Le sacrement de l’ordre : de l’histoire au rituel


Jean POURRIAS
Louis-Michel RENIER

prêtres, membres du Serive Diocésain de Pastorale sacramentelle et liturgique d’Angers

* Les deux documents qui suivent sont extraits de la revue "VISAGES d’EGLISES" (n° de janvier 1986), réalisée par le SERVICE DIOCESAIN DES VOCATIONS d’ANGERS. Ils nous introduisent successivement à l’histoire du sacrement d’ordination (J. Pourrias) et au rituel qui l’exprime (L.-M. Régnier).

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L’ORDINATION ? UNE LONGUE HISTOIRE

Les ministères ont mis plusieurs siècles pour se fixer. L’évolution est difficile à suivre.

• A la source ; Jésus choisit les Douze

Jésus a choisi les Douze. Ils sont ses disciples et accueillent ainsi son enseignement. Mais ils sont aussi ses apôtres, parce qu’il les envoie pour continuer sa mission et devenir les témoins permanents de la Bonne Nouvelle. Témoins de Jésus-Christ, mort sur la croix par amour et ressuscité, pour "être avec nous" jusqu’à la fin des siècles.

• APRES LA RESURRECTION

Après la Résurrection, la communauté primitive accueille une double organisation :

- le groupe des Douze, complété après la mort de Judas par le choix de Mathias (1), anime et dirige la communauté palestinienne de langue hébraïque ;

- le groupe des Sept, animé par Etienne (2), sert et dirige la communauté issue des milieux juifs hellénisés, de langue grecque.

• AU PREMIER SIECLE

Dès le 1er siècle, la persécution qui suit le martyre d’Etienne entraîne la dispersion des hellénistes qui deviennent missionnaires. D’où deux pôles :

- la communauté de Jérusalem et d’autres issues du judaïsme se structurent sur le modèle de la communauté juive ; à leur tête, un collège d’ "anciens" ou "presbytres" : Jacques est à la tête de ce collège à Jérusalem ;

- A partir d’Antioche, naît une Eglise missionnaire avec :
. des missionnaires itinérants, "apôtres", comme Paul, Barnabé, responsables de l’évangélisation, qui se déplacent, "prophètes" - ce peut être les mêmes- qui commentent la Parole de Dieu dans les assemblées, "docteurs" spécialistes de l’Ecriture ;
. des responsables des communautés locales fondées par les missionnaires : ce sont les "épiscopes" – « surveillants" et les diacres - ministres ou ser-viteurs-(3). L’épître à Tite donne aux épiscopes le titre de "presbytres"(4). Ces responsables locaux, bons pères de famille, prêchent, baptisent, président l’Eucharistie.

Mais tous ces ministres sont institués par l’imposition des mains, accompagnée de la prière et du jeûne (5).

Dans le Nouveau Testament, pour ce premier siècle, tout n’est pas des plus clairs (6).

• Du second au vingtième siècle

1 - IGNACE d’ANTIOCHE est le premier témoin, dans ses lettres, d’une clarification autour des trois degrés du ministère : évêque, prêtre, diacre (7).

Peu à peu, les ministres itinérants disparaissent, les apôtres se sédentarisent et se confondent avec les évêques qui apparaissent alors comme successeurs d’apôtres. D’autres ministères apparaissent, variables suivant les époques et les Eglises, et considérés comme inférieurs (8).

A l’origine, l’évêque, seul, préside l’Eucharistie, prêche, baptise, réconcilie les pénitents ; les prêtres l’assistent. Mais, le nombre des chrétiens augmente ; les sièges épiscopaux se multiplient, en Afrique du Nord par exemple. Dans les grandes villes comme Rome ou Alexandrie, on crée plusieurs lieux de culte auxquels sont donnés des prêtres avec responsabilité.

Au début du IIIème siècle, Hippolyte, prêtre de Rome, écrit le premier rituel des ordinations : le rite essentiel est l’imposition des mains, suivie de la prière de bénédiction, mais ce même Hippolyte, dans sa "Tradition apostolique" utilise un langage sacerdotal qui met surtout en valeur la fonction liturgique des ministres des communautés, comparable à celle de tout autre culte, alors que dans le Nouveau Testament les ministres des communautés mettent surtout l’accent sur l’annonce de l’Evangile (9), tout en présidant à la prière, célébrant la fraction du pain et gérant les affaires communes. C’est tout le peuple chrétien qui est sacerdotal (10).

2 - DANS LES EGLISES d’ORIENT, avec la paix de Constantin et les grands conciles des IVème et Vème siècles, il s’agira d’harmoniser les règles de fonctionnement des communautés, en particulier l’établissement des évêques et la définition de la communion entre les églises.

L’évêque ordonné est le chef de la communauté chrétienne d’une cité. Et l’évêque de la capitale d’une province joue un rôle plus important : c’est lui qui confirme et installe les évêques de la province (11).

L’évêque, à l’image du Christ, était considéré comme l’époux de son Eglise (12). Peu à peu, se mettent en place les quatre grandes circonscriptions orientales de Constantinople, Antioche, Jérusalem et Alexandrie, auxquelles on ajoutait Rome, en Occident : ce sont les cinq patriarcats.

