Points de repères pour les éducateurs des 15-19 ans


Guy LESCANNE
prêtre du diocèse de NANCY,
sociologue et responsable diocésain des aumôneries de l’Enseignement Public,
ancien responsable national M.E.J.

Thierry VINCENT
achève ses études de médecine
responsable laïc en aumônerie de l’Enseignement Public à NANCY

"JEUNES ET VOCATIONS" propose ici à ses lecteurs des extraits de la dernière partie de 1’intéressante enquête effectuée par Guy LESCANNE et Thierry VINCENT, parue aux Editions du CERF sous le titre "15-19 ANS - DES JEUNES A DECOUVERT".Coll. "Recherches Morales-Documents" 2ème Edition - Février 1987 - 132 pages - 66 F.

A partir d’entretiens non directifs, les auteurs ont voulu mieux cerner les traits de mentalité de cette tranche d’âge, autour de grands thèmes comme la religion, la musique, la famille... Selon eux, les jeunes sont très fortement marqués par la complexité du monde dans lequel ils vivent, et réagissent face à cette réalité par une sorte d’attentisme, d’indifférence générale. Cependant, remarquent Guy LESCANNE et Thierry VINCENT, ce constat ne doit pas devenir une fatalité. Aux éducateurs qui veulent réagir et permettre à ces jeunes d’exister, de risquer une parole et un projet, des pistes sont offertes.
Non exclusives à la pastorale des vocations, recevables par tous ceux qui rencontrent des 15-19 ans, ces quelques directions nous rappellent qu’une pastorale des vocations digne de ce nom s’inscrit aussi dans un souci pastoral des jeunes tels qu’ils sont, et à travers une saine démarche éducative.

Ce sont ces quelques propositions que nous livrons ici avec l’aimable autorisation des Editions du CERF.

1 - Mieux entendre leur besoin de sécurité

S’il est vrai que devenir adulte rend nécessaire l’abandon de la maison familiale pour se risquer sur des terres étrangères, il est tout aussi vrai qu’aucun homme, a fortiori s’il est adolescent, ne peut s’aventurer sur des chemins inconnus sans s’appuyer sur le sol solide de certaines sécurités. L’absence de sécurité - que l’on songe ici en particulier à la détérioration fréquente du climat familial, et plus largement affectif - a plus de chance de provoquer des paralysies que de susciter des dynamismes.

Dès lors, il convient de ne point faire, avec des adolescents en particulier, la théorie pédagogique de la remise en cause permanente.

Nous ne sommes sûrement pas les seuls a constater qu’il est dur, pour un jeune aujourd’hui, de croire. Parlant ainsi, nous n’évoquons pas seulement de croire en ses parents, de croire en ses copains. Il est dur, peut-être surtout, pour un jeune aujourd’hui de croire en lui-même. Le climat d’insécurité, tant physique qu’idéologique dans lequel il baigne, renforce dette difficulté. Et ce, d’autant plus que l’acte de croire, comme toute confiance donnée, crée lui-même une situation d’insécurité. Croire en l’autre, avec ou sans majuscule, c’est toujours prendre un risque. Une telle "aventure" ne peut s’épanouir, et même plus simplement s’exprimer hors d’un minimum de sécurités affectives et intellectuelles.

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Notre rôle d’accompagnateur adulte, que nous soyons parents, animateurs, ou autrement éducateurs, ne serait-il pas alors de soutenir, voire de susciter des lieux suffisamment sécurisants qui permettent 0 des jeunes de se risquer, à leur mesure et à leur manière sur des chemins de décision et de foi ? Une vie familiale stable, une relation amicale réussie, une équipe ou un club peuvent être, parmi d’autres, de ces lieux. Encore faut-il qu’aucun de ceux-ci ne prétendent, explicitement ou implicitement, à l’exclusivité. Encore faut-il que l’on sache susciter en leur sein l’espace de liberté qui favorise un réel esprit critique sur la sécurité qu’ils proposent.

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2 - Leur faire confiance et mériter leur confiance

S’il est vrai qu’il est dur pour un jeune, aujourd’hui, de croire, et en particulier de croire en lui-même, il est non moins vrai qu’un des chemins les plus directs pour trouver ou retrouver cette confiance sera celle que d’autres pourront lui faire. Il ne saurait être question alors d’un parti pris irraisonné ou volontariste : il ne s’agit ni de faire confiance les yeux fermés, ni d’utiliser la méthode Coué ; l’une et l’autre desserviraient vite son prétendu bénéficiaire.

En revanche, s’efforcer de reconnaître toutes les potentialités qu’il a déjà mises en oeuvre, même partiellement, ou qu’il pourrait déployer, fonder notre confiance sur cette reconnaissance, et le lui manifester explicitement, sont, nous semble-t-il, des attitudes qui peuvent aider un jeune à prendre sa vie telle qu’elle est, et telle qu’elle peut devenir. Ce qui est vrai pour un jeune pris individuellement, l’est pour un groupe qui a, lui aussi, besoin de reconnaissance extérieure pour exister.

