Pastorale des Vocations aujourd’hui


Yvon BODIN,
responsable du Service National des Vocations

INTRODUCTION

"Une pastorale des vocations, aujourd’hui".

Il s’agit donc de faire une relecture de nos récents parcours en pastorale des vocations. Cette relecture implique donc deux registres :

- le registre des constats : la mention, le relevé d’un vécu,

- le registre de l’évaluation : la relecture ne peut se réduire à un tracé des routes. Elle est éclairage à la lumière des références fondatrices. Ce qui nous intéresse, en effet, n’est pas tant de savoir ce que l’on fait, la planification, mais pourquoi on le fait, 1’inspiration.

Une question constante, en effet, une seule est adressée à l’Eglise, l’Eglise concrète, celle dans laquelle nous sommes : "est-elle une Eglise croyante, préoccupée de l’annonce de Jésus-Christ, célébrant et rayonnant sa foi, au coeur du monde ?". Notre pastorale, en cet après Concile, s’inscrit dans la dynamique de l’éveil et de l’épanouissement de la vocation chrétienne diversifiée, pour qu’existé l’Eglise comme signe vivant du Christ. C’est une pastorale en Eglise pour la mission.

Cette conviction est la clef de lecture de ce que nous vivons. Mais cette conviction n’est pas notre invention ni notre propriété : c’est la conscience commune de la communauté ecclésiale, en cette fin de 20ème siècle. Ainsi, rendre compte du présent c’est consentir à prendre un peu de recul, montrer une évolution jusqu’à l’émergence d’une intuition forte et se demander alors ce que l’on a fait de cet héritage.

Nous procéderons en deux parties :

I - L’EVOLUTION DE LA PASTORALE DES VOCATIONS EN FRANCE
* Depuis les temps sonores du recrutement
* et les temps courageux de la militance
* jusqu’à l’impulsion du Concile

II - L’AUJOURD’HUI d’UNE PASTORALE PLURIELLE ET CONCERTEE POUR LA MISSION
* en direction de la Vie Religieuse
* en direction du ministère ordonné.

* *
*

1ère partie
L’EVOLUTION d’UNE PASTORALE

Il ne s’agit pas de juger ou de condamner le passé : "pour le juger il aurait fallu y vivre, disait Montalembert, et pour le condamner, il faudrait ne rien
lui devoir".

Il s’agit de comprendre avec lucidité que la pastorale des vocations est étroitement définie par 1’ecclésiologie qui l’inspire : si la vision de l’Eglise est celle d’une hiérarchie dirigeante, la pastorale des vocations sera essentiellement recrutement. Si la vision de l’Eglise est celle du sacrement du salut des hommes, la pastorale des vocations sera intérieure à la dynamique même de la mission.
C’est ce qu’il faut faire succinctement apparaître maintenant : le passage progressif et par ajustements successifs, d’une pastorale corporatiste, le recrutement sacerdotal, à une pastorale des vocations (1).

I - AU TEMPS SONORE DU RECRUTEMENT

1) Une vision d’Eglise dominante ; la chrétienté

* Le schéma séculaire est bien connu : une Eglise superposée au monde, co-extensible à la société. L’espace de l’Eglise coïncide avec celui du monde, où l’Eglise occupe la place du leader : elle enseigne, elle dirige. La vie s’organise autour du clocher, point de ralliement d’une société qui est chrétienne de droit sinon de fait.

* La séparation de l’Eglise et de l’Etat a sonné le glas de la chrétienté dans la société française. Mais jusqu’aux récentes fractures culturelles des années qui ont suivi la deuxième guerre mondiale, sans atteindre de manifestations spectaculaires, le schéma de chrétienté a perduré aussi bien dans les pratiques que dans les mentalités : l’Eglise avait une certaine surface sociale notamment dans le monde de l’école et de la santé ; au moins dans le monde rural les communautés restaient fortement structurées et la société restée globalement chrétienne demeurait le lieu où se faisait l’intégration des trois dimensions de la foi, l’enseignement, la vie sacramentelle et le témoignage.

2) Des modèles très cotés

* L’Eglise, à la manière de la société civile fortement hiérarchisée, repose massivement sur le clergé. C’est la classe dirigeante, elle a le savoir et le pouvoir, elle guide avec autorité.
Au regard de la société, le clergé est d’ailleurs vu comme un corps de notables respectés. Dans l’esprit du commun l’Eglise se réduit au clergé : "L’Eglise catholique ? une autorité", disait un observateur orthodoxe au Concile.
Dans ce schéma, le modèle sacerdotal, et par osmose le modèle religieux, se trouve excessivement survalorisé, avec deux connotations : la supériorité et la séparation.

