis frappé de ce besoin, chez plusieurs, de venir refaire leur prière en la "replongeant" dans (ou en la faisant "porter" par) la prière des moines... comme si l’activité pastorale avait engendré le désir de revenir à des sources plus profondes de la prière.

D’autre part, des sessions théologiques choisies avec la volonté un peu gratuite de "se tenir au courant", plutôt qu’en fonction de l’efficacité pastorale immédiatement repérable ; je constate que des individus et des groupes qui, à travers des années, continuent à travailler sur ce mode, gagnent à la fois en souplesse et en motivation dans le travail pastoral, en liberté intérieure et en disponibilité spirituelle.

A l’inverse, là où soit le ressourcement spirituel, soit la reprise réflexive ne sont pas suffisamment assurés, blocages, incompréhensions mutuelles, voire quelquefois intolérances, peuvent menacer..., pour ne pas parler de fléchissements éventuellement plus graves.

* Aide aussi, dans plusieurs cas, ce qu’on pourrait appeler un sain relativisme institutionnel.

Il arrive bien sûr que certaines lourdeurs, lenteurs ou opacités de l’appareil ecclésial soient ressenties comme pesantes. Par ailleurs, l’indifférence à laquelle on se heurte, le recul de la foi chez beaucoup, le "désenchantement du monde", le retour d’un religieux qui, loin de redonner ses chances à la foi, la compromet plutôt très souvent, tout cela peut incliner au découragement.

Ce qui aide les prêtres dont nous parlons à faire face à ces différents phénomènes, c’est d’accepter que l’appareil et les institutions ecclésiastiques ne soient pas tout. Certes, il n’est pas question pour eux de rejeter l’Eglise hiérarchique instituée : la fidélité même qui les maintient dans le ministère s’y oppose et fait la preuve du contraire ! Mais reconnaître cette Eglise comme Corps du Christ et sacrement du Salut du monde, permet justement de concevoir qu’elle n’épuise pas le mystère du peuple que Dieu reconnaît pour sien, ni les merveilles que (par la médiation ecclésiale à vrai dire !) sa grâce accomplit dans les cœurs.

V - Quant à CE QUI PESE aux prêtres dont nous parlons, quant à ce qui leur fait perdre leur élan, les démobilise et , quelquefois, risque même de les "démolir", on peut repérer ici trois niveaux.

* Dans la société actuelle d’abord.
Ils ont un tel désir de rejoindre le monde et de lui annoncer Jésus-Christ pour son propre épanouissement, qu’ils sont très sensibles à tout ce qui fait obstacle à la communication avec lui et, à plus forte raison, à ce qui la rend impossible : les malentendus qu’il faudrait pouvoir traverser avant même d’avoir quelque chance d’être un peu écouté ; l’indifférence installée et apparemment si satisfaite d’elle-même que rien ne paraît pouvoir 1’ébranler ; l’athéisme décidé et quelquefois si suffisant qui se rencontre en particulier chez certains jeunes ; la dérision, enfin, quelles qu’en soient les formes : condescendantes ou simplement, résolument cruelles.

Et puis, en-deçà même des problèmes d’une annonce possible de la foi, il y a encore, pour vulnérer de tels prêtres, la dureté du monde et des conditions faites aux plus petits et aux plus "paumés", dont si peu de monde se préoccupe vraiment et pour lesquels il est difficile de savoir quoi entreprendre.

* Au sein même de 1’Eglise, ensuite.
Un certain nombre voient une source de grande tristesse dans le sort que tels milieux d’Eglise voudraient réserver à Vatican II, à l’aggiornamento dont il a été à la fois le fruit et la promesse, et à l’espérance qu’il a tout ensemble exaucée et relancée.

Même s’ils admettent bien qu’il convenait de revenir sur une tendance excessivement horizontaliste ou "basiste", plusieurs craignent le retour, à la fois dans la théorie et dans la pratique, à une ecclésiologie trop hiérarchiste, trop verticaliste. Encore que tel ou tel ait pu avoir à en souffrir personnellement, la plupart de ceux qui réagissent ainsi ne pensent pas tant, en l’affaire, à eux-mêmes, qu’à l’image donnée ad extra d’une Eglise établie comme à distance du monde, en surplomb par rapport à lui, et qui ne serait donc plus guère perçue ni comme vraiment "servante" ni comme vraiment "pauvre".

* Du côté de leurs proches, enfin.
Ici jouent, par exemple, les incompréhensions qu’ils rencontrent, y compris de la part de chrétiens confirmés, quant à leur solidarité déclarée et effective avec l’Eglise institutionnelle, avec la hiérarchie, etc., ou quant au sens qu’ils donnent à des engagements aussi vitaux que celui du célibat. Jouent aussi, par exemple encore, ou l’incompréhension manifestée ou les remontrances faites par les "nouveaux venus dans la profession", qui re présentent la génération montante.

* *
*

J’ai bien conscience d’être très loin d’avoir épuisé tout ce qu’il conviendrait de mettre en valeur dans ce que j’ai appelé "la génération des prêtres d’environ vingt ans d’ordination et moins". Mais puisqu’il faut bien mettre un terme et que la dernière notation faite à leur sujet établissait un lien avec la "génération" suivante, j’en viens à celle-ci, sans autre forme de procès.