Même si pour débusquer ces potentialités une telle attitude doit s’enraciner dans un a priori positif, il importe qu’elle puisse être aussi lucide et fondée que possible. Fort de cette confiance, et de ce qui permet à d’autres de la fonder, un jeune pourra se réapproprier une telle "relecture" de sa vie et de son histoire, et mieux assumer ses richesses et ses limites. Les manifestations d’orgueil ou de frime sont souvent des réactions de défense pour masquer parfois même à ses propres yeux, une profonde dépréciation de soi. Les adolescents ne sont pas les seuls à en faire l’amère expérience !

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Il convient de dire sans trop s’encombrer de nuances que beaucoup de jeunes ont un urgent besoin qu’on leur fasse lucidement confiance tout comme ils ont un besoin aussi urgent de pouvoir faire confiance sans être déçus. Ils ont besoin de rencontrer d’autres, jeunes ou moins jeunes, qui tiennent parole et manifestent qu’une telle attitude exigeante les libère et les rend heureux. S’il est vrai, et nous savons bien ne pas être les seuls à partager une telle conviction, que la fidélité humanise celui qui apprend à en vivre, il faut le dire et trouver les gestes qui en portent témoignage.

Et il est souvent nécessaire de durer patiemment dans une telle attitude, osant risquer de renouveler plusieurs fois ce cadeau d’une confiance donnée, alors même qu’elle a été mise en défaut par ceux qui en devaient être les bénéficiaires. Certains parmi eux ont déjà été trop blessés dans leur histoire familiale, professionnelle, amicale ou amoureuse pour qu’un tel chemin d’humanisation puisse se faire ou se refaire en un jour. La confiance appelle le pardon (1).

Parler ainsi, ce n’est point faire preuve de laxisme, bien au contraire. Comment pourrait-on, sans confiance, envisager un dialogue exigeant, entre jeunes et adultes en particulier ?

3 - Rencontrer de "vrais" adultes

Pour construire leur propre identité, des jeunes peuvent-ils se passer d’adultes : leurs parents et d’autres du même âge, mais aussi ceux que nous avons nommés les "grands", ceux qui sont, et ceux qui jouent le rôle de grand-père et grand’mère, grand frère et grande sœur ? On comprendra avec ce qui précède combien ces derniers peuvent être un des facteurs essentiels du climat de sécurité dont ils ont besoin pour se risquer plus avant.

Des adultes qui ne cherchent pas à leur ressembler en tous points. Des adultes pas trop "adulescents". Tony ANATRELLA à qui nous empruntons ce terme évocateur, s’explique ainsi : "Certains peuvent être appelés des ’adulescents’ car au lieu de se donner comme figure du terme de la croissance, c’est eux qui cherchent à imiter les jeunes" (2).

Il n’est point besoin de longs développements pour donner raison à cette évocation. Chacun de nous peut trouver plus d’un exemple dans son entourage, ou dans sa propre histoire de manifestations d’adultes qui illustrent à propos cette définition. On peut certes analyser ce phénomène comme la traduction d’une peur de vieillir, ou d’être dépassés et mis sur la touche. Ce qui nous intéresse ici ce sont les conséquences d’une telle situation pour les 15-19 ans, aujourd’hui. Comment peuvent-ils s’y retrouver si, rencontrant des plus âgés, ils ne rencontrent en définitive qu’une autre image d’eux-mêmes ?

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Plus profondément encore il n’y a pas de choix véritable sans possibilité d’adhésion ou de transgression. Sans autorité pour dire la loi, le permis et le défendu, tout est sans cesse à réinventer : une telle situation est pratiquement intenable ; par trop insécurisante, elle est profondément paralysante.

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Pour avoir le désir de grandir, les 15-19 ans ont besoin d’adultes manifestant à leur égard connivences et différences. Ils ont au moins autant besoin d’être compris que d’être contestés, d’être contestés que d’être compris. A ceux qui, adultes, pensent, à juste titre, qu’il faut écouter les jeunes, il convient de redire avec la même force : apprenez aussi à leur parler.

4 - Répondre intelligemment à leur besoin de modèles

Quitte à devoir nuancer quelque peu par la suite nos propos, soyons clairs : aujourd’hui, les adolescents sont très souvent en manque de modèles.

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On sait combien les "héros" du grand écran, du stade ou du spectacle peuvent avoir de l’impact sur eux, bien au-delà de la seule adoption de quelques modes vestimentaires. Faut-il regretter alors les trop rares prises de distances sur ces images ? Faute de mots en effet pour les objectiver, de tels modèles se proposent ou s’imposent à l’insu de ceux qui les consomment. Des sujets regardant les adolescents comme d’autres spectateurs peuvent fort bien devenir des objets "manipulés" - même si le terme est trop abrupt - par ces modèles... ou ceux qui en sont les promoteurs.

