Avance en eau profonde... je te ferai pêcheur d’hommes


En Jeunesse Ouvrière
Chrétienne

Paul DESTABLE *

"AVANCE EN EAU PROFONDE...
JE FERAI DE TOI UN PECHEUR d’HOMMES "

Mon expérience dans la rencontre des jeunes, je la vis avec un Mouvement, la J.O.C. Je ne peux pas distinguer ce qui vient de ce Mouvement et ce qui vient de moi. Je suis prêtre avec un Mouvement qui veut rejoindre les jeunes du Monde Ouvrier, dans ce qui fait leurs préoccupations et leurs dynamismes, pour leur proposer une expérience de vie en Eglise.
Je suis aumônier fédéral J.O.C.-J.O.C.F. à CLERMOND-FERRAND depuis deux ans, il y a quatorze ans que je me réunis avec des équipes de ce Mouvement. Par ailleurs, je suis responsable du Service Diocésain des Vocations.

QUELS SONT LES JEUNES QUE JE RENCONTRE ?

o Il y a tout d’abord ceux que je rencontre dans une des équipes que j’accompagne : sept jeunes de 19-21 ans (un en L.E.P. ; un, boulanger ; un, I.M.P. ; trois en Enseignement Supérieur ; un en lycée). Ils sont tous du même quartier, ce qui explique les liens entre eux malgré les différentes situations.
En plus de ce qu’ils vivent sur leur lieu d’études ou de travail, ils préparent ces jours-ci une rencontre contre le racisme. Ils espèrent rassembler plusieurs dizaines d’autres jeunes. Rencontrer ces gars-là, c’est d’une certaine manière rencontrer tous leurs copains. Au cours d’une réunion, chaque fois que l’on évoque un événement ou une action de leur vie, cela est toujours accompagné de prénoms.

* J’ai, bien sûr, beaucoup à travailler avec l’équipe fédérale : sept jeunes de 20 à 23 ans (deux au chômage ; un au travail ; trois en Enseignement Supérieur ; un en lycée).
Notre travail consiste à créer des liens pour que les équipes ne soient pas des îlots. Il est important qu’il y ait des échanges dans tous les sens, entre équipes mais aussi avec l’ensemble du Mouvement au plan régional ou national. C’est une circulation d’expériences, de projets, d’actions, de paroles et d’actes de foi.

* Vivre mon ministère avec ce Mouvement me met en lien avec les jeunes que notre fédération veut rejoindre en priorité parce qu’ils sont souvent les plus délaissés : les apprentis et les chômeurs.
Le Mouvement favorise la naissance de comités de chômeurs ou d’apprentis ce qui permet : une rencontre entre eux alors qu’ils sont la plupart du temps isolés - de mener des actions pour connaître leurs droits (par exemple tout ce qui concerne les questions d’horaires pour les apprentis et les possibilités de formation pour les chômeurs) - de vivre un premier contact avec le Mouvement. Certains rejoignent des équipes de révision de vie.

J’apprécie beaucoup la question qui m’a été posée : "Quels sont les jeunes que vous ne rencontrez pas ?"

* Je rencontre peu de jeunes de Milieux Indépendants ou du Monde Rural. Ce n’est pas un refus ou une fermeture. J’en ai rencontré quelques-uns dans le Service des Vocations ou ailleurs, et je crois avoir fait un bon bout de chemin avec eux. Mais, de fait, la mission qui m’est confiée pour l’instant consiste à me rendre proche des jeunes du Monde Ouvrier ; ils sont très nombreux et ce sont souvent eux qui sont le moins rejoints par nos structures ecclésiales.
Combien de fois n’entend-on pas parler des jeunes comme s’ils étaient tous lycéens. Or il y a actuellement un jeune français sur deux qui va en lycée classique.

* Oui, la question des jeunes que je ne rejoins pas est importante car l’appel à la mission naît aussi de la prise de conscience des vides et des absences.
Il est urgent, dans notre Eglise, de se laisser interpeller par le fait que l’Evangile n’est pas annoncé à certains groupes humains. J’ai souvent l’impression que nos initiatives pastorales risquent de toujours arroser les mêmes salades.
En ce qui nous concerne, nous prenons conscience que nous ne rejoignons pas assez les C.P.A. ( Classes de pré-Apprentissage) et les C.P.P.N. (Classes Pré-professionnelles de mise à Niveau).