La mise en rapport entre les deux, qui deviendra alors possible, permettra d’ailleurs, je l’espère, d’éclairer davantage encore chacune d’entre elles.

II - LES TOUT JEUNES PRETRES ET LES FUTURS PRETRES

Je voudrais maintenant concentrer le regard sur les futurs prêtres ou les séminaristes d’aujourd’hui. Je n’étonnerai pas grand monde sans doute en disant ici, ainsi que je l’ai déjà annoncé, qu’ils paraissent accorder plus d’importance que leurs devanciers des décennies antérieures, à la "primauté du spirituel" et à la nécessité de maintenir et de renforcer, dans le monde et face à lui, l’identité chrétienne.

Disant cela, je ne perds pas de vue la relativité d’une telle évaluation. Si d’ailleurs, avec toutes les précautions requises, on peut faire état ici d’une nouvelle "génération", je crois indispensable de préciser qu’elle ne commence pas avec les futurs prêtres qui sont dans les séminaires en cette année 1986-1987 ; paraissent y appartenir aussi leurs prédécesseurs des dernières années, maintenant ordonnés. C’est la raison pour laquelle je crois indiqué de parler ici, à la fois, des "tout jeunes prêtres" et des "futurs prêtres".

I - La première chose à considérer concernant ceux vers lesquels nous nous tournons maintenant, c’est sans doute LE PASSE D’OU ILS VIENNENT.

* D’un côté, il faut bien voir que même s’ils ne manquaient pas de connaissances religieuses, ils avaient souvent au départ moins de culture ou de formation religieuses que leurs aînés. Ils ont vécu leur entrée dans l’âge adulte en un monde où la "chose chrétienne" ne tenait pas la même place qu’il y a seulement quinze ou dix ans : il s’agissait d’un monde où la foi n’apparaissait et n’apparaît au fond, et au mieux, que comme une opinion ou une option parmi d’autres également possibles.

D’où chez eux un grand besoin de connaître cette foi, de l’approfondir. Besoin qu’il faut d’ailleurs bien se garder de faire équivaloir à un moindre désir de la vivre et de la mettre en pratique : à leurs yeux, tout au contraire, un meilleur vécu est justement conditionné par une plus grande connaissance.

D’où aussi leur réaction première de réticence, non pas nécessairement devant toute critique ou remise en cause (là encore il faut s’efforcer de voir juste !) mais devant tout traitement de la foi ou de l’Eglise qui commence par la critique. Ils ont, eux, le sentiment qu’ils n’ont pas assez reçu, qu’ils ne sont pas assez forts et assez riches pour être exposés d’emblée aux feux incessants de la remise en question et du soupçon. Ils demandent à être d’abord éclairés, enseignés, équipés.

* D’un autre côté, si l’on passe du plan culturel-religieux au plan socio-politique, il ne faut pas oublier que ces plus jeunes n’ont pas vécu l’équivalent de ce qu’ont été Mai 68 pour leur plus proches prédécesseurs, l’Algérie pour d’un peu plus âgés et, à plus forte raison, 1939-1945 pour les plus anciens.

Ce facteur venant renforcer le fait, déjà relevé, qu’ils n’ont pas non plus été pris dans le mouvement conciliaire, il ne faut pas s’étonner qu’ils en viennent immédiatement à une tout autre vue des rapports de l’Eglise avec le monde et de la place de l’Eglise dans la société. Et ainsi que nous le vérifierons, cela ne pourra pas ne pas avoir de conséquences sur leurs conceptions de la relation foi et vie en général, et de leur propre responsabilité pastorale en particulier.

On pourrait évidemment développer beaucoup ce point... Il n’en est pas question, mais je veux au moins, avant de le quitter pour un autre, souligner son importance car elle est à mes yeux capitale. S’ils veulent un tant soit peu comprendre leurs successeurs, pouvoir leur parler et être écoutés d’eux, les prêtres dont nous avons parlé d’abord (cf. I) doivent absolument prendre en compte une telle donnée et la différence de point de vue et de sensibilité qui en résulte. Différence qui dès lors, il faut bien le reconnaître, n’apparaît pas seulement de "tempérament" mais de "génération", liée qu’elle est à une conjoncture historique particulière.

II - Après le passé d’où ils viennent, on peut maintenant regarder la manière dont les"jeunes" considèrent, à partir de leur présent, L’AVENIR QUI LES ATTEND. Marqués en effet par un passé vécu assez différemment de celui de leurs aînés, leur présent n’est pas, non plus, tout à fait le même.

* II en résulte, entre autres, que les aînés s’interrogent de temps à autre sur le point de savoir si ceux qui sont appelés à prendre leur relève évaluent justement la situation dans laquelle ils se retrouveront quand ils accéderont, à leur tour, aux commandes. Ont-ils réalisé, se demandent les premiers, à quel point le nombre des prêtres se réduira en France (pour s’en tenir à notre pays) ? S’ils sont moins de 28 000 aujourd’hui - alors qu’ils étaient environ 40 000 en 1965 !- les prêtres ne dépasseront guère, en effet, 16 000 en l’an 2000 ; et l’on est passé de plus ou moins mille ordinations par an il y a trente ans, à un peu plus de 100-110 à l’heure actuelle.

Ont-ils réellement pris en compte le fait que les Eglises ont perdu une bonne part de leur pouvoir dans la société, de leur influence immédiate sur les mentalités d’ensemble et, si l’on peut dire, de leur "crédibilité a priori" ?

