Eveiller à la foi en aumônerie


Alexis BACQUET
prêtre, aumônier des collège et lycée VOLTAIRE, à PARIS

La Pastorale de l’Eveil auprès des adolescents passe d’abord par un souci plus large d’ouverture à la foi, à la vie chrétienne. Avec l’exigence double d’annoncer explicitement l’Evangile en restant attentif à la vie des jeunes, à ce qu’ils sont humainement.
C’est ce patient travail qu’Alexis BACQUET, aumônier de lycée à PARIS, partage avec nous pour mieux introduire, en finale, le sens d’un questionnement vocationnel aujourd’hui.

Les jeunes que je côtoie appartiennent plutôt à un milieu populaire. Ils connaissent des problèmes familiaux et voient peu des parents qui travaillent beaucoup. Nombre de leurs camarades au lycée sont d’origine étrangère, aux confessions religieuses très diverses (juive et musulmane, en particulier). Comme tel, leur milieu familial ne constitue pas un soutien pour une démarche de foi, ainsi que l’illustre la situation de l’aumônerie où la présence d’animateurs adultes fait cruellement défaut. Dans ce contexte, la démarche de foi revêt donc vraiment l’allure d’un choix personnel : on ne vient pas à l’aumônerie par obligation...

Avant d’évoquer ici la pratique d’éveil à la foi proposée à l’aumônerie et quelques convictions quant aux vocations, il me semble utile de camper d’abord en quelques traits les mentalités des jeunes que je rencontre, dans leur relation à l’expérience chrétienne.

I - Les 11-15 ans face à l’annonce de la foi

Quelques dominantes sont perceptibles :

1 ) La tranche d’âge 11-15ans est peu homogène
Durant ces quatre ans, l’adolescent évolue beaucoup, surtout au cours de la 5ème. Après un éclatement de plus en plus précoce, il se re-stabilise durant la 3ème. On peut donc percevoir une différence entre :

- l’âge de la 6ème-5ème, plutôt marqué par une forte curiosité sur la question de la foi. On en redemande, même à propos du Notre Père,

- et l’âge de la 4ème-3ème qui est plutôt celui du doute radical sur toute chose, de l’effondrement dans le domaine des relations à la famille, à Dieu...
Le problème du Mal se pose fortement, avec le sentiment d’être un croyant minoritaire dans sa classe, même parmi des camarades d’autres religions.

2) La méconnaissance de l’histoire
et en particulier, de la culture religieuse qui crée un décalage entre les attentes des jeunes et celles des adultes.
Pour beaucoup de ces jeunes, les mots : Eglise, sacrement, prêtres, ne veulent rien dire. Ils ne voient pas ce que peut faire un prêtre. Nombre d’entre eux sont donc en situation catéchuménale, pas baptisés ou pas catéchisés. Ce qui ne les empêche pas néanmoins de s’appeler mutuellement, de s’interpeller pour venir à l’aumônerie.

3) Un certain retour à l’explicite chrétien est perceptible
En un mouvement de balancier, après une période de silence, il redevient possible de parler de la prière, de la Bible, sans difficulté. Peut-être est-ce justement plus facile en "terre vierge", lorsqu’on a conscience, en plus, de sa situation minoritaire de chrétien : il faut pouvoir rendre compte en effet de ce à quoi on croit, le dire aux autres. Face à cette demande de formation et d’explicite religieux, l’aumônerie doit répondre avec discernement, pour ne pas verser dans une pratique d’enseignement un peu élitiste.

4) Des thèmes révélateurs
Ils sont ainsi très réceptifs sur tout ce qui concerne la création, les différentes religions, points qui sont présents d’ailleurs dans leurs programmes scolaires. L’évocation des relations garçons/filles et jeunes/ adultes les intéresse aussi.
Des blocages sont perceptibles surtout autour des questions comme le Mal, la violence, la souffrance, ou bien la Vierge-Marie, à cause de la connotation sexuelle. Leur questionnement apparaît donc bien comme métaphysique, de l’ordre du sens.