3 - FIN IXème-Xème SIECLES, l’Eglise se laisse immerger dans le système féodal. Les règles anciennes de l’élection par le clergé et par le peuple ne sont plus respectées.

Et si la consécration épiscopale - investiture spirituelle - est toujours donnée par un évêque, généralement le métropolitain ou archevêque, c’est le seigneur qui remet au candidat la crosse et l’anneau - investiture laïque. Aussi, la qualité des évêques laisse à désirer et aux mauvais évêques correspond souvent de mauvais prêtres et de piètres fidèles.

C’est la grandeur de la fin du XIème jusqu’au XIIIème siècle d’avoir tout fait pour fonder solidement une société chrétienne : la papauté s’affirme, l’Eglise fixe sa doctrine des sept sacrements. Mais, l’on ne touche au rituel des ordinations que pour des innovations secondaires.

Ainsi Guillaume Durand, évêque de Mende, a instauré des monitions de l’évêque avant de conférer chaque ordre, joint des paroles à l’imposition des mains dans l’ordination du diacre et la consécration épiscopale, accumulé les rites complémentaires comme la bénédiction et l’imposition de la mitre et des gants pour le nouvel évêque, ou le déploiement de la chasuble et la promesse d’obéissance pour le nouveau prêtre.

4 - PAR-DELA LES XIVème ET XVème SIECLES, appelés par quelques historiens, l’automne de la chrétienté, le Concile de Trente, au XVIème siècle, ne s’est attaché, contre les positions des protestants, qu’à souligner le caractère sacramentel de l’ordination et la nécessité de créer des maisons de formation pour les futurs prêtres, appelés "séminaires".

5 - IL FAUDRA ATTENDRE PIE XII, en 1944, puis en 1947 et en 1957 (encyclique Fidei Donum), pour s’entendre rappeler d’une part que l’imposition des mains et la prière consécratoire sont les rites essentiels des ordres sacrés, et d’autre part que les évêques ont collégialement la charge de l’évangélisation du monde.

Vatican II poursuivra cette restauration entreprise en intégrant les ministères dans le mystère de l’Eglise : épiscopat, presbytérat, diaconat sont des ministères ordonnés.

A la suite du Concile, la Constitution apostolique "Pontificalis Romani" du 18 juin 1968, a rénové les rites d’ordination et Paul VI a complété la restauration en supprimant le sous-diaconat et les ordres mineurs et en leur substituant les ministères institués pour le service de la Parole (lectorat) et celui de l’Eucharistie (acolytat).

Mais en tout cela, on a retrouvé le souffle de la "Tradition apostolique" du IIIème siècle !

LES RITES

"La principale manifestation de l’Eglise consiste dans la participation plénière et active de tout le saint peuple de Dieu, aux mêmes célébrations liturgiques, surtout dans la même Eucharistie, dans une seule prière, auprès d’un autel unique où préside l’évêque, entouré de son Presbyterium et de ses ministres"
(Constitution du concile Vatican II sur la liturgie, n°4 1 )

Chaque fois qu’il est donné à une Eglise diocésaine de vivre une ordination au ministère presbytéral, cette "manifestation de l’Eglise" est claire. Il n’est pas difficile aussi de constater comment le peuple chrétien y est invité à une "participation active, intérieure, plénière".

* ENTREE DANS LA CELEBRATION

Un peuple rassemblé autour de l’évêque et des prêtres : c’est le point central de toute la célébration. Ce que l’on voit, ce que l’on entend dès le départ, met en lumière cette réalité.

* LA PRESENTATION DES CANDIDATS

Dès l’ouverture de la célébration, les futurs prêtres sont invités à s’approcher de l’évêque. A l’appel de son nom, chacun répond : "Me voici". Un prêtre les présente à l’évêque. L’évêque demande s’ils ont les aptitudes requises : à ce moment là, des prêtres et des laïcs peuvent témoigner brièvement. C’est une manière de manifester la part que tout le peuple de Dieu est appelé a prendre dans le discernement de ceux qui auront à exercer un ministère avec lui et pour lui.

Ceci suppose que ces prêtres, ces laïcs aient effectivement participé à un accompagnement des candidats. Ceci les engage eux-mêmes à un service dans l’Eglise.

* LA LITURGIE DE LA PAROLE : ELLE EST ECOUTE MAIS AUSSI REPONSE

L’engagement des futurs prêtres. - Au terme de l’homélie, les candidats s’engagent à remplir leur ministère en communion avec leur évêque "avec l’aide de la grâce de Dieu". Ils le font en répondant à plusieurs questions posées par l’évêque : "Oui, je le veux. Je le promets". Ensuite, ils s’allongent sur le sol : c’est la prostration. On chante les litanies des saints.

* IMPOSITION DES MAINS ET PRIERE d’ORDINATION

Ce sont les actes essentiels de l’ordination. L’imposition des mains est un geste tout simple qui se perpétue depuis les premiers temps de l’Eglise. Supplication silencieuse et recueillie à laquelle tous sont invités à participer.

