Vivre et dire la foi au quotidien


avec des étudiants

Soeur Marie-France FORTIN *

VIVRE ET DIRE LA FOI AU QUOTIDIEN

Traduire une expérience de rencontre avec des étudiants, c’est d’emblée faire référence à une catégorie de jeunes très particulière : particulière comme tranche d’âge, globalement celle des 18-25 ans, particulière surtout quant à l’environnement de leur existence quotidienne, ici, les Universités de Paris.

Le champ de vision se resserre encore, puisque les étudiants que je rencontre font partie d’un groupe chrétien, celui du Cep-Panthéon Sorbonne, dont le local, ancienne librairie située juste en face de la fac, se veut ouvert au tout-venant. L’affiche "entrée libre" placardée sur la porte de notre "boutique" en dit au moins le désir.

Mais le paysage s’ouvre en regagnant St Germain des prés, lieu de rassemblement de l’ensemble des communautés étudiantes de la région parisienne. Les occasions ne manquent pas : formation offerte chaque vendredi soir, ou samedi, à l’Abbaye (Université Paris-Cep), temps forts spirituels, lancement de pèlerinages comme celui de Chartres ou de Terre Sainte.

Ces deux lieux évoqués rapidement sont riches d’une expérience commune, aumôniers et étudiants. A partir de là, tentons de préciser :

- le monde des étudiants qui se présente à nous

- ce qui se manifeste comme expression la plus courante de la recherche étudiante

- la manière dont nous accompagnons cette demande : convictions et propositions élaborées régulièrement en équipe pastorale

- et, à titre d’exemple, une réalisation plus spécifique de l’évolution actuelle.

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LES ETUDIANTS

Réalisons d’abord que les jeunes actuellement à l’Université sont nés entre 1961 et 1968.

Si leurs parents ont été marqués par le renouveau conciliaire de Vatican II et plus tard par les secousses de Mai 1968, ils n’en connaîtront, eux, que les conséquences dans l’environnement ecclésial et social.

Ils vont grandir à l’heure des remises en cause du langage de la foi et des modes de transmission du savoir, dans un monde en recherche de nouvelles références.
Cette tension en avant va être cependant freinée par la crise économique qui, dès 1973, commencera à se manifester, produisant aujourd’hui récession et chômage.

La génération des 18-25 ans arrive donc dans un univers très particulier : Elle doit affronter une société qui, en quelque sorte, a perdu ses références passées et n’offre plus d’avenir ; les enjeux de l’existence s’en trouvent réduits à un présent fragile et fugace.

Combien de fois ai-je entendu l’un ou l’autre me dire : "Pour le choix de mon avenir (professionnel), si une occasion se présente il faut faire vite, c’est tout de suite ou jamais !".

Cette hâte dit assez de quelle angoisse la vie quotidienne est faite.

o ET DU COTE DE LA FOI, QU’EN EST-IL ?

L’effondrement de la pratique religieuse chez beaucoup d’adultes a manifesté en clair la faiblesse de leurs convictions chrétiennes. Les effets sur la jeune génération en sont divers.

L’ambiance générale du milieu universitaire jeune est plutôt emprunte de tolérance. Sous couvert de respecter la position d’autrui, cette attitude ne fait en réalité que la banaliser. C’est une parmi beaucoup d’autres... La question religieuse en Fac suscite plus d’indifférence que d’intérêt.

Mais de manière parfois paradoxale, il n’est pas rare de rencontrer tel ou tel étudiant sur le chemin d’une réelle découverte de la foi. Les grands-parents sont ou ont été chrétiens convaincus, alors que les parents, en réaction contre leur propre éducation religieuse, se montrent agressifs à l’égard de l’Institution Eglise. Voir leurs enfants se tourner à nouveau vers une recherche religieuse ou la pratique de certains sacrements consomme la crise en rupture.

Récemment, une étudiante me disait : "Que puis-je faire pour mes parents, ils ne supportent pas les discours du pape ; je ne comprends pas, moi, je trouve cela bien !". Et un autre : "C’est dommage, je viens d’apprendre par ma mère que j’ai été baptisé et confirmé tout jeune ; mais est-ce qu’il n’existe pas une sorte de Communion pour les gens de mon âge ?".

De l’étudiant aux parents anti-cléricaux ou critiques, passons à celui dont le père et la mère sont vivement engagés au nom de leur foi, dans toutes sortes d’activités. En souffrent-ils ? Parfois, mais le malaise traduit alors la soif d’un absolu en quête de réalisation. Le témoignage d’adultes convaincus et conséquents avec leur foi chrétienne est souvent pour eux un stimulant et une espérance.

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LEUR DEMANDE

A partir de cette esquisse, essayons de préciser la demande des étudiants que nous rencontrons. Je la résumerai ainsi :

  • Le désir de trouver des lieux de rencontre et d’échange avec le primat mis sur la disponibilité et la gratuité.
  • La recherche de modèles (importance du témoignage personnel) et de points de repère pour vivre la foi (lieux de célébration liturgique, par exemple.
  • La soif d’expériences affectives porteuses de communion et de réconciliation.
  • La demande d’une meilleure intelligence de leur foi.

NOTRE ACCOMPAGNEMENT

Comment maintenant accompagner une telle recherche ?
Comment nous situer comme équipe pastorale au service des étudiants ?

Je voudrais commencer par une remarque sans doute évidente : notre histoire n’est plus la leur ! Prêtres, laïcs, religieuses engagés dans un travail pastoral, notre jeunesse, l’époque des choix décisifs de notre existence s’est déroulée dans des circonstances devenues totalement étrangères aux jeunes d’aujourd’hui. L’élaboration de nos convictions s’est faite au creuset d’expériences souvent passées, et si elles sont encore récentes, elles se trouvent vite dépassées.