- Supériorité : le prêtre est au sommet : "c’est la plus belle des vocations, en tout cas la plus sûre".

- Isolement : le prêtre est séparé, à part, au-dessus de la condition commune, un personnage sacré.

3) Une pastorale du recrutement

- C’est une pastorale particulariste, corporatiste :

* Au plan de la visée, de l’objet des préoccupations pastorales, ce qui compte ce sont les seules vocations sacerdotales et, plus tardivement, les vocations religieuses.
La revue VOCATION a été fondée en 1901, mais à ses origines et 53 ans durant, elle s’intitula "LE RECRUTEMENT SACERDOTAL", et son fondateur le Père Michel DELBREL disait : "je ne vois pas d’autre titre qui traduise mieux notre but, puisqu’il s’agit de trouver des prêtres... Si vous en vouez un meilleur, dites-le moi...".

* Au plan des acteurs, c’est l’affaire du clergé et des congrégations : "les prêtres sont les capitaines du recrutement de la milice sacerdotale", disait Mgr ANDRIEU, de Marseille. Il s’agit de se trouver un successeur, d’assurer l’avenir de la congrégation.

* Au niveau de la pédagogie, l’accent est mis sur la préparation immédiate de la vie cléricale ou religieuse, ’l’environnement devant suppléer aux carences de la maturité humaine ou chrétienne.

* Au niveau de la méthode, le recrutement utilise avec ingéniosité les formes subtiles bien connues maintenant du marketing et de la propagande.

- Une pastorale commandée par une théologie prédéterminante de la vocation :

La vocation est une prédestination relevant d’un décret divin élaboré de toute éternité, un prêt-à-porter destiné à un être "aimé d’un plus grand amour". C’est donc affaire intime et personnelle : on l’a ou on ne l’a pas.

II - AU TEMPS COURAGEUX DE LA MILITANCE

1) Une autre vision d’Eglise : une Eglise juxtaposée au monde

Tuilant avec la vision qui perdure comme une queue de chrétienté, c’en est une nouvelle qui se met en place durant la même période du premier cinquantenaire de ce 20ème siècle : la vision d’une Eglise campée en face du monde.

Suite à la Révolution, au positivisme de la fin du 19ème siècle, des événements majeurs comme la Loi de séparation et les deux guerres, ou des courants décisifs comme la montée de l’incroyance, ont achevé la cassure du vieux schéma et accentué la dissociation Eglise/Monde. Dissociation qui s’inscrit en termes

- d’opposition : une lutte s’engage où chacun vise à exclure l’autre (syllabus - serment anti-moderniste)

- de concurrence : pour, se défendre on se replie sur des positions privées concurrentielles (syndicats - école)

- de conquête : on passe le parapet de la tranchée pour aller planter les couleurs en territoire païen. C’est le glorieux temps des militances des années trente.

2) Les modèles

Le schéma pyramidal et clérical de l’Eglise demeure intact. Le modèle dominant reste donc celui du prêtre,

- du prêtre fondateur et directeur des oeuvres instaurées dans la perspective de la concurrence,

- du prêtre instigateur de l’action des laïcs entreprise dans la perspective de la militance.

Le prêtre, modèle sommital ? Oui, avec des correctifs de taille :

D’une part, dans un processus croissant de déchristianisation, le prêtre réalise qu’il ne peut plus se cantonner dans le culte, il faut "aller aux milieux déchristianisés" avec les laïcs, même si c’est lui le stratège de la bataille.

Et d’autre part, la secousse de la 2ème guerre mondiale accentue la prise de conscience de la dimension missionnaire du ministère du prêtre et avec lui de l’Eglise, la préoccupation de rejoindre les hommes en direct, là où ils sont : c’est le fameux passage aux païens de St Paul traduit dans les manières d’une époque, les lettres du cardinal SUHARD, la brochure "FRANCE PAYS DE MISSION", la fondation de la Mission de France, les prêtres ouvriers, et tout l’écho parallèle de ce souffle missionnaire dans les Instituts : fondations nouvelles, engagement professionnel, partage des tâches apostoliques.