Sont-ils disposés à prendre réellement la mesure des grands bouleversements sociaux auxquels nous assistons déjà et qui ont tant de répercussions sur les conditions de vie et les mœurs ?

Ils sont, certes, contemporains de la grande récession économique de ces dernières années et ils n’en sont pas inconscients, mais dans quelle mesure les a-t-elle touchés ? Certains de leurs observateurs ont l’impression que, paradoxalement, ils apparaissent parfois peu sensibles, par exemple, aux véritables raisons du chômage et aux causes réelles du succès de la drogue, quand bien même ils enregistrent nombre de leurs conséquences effectives.

Enfin, la plupart d’entre eux, n’ayant pu être ce qu’ils sont - et ils le reconnaissent volontiers - que parce qu’ils ont vécu des relations familiales correctes dans des familles chrétiennes et chrétiennement engagées, et au sein de groupes humainement porteurs (rassemblements de prière, Mouvements, aumôneries, etc.), ils pourraient ne pas avoir une suffisante conscience de plusieurs détresses fondamentales, qui sont pourtant le lot quotidien de beaucoup de contemporains, en particulier d’enfants : le divorce et ses conséquences, tous les problèmes du couple et leurs répercussions sur tous les partenaires concernés, etc.

*© Il n’entre pas, grâce à Dieu, que de la suspicion ou que de la condescendance dans ces évaluations d’aînés - mais aussi, et le plus souvent me semble-t-il, une crainte réelle de voir se briser, peut être, certaines naïvetés, et apparaître corrélativement désarroi voire accablement, au moment d’éventuelles brusques prise de conscience.

On doit néanmoins nuancer beaucoup de telles opinions. Car, outre que ces jeunes prêtres, ou futurs prêtres, ne sont pas plus critiquables que d’autres d’avoir les dispositions d’esprit de leur âge (qui d’ailleurs étaient, en leur temps et mutatis mutandis, celles des aînés eux-mêmes - ils ont tendance à l’oublier ! -) il faut au contraire attirer l’attention sur au moins deux traits qui sont plus répandus, chez ces jeunes, qu’on ne veut bien parfois le reconnaître.

Je crois tout d’abord qu’ils ont souvent plus de lucidité qu’on ne le pense. En particulier, ils me paraissent avoir la conscience relativement nette de ce qu’ils ne pourront pas vivre leur presbytérat exactement sur le même mode que leurs aînés. Qu’ils ne soient pas en mesure de préciser quel sera leur "modèle sacerdotal" (presbytéral, plutôt) ne devrait pas leur être reprochable. Beaucoup désirent d’ailleurs expressément que de plus expérimentés les aident à en préciser les modalités.

Par ailleurs, je dois dire que j’incline à évaluer très positivement la forme de sérénité que je constate chez un certain nombre, dans la mesure où, loin de se substituer à la lucidité qui vient d’être évoquée, elle s’y articule au contraire et permet de la gérer. J’avoue n’avoir pas été peu impressionné par ce qui m’apparaît être alors à mi-chemin entre une attente paisible et un courage tranquille, à peine formulé mais nettement perceptible à qui sait voir et écouter, devant un avenir estimé, aussi, riche de possibles encore à découvrir et confié, dans la foi, à ce Dieu qu’ils confessent tout ensemble comme le maître de l’histoire et le Seigneur de leurs vies.

Je tiens à dire que non seulement une telle attitude m’a paru hautement respectable, mais qu’elle me semble pleine de promesses pour l’avenir et, déjà source de confiance et chance de dialogue pour le présent.

III - Faut-il s’étonner alors de constater chez un bon nombre UN ATTRAIT MARQUE, VOIRE DOMINANT, POUR LE SPIRITUEL ?

* Même ceux qui n’ont pas de passé chrétien, familial ou personnel, dense ou de longue durée, ils ont tous la conscience d’avoir vécu et de vivre une forte expérience spirituelle, qu’éventuellement d’ailleurs de plus âgés leur envieraient ! Ceux-ci avaient pour leur part, en général, un passé chrétien ou assez chrétien, dans un monde souvent plus marqué par la présence chrétienne ; et leur objectif premier était alors de "rejoindre le monde". Passé chrétien fort ou faible, l’objectif est plutôt, chez les plus jeunes, de "chercher le spirituel" dans un monde qui en a soif, parce qu’il leur paraît les avoir eux-mêmes "sauvés" d’un certain désenchantement et de la totale désorientation constatée chez beaucoup de leurs compagnons.

Cela les conduit, entre autres, au besoin de relire leur histoire en termes de "fondation", à cultiver tout ce qui favorise la prière : études, retraites, partages spirituels, etc., ils ont l’impression que si cela n’est pas assuré l’essentiel, le fondateur, sera perdu et que le reste ne tiendra pas.

En cela d’ailleurs, ils apparaissent bien semblables et accordés à une bonne part des chrétiens de leur génération. Sur 500 groupes réguliers que compte présentement la Mission Etudiante en France, plus de cent se consacrent à l’étude biblique, 91 à une formation à la vie chrétienne et 86 sont des groupes de prière.

* Certes, ils ne sont pas toujours conséquents avec leur propos de primat du spirituel ; naturel, entraînement et négligence peuvent, bien sûr, occasionnellement reprendre le dessus. En général, pourtant, on doit souligner l’authenticité, la disponibilité et la fraîcheur évangéliques de leur choix.