QUELLES SONT MA RELATION ET MON ATTITUDE ?

* Je suis situé comme accompagnateur, c’est-à-dire comme compagnon pour faire route avec eux.

J’ai d’abord à me mettre à leur école en écoutant ce qu’ils disent de leur vie de jeunes, de leurs aspirations, de leurs engagements et de leur foi. Je n’ai pas à venir avec des idées toutes faites. Il est important également que je sois solidaire de leurs joies, de leurs difficultés et de leurs soucis. Cela s’exprime principalement par le temps passé avec eux.

* En même temps, je dois vivre une certaine altérité.
Non seulement parce que je ne suis pas de leur âge mais surtout parce que le Mouvement est leur affaire. Ce sont eux qui dirigent.
Ce point-là est important non seulement pour des raisons pédagogiques évidentes : permettre à des jeunes de découvrir qu’ils sont capables de prendre des responsabilités, mais plus profondément pour leur permettre de prendre leurs responsabilités de baptisés.
Ils sont responsables à part entière de cette expérience ecclésiale qu’est le Mouvement. Cela commence par la responsabilité vis-à-vis d’un copain et peut aller jusqu’à être responsable d’une fédération.

* Enfin, je suis appelé à être témoin.
Cela ne veut pas dire être un spectateur muet. Ce que je vis là n’est pas un job ou une option personnelle. Je suis envoyé en mission auprès de ces jeunes par l’évêque, pour signifier que se vit là une authentique expérience de vie en Eglise, une véritable recherche de Jésus-Christ.

Je vis cela par ma présence mais aussi en disant une parole, en proposant ou soutenant certaines initiatives. Au dernier comité fédéral, par exemple, j’ai posé la question : le Mouvement ayant pour objectif de former des militants ouvriers et croyants durables, comment notre équipe fédérale se sent-elle responsable de former des croyants durables ?
Cela a abouti, entre autre choses, à la formation d’un petit groupe qui va encourager l’utilisation de la plaquette "Militants de l’espoir".

Mon attitude voudrait correspondre à ces quelques mots : avoir un regard d’amour pour ces gars et ces filles.
Non pas un regard captatif mais un regard d’amour qui libère, qui permette de vivre à plein. Pour cela il est indispensable que je ne sois pas prêtre tout seul mais avec un Mouvement, avec d’autres prêtres, avec toute l’Eglise.
En effet, ce regard d’amour ne vient pas de moi, il doit refléter et révéler le regard du Christ.

QUELS APPELS SONT PERÇUS ?

* Le premier appel que veut servir le Mouvement c’est l’appel à la dignité
Permettre à des jeunes de reprendre confiance en eux-mêmes et en leurs copains.
A ce propos, je voudrais faire référence à une intervention du Père ROUSSET, évêque de SAINT ETIENNE, lors de la rencontre régionale des responsables fédéraux :
"Qu’est-ce que la J.O.C. peut faire par rapport à ces jeunes gui vivent dans des situations difficiles (problèmes d’habitat, manque de formation, problèmes familiaux, chômage, etc.) ?
La J.O.C. n’a pas de pouvoir mais elle peut faire ce que personne d’autre ne peut faire, elle peut redonner confiance à un gars, à une fille gui croit qu’il n’a aucune importance pour personne. Cela s’appelle l’amour, l’amitié. Ce déclic, personne d’autre ne peut le provoquer et, dans ce cas, la J.O.C. donne à quelqu’un ce qu’il croyait ne pas avoir. Qu’est-ce qui permet à la J.O.C. d’accomplir cette mission ? c’est de croire en profondeur que le plus petit jeune travailleur vaut plus que tout l’or du monde parce qu’il est fils de Dieu.
L’appel de Dieu n’est pas une interpellation superficielle mais il rejoint chaque être au plus profond de ses racines humaines. C’est le pape Paul VI qui disait dans l’encyclique sur le développement des peuples : ’Toute vie est vocation’ ".