3) Une pastorale des vocations moins intimiste

- La vision prédéterminante de la vocation perd du terrain :
* du quantitatif on passe au relationnel : la vocation est moins un avoir à garder qu’un dialogue à instaurer
* du décret programme on passe au projet de Dieu qui rencontre le projet de la personne.

- La pédagogie est encore celle de la rupture car le monde est dangereux. Mais elle est aussi ouverture, car l’Esprit agit au coeur de ce monde : Dans les séminaires et les noviciats se fait une remarquable formation à l’engagement apostolique (camps-missions, stages, sessions).

- La pastorale des vocations reste centrée sur les vocations sacerdotales et religieuses, mais on s’interroge avec un certain malaise sur le laisser pour compte de la vocation baptismale et de la place des laïcs dans la vie et la mission de l’Eglise.
Cette pastorale enfin s’arrime mieux à la dynamique même de l’Eglise : elle devient dimension de la pastorale tout court, une autre manière de la vivre quand on est habité par le souci des appels. Ces convictions sont mûres en I960, il leur manque une théologie porteuse, une identification de l’Eglise par elle-même.

III - LE TOURNANT DU CONCILE

Ce tournant est un recentrage de la pastorale des vocations d’un extérieur

- les réflexes de survie de la tribu - à l’intériorité même du mystère de l’Eglise : pour tous et pour chacun l’appel fait partie du statut de la foi, du statut de l’Eglise.

A) Une autre vision de l’Eglise

Trois clefs, trois passages obligés :

- faire partir l’Eglise d’en haut : elle est mystère

- la faire traverser notre histoire : elle est Peuple de Dieu

- la mettre au service du salut : elle est sacrement.

1 - L’EGLISE DE LA TRINITE

Pour parler de l’Eglise, c’est de là qu’il faut partir, pas de l’épiscopat. Elle est le rassemblement des hommes qui participent actuellement à la vie du Père, du Fils et de l’Esprit. Elle est famille de Dieu. Elle naît de la volonté du Père et fait déboucher sans cesse dans le monde la mission du Fils et l’énergie de l’Esprit.
L’Eglise ne naît pas d’une "plate-forme", d’un projet d’homme, mais de la Parole de Dieu, de la Mort-résurrection du Christ, de l’envoi de l’Esprit. Elle est un don de Dieu.

2 - LE PEUPLE DE DIEU

Il ne faut pas réduire l’Eglise à la tribu de ses responsables. Elle n’est pas une caste de notables. Elle est la communauté des baptisés : une Eglise dont la vie est notre bien à tous ; la mission, notre responsabilité à tous.

UNE EGLISE DONT LA VIE EST NOTRE BIEN A TOUS
Un Peuple tout entier vivant

Le principe premier de son existence et de son rayonnement, ce n’est pas la perfection de son organisation, ni l’autorité ou le prestige de ses chefs, c’est sa dimension cachée : elle est communion à Dieu et entre frères, communauté dans l’Amour de Dieu et des frères.
L’Eglise-communion ne peut se réduire ni à une hiérarchie, ni à une cléricature pas plus qu’à une papauté. L’Eglise est d’abord, et fondamentalement, la communauté des baptisés en tant qu’ils constituent le même Corps, édifient le même Temple.

* UNE EGLISE DONT LA MISSION EST NOTRE RESPONSABILITE A TOUS
Un Peuple tout entier témoin

- Dans la réalité des gens :

L’Eglise risque bien d’être une abstraction lointaine si on la regarde uniquement dans ses façades. L’Eglise se réalise en un lieu, donc dans la vie des gens de cet endroit, avec leur histoire et leur culture, leurs richesses et leurs attentes, leurs luttes et leurs cris. L’Eglise bien concrète va se réaliser là, au ras de toutes nos rencontres et de nos partages, au ras de nos conflits et de nos réconciliations.

3 - FINALEMENT, LE SACREMENT DU SALUT DU CHRIST

* Sacrement - elle est signe de Quelqu’un . signe, elle donne à voir . efficace, elle donne à vivre.

* Sacrement du salut : Le salut c’est ce qui empêche l’homme de se perdre : Jésus-Christ.

Une Eglise sacrement, cela veut dire non repliée sur elle, mais toute centrée sur le Christ, donc toute préoccupée des hommes. Une Eglise servante du Christ en étant service des hommes. Une Eglise qui lave les pieds et dresse la table ensuite. Une Eglise qui annonce, qui rassemble, et à nouveau envoie.