5) Leur monde est sécularisé, pragmatique, médiatisé
- Sécularisé : Les jeunes n’ont aucun point de repère chrétien et peu d’idées toutes faites, de systèmes trop clos, qu’il faudrait déconstruire.
- Pragmatique : Ils apparaissent peu marqués par les idéologies. La politisation, les positions de principe sont absentes de leurs mentalités, ce qui peut favoriser le syncrétisme ou l’indifférence. Les débats intellectuels, les durcissements d’idées n’ont guère cours non plus.
- Médiatisé : La source principale du savoir, du vocabulaire, provient avant tout des médias. A cela s’ajoute l’impact du lycée, qui inculque aux élèves une vision scientifique, technique, du monde, sur laquelle on partage et discute peu.

6) L’aspect grégaire et fusionnel, le "tas"
On se plaît à être bien au chaud à plusieurs, collés les uns sur les autres... Or la catéchèse nécessite un travail de mise à distance.
L’éducateur doit aider à relativiser les amitiés exclusives, maladives et enfermantes, sans oublier pour autant que ces liens affectifs entre jeunes sont aussi des potentialités, des richesses à mettre en valeur. A travers ces relations, les adolescents s’invitent entre eux, apprennent à partager...

7) Des jeunes plus déistes que chrétiens, voire syncrétistes
Ceci est vrai surtout en 6ème-5ème, où il est important de les convertir au Dieu de Jésus-Christ. Plus tard, ils deviendront plus sensibles à l’occultisme, au "para-spirituel".

8) Et ceux qui partent, qui quittent l’aumônerie ?
Leurs raisons sont diverses et difficiles à connaître ; on part parce qu’on n’a plus soif, mais sans jamais claquer la porte. Le prétexte invoqué est souvent celui du manque de temps, et c’est vrai que les jeunes ont trop d’activités, se montrent obsédés par le travail scolaire.
Mais le manque d’adhésion personnelle à Jésus-Christ explique aussi ce phénomène : on a bien le sentiment d’appartenir à un groupe, mais sans articuler ceci avec une relation personnelle dans un "je/tu" avec le Christ.
Leur foi manque d’ailleurs de structuration : tant au niveau du savoir, souvent éclaté, que de l’être. La perception de la foi est en effet très individualiste, sans implication sociale réelle. Ceci aussi amène certains à quitter l’aumônerie.

II - Une pratique d’éveil à la foi

* DES REALISATIONS

Pour tenir compte des différences exprimées auparavant, notre pratique distingue donc entre les deux principales tranches d’âges :

1) En 6ème-5ème, nous travaillons avec le parcours "Passage pour une aventure".
Nous avançons par thème en partant beaucoup de la vie des adolescents, en suivant de près le parcours, sans être rigide. Ainsi à partir du thème "connaître", rencontrer les autres, découvrir "l’Autre", nous proposons aux jeunes :

- de faire une carte d’identité personnelle

- de faire une carte des relations

- de réfléchir sur les choix, les difficultés des relations

- de voir, à partir de l’Evangile (l’entretien avec Nicodème) comment Dieu se découvre à travers les autres.

2) En 4-ème-3ème, nous n’avons pas de parcours méthodique, mais nous progressons aussi de manière thématique, avec un souci de cohérence, en nous inspirant de la revue "INITIALES".

Par exemple, nous invitons les jeunes à travailler autour de : "vieillir", "la justice", les relations avec les adultes...

- les aider à mieux constater qu’ils changent, qu’ils vieillissent : à partir des objets de l’enfance qu’il faut laisser, par exemple.

- les aider à mieux percevoir que Dieu les appelle..., à mûrir dans les épreuves. Vieillir c’est un peu renaître.

3) Nous proposons pour les deux tranches d’âges un week-end sur la Création. Les réactions sont diverses.