Faut-il se contenter de le regretter ou choisir de soutenir, voire de provoquer les occasions d’une prise de parole critique -et donc pas nécessairement négative ? Des adolescents redeviennent alors des personnages capables d’admiration, sans pour autant se confondre avec ceux qui en sont l’objet. Si les médias sont facteurs de tels modèles, le frère aîné, l’ami ou le parent sont bien davantage cités encore par ceux que nous avons interviewés. Si nous avions pu faire un "hit-parade" à partir d’une question posée en fin d’entretien sur la personne à qui ils aimeraient ressembler, ce sont bien tous ces proches qui arriveraient largement en tête.

Beaucoup d’adolescents ont besoin de ces modèles médiatiques et plus encore de ces modèles proches pour devenir eux-mêmes, trouver leur propre personnalité. Il leur est au moins autant nécessaire de se confronter à de "vrais" adultes que de pouvoir s’identifier à ceux qu’ils admirent.

Il ne s’agit point alors comme adultes, jeunes ou moins jeunes, de jouer un rôle pour paraître ce que nous ne serions pas, mais d’oser exprimer par le geste ou la parole ce qui donne sens à notre vie. S’il est des cohérences de pensée et d’action que nous avons pu, avec d’autres, élaborer, osons les dire ! S’il est des traditions que nous avons pu assumer et qui nous aident a vivre aujourd’hui, ne les taisons pas ! S’il est des propositions qui nous tiennent à cœur, des convictions ou des certitudes qui nous font marcher, des actes de foi qui nous ont libérés, mettons au moins autant d’audace que d’humilité à les dire et à les vivre.

5 - Reconnaître la chance des groupes

Pour importante qu’elle soit, la construction possible de la personnalité d’un adolescent ne saurait se réduire à la seule mise en oeuvre de relations interpersonnelles réussies entre jeunes et adultes. Pour pouvoir et vouloir penser, choisir et croire, les jeunes n’ont pas seulement besoin d’être mieux entendus dans leur besoin de sécurité et de confiance, de rencontrer de vrais adultes et de pouvoir s’identifier à des modèles fiables et critiquables. Plusieurs ont aussi évoqué devant nous l’importance qu’a pu prendre dans leur histoire l’appartenance à un groupe, que ce soit la famille, un groupe de jeunes ou tout autre groupe structuré ou informel.

L’analyse des entretiens nous a déjà permis de préciser le pourquoi et le comment d’une telle importance. Si le groupe peut donner la possibilité immédiate d’échapper à une solitude angoissante, celle d’être renvoyée à son seul jugement, il peut être aussi le lieu d’un réel apprentissage  : en son sein on peut apprendre à dire "nous" et de ce fait découvrir sa propre identité, ou pour le moins lui donner la possibilité de mûrir.

Ainsi se reconnaître partie prenante de l’animation d’une M.J.C. ou d’une aumônerie, se reconnaître jociste ou membre d’un club, se reconnaître maghrébin ou dire son appartenance à une famille ou à une classe, c’est déjà identifier son existence par connivence et par différence. Une telle identification est souvent liée dans les entretiens à la perception d’une tradition ; le présent est alors replacé dans une histoire avec son passé reconnu et son avenir possiblement ouvert. On se souvient comment, nous l’avons analysé dans la deuxième structure, pouvoir dire "nous" permet de pouvoir dire "je". C’est ainsi que, nous semble-t-il, la participation à la vie d’un groupe, groupe de pairs et groupe intergénérationnel, est une chance pour la maturation d’une personnalité plus libre et plus solide.

Certes, nous n’ignorons pas la dérive sectaire possible de tout groupe, enfermé qu’il peut être, en particulier dans son langage et ses traditions, dans son exclusion d’autres types de rassemblement que celui qu’il prône. Ainsi une famille qui accepte mal la participation de ses membres à des activités qui échappent à son emprise. Ainsi un Mouvement d’Eglise qui ne reconnaît pas le bien-fondé d’autres formes de vie ecclésiale. Ainsi ces fameux "clans" dont parlent volontiers tant de jeunes, aujourd’hui comme hier, pour évoquer une difficile cohésion dans leur classe.

Si nous pouvons aisément reconnaître, dans les entretiens comme dans notre propre expérience, qu’un tel risque n’a rien d’illusoire, il nous faut dire avec au moins autant de force que la participation à la vie d’un groupe peut grandement favoriser la construction d’une personnalité autonome. La solidarité n’est pas une théorie ; elle est le fruit d’un apprentissage patient. On ne décide pas le partage entre les familles, les peuples, et les cultures sans avoir appris à en vivre au quotidien dans sa propre famille et dans d’autres lieux où la convivialité est promue. La reconnaissance de la personnalité et de la liberté de l’autre n’est pas une théorie. On ne décide pas le respect de la personne humaine sans avoir appris à en vivre au quotidien dans sa propre famille et dans d’autres lieux où la reconnaissance de l’altérité est valorisée.

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NOTES --------------------

1) Emile GRANGIER - "ILS M’APPELLENT LE VIEUX. Un théologien et des loubards" Coll. "Vivre et croire", Paris, Centurion 1984. [ Retour au Texte ]

2) Tony ANATRELLA - "ADOLESCENCE, POST-ADOLESCENCE, une lecture psychanalytique" Le Supplément, Cerf, n° 150, octobre 1984, p.7 [ Retour au Texte ]