Une Eglise indissociablement, d’un même mouvement qui lui vient d’en haut, communion et mission, mission et communion. C’est un coeur qui bat, celui du Christ au milieu du peuple des hommes.

B) Une autre conception de la vocation

- L’appel vient de Dieu, mais c’est l’Eglise qui en est porteuse : il s’agit de bien l’inscrire comme une rencontre de témoins, dans la dynamique même de l’Eglise.

- L’appel vient de Dieu, mais il est intérieur à nous-mêmes : il s’agit de bien l’inscrire dans le mouvement même de la vie

- L’appel de Dieu peut être spécifique, mais il est toujours un don fait à la communauté pour sa mission :
il s’agit de bien l’inscrire dans le mouvement de l’édification de l’Eglise.

Ces articulations sont commandées par la référence nécessaire à trois pôles directeurs : l’Esprit, l’Eglise et la vie.

1 - LA REFERENCE NECESSAIRE A L’ESPRIT

Ceci n’est pas nouveau. On a toujours dit que c’est Dieu qui appelait. La grâce est toujours fondatrice de la vocation. La vocation renvoie toujours à l’initiative de Dieu et se définit comme un don qui demande réponse pour le service de tous.

C’est un appel à ne jamais réduire une vocation à une activité extérieure, à une perspective trop uniquement fonctionnelle de postes à pourvoir ou de tâches à remplir, ni non plus à une attitude volontariste. Toute vocation relève du mystère, elle vient de l’Esprit et renvoie la personne à cet essentiel de la communion au mystère du Christ.

2 - LA REFERENCE NECESSAIRE A L’EGLISE

* Signe du Christ, sacrement de son salut, l’Eglise est médiation de ses appels. La pénurie semblerait commander le souci des appels. Ce n’est pas juste. La responsabilité des chrétiens est antérieure à la crise. La pastorale des vocations tient à la définition et à la nature même de l’Eglise :

Parce que tout entière envoyée par Dieu depuis le mystère de la Trinité, dans la foulée des missions du Fils et de l’Esprit, l’Eglise est par naissance, par état et par destination tout entière appelée et appelante.

* Une ecclésiologie qui commande une nouvelle vision de la vocation :
Dieu nous fait signe et il s’agit de discerner, de lire ces signes de sa présence et de son action (G.S. n° 11 ; P.O. n° 11).

Les signes de Dieu ne sont plus des oracles pour l’avenir, mais des consignes d’action pour le présent. La vocation ne tombe plus sur quelqu’un, elle est saisie dans le mouvement même de la vie. Ainsi l’appel se voulant dialogue, cheminement, finalement expérience fondatrice, on ne découvre sa vocation qu’en la réalisant et la plus belle des vocations est celle que le Seigneur nous a donné de réaliser.

3 - LA REFERENCE A LA VIE

Si l’Eglise est signe du Christ Sauveur au coeur du monde et au milieu des hommes, la pastorale des vocations devra emprunter les chemins de l’homme. Si le monde est mondain et appelle rupture, le monde est le lieu où Dieu se donne à recevoir, il devient alors lieu d’enracinement pour y découvrir son identité ; de maturation pour y éprouver, dans la durée, les choix à opérer ; de discernement, pour y mesurer le sérieux d’un projet.

C) Une nouvelle conception de la Pastorale des Vocations

1 - Une pastorale qui est l’affaire de tous, puisque l’Eglise tout entière est signe des appels. Cette pastorale n’est plus réservée à quelques spécialistes patentés, elle engage la responsabilité de chacun : c’est l’idée maîtresse d’Optatam totius.

2 - Tous appelants de toutes les vocations. Sacrement du salut, l’Eglise ne l’est que dans la diversité et la complémentarité des charismes et des ministères, sans confusion de ce qui doit être distingué : le ministère qui relève d’un appel objectif de l’Eglise, et la vie consacrée qui relève d’une vocation personnelle.
C’est un appel à faire partir la pastorale des vocations de l’intérieur de chacun, de l’ouverture aux autres vocations, d’une purification de son regard porté sur l’Eglise, son identité et sa mission.

