Saint François de Sales au Service Diocésain des Vocations


Thierry HENAULT MOREL
responsable du Service Diocésain des Vocations pour le diocèse de SEES

Que l’on nous permette ce titre pour un article qui ne sera que l’esquisse d’un portrait de FRANÇOIS de SALES à partir de trois traits de sa vie.

I - François de Sales, modèle de prêtre diocésain et d’évêque

Le premier trait de François de SALES, qui marque son éminent biographe le Père RAVIER, c’est l’AMOUR DE SON DIOCESE (le diocèse de Genève-Annecy) :

"Son peuple, comme il l’aime ! Il l’aime sans illusion. Il le prend tel qu’il est, avec ses péchés mais aussi avec son cœur simple et tout disposé à la foi et à la charité. Dieu, écrit-il un jour à Madame de CHANTAL, je l’ai rencontré parmi nos plus hautes et âpres montagnes où beaucoup de cœurs simples le chérissaient et l’adoraient en toute vérité et simplicité ; et les chevreuils et chamois couraient ça et là parmi les effroyables glaces pour annoncer ses louanges." (1)

François découvre donc que LA GRACE EST A l’OEUVRE dans le cœur de ce peuple et qu’elle le précède, ce qui le pousse en "Visitation", jusque dans les coins les plus reculés de son diocèse, au risque de sa vie.

"J’ai vu et visité, écrit-il, une église paroissiale située sur une très haute montagne, où personne ne peut arriver qu’en grimpant des pieds et des mains."

Ce peuple, si François le visite, c’est parce qu’il désire le connaître, le comprendre, partager ses épreuves, ce qui parfois lui fait PRENDRE SA DEFENSE auprès du Duc de Savoie, Charles-Emmanuel :

"A chaque occasion qui s’offrait à lui, François tentait d’obtenir du Prince qu’il tint compte davantage de la situation réelle de ses sujets et qu’il en respecte les droits." (2)

S’il le visite c’est aussi parce qu’il aime L’ENSEIGNER ET LE SANCTIFIER. C’est là le but de sa vie. Et comment ne pas citer cette admirable image, capable de résoudre ce vieux débat autour du ministère du prêtre qui consiste à opposer ce qui est tout simplement inséparable : mission et culte, fonction et mystique :

"Alexandre fit faire par le peintre Apelles le portrait de la belle Campaspé qui lui était si chère. Et voici qu’à force de contempler son modèle et de reproduire ses traits sur son tableau, Apelles les imprima dans son propre cœur et devint si amoureux de Campaspé qu’Alexandre, s’en étant aperçu, eut pitié de lui et, généreusement, la lui donna en mariage. Or il me semble, ami lecteur, que, puisque je suis évêque, Dieu veut que je peigne sur les cœurs (...) son parfait amour ; et moi, j’entreprends volontiers ce travail (...) dans l’espoir qu’en gravant cet amour dans le cœur des autres, le mien l’en aimera davantage. Et si Dieu m’en voit vivement épris, il me le donnera en mariage éternel". (3)

Ce peuple qu’il visite, il a SOUCI DE LE FORMER. Pour lui permettre de s’intéresser aux nouveaux problèmes de la science et du monde, il ouvre l’Académie Florimontane. Au nom même de sa foi, François n’accepte pas le divorce entre la raison et la foi. Il est d’ailleurs un des rares esprits de son temps à prendre la défense de Galilée !

Ce peuple qu’il aime, il le gouverne, il faut le dire, EN RESPECTANT LES MEDIATIONS :

"François accorde un intérêt très personnel au synode diocésain et il conseille beaucoup à ses prêtres de collaborer étroitement avec les laïcs fervents de leurs paroisses". (4)

Ce peuple enfin, par deux fois il REFUSE DE S’EN SEPARER alors qu’on lui propose de devenir coadjuteur de l’Archevêque de Paris :

"J’ai dit au cardinal que je ne voudrais être démarié que pour n’être plus marié (...) Que je me chargeasse de l’épouse d’autrui par obligations, moi ! cela comme je pense me serait impossible !".

Et le Père RAVIER de commenter :

"François avait pris au sérieux les paroles de son sacre. Il pouvait à la fin de sa vie prétendre qu’il avait aimé vraiment son peuple d’un amour unique et total". (5)

Est-il besoin d’ajouter que cet amour, son peuple le lui rendit ?