Nous pouvons être surpris, décontenancés par la recherche des jeunes générations ; nous entendons parfois parler de "recentrage" avec cet accent d’inquiétude qui laisserait entendre que l’Eglise n’est pas vraiment présente à nos contemporains.
Quels chemins emprunter pour répondre à l’appel qui nous presse d’annoncer le Christ aujourd’hui ? Car il ne s’agit pas non plus d’accueillir sans discernement toute demande actuelle.
Ne faut-il pas d’abord évaluer les situations nouvelles pour entendre et comprendre la requête des jeunes générations ? La tâche réclame de nous courage et lucidité.
Cesser de projeter sur le monde présent nos convictions élaborées hier est un vrai renoncement ; partir de la demande des jeunes, qu’elle nous plaise ou non, est une nécessité, mais avec la responsabilité de 1’évangéliser, de la mener aux dimensions du mystère du Christ et de son Eglise tournés vers Dieu et tournés vers les hommes.
Quatre orientations sont, à mon sens, prioritaires :

  • Offrir des lieux de rencontre où l’expérience puisse se dire, s’échanger,
  • Mettre en place une pédagogie de la prière et de l’expérience spirituelle en puisant dans la grande tradition de l’Église
  • Proposer des lieux de formation à l’intelligence de la foi
  • Favoriser de réelles prises de responsabilité en Eglise.

Sans doute allez-vous me dire : "Et l’exigence du témoignage, de la présence chrétienne à l’Université, qu’en faites-vous ?".
Loin de minimiser cette dimension, elle devrait, au bénéfice de cette formation, s’exprimer avec plus de vigueur et d’authenticité. Dans l’ambiguïté des nouvelles formes de militances, ne faut-il pas aider les jeunes à découvrir les vrais fondements de la mission chrétienne ?

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UNE REALISATION

Dans le domaine des réalisations, il me faut faire des choix : il serait en effet lassant de décrire tout ce que nous entreprenons actuellement dans nos communautés étudiantes. Aussi je ne retiendrai qu’une seule expérience, un peu nouvelle, faite avec des étudiants cette année.
Plusieurs m’avaient dit leur difficulté à vivre leur foi chrétienne en Fac. Le malaise ne faisait que s’amplifier si la discussion entre étudiants venait à aborder la question religieuse. Clichés et arguments jouaient en faveur de la critique et les trouvaient régulièrement démunis.

A y réfléchir ensemble, nous constations que cette difficulté en cachait une autre : même entre chrétiens, les mots leur manquaient pour traduire quelque chose de leur expérience de foi ou de leur recherche. Comment alors nous rendre attentifs aux mouvements de la foi, dans leurs manifestations comme dans leur absence, et comment apprendre à les reconnaître et à les nommer ?

Au-delà des discussions intellectuelles, quelque chose de plus fondamental était en jeu. C’est ainsi qu’en Octobre, deux groupes d’une dizaine d’étudiants se formaient sous l’étiquette : "vivre et dire la foi
au quotidien".

o QUE FAISONS-NOUS DANS CES GROUPES ?

Nous nous exerçons mutuellement à devenir de plus en plus attentif à ce qui se passe dans l’apparente insignifiance d’une journée. Ce qui se passe, ce sont des rencontres, des paroles échangées, le travail à effectuer, mais plus encore, les résonances intérieures de ces mille petits faits souvent imperceptibles. Repérer, discerner, nommer, autant d’attitudes qui permettent de découvrir en nos vies une Présence qui se donne et qui appelle.

Faite d’écoute dans l’échange, nos réunions renvoient à la prière, et la prière à l’attention dans l’action quotidienne.

o POURQUOI PRIVILEGIER CETTE VOIE ?

Chacun d’entre nous sait combien la vie urbaine nous assaille chaque jour d’informations et de sollicitations de tous genres. Tout concourt à la dispersion et nos comportements en Eglise n’échappent pas à la loi du genre ! De pense à certains étudiants "recrutés" par tant d’organismes, mouvements, paroisses, aumôneries (aussi !) sur le seul critère de leur générosité. Leur croissance humaine et spirituelle en font les frais.

Il s’agit alors de donner les moyens, modestes mais réels, de développer en eux une capacité d’unification intérieure pour que celle-ci devienne peu a peu le coeur de toutes leurs décisions et la source vivante de leur témoignage. Alors des choix d’existence pourront être discernés en référence à des expériences déjà éprouvées dans la réalité du quotidien.

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En guise de conclusion je voudrais reprendre la réflexion de Guy REGNIER, Secrétaire général adjoint au Secrétariat général de l’Episcopat. Interviewé par Gérard TOURNIER, en février dernier pour "Campus Actualités", la revue de la Mission Etudiante. Il disait :

"II nous faut assez de mémoire pour inventer utilement. Si nous ne répondons pas aux demandes de sens, de relation, de prière,

à tout ce gui marque un certain retour du sentiment religieux, comment seront-elles évangélisées ?

Mais si nous répondons à ces demandes sans prendre en compte le service des hommes, nous ne sommes plus l’Eglise de Jésus-Christ, car lui est toujours serviteur.

Nous n’inventerons utilement que si nous avons mémoire de ce qui est fondamental de l’Eglise."

Le chemin est ici tracé.

NOTES --------------------------------

Soeur Marie-France FORTIN, Auxiliatrice, est à l’aumônerie des étudiants de la Sorbonne. [ Retour au Texte ]