3 - Appelants à travers d’abord ce que l’on vit et par tout ce que l’on vit, ce qui veut dire deux choses : la pastorale des vocations est témoignage et manière nouvelle de vivre l’ordinaire. Elle n’intervient pas comme un extra qui serait à intégrer dans le contenu des jours, elle est une dimension du quotidien professionnel ou ecclésial, individuel ou collectif. Tout ce qui rend attentif aux appels de Dieu est déjà vocationnel.

4 - Appelants dans une participation à l’action spécifique de l’Eglise quand elle appelle au ministère ordonné et à la vie consacrée. Il s’agit pour chacun de dépasser ou la crispation sur les seules vocations particulières ou la dilution de celles-ci en un dénominateur uniforme, pour entrer dans l’effort de l’Eglise : permettre à chacun de trouver sa place et sa manière de suivre aujourd’hui le Christ.

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2ême partie
L’AUJOURD’HUI D’UNE PASTORALE

- PLURIELLE ET CONCERTEE –

Une conviction directrice :
Parce que les vocations, toutes les vocations, c’est notre affaire à tous, la pastorale que nous devons promouvoir doit être une pastorale EN EGLISE ET AU SERVICE DE l’EGLISE.

La fondation, la croissance et la mission de l’Eglise sont les ressorts de la pastorale des vocations. La pastorale des vocations est donc une préoccupation permanente commune, c’est l’affaire de tous, on travaille tous ensemble : concertation et communion sont la condition de l’authenticité d’une telle pastorale.

* Pastorale DIVERSIFIEE :

Car il s’agit de servir la liberté de l’Esprit, et l’Esprit emprunte des voies différentes. Il serait absurde d’oublier les originalités propres de la vie religieuse et du ministère ordonné et donc les originalités propres de l’appel à la vie religieuse, et de l’appel au ministère ordonné.

Il serait absurde de gommer le souci des évêques pour la relève des ministres nécessaires à la vie des diocèses, et celui des responsables religieux pour la continuité de leurs instituts.
Toute captation ou monopolisation en ce sens serait erreur théologique et mauvaise action.

* Mais aussi, pastorale COMMUNE :

Si on y va comme on est, on y va ensemble. Le danger serait l’éclatement d’une grande dynamique d’Eglise en des pastorales parallèles et concurrentes.

Le danger pour chacun est de cultiver l’angoisse de la pénurie, de reprendre ses billes et de partir, chacun de son côté, d’un pied léger, dans le passé le plus révolu d’un recrutement individuel et portatif. Ce qui est en question, c’est de faire oeuvre d’Eglise. Hors de cette coordination des forces appelantes de l’Eglise, c’est la visée de communion qui s’estompe. C’est ainsi qu’on enchaîne l’Esprit.
Au contraire, ce que nous voulons c’est aider des tas de gens à travailler à l’éveil des vocations particulières et à leur accompagnement. Assurer cette pastorale concertée, c’est déjà dire et signifier quelque chose de l’Eglise.

Cette conviction -pastorale plurielle et concertée- pouvait n’être qu’un slogan. Elle devait prendre corps. Elle le prit sous la forme d’une prise en compte collégiale de deux relances, l’une en direction de l’appel à la Vie religieuse, l’autre en direction du ministère des prêtres. Passionnante histoire dont cette session n’est qu’une séquence.

I - POUR UNE PASTORALE DE l’APPEL A LA VIE RELIGIEUSE

A) Un grand moment d’Eglise : la session d’Issy-les-Moulineaux

Elle s’est tenue en Juillet 1984 au séminaire d’Issy-les-Moulineaux. Elle fut suivie par 270 participants : 195 au titre des Services des Vocations, 75 au titre des Instituts religieux.

1 - LE THEME de cette session était l’appel à la vie religieuse, analysé :

- dans son environnement socioculturel et ecclésial : 1’aujourd’hui de l’appel ;

- dans sa source fondatrice : l’Esprit-Saint ;

- dans ses médiations : le discernement de l’Eglise ;

- dans sa finalité : la mission prophétique de l’Eglise.

Le choix de ce thème était commandé :

* par une conviction : l’appel à la vie religieuse est un don du Seigneur à son Eglise pour la mission, un charisme original et irréductible.
La vie religieuse tient une place tout à fait importante et capitale dans la vie et la mission de l’Eglise. Après de trop longs silences, il est utile de le proclamer haut et fort ;

* par la mission même confiée aux Services des Vocations : les Services diocésains des Vocations n’ont pas à se soucier seulement des ministères ordonnés, mais de l’ensemble des vocations particulières, indispensables pour gué l’Eglise soit elle-même, dans toute sa diversité.