*Un autre aspect de l’appel que je suis appelé à servir avec le Mouvement c’est l’invitation continuelle que les militants adressent à d’autres jeunes, pour les mettre dans le coup de l’action et à rejoindre le Mouvement.
Cela est encore plus sensible cette année où la J.O.C. organise un grand rassemblement pour 100 000 jeunes, le 18 Mai à LA COURNEUVE.

Pour cela, le Mouvement invite à être profondément attentif à ce que vivent les autres jeunes du Monde Ouvrier. C’est-à-dire à ne pas faire seulement des enquêtes, mais à accueillir les besoins, les aspirations, les dynamismes. Tous les membres du Mouvement sont allés vers leurs copains avec un moyen concret qui leur permettait de vivre cette attitude : le passeport pour la vie, l’avenir.
La démarche de cette année est éclairée par l’Evangile de l’appel des premiers disciples (Lc 5, 1-11). A ce propos, voici un passage du témoignage de Mylène :
"L’an dernier, il y avait des jours où j’angoissais vraiment face à mes remplacements, face au chômage, mais quand je pensais aux copains qui cherchaient aussi, je me sentais bousculée à jeter le filet, à dépasser ma peur !... Dans les moments difficiles, dans les actions où nous nous risquons, dans cette avancée, j’ai senti Jésus-Christ bien présent pour nous dire qu’il compte sur nous, là où nous sommes, pour témoigner, pour appeler et vivre de son amour".

* Certains voient uniquement dans l’organisation d’un Mouvement l’aspect structure. Il est vrai que la tentation de se scléroser peut exister partout. Mais vivant cette expérience de l’intérieur, je la perçois tout autrement : C’est un appel continuel à prendre et partager des responsabilités.

C’est la question permanente que nous nous rappelons en équipe fédérale.

Après le rassemblement "Trempolino" à MARSEILLE, René réunit spontanément les chômeurs, nous l’avons appelé à porter le souci de ce que nous appelons "la catégorie chômeurs". Chaque fois que nous le pouvons, l’appel est formulé par lettre.

Quand je vois ces jeunes s’appeler aux responsabilités, se poser des exigences, je n’ai vraiment pas l’impression de voir une boutique qui cherche à mieux fonctionner mais d’être témoin d’une expérience ecclésiale qui prend très réellement les moyens d’être appelante.

Cela, bien sûr, n’est pas sans conséquence sur ma vocation. C’est une chance de pouvoir vivre le ministère dans tout ce jeu d’échanges, de relations, de co-responsabilité. C’est une invitation qui m’est adressée, et parfois de façon brusque et inattendue, de redire oui à l’appel au ministère apostolique.

Finalement je peux dire que l’appel sur lequel j’ai basé ma vie m’est adressé actuellement par la médiation de ces jeunes. Il est donc tout naturel que ce soit mon service d’accompagnement de ce Mouvement, avec ses temps de révision de vie et d’expression de foi, qui devienne pour moi occasion de prière.

* La vie en Mouvement est pour ces jeunes du monde Ouvrier, non pas le moyen exclusif mais cependant le _moyen privilégié d’entendre l’appel de l’Evangile qui les rejoint dans le sérieux de leur existence.

Vu cet inlassable appel aux responsabilités en Eglise auxquelles le Mouvement appelle, il n’est pas étonnant que depuis la fondation de la J.O.C. certains aient répondu à une vocation presbytérale ou religieuse.

Actuellement je suis accompagnateur personnel d’un jeune en G.F.O., ce qui me frappe c’est la continuité entre la vie du Mouvement et le contenu de ce cycle de formation au ministère. C’est pour nous l’occasion de nous rappeler que toute vocation au ministère presbytéral s’enracine dans une expérience ecclésiale et que toute communauté chrétienne est appelée à transmettre l’appel au ministère.

Notes --------------------------

Le Père Paul DESTABLE, prêtre du diocèse de CLERMOND-FERRAND, est responsable du Service Diocésain des Vocations. [ Retour au Texte ]