Il faut aussi reconnaître que si menace le risque des affirmations faciles, de la spiritualité confortable ou de la piété-refuge, le spirituel tel qu’ils le comprennent est, le plus souvent, d’abord vécu comme lieu et source d’exigences qui en appellent d’autres dans les différents secteurs de l’existence, plutôt qu’elles n’en dispensent.

Je relève enfin, dans cette même rubrique, l’importance accordée à la nécessité d’un engagement de toute la vie. Engagement perçu comme un pari humainement impossible et qui peut réveiller une "peur réaliste", mais qu’on voudrait cependant choisir comme un signe, en ce monde dur, désenchanté et sans âme, de la folie évangélique qui pourrait déciller les yeux des plus indifférents et des plus caparaçonnés, et de les amener à considérer qu’après tout, la "voie chrétienne" vaut la peine d’être suivie.

* On ne cachera pas, là-devant, une nouvelle fois, les perplexités, ou du moins les interrogations des aînés. Celles-ci portent principalement, à ce qu’il semble, sur deux points.

D’un côté ces jeunes ont conscience d’une grâce et d’une élection, d’une mise à part. On se demande alors jusqu’à quel point il y a vraiment eu là décision, du moins décision assez réaliste, consciente de ses implications pour le concret de la vie et par rapport à la complexité du réel d’aujourd’hui. Et il arrive que dans ce contexte on craigne que le désir de se retrouver entre soi, trahisse comme une volonté de protection et d’esquive de l’affrontement.

D’un autre côté, à de telles interrogations, les interpellés répondent qu’ils ont tout à fait le sentiment d’avoir réellement payé le prix de leur choix, donc d’en avoir fait véritablement un. Oublierait-on que ce n’est pas rien, tout de même, que d’orienter leur vie ainsi qu’ils le font, dans un monde si indifférent et quelquefois si hostile à la foi et au spirituel dont ils se réclament ?

Mais alors l’interpellation se déplace et l’on rétorque : oui, peut-être, mais qu’est-ce qui, dans tout cela, a été réellement traversé ? Car autre chose est de constater que le monde est assez massivement désenchanté et/ou a-chrétien et, le constatant, de rejoindre les milieux chrétiens, et autre chose est d’avoir vraiment perçu la force des critiques et du "soupçon" multiforme auquel la foi et son univers sont soumis, de les avoir examinés et, fût-ce dans la conscience maintenue de sa propre vulnérabilité, de les avoir tant bien que mal traversés.

Mais ce point est à vrai dire solidaire d’un autre, auquel il convient donc de passer pour une plus juste évaluation.

IV - Solidaire de l’attrait pour le spirituel qui vient d’être enregistré, il conviendrait en effet de relever un PROFIL CLERICAL ou plutôt "ecclésiocentré" accentué. Qu’en est-il au juste ?

* Il paraît utile de partir ici de ce qui est comme une évidence première pour un certain nombre de ceux dont nous parlons maintenant. La génération qui les a précédés a dû avoir, certes, ses raisons de s’orienter comme elle l’a fait, avec les priorités qu’elle s’est données, mais elle aurait dû, tout de même, prendre garde à laisser debout "davantage de piliers au milieu des démolitions" (sic) ! ! Certes, il ne faut pas l’accuser de tous les péchés du monde, mais il s’avère que ses meilleurs intentions ont, tout compte fait, non pas seulement profité à l’Eglise - et donc au monde auquel est envoyée l’Eglise - mais aussi, quelquefois, augmenté incertitudes et désarrois, quelles conclusions faudrait-il en tirer ?

Mille neuf cent soixante-huit a été par essence contestataire. Tout s’est passé comme si bien avant et après cette date-symbole, nombre de chrétiens, et d’abord parmi les clercs et les intellectuels, s’étaient donné pour tâche première de ré-interpeller les chrétiens sur eux-mêmes, de remettre en question leurs habitudes de pensée et leurs comportements pratiques, etc.

Or le résultat n’est pas si convaincant ! Qu’a-t-on gagné, au vrai, à se mettre à s’auto critiquer et à se rendre si vulnérable au soupçon du dehors ? N’a-t-on pas à la fois perdu beaucoup de temps et joué un rôle que d’autres assuraient suffisamment (!), découragé bien des bonnes volontés et désarçonné bien des fidèles... pour bien peu d’efficacité ad extra ? - Au fond, vous nous accuseriez presque d’être des rêveurs, mais n’est-ce pas vous qui, en réalité, l’étiez ou, du moins, l’êtes devenus ?

* Des réactions, résistances et ré-interpellations de cet ordre sont certes rares sous cette forme et, quand elles interviennent, elles sont rarement vraiment polémiques de la part des "jeunes" ; mais savoir qu’elles sont souvent au moins latentes, à ce qu’il paraît du moins, peut permettre de comprendre plus facilement la manière dont ils comprennent, eux, l’Eglise.

Ils tendent à penser que, dans la débâcle généralisée des valeurs et au sein des désarrois et des dérives que l’on peut constater dans la société civile d’une part, devant les déceptions et les attentes de tant de fidèles d’autre part, il est temps d’en revenir à une relation beaucoup plus positive à l’Eglise. Il y a mieux à faire qu’à ajouter encore à ceux qui, du dehors, attaquent et critiquent l’Eglise, en commençant d’ailleurs par ses représentants les plus patentés !