* II y avait aussi des opportunités pour relancer l’appel à la vie religieuse
. C’était le moment ou se manifestait une certaine reprise des vocations religieuses masculines ;
. le moment où se vérifiait un bouillonnement d’initiatives dans les Services des Vocations ;
. le moment où les évêques ouvraient le dossier des relations mutuelles entre les Instituts et les Eglises diocésaines, pour le service de la mission ;
. le moment surtout où les jeunes se présentaient avec un grand désir de perfection et de vie spirituelle, une grande générosité pour donner leur vie au Christ, une requête d’aventure mystique.

2 - DES INTERPELLATIONS

* UN APPEL A ETRE PLUS ATTENTIF AUX ATTENTES DES JEUNES

Leur refus d’une rationalité technique déshumanisante est souvent une attente, non dite, d’un sens à donner à l’existence ; une quête d’un nouveau type d’homme qui donnerait une importance plus grande à l’imagination, à la créativité, au symbole, à la gratuité.

On pressent derrière cela, un besoin d’unification intérieure par où se ressaisiraient les morceaux de la personne émiettée, la reconstruction de la personne et l’unité de la vie dans un monde éclaté.

Dans un certain nombre de cas, cette attente s’explicite en besoin d’intériorité, en demande de spirituel qui donne Jésus-Christ à vivre. Et quand cela va jusqu’à envisager une vie religieuse, ce qu’on demande d’abord aux Instituts, c’est une aventure spirituelle partagée, et un chemin de prière.

Cette attention renouvelée à l’identité des jeunes a une incidence immédiate : procurer aux jeunes chrétiens des lieux d’accueil (nos communautés nos groupes, nos équipes et d’autres lieux à inventer) qui soient des lieux de vie :

- des lieux où se vit une reconnaissance des personnes,
des lieux qui donnent à exister ;

- des lieux où se dit une parole prophétique,
des lieux qui donnent à découvrir et à vivre Jésus-Christ ;

- des lieux où l’on rencontre des témoins :
des lieux qui donnent à voir et à discerner les vrais disciples, "ceux qui ne se réfèrent pas à Dieu sans se référer au monde, mais qui ne se réfèrent pas au monde sans se référer à Dieu", disait encore Henri MADELIN.

• APPEL A ETRE, NOUS-MEMES, DE MEILLEURS TEMOINS

- Par le témoignage toujours prioritaire de notre propre vie consacrée : le premier témoignage à donner n’est pas de l’ordre du discours, mais du vivre, celui d’un homme, d’un chrétien bien à sa place.

- Par un premier accueil qui soit tout écoute, tout service, toute disponibilité, où l’on a à coeur de se faire chercheur de Dieu avec des chercheurs de Dieu : pour qu’ils soient en vérité et en liberté face au Christ.

- Par un accompagnement de qualité, si notre ministère le demande : II s’agit de permettre à un homme, à une femme, de relire l’action de Dieu dans sa vie ; d’entrer progressivement dans toute la mesure d’un appel qui ne se dit pas forcément du premier coup ; d’entrer dans une continuité de réponses partielles ; "de devenir le sujet responsable de son histoire", disait encore le Père Michel RONDET, c’est-à-dire de sortir du présent pour engager l’avenir.

- Par une vraie convivialité avec les Instituts religieux, un travail bien en lien avec eux et bien articulé sur leur propre pastorale. Cela veut dire :

  • Confiance : donc un climat d’écoute, d’amitié et de respect ;
  • Honnêteté : donc de notre part, un vrai désintéressement et le devoir d’information ;
  • Service : donc un souci de concertation et de collaboration.

B) Un événement hautement symbolique ; la session U.S.M.F./S.N.V.

1- Ceci se passait à PARIS, en Avril 1985. Session en effet hautement symbolique si on considère qu’elle rassemblait, à leur initiative, 280 Supérieures Majeures avec le National et les Régionaux du Service des Vocations, sur ce thème : "EN EGLISE, POUR UNE PASTORALE PLURIELLE ET CONCERTEE".