"Le cœur de mon peuple est presque tout mien à présent".

II - François de Sales, au service des vocations

Qui d’entre nous ne connaît ce fameux passage de l’INTRODUCTION A LA VIE DEVOTE :

"En créant les plantes, Dieu leur commande de porter du fruit, chacune selon son genre. Ainsi commande-t-il aux chrétiens qui sont les plantes vivantes de son Eglise, de produire des fruits de dévotion, chacun selon sa qualité et sa vocation (...) Croyez-vous, Philothée, qu’il serait à propos que l’évêque veuille vivre dans la solitude comme le chartreux et que les gens mariés pratiquent la pauvreté des capucins ? (...) Mais où que nous soyons, Philothée, nous devons aspirer à la sainteté". (6)

Ce passage est fameux parce qu’il affirme A LA FOIS LA DIVERSITE DES VOCATIONS ET LEUR UNITE.

Notons que la reconnaissance de cette diversité n’était pas évidente à une époque où LA VOCATION RELIGIEUSE RESTAIT PLUS OU MOINS LE MODELE de toutes les autres.
François lui-même en fait la remarque :

"Ceux gui ont parlé jusqu’à maintenant de l’amour de Dieu ont presque tous eu en vue l’instruction des personnes retirées du monde, ou du moins ont-ils enseigné une façon de vivre cet amour qui conduit à s’en retirer (...) C’est une erreur, et même une hérésie, de vouloir ainsi bannir la vie dévote de la compagnie des soldats, de la boutique des artisans , de la cour des princes, du ménage des gens mariés". (7)

Cette hérésie entraînait chez les chrétiens qui étaient engagés dans la vie "laïque et séculière", un grand malaise et DEUX TENTATIONS  :

- celle de dissocier la religion de la vie :
"on rend à Dieu ses devoirs de courtoisie en assistant à la messe et en faisant ses Pâques et par ailleurs, on mène sa vie à bride abattue" (LAJEUNIE)

- ou celle de fuir la vie pour échapper à ce dilemme.

François réagit énergiquement :

"Grande folie, dit-il, de ceux qui s’amusent à désirer d’être martyrisés aux Indes et ne s’appliquent pas à ce qu’ils ont à faire selon leur condition". (8)

Et IL OUVRE AUX LAICS UN CHEMIN DE SAINTETE en les invitant à prêter attention à l’humble trame de leur vie quotidienne, là où se vit l’histoire de leur salut :

"C’est en cherchant des ânes égarés que Saül trouva la dignité royale, c’est en donnant à boire à des chameaux que Rébecca rencontre Isaac et devint son épouse, c’est en glanant que Ruth fut remarquée par Booz, son futur mari..." (9)

Intuition qui conduit François de Sales à CONCILIER ce que l’on passe son temps à opposer : LA PRIERE ET l’ENGAGEMENT, le service de Dieu et le service des hommes :

"Il faut vous accoutumer, dit-il, à passer de l’oraison aux obligations que demande votre vocation (...) Je veux dire par là que l’avocat doit passer de l’oraison à la plaidoirie, le marchand à son commerce, la femme mariée au devoir de son mariage et aux tracas de son ménage, avec tant de douceur et de tranquillité que l’esprit n’en soit point troublé : puisque l’un et l’autre sont selon la volonté de Dieu, il faut passer humblement de l’un à l’autre pour l’amour de Dieu". (10)

Passer de l’un à l’autre pour l’amour de Dieu, nous avons là le secret d’une vie unifiée et la clef de voûte de la spiritualité de François. C’est vers cela que converge toute son oeuvre et que l’on trouve du côté du Livre VII du TRAITE DE l’AMOUR DE DIEU.

Définissant ce livre, le Père RAVIER parle d’une "mystique de l’action chrétienne" et François lui-même, "d’extase d’action". Il y a, précise-t-il, trois sortes d’extase :

- l’extase de contemplation

- l’extase d’affection

- l’extase d’action appelée aussi "EXTASE DE l’OEUVRE ET DE LA VIE"

Cette dernière couronne les deux autres ; elle consiste à vivre et à agir comme le Christ lui-même.

A cette extase sont appelés tous les chrétiens, quelque soit leur état de vie. C’EST LEUR VOCATION COMMUNE.

Pour y parvenir, la clôture n’est pas nécessaire. Cette certitude poussait François de Sales à souhaiter que les sœurs de la Visitation ne soient pas cloîtrées. Les contraintes juridiques de son temps sont malheureusement venues contrarier son projet.