Tandis que les yeux regardent ce geste accompli par l’évêque et les prêtres présents, comme pour manifester leur participation à l’unique ministère du Christ, les cœurs s’éveillent à la venue de l’Esprit Saint dans son Eglise.

Il y a une unité fondamentale entre l’imposition des mains et la prière d’ordination : geste et prière sont un appel à la puissance de l’Esprit et signifient la transmission du ministère apostolique.

* DES RITES COMPLEMENTAIRES

Les rites complémentaires qui suivent soulignent symboliquement que les ordinands sont prêtres, et que leur mission dans le peuple de Dieu s’effectue principalement dans la présidence de l’Eucharistie.

La vêture : des prêtres leur remettent l’étole et la chasuble
L’onction des mains : l’évêque met du Saint Chrême sur les mains des nouveaux prêtres (la même que celle qui a marqué leur front le jour de la confirmation). Cette huile parfumée consacre à une ressemblance avec le Christ.
La remise du pain et du calice : ce geste fait la transition avec la célébration de l’Eucharistie et fait partie de la préparation des dons pour l’offertoire.
Le baiser de paix : c’est l’introduction et l’accueil des nouveaux prêtres dans le Presbyterium du diocèse. Normalement ce devrait être les prêtres présents qui se déplacent pour donner le baiser de paix aux nouveaux prêtres, après qu’ils l’aient reçu de l’évêque. En effet, ce rite signifie essentiellement l’accueil des nouveaux par les anciens.

Célébration de l’Eucharistie et envoi se déroulent selon les rites habituels. Mais on comprend que le rite de l’envoi en mission soit particulièrement développé. Souvent l’évêque annonce publiquement à quel ministère concret devra désormais se consacrer le nouveau prêtre. C’est naturellement aussi un envoi du peuple de Dieu puisque tous ensemble, prêtres, évêques, religieuses, laïcs, sont envoyés annoncer l’Evangile (13).

LE CARACTERE SACRAMENTEL.

L’Eglise compte un prêtre de plus. A vie...
Comme le baptême et la confirmation, l’ordination est un charisme qui reste : Dieu ne reprend jamais ses dons. Une pierre de l’immense carrière humaine, une fois taillée par l’Esprit et insérée dans la construction du Corps du Christ, même si elle en tombe, y gardera toujours sa place et n’aura pas à être retaillée. C’est ce que la doctrine latine moderne appelle "le caractère sacramentel".

Th. REY-MERMET - Croire. Vivre la foi dans les sacrements p. 300

NOTES ------------------

(1) Ac. 1/15-26 [ Retour au Texte ]

(2) Ac. 6/1-6 [ Retour au Texte ]

(3) Phil. 1/1 [ Retour au Texte ]

(4) Tite 1/6 [ Retour au Texte ]

(5) Ac. 13/3 ; 1 Tim. 5/22 [ Retour au Texte ]

(6) Eph. 4/1 1 [ Retour au Texte ]

(7) Vers 110, Ignace d’Antioche écrit aux Eglises d’Asie Mineure : "Suivez tous 1’épiscope comme Jésus-Christ suit son Père et le Presbyterium (collège des presbytres) comme le collège des apôtres ; quant aux diacres, respectez-les comme la loi de Dieu. Que personne ne fasse en dehors de 1’épiscope rien de ce qui regarde l’Eglise. Que cette Eucharistie seule soit regardée comme légitime qui se fait sous la présidence de 1’épiscope ou de celui qu’il en aura chargé. Là où paraît l’épiscope, que là soit la communauté, de même que là où est le Christ, Jésus, là est l’Eglise catholique...". (Lettre aux Smyrniotes VIII ; [ Retour au Texte ]

(8) Ainsi, vers 250, l’évêque de Rome présente son Eglise : "il y a 46 prêtres, 7 diacres, 7 sous-diacres, 42 acolytes, 52 exorcistes, lecteurs et portiers, plus de 1 500 veuves et indigents que la grâce et 1’amour du Maître nourrissent tous..." (Eusèbe, H.E. VI-43/11) [ Retour au Texte ]

(9) 1 Co 1/17 [ Retour au Texte ]

(10) 1 P 2.9 [ Retour au Texte ]

(11) Concile de Nicée : "L’évêque doit être établi par tous les évêques de la province ; si une nécessité urgente ou la longueur du chemin s’y oppose, trois évêques au moins doivent se réunir et procéder à l’imposition des mains, munis de la permission écrite des absents. La confirmation de ce qui s’est fait revient de droit, dans chaque province, au métropolitain" (canon 4) [ Retour au Texte ]

(12) Concile de Nicée, canon 15 [ Retour au Texte ]

(13) La bénédiction finale est un acte du président de l’assemblée, c’est-à-dire, ici, l’évêque. Il confie au Seigneur le peuple dont il vient de présider la prière. La dévotion qui met en valeur la bénédiction du jeune prêtre a un caractère privé. C’est pourquoi, le jeune prêtre peut donner sa bénédiction après la célébration. [ Retour au Texte ]