Nous étions dans l’intuition d’ISSY : une pastorale des vocations qui nous fasse travailler ensemble a construire l’Eglise, mais intuition reprise en compte, à ce coup-ci, par les Supérieures elles-mêmes. La démarche était tracée d’avance :

* Mettre en commun nos pratiques :
Des enquêtes préalables favorisaient ce partage :

  • une enquête sur le travail des religieuses en S.D.V. .
  • un sondage sur les jeunes en recherche.

* Jeter un regard lucide sur les jeunes générations et entendre les questions qu’elles nous posent

* Questionner nos pratiques à cette double interpellation de l’Evangile et du monde.

2 - LES ACQUIS IMPORTANTS de cette rencontre

* L’ESPERANCE, UN DEVOIR
Dans leurs échanges ces responsables avaient toutes présentes à l’esprit la réalité très lourde des instituts, et l’incertitude de leur avenir, parfois bien compromis. Et pourtant elles ont osé parler d’un à-venir, celui de l’inédit de l’appel de Dieu. Le Seigneur est celui gui toujours séduit.
Dans leurs déclarations, dans leur prière, dans leurs décisions, ces responsables ont posé un acte d’espérance.

* LES JEUNES GENERATIONS : UNE CHANCE
Lors de leur assemblée générale de novembre 1984, les Supérieures avaient déjà noté l’importance de porter un regard positif sur les jeunes, la nécessité de dépasser le recul frileux et la peur.
La session U.S.M.F./S.N.V. est venue confirmer cet appel à la conversion du regard et du coeur : les jeunes sont ceux gué Dieu nous donne comme nouveaux partenaires à servir.

* LA PASTORALE DES VOCATIONS : UNE MISSION D’EGLISE
Nous sommes tous concernés par toutes les vocations. L’enjeu c’est l’Eglise à mettre debout.
Ce fut là, sans aucun doute, la conviction la plus forte et gui eut le retentissement le plus grand. Traduite en langage de Supérieures, cette conviction s’exprimait ainsi : "Nous ne sommes pas propriétaires de nos charismes, mais dépositaires : ils sont pour l’Eglise, restituons-les au Peuple de Dieu".

* LA CONCERTATION : UN ENGAGEMENT COMMUN
Tel fut la dynamique de cette session 1985 : pousser plus loin la confiance et la concertation entre Instituts et Services des Vocations

- soit sur les objectifs proprement vocationnels, l’éveil, l’accompagnement et le discernement,

- soit sur les moyens institutionnels notamment la place des religieuses dans les S.D.V.

Ces convictions nous les rappelons comme l’expression désormais d’une conscience commune : c’est un patrimoine reçu. Il nous appartenait non pas de le confisquer mais d’en redistribuer la richesse.
C’est ce gué nous vivons avec vous en ce mois de juillet, bientôt, en novembre, avec les moniales.

II - POUR UNE PASTORALE DE 1’APPEL AU MINISTERE DES PRETRES

1) Une relance nécessaire

Pouvait-on limiter l’énergie du Service des Vocations au seul souci de l’appel à la vie religieuse ?
C’eut été très vite perdre toute crédibilité et compromettre cela même dont nous venions de parler : en effet ces toutes dernières années, à la mesure même où les prêtres se font plus rares alors qu’un réveil s’opère de la vocation fondamentale des baptisés, une conscience commune grandit chez beaucoup : "l’Eglise ne va pas sans prêtres".

Nous avons, ces derniers temps, vécu trois périodes :

- celle du rejet de la question de l’appel au ministère : la question était repoussée avec l’agressivité portée alors sur les institutions et les modèles qui les portaient ;

- celle du silence sur la question. Période du tabou où la question du sacerdoce était occultée comme négligeable ou dépassée. Elle correspondit à une période de désenchantement dans le clergé ;

- celle du courage à nouveau, de la question. Période d’intérêt pour la question, non pas qu’on en aurait la solution, mais parce qu’elle est incontournable : l’Eglise est sacramentelle et le ministère est le signe vivant de cette Eglise sacrement du Christ.

C’est dans cette conjoncture que nous convoquâmes tous les responsables des Services Diocésains des Vocations à FRANCHEVILLE, en juin 1985, pour une relance de l’appel au ministère presbytéral.

2) Les leçons de FRANCHEVILLE

Derrière ce thème de la relance au ministère, il y avait cette question :
"Qui sont les appelants ? Il y en a qui le sont, comment ? Il y en a qui ne le sont pas, comment les aider ?".