L’Eglise, avec sa Tradition vieille de deux mille ans et avec sa hiérarchie assistée de ’1’Esprit-Saint, est le lieu où Dieu continue de manifester sa volonté et la vérité du salut : pourquoi faire, même pendant un temps ou sous un aspect du moins, comme si on ne le croyait pas vraiment - ou pas tout à fait - ? Il faut se mettre au service de l’Eglise, point final. A moyen terme au moins, on ne saurait être plus utile au monde lui-même qu’en vivifiant et fortifiant une Eglise qu’il n’est, certes, peut-être pas porté à écouter pour l’heure ; mais il finira bien par se tourner vers elle, tant sont peu nombreuses, en notre âge à la fois désenchanté et sans prophètes, les propositions tout ensemble nettes et crédibles en matière de "sens".

* D’une telle attitude de fond résultent d’ailleurs plusieurs conséquences notables, qui contribuent à accentuer la différence de la nouvelle "génération" dans son ensemble, avec sa devancière. Parmi bien d’autres, on en retiendra surtout deux.

D’un côté, une certaine revalorisation du clergé et de tout ce qui le distinguera de la vie laïque, à l’encontre de tout le processus antérieur de "dé-clergification", et d’autre part un attachement renforcé à l’autorité : quand on a la chance d’avoir des maîtres et des chefs, qu’y a-t-il de mieux à faire que de les suivre ? -Une autre conséquence au moins pourrait encore être notée, mais elle a assez d’importance pour mériter d’être détachée ; venons-y donc.

V - Attrait pour le spirituel (cf. III) et profil "ecclésiocentré" (cf. IV) débouchent sur ce qu’on pourrait appeler UNE MENTALITE "INTEGRALISTE". Ce terme est évidemment à bien comprendre. Il ne s’agit pas d’intégrisme, et on aurait tort d’en faire un appel au triomphalisme ou à l’arrogance face au monde.

* Il s’agit d’abord de l’ambition de "reconstituer une synthèse" entre Eglise et société, mais à partir de l’Eglise elle-même car le christianisme est bel et bien "une culture complète et un système global" (R. REMOND). Il convient donc de militer dans et pour une Eglise en position de force et d’affirmation de soi. Et s’il convient pour cela que l’Eglise se recentre sur elle-même, sur ses positions, ses certitudes et ses intérêts propres, il est bien entendu que c’est pour que, mieux réassurée sur ses bases et purifiée de ses tentations ou de ses compromissions, elle n’en ait que plus de mordant ad extra, elle n’en soit que plus conquérante.

* On voit combien il serait erroné de comprendre le besoin de spirituel comme un repli entraînant un total retrait par rapport au monde. Il s’agit bien de ne pas perdre de vue la conversion du monde. Mais on est désireux d’efficacité, on évite les détours et les préalables, on souhaite aller au plus vite à l’annonce la plus explicite.

On puise les motivations d’un comportement "missionnaire" ainsi compris dans une certitude d’ordre spirituel : on a une confiance totale en la force propre de la Parole de Dieu ; on ne veut que la servir en la répercutant sans retard et de son mieux. Qui pourrait nier qu’il y a là quelque chose qui appartient essentiellement à la tâche apostolique ? Et qui pourrait nier que le nécessaire respect des autonomies légitimes, le respectable souci de rejoindre le monde tel qu’il est, mais aussi une sur-politisation qui tendait à majorer l’engagement temporel par rapport à la vie de la foi, aient parfois conduit la génération antérieure à des risques ou à des excès par rapport auxquels il était nécessaire de pratiquer des réajustements ?

* Cela dit, les aînés sont aussi à entendre lorsqu’ils attirent l’attention sur les risques et les excès qui résulteraient d’une attitude et d’une pastorale totalement inversées. Le principal risque est évidemment que l’on aboutirait à deux victimes.

On aurait alors d’un côté une Eglise marginalisée, incapable de faire valoir ailleurs qu’aux yeux des déjà-convaincus la puissance conquérante de l’Evangile : pour annoncer crédiblement que Dieu-est-avec-nous, il faut que celui qui annonce soit - et soit perçu comme étant - AVEC son interlocuteur.

Et, de l’autre côté, on aurait un monde, une société, bloqués sur leurs incohérences, leurs doutes et leurs désarrois. Ne faut-il pas aussi s’avancer à la rencontre, et s’incarner, et savoir tout à la fois prendre à bon escient des risques proportionnés, faire confiance aux temps et aux cœurs que travaille aussi l’Esprit de Dieu, et ne pas craindre de chercher parfois de nouveaux chemins ?

* *
*

Une nouvelle fois, il est clair que je suis loin d’avoir brossé un tableau complet. Assez a été dit cependant, me semble-t-il, pour qu’on voie bien que mon problème n’était ni de prétendre - comme si c’était jamais possible - à une objectivité totalement neutre, ni de faire le procès de l’une ou l’autre "génération" que j’ai cru pouvoir discerner, afin, au contraire, de prendre parti pour l’autre.