Ce week-end s’articule en plusieurs étapes :

- Faire choc avec le récit de la Création présenté dans un montage, sans dire l’origine biblique du texte ;

- mettre mes jeunes en face de leurs connaissances scientifiques sur la création ;

- décortiquer le texte de la Genèse, pour mettre à plat les contradictions possibles entre la Bible et la science. Lecture plus intelligence, avec des éléments littéraires, historiques, etc. ;

- nous reconnaître nous-mêmes comme êtres créés ;

- apporter le fruit d’Ateliers manuels de création, au cours de la célébration, en se découvrant co-créateurs de l’œuvre de Dieu. Ceci est soutenu par la lecture de la parabole des talents... Ce travail sur la Création nous fait aussi toucher à la question du Mal, quand nous lisons : "Dieu crée et dit ’Cela est bon’.

Dans l’ensemble, les 4ème-3ème accrochent plus difficilement à ce type de propositions que les 6ème-5ème, et sont plus atteints par la question du Mal. Ils "en veulent à Dieu", sont plus réticents par rapport à la parole biblique.

* DES CONVICTIONS

Cette pratique nous amène à en formuler plusieurs :

1) Bien les écouter et partir de leurs questions, des thèmes qui les motivent
2) Donner de plus en plus un savoir : en 6ème, nous restons un trimestre sur la messe ; en 5ème, un trimestre sur la réconciliation
3) Tenir le difficile équilibre entre la vie le quotidien, et l’apport, l’enseignement.
4) Etablir un lien de confiance nécessaire entre l’animateur et eux. Même si l’on perd apparemment beaucoup de temps à discuter de tout et de rien.
5) Nous impliquer nous-mêmes en tant qu’animateurs : qui suis-je pour prétendre éveiller à la foi ?
Ma tâche d’animateur n’est pas de l’ordre de l’information historique, neutre, mais relève du témoignage, de l’engagement personnel ! Or beaucoup de jeunes ont du mal à rencontrer ce témoignage du Christ ressuscité dans les rares visages d’Eglise qu’ils côtoient...
6) Mettre en lien avec une paroisse, pour décloisonner. Pour ne pas se replier, pour permettre aussi "1’après-aumônerie".
7) Permettre aux jeunes de faire à l’aumônerie l’expérience d’une communauté et l’apprentissage de responsabilités. Ainsi à travers les camps, week-ends, etc.
8) Etre constamment témoin d’une altérité

- en montrant qu’on existe comme prêtre, pris ailleurs, appelé à d’autres activités (en paroisse...)

- en aidant à casser les groupes exclusifs

- en posant les signes de la vie sacramentelle, par exemple.

En conclusion, il semble bien que le test, la condition d’une poursuite de la vie chrétienne soit la découverte d’une relation personnelle au Christ, par la prière. D’où l’importance de bien ouvrir les jeunes à cette dimension, qu’on ne peut "gagner" cependant sans passer par la dimension communautaire, la confrontation et recherche sur la Parole de Dieu, ainsi que la vie quotidienne.

III - Et les vocations spécifiques ?

* DES DIFFICULTES

- Il n’est pas simple d’en parler avec cette classe d’âge car ces adolescents n’ont pas encore acquis une identité adulte.

- Il est de plus difficile de présenter aux jeunes des modèles d’adultes engagés dans l’Eglise : ils sont rares... et ne présentent pas toujours un visage "épanoui".

* UNE PRATIQUE POSSIBLE

1) II ne faut pas pour autant renoncer à leur présenter des modèles, des témoins auxquels ils pourront s’identifier
En essayant d’avoir ainsi un séminariste toujours présent à l’aumônerie. Sa présence même pose question aux jeunes.
2) Il est possible de poser la question d’un projet de vie à certains jeunes autour de 15-16 ans. Cela m’est déjà arrive.
Cette pratique, que l’on commence à réapprendre aujourd’hui, doit être envisagée néanmoins avec précaution. Il faut discerner et savoir poser la question de l’appel à des jeunes qui ont une relation personnelle au Christ, un certain sens "social" de la foi. Il faut oser poser la question, tout en respectant la liberté, en laissant l’avenir ouvert :
"Quand tu penses à ton avenir, n’exclue pas la question d’une vocation spécifique, parmi les différents services d’Eglise possibles...".
Et bien veiller à ne pas enfermer ces jeunes dans une image de "petit curé".

En somme, ma conviction revient à redire que s’ils sont trop jeunes pour décider, ils ne sont pas trop jeunes pour y réfléchir.