Car, de fait, des pratiques d’appel se vivent sur le terrain à propos de la catéchèse, de la confirmation, de l’ordination, dans les aumôneries, les Mouvements, au point qu’il est de plus en plus vrai de dire que le service des voca-est une chaîne d’appelants.
C’est avec de telles questions, et dans un tel contexte, qu’il s’est passé trois choses à FRANCHEVILLE :

- RE-FONDATION DU MINISTERE

- La redécouverte que les prêtres diocésains doivent être compris en référence à l’Eglise diocésaine :

  • Appartenance à un diocèse, mystère de l’Eglise en un lieu, pour y être les serviteurs de la foi, de la communion et de la mission.
  • Le service d’un peuple, dans l’attention à ce que vivent là les gens, par le ministère de la réconciliation et de l’espérance.
  • La fraternité entre prêtres, nouée dans le lien à l’évêque.

- La redécouverte que le ministère des prêtres diocésains est un chemin de sainteté ; plus qu’une mission, une mystique.
Toute la vie, tout le ministère des prêtres diocésains revêt un caractère pascal et eucharistique.

* UNE INTERIORISATION DU MINISTERE

Un partage de vie fut proposé aux 90 sessionistes : "Et toi, tu vis ce ministère comment ?". Cette révision de vie a permis d’aller au coeur même de ce qui les faisait vivre. Ce fut un temps très fort de communion fraternelle et pour certains, ce moment de lumière et d’espérance, où le mot "passion" retrouvait un double sens : ce qui fait mourir, mais aussi ce qui fait vivre.

* UNE IMPULSION PASTORALE

Cette session a permis de mesurer toute la complexité de réactiver présentement l’appel dans cette direction, mais la nécessité de le faire parce que l’Eglise ne va pas sans ministres.

3) En route vers un Congrès

Manière de transformer l’essai, au lendemain de FRANCHEVILLE, il a semblé opportun d’envisager un CONGRES NATIONAL à LOURDES, pour la Pentecôte 1987, sur ce thème de l’appel au ministère de prêtres diocésains.

Un Congrès, non pour cultiver l’angoisse de la pénurie, mais pour impliquer le plus de gens possible dans la préparation de ce Congrès, ce qui serait une manière de restituer l’initiative de l’appel au Peuple de Dieu.

Nous nous acheminons vers LOURDES à deux vitesses :

- Dans un premier temps, plus ralenti, nous invitions les chrétiens à s’interroger sur la place faite aux prêtres dans leur expérience personnelle de la vie en Eglise.
Un document théologique venait nourrir ce questionnement adressé aux laïcs, aux religieuses, aux prêtres, aux jeunes, dans les Conseils, la célébration, 1’animation.

- Dans un autre temps plus accélère, nous allons inviter les chrétiens à questionner non plus leur sens du prêtre, mais leur pratique d’appel : quand, avec qui et comment.
Ce questionnement en 17 fiches sera nourri par des documents bibliques et liturgiques.

C’est cette révision de vie et cette évaluation qui seront collectées, approfondies et célébrées à LOURDES.

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CONCLUSION

On l’aura compris, l’évocation de l’histoire récente de la pastorale des vocations laisse apparaître trois points de repère fondateurs :

1 ) Une Pastorale inspirée par la foi

Elle est toujours un service de l’Esprit, une incitation à la relation vivante
avec le Christ, une disponibilité au projet du Père.
Elle est toujours un chemin de prière appuyée sur la Parole et l’Eucharistie.

2 ) Une Pastorale menée en Eglise et à son service

* donc intégrée à la vie et à la mission de l’Eglise diocésaine, associée à son travail, soucieuse d’en rejoindre tous les acteurs,
* et en communion active avec le travail des congrégations et instituts religieux, séculiers ou missionnaires.

3 ) Une pastorale des vocations attentive au monde

C’est dans ces dynamismes, anciens et nouveaux, que s’inscrivent les appels de l’Esprit. Dans le contexte d’une modernité religieusement indifférente, ou tout simplement incroyante, la pastorale des vocations s’inscrira nécessairement dans le mouvement même de cet effort d’évangélisation qui cherche à rejoindre aujourd’hui de nouvelles générations, pour leur annoncer la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ.

NOTES --------------------------

(1) Cette question avait été abordée par Jean RIGAL : "La Pastorale des vocations en France" (VOCATION - Janvier 1976). Nous reprenons ce propos en le complétant. [ Retour au Texte ]