Je tiens que s’il y a dans l’Eglise d’aujourd’hui deux "générations" et, plus largement, deux "tempéraments", cela devrait ne pouvoir être pour elle qu’une grâce, même si je suis évidemment, moi aussi, "posté" à ma manière dans le débat. Je me refuse à me faire partisan de l’un ou de l’autre bord. Je pose en principe que la seule voie est celle de la reconnaissance mutuelle et de la confiance judicieusement faite à l’autre.

Puisqu’il se trouve que par génération je me retrouve plutôt sur le premier versant et que par mission j’ai responsabilité de me porter aussi sur le second, j’en viens à parler de la seule chose qui finalement m’importe ici : comment les "aînés", dont je suis, sont-ils invités à concevoir leurs tâches d’accompagnateurs et de formateurs auprès des "plus jeunes" qui leur sont confiés ?

III - LES TACHES DE FORMATION ET d’ACCOMPAGNEMENT
DES JEUNES PRETRES ET DES FUTURS PRETRES d’AUJOURD’HUI

Pour la clarté et la concision à la fois, je me propose d’énoncer quelques "consignes" susceptibles, dans leur articulation mutuelle, de préciser suffisamment ces tâches. Mon développement vise seulement à donner un peu de corps et de consistance à ces consignes. Je serai assez bref puisque nous avons maintenant fait connaissance avec les deux "positions" dont il nous faut examiner la relation. Je continuerai de parler en "je" car je n’engage que moi.

I - La première consigne est : LES ACCUEILLIR TELS QU’ILS SONT.

C’est-à-dire : les recevoir et leur donner toutes leurs chances dans l’état ou la grâce les a trouvés et nous les a conduits.

Il n’a jamais été très facile d’accueillir la différence, je le sais. Il me semble que c’est devenu plus nécessaire et plus urgent que jamais. C’est en tout cas une des consignes prioritaires que je me donne aujourd’hui, et pas seulement parce que je crois comprendre que ces jeunes ont, en toute hypothèse, un grand besoin de reconnaissance. Pour tout dire, je me laisserai aller à avancer qu’il y a même là un des points sur lequel je me suis senti, ces dernières années, appelé à la conversion. Je me dis sans nuances, à moi-même, que j’ai probablement à m’ouvrir dans la foi et dans l’espérance aux chances nouvelles qui peuvent s’ouvrir pour l’Eglise avec cette génération qui s’avance pour la servir. Il n’est évidemment pas question, en cela, d’autre chose que de fidélité à ce que, avec d’autres de ma "génération", j’ai toujours cru, mais il me semble que je suis appelé à le considérer et à le vivre un peu autrement.

Et quand je dis "les accueillir", je pense : leur donner vraiment acte de ce qu’ils sont ; souligner d’abord et toujours le positif qui est en eux, et le faire aussi bien entre nous que devant eux et avec eux. C’est l’une des meilleures chances que nous avons de leur donner confiance en nous et, ce qui importe davantage encore, en eux-mêmes.

D’ailleurs je ne vois pas comment on pourrait faire quelque chose avec et pour eux sans les aimer ; et je ne vois pas comment on pourrait les aimer sans adopter résolument envers eux une attitude d’ouverture et d’accueil, de partage et de confiance.

Cela dit, nous avons à leur égard une mission et une responsabilité. Nous sommes témoins d’une histoire et d’une tradition. Nous avons une tâche de formation et de discernement. Il ne saurait donc être question ni de fléchir ni de biaiser, encore moins de capituler, quand tout cela est enjeu.

II - LES CREDITER DE LEUR SENS SPIRITUEL, quitte à les aider à se donner un plus solide "sol d’humanité", à se "lester" davantage.

Il est bien vrai, quand même, que la foi compte pour quelque chose dans ce que, comme prêtres, nous visons à faire avancer dans le monde ! ! Je ne vois pas pourquoi nous ne nous réjouirions pas sans réserve de voir progresser le goût et la pratique de la prière. Sans doute faut-il veiller à ce qu’elle ne devienne pas un refuge ou une facilité, mais il nous faut aussi reconnaître que nous venons d’une époque dont la tendance à l’activisme et à l’horizontalisme mérite, ou méritait, d’être jugulée.

Il est certain par ailleurs qu’il y a dans notre monde un immense besoin de spirituel. Le monde est froid et dur. Le règne de la rationalité technique laisse les gens, et d’abord les jeunes, sur leur faim. On ne peut pas longtemps vivre en mettant systématiquement entre parenthèses ou en laissant indéfiniment sans réponse toute question de l’ordre du fondement ou de la finalité. Si nous ne nous intéressons pas à la question spirituelle comme telle, il ne faudra pas nous étonner de voir les sectes et les drogues faire non seulement des adeptes, mais des ravages.

Par ailleurs, c’est un fait que les chrétiens eux-mêmes ont pu être frustrés par un certain type de pastorale. Un certain nombre de fidèles n’ont pas trouvé leur compte parce que, à bon droit, ils se sont estimés frustrés du côté de la pratique sacramentaire et, plus largement, de la prière. La requête se rencontre, ici, même chez les militants ! Le temps est venu de ne pas se préoccuper seulement de fournir des militants mais aussi de susciter et d’aider à progresser des méditants chrétiens, et le mieux serait que ce soit les mêmes ! Deux points me paraissent enfin à soigner particulièrement.

D’abord, nous devrions nous interroger plus sérieusement sur le type de sainteté et plus largement d’"école" de spiritualité que nous visons à promouvoir. Il y eu un temps où, par exemple, le Père de FOUCAULD et "AU COEUR DES MASSES" étaient des références dans les séminaires. Quelles figures et quels textes avons-nous à proposer maintenant ?