Faut-il cependant préciser que François n’était PAS OPPOSE A LA VIE MONASTIQUE. Au contraire, il a oeuvré de toutes ses forces pour que les monastères de son diocèse appliquent le concile de Trente et vivent le mieux possible leur vocation :

"Jamais je ne cesserai de penser et même de crier afin d’obtenir, par les entrailles de Jésus-Christ, que l’on prenne des mesures pour la réformation sur le changements des abbayes d’Aulps et d’Abondance et d’autres encore qui sont dans la contrée des séminaires de scandales". (11)

III - François de Sales, apôtre de l’unité

Tel est le troisième trait de l’œuvre et la personnalité de François, trait saillant que nous avons vu plusieurs fois déjà apparaître.

Dans une vue plus haute de la vérité, François de Sales ne cesse de CONCILIER LES CONTRAIRES.

Nous pourrions continuer d’en faire la constatation, à propos des grandes affaires de son temps, dans lesquelles.il s’est engagé concrètement :

- la querelle DE AUXILIIS (sur la liberté et la grâce)

- le conflit des deux pouvoirs (du Pape et des rois)

- la déchirure de l’Eglise (à la suite de la réforme).

Partout, François s’en prend, non à des moulins à vent comme son contemporain Don Quichotte, mais à toutes les Genève du monde et en particulier à la sienne, qui fut dans sa chair sa véritable écharde.
Lui, l’évêque de Genève, interdit de séjour dans sa propre ville épiscopale, tenue depuis plus de 60 ans par les calvinistes ! Eh bien, cette Genève, la sienne, il se décide pourtant de la traverser.

Et comment ne pas finir par ce RECIT ADMIRABLE ET SYMBOLIQUE qu’il fait lui-même de l’événement ? :

"Naguère, allant à Gex, il me vint au cœur, après avoir célébré la Messe, de passer par Genève : c’était mon chemin le plus direct. Je le fis sans aucune appréhension, par une certaine hardiesse où il entrait plus de simplicité que de prudence. Quand je fus arrivé à la porte de la ville, le préposé demanda qui j’étais. Je fis répondre par mon vicaire général que j’étais Monsieur l’Evêque. Et à cette question : ’Quel évêque ?’, je fis répondre : "Monsieur l’Evêque de ce diocèse". L’homme l’écrivit alors dans son registre d’inscription, avec ces mots : Monsieur François de SALES, évêque de ce diocèse. Je ne sais s’il comprit le mot diocèse, du moins me laissa-t-il entrer et ainsi je passai à cheval au milieu de la ville, salué par la plupart des hommes et des femmes avec un grand respect".
François était même revêtu de ses insignes d’évêque.

Et le Père RAVIER de conclure :

"En cette image de François de Sales, traversant avec son équipage, ‘hardiment’ et pacifiquement, sans se déguiser ni taire sa ’qualité’, la cité dont le schisme déchira son existence, est-il trop subtil de voir un symbole de la destinée du chrétien dans la cité temporelle ?" (12)

Et, peut-être, pourrions-nous ajouter : "...et aussi dans l’Eglise".

NOTES -------------

(1) Préface des OEUVRES de St François de Sales - Bibliothèque de La Pléiade, p. XXXVII [ Retour au Texte ]

(2) RAVIER, op.cit p. XXXIX [ Retour au Texte ]

(3) INTRODUCTION A LA VIE DEVOTE, adaptée par Yvonne Stephan - Edition SOS, p. 13-14 [ Retour au Texte ]

(4) Op. cit., p. XLIV [ Retour au Texte ]

(5) op. cit., p. XL [ Retour au Texte ]

(6) 1ère partie, chap. 3, pp. 22-24 [ Retour au Texte ]

(7) INTRODUCTION - Préface, p. 9 et Livre I, chap. 3, p. 23 [ Retour au Texte ]

(8) VIIème Entretien spirituel [ Retour au Texte ]

(9) INTRODUCTION - 3ème partie - Liv. 2, p. 89 [ Retour au Texte ]

(10) INTRODUCTION - 2ème partie - Liv. 8, p. 56 [ Retour au Texte ]

(11) RAVIER, op. cit., p. XXIII [ Retour au Texte ]

(12) op. cit., p. CIX [ Retour au Texte ]