Ensuite, il nous faut revaloriser sérieusement la dimension spirituelle de la théologie comme discours de la foi. Certes, la théologie comporte un moment de vérification et de critique, et donc il faut l’arracher à toute confiscation par les piétismes et autres illuminismes. Mais il faut résister tout aussi bien à toutes les réductions par les Sciences Humaines ou par la critiques des idéologies.

Il ne s’agit assurément pas de "faire de la dogmatique un sermon" comme le disait STRAUSS, mais il s’impose de faire apparaître que le discours théologique se nourrit incessamment de l’acte de foi qui l’inspire et en dehors duquel la théologie n’aurait, d’ailleurs, rien de vraiment spécifique à dire.

Il ne suffira pas de revenir à une prière au début des cours ou d’exposer historico-critiquement la pensée du Père X... ou de St Y... pour être quitte avec ce que j’appelle ici la dimension spirituelle de la théologie. Il faut que la démarche croyante apparaisse structurante du discours théologique comme discours. Car la théologie n’est pas critique sans être confessante (même si la génération a besoin qu’on lui rappelle aussi, voire d’abord, l’inverse).

III - INFLECHIR LEUR SENS ECCLESIAL DANS UN SENS TOUJOURS PLUS APOSTOLIQUE

Ici encore, il conviendra sans doute de commencer par créditer les jeunes de leur amour pour l’Eglise. C’est bien parce qu’ils la croient menacée, et qu’ils l’aiment, qu’ils ont tendance à se recentrer, voire à se replier sur elle. Il est bien certain que l’on ne peut rien faire de durablement chrétien en dehors d’elle, et à plus forte raison contre elle. Mais cela comporte souvent beaucoup plus que ne le pensent nombre de ceux qui croient l’aimer !

Il faudra donc savoir rappeler à ces jeunes qu’aimer l’Eglise, cela veut dire : entrer dans sa réalité concrète, ne pas pratiquer d’exclusives, reconnaître la légitime diversité, servir la communion, payer le prix de certaines solidarités, jouer dans l’honnêteté le jeu de l’institution (et jamais en se servant des personnes comme de moyens)... et aussi savoir avaler quelques couleuvres.

Mais, compte tenu des mentalités, il faudra aussi, et souvent davantage encore, rappeler qu’il n’est pas possible d’aimer chrétiennement l’Eglise sans aimer aussi le monde auquel, à la suite du Christ qui l’a"tant aimé", elle est envoyée. Et là encore, aimer veut dire : aimer concrètement.

En respectant autonomie, compétences et altérité, en jouant honnêtement le dialogue, en faisant judicieusement confiance, en étant effectivement désintéressé, en se faisant réellement serviteur.

Il est souvent plus facile, pour les laïcs, aussi bien que pour les prêtres d’ailleurs, de "faire des choses pour l’Eglise" (ce que, assurément, il s’impose aussi de faire !), que de s’efforcer à être chrétien dans le monde, au sein des combats, des duretés et des concurrences de ce monde. Or, c’est bien le monde que Jésus-Christ est venu sauver, au nom du Père qui l’y a envoyé.

Enfin, il conviendra d’inviter à renoncer totalement et définitivement à tout cléricalisme, ce qui impliquera au moins deux choses.

D’abord : adopter résolument une optique de service, s’ouvrir aux questionnements des temps et s’efforcer d’y répondre tels qu’ils sont, prendre (avec les moyens de l’Evangile !) le parti des opprimés, valoriser, y compris dans l’Eglise elle-même, la liberté de la recherche, du choix, de la décision, etc.

Ensuite : ne jamais considérer l’Eglise comme si elle était déjà revêtue de sa figure définitive, eschatologique, ce qui n’est pas une manière de lui porter atteinte mais le moyen de ne pas l’idolâtrer. L’Eglise n’est pas le Royaume advenu en sa plénitude. L’Eglise est le sacrement du salut - pas le salut. Elle est vraiment - mais elle n’est que - l’Eglise de Jésus-Christ, l’Eglise du Dieu-Trinité.

IV - EDUQUER A VIVRE UNE ECCLESIOLOGIE DE LA RARETE

Tout ce qui vient d’être dit doit encore tenir compte d’une donnée incontournable de la situation ecclésiale de notre temps : l’Eglise est, de fait, minoritaire quantitativement et, à vues humaines en tout cas et dans notre société du moins, cela risque bien de se vérifier un certain temps, voire de s’accentuer encore.

Dans ces conditions, il convient d’affiner encore l’attitude à l’égard et du monde et de l’Eglise. Parmi les comportements souhaitables en ce sens, on pourra présenter au moins ceux-ci :

* Renoncer définitivement à toute jérémiade. Faire le travail jour après jour, en se donnant des objectifs précis à long terme (ou plutôt à court terme, car Dieu seul "voit" plus loin), mais en se montrant souple dans l’application. En mettant un pied devant l’autre, dans la conscience de ce que cela finit par faire un chemin. Sans regretter de ne pas être ailleurs, avec d’autres, pour faire autre chose plus rapidement. Je ne crois à vrai dire qu’aux "petits boulots" définis avec clarté et continués dans la fidélité. Les "grands coups", c’est rare !!

* Redécouvrir le "milieu juste" comme l’appel à une audace urgente et comme le lieu d’un courage nécessaire. Nous assistons à un certain déploiement de vagues intégristes, et leur pression peut être forte en certains lieux et sur certaines personnes. Qu’il soit devenu nécessaire de dénoncer les méfaits du gauchisme n’autorise pas à donner des gages à l’extrême droite ou à montrer des faiblesses pour elle.

* Privilégier absolument les lieux où, dans le cadre de la responsabilité qui est la sienne, on peut parfaitement, d’ores et déjà annoncer explicitement Jésus-Christ. Le faire tranquillement, sans forfanterie et sans complexe à la fois, en croyant, oui, à la force propre de la parole de Dieu ; mais cela implique d’abord que ce soit effectivement la Sienne que nous nous employons à proclamer, et ensuite que nous nous en fassions nous-mêmes les premiers interlocuteurs, dans le moment même où nous l’annonçons.

* Particulièrement avec ceux qui ne partagent pas notre foi mais, à vrai dire, avec tous nos interlocuteurs, ne jamais considérer que notre tâche consiste seulement à "dire le vrai", même si nous y ajoutons un effort pour, autant que possible, en témoigner par notre vie. Il appartient aussi à notre annonce de se préoccuper de sa réceptibilité par ceux auxquels nous prétendons nous adresser. Certes il faut dire le vrai, mais en le disant à quelqu’un. Le marketing ce n’est pas seulement savoir vendre tel bien que l’on se trouve posséder, c’est chercher à savoir comment produire en fonction de la vente, c’est-à-dire en fonction de l’acheteur. De la même manière, la communication ce n’est pas : "voilà ce que j’ai à vous dire, débrouillez-vous pour le capter" ; c’est : "comment nous accorder pour que des messages puissent s’échanger, et la vérité être reconnue, entre nous ?".

* Cultiver d’une manière et de l’autre un champ de profanité (contacts, services, culture, etc.) qui soit certes cohérent avec nos engagements et non pas concurrentiel par rapport à eux : c’est un minimum ; qui soit aussi assez bien choisi pour nous apporter à la fois détente et équilibre. Mais qui soit, encore, - assez notable pour être un témoignage, en éclairant sur le sens que nous donnons à notre appartenance ecclésiale comme service effectif du monde.

* Se préoccuper de la formation et de la responsabilisation de laïcs pour toutes les tâches qui peuvent et pourront leur être confiées. Sans regrets, ni reproches, ni jalousies plus ou moins marquées. Ce n’est pas concurrentiel par rapport à la "relève" presbytérale : ce peut être au contraire le meilleur moyen d’une relance.

V - Dernière consigne, qui mérite d’être détachée : aider à prendre conscience de ceci : CE QUI IMPORTE PAR-DESSUS TOUT, C’EST QUAND MEME LA CONVERSION.

D’abord, être prêt et s’entraîner à des conversions de nos méthodes et, si nécessaire, de certaines structures : il n’est pas possible de travailler à l’annonce de l’Evangile en recourant à des moyens non évangéliques ; et donc nos moyens sont toujours à mesurer à l’aune de l’Evangile. Mais aussi et surtout, être prêt et s’entraîner à des changements de mentalité et à des changements de cœur. Sans oublier que la sainteté ne se joue pas dans le seul commerce avec Dieu, mais aussi dans le rapport à l’Eglise concrète et au monde tel qu’il est.

Le plus important c’est tout de même d’être chrétien, d’être chrétiennement homme, c’est-à-dire de s’efforcer toujours à le devenir, de son baptême à sa mort. Il faut bien le dire : tout le reste ne vaut que par rapport à cela.

* *
*

Il est plus que temps de faire une fin. Je ne dirai pas une nouvelle fois les limites, que je vois bien, de ces pages sur "les prêtres et les futurs prêtres d’aujourd’hui". Je conclurai plutôt sur l’énoncé d’une conviction, en espérant que ce sera le meilleur moyen d’être jusqu’à la fin logique avec le seul objectif que je me sois donné ici : être un peu utile dans la tâche qui nous incombe d’aider les prêtres - tous les prêtres - à l’être mieux.

Des "spirituels" et des "apostoliques", qu’il s’agisse de "tempéraments" ou de "générations" (puisque nous pouvons voir que ce second point de vue est, lui aussi, justifié), aucun des deux "bords" n’est autorisé à confisquer l’ecclésialité, ni à prononcer à ce titre des exclusives. Tout prêtre de toute génération doit être et spirituel et apostolique.

Comme il est impossible d’être tout à la fois, il faut s’exercer à tenir pour heureux que d’autres fassent autrement que nous la même chose que nous. Et, dès lors, ne pas seulement les tolérer à côté de soi, mais les aider à être eux-mêmes, dans leur différence par rapport à nous.

Autant il ne peut plus y avoir de signification s’il n’y a plus d’identité, autant il ne peut y avoir d’identité qui ne se préoccuperait pas de sa signification. Autant tous les prêtres doivent rechercher et l’une et l’autre, autant il est non seulement acceptable mais heureux que, dans une complémentarité voulue et cherchée, les uns insistent plus sur le premier pôle et les autres sur le second. Il y a là la source de la solution de bien des conflits latents ou déclarés. Il y a là, aussi, comme deux poumons de l’Eglise.