Des messagers de l’Evangile qui parlent la langue maternelle des jeunes


Robert STRASSER *

Des messagers de l’Évangile qui parlent la langue maternelle des jeunes

L’intervention qui suit se situait dans toute une démarche dont il n’est possible, ici, que de retracer les grandes lignes :

* Un travail préparatoire invitant chacun des participants et participantes à faire une monographie sur un jeune précis, de plus de 16 ans, ou un groupe de jeunes, en abordant successivement :

  • son environnement et son histoire,
    l’expérience d’Eglise faite avec ce jeune ou ce groupe :
      1. A quel(s) aspect(s) de la personne de Jésus Christ ces jeunes sont-ils sensibles ?
      2. Quels visages d’Eglise et de sa mission découvrent-ils ?
      3. Ces jeunes ont-ils eu envie de participer à cette mission ? Comment l’ont-ils fait ?

comment la question des vocations spécifiques est présente et proposée dans cette expérience d’Eglise ;

* une présentation de quelques-unes de ces monographies,
* un temps de travail avec un sociologue,
*un travail en carrefours approfondissant l’expérience d’Eglise autour des trois pôles de l’expérience chrétienne proposée par Louis-Marie CHAUVET (1) :

- la Parole annoncée (la lecture chrétienne des Ecritures)

- la Parole célébrée (les sacrements)

- la Parole vécue (la charité concrète)

LES TROIS POLES DE l’EXPERIENCE CHRETIENNE

La vie chrétienne de chaque jeune, comme celle des adultes, s’organise, est appelée à s’organiser, autour de ces trois pôles.

- AU PLAN PERSONNEL :

le schéma peut être présenté ainsi :

Ecriture,
20 siècles
de vie d’Eglise
  • La vie de chaque jeune, tous les secteurs de vie (travail, chômage, études, famille, quartier, loisirs, engagements) sont à vivre dans l’esprit de l’Evangile.
  • La vie interroge l’Ecriture et l’Ecriture interpelle la vie : l’Ecriture souligne ce qui est déjà dans l’esprit de l’Evangile, ce qui reste à convertir.
  • La vie alimente la prière et la prière renvoie aux responsabilités dans la vie.
  • L’Ecriture et la tradition chrétienne apprennent à prier et la prière se nourrit de l’Ecriture...

Quelques points d’attention :

  • Que connaît le jeune de Jésus-Christ, du Père, de l’Esprit ? Par quels canaux est-il arrivé à cette connaissance ?
  • Quels liens l’unissent à Jésus-Christ, au Père, à l’Esprit, ou cherchent à se construire ?
    (Connaître ne signifie pas forcément adhérer à..., croire en...) Ces liens ne se traduisent pas que par des mots, mais aussi par des attitudes.
    S’il parle à Dieu, que lui dit-il ?
    Dans quelles prières se reconnaît-il ?
    (Faire attention aux paroles, mais aussi au cadre, à la musique).
  • Comment cette connaissance et ces liens retentissent-ils sur sa vie quotidienne ?
    Quelles questions la vie quotidienne lui pose-t-elle ?
  • Il est important de situer le point où le jeune en est rendu dans son histoire : depuis sa petite enfance jusqu’à aujourd’hui il y a eu des étapes marquantes, des changements (dus à quoi ?), peut-être
    des Crises.

- AU PLAN ECCLESIAL :

Le schéma se présente comme suit :

Il serait intéressant de ne pas rester dans le vague en ce qui concerne l’appartenance à l’Eglise des jeunes que nous accompagnons, mais de repérer les différents lieux, moments, groupes et communautés avec lesquels ils vivent quelque chose de l’Eglise.

. . . Quelles célébrations ? Quels sacrements ?
où ?
Quand ? A quelle fréquence ?
Avec quels groupes ou communautés ?
Il peut y en avoir plusieurs, auxquels le jeune ne donne pas forcément la même importance ; certains sont plus marquants, d’autres plus occasionnels...
. . . Où ?
Quand ? A quelle fréquence ?
Avec quel(s) groupe(s) ?
Quel contenu de formation ?
. . . Avec quels croyants le jeune est-il en lien, a-t-il l’occasion de débattre, dans ses différents secteurs de vie ?
Avec quels incroyants ?
Avec quels croyants se retrouve-t-il pour faire révision de vie ou réfléchir au lien entre la foi et la vie ?
Quelles lectures, émissions marquent sa vie de croyant ?

Attention à ne pas exclure des expériences moins positives, voire traumatisantes.

Il est rare qu’un groupe ou une communauté remplisse seul l’ensemble de ces fonctions. De plus en plus de jeunes et d’adultes sont dans une situation concrète de pluri-appartenances à l’Eglise : ils ont différents lieux, moments, groupes et communautés qui ne sont pas tous sur le même plan, les uns comptant plus à leurs yeux que d’autres.

L’ensemble s’inscrit dans une histoire. Il serait bon d’être attentifs aux changements qui sont déjà intervenus (les expériences qui ont précédé laissent des traces) et à ceux qui interviendront encore.

Chacun des pôles s’appuie sur les deux autres. C’est la dimension ecclésiale qui est première par rapport à la dimension personnelle : l’Eglise n’est pas une addition des croyants, elle fait les croyants par les sacrements, les célébrations, les temps de formation, le témoignage de ceux qui sont déjà croyants.

Quelques points d’attention :

Il y a risque pour la foi si l’un des pôles disparaît ou ne se développe pas assez ou si la relation entre deux pôles ne s’établit que dans un sens. En voici quelques exemples :

Ecriture <-------------- Vie Si ce rapport est seul à fonctionner, la référence à l’Ecriture risque de devenir très idéologique : quelques passages d’Ecriture, sélectionnés avec soin, serviront à justifier ce qu’on était de toute façon décidé à vivre. Il n’y aura pas d’appels à la conversion, pas de lien personnel et communautaire avec Dieu.
Ecriture --------------> Vie Vingt siècles après, les conditions de vie ont profondément changées.
L’Ecriture ne peut être vue comme un catalogue de recettes. Il s’agit de la travailler sérieusement et de la mettre en rapport avec une vie elle aussi approfondie, pour vivre de l’Esprit de Dieu.
Vie -------------->Sacrements La célébration ne peut être un simple prétexte, une simple occasion de raconter la vie. Ce qui est repris c’est une vie relue dans la foi.
Attention à ne pas occulter la dimension don de Dieu, action de Dieu par l’Esprit, qui est constitutive du sacrement.
Vie <-------------- Sacrements Il n’est pas possible de célébrer en vérité l’eucharistie sans être renvoyé à une vie donnée par amour.
Ecriture ---------> Sacrements Les gestes sacramentels ont besoin de l’Ecriture pour que soit manifesté leur véritable sens. Sinon ils risquent d’apparaître comme des rites magiques. La réforme liturgique l’a bien mis en valeur : cf. les nouveaux rituels des sacrements promulgués depuis le concile Vatican II.
Ecriture <--------- Sacrements Les sacrements trouvent leur fondement dans l’Ecriture, dans l’action du Fils de Dieu fait homme.

Il serait bon de faire le point par rapport aux jeunes que nous accompagnons :

  • Dans leur expérience ecclésiale d’aujourd’hui, quel est le pôle, ou quels sont les pôles les plus menacés ?
    Comment arriver à ce que progressivement ce pôle, ou ces pôles, se développent ? Dans bien des cas, il faudra envisager des cheminements : tout ne sera pas possible de suite.
  • Dans ces différents domaines, participent-ils de façon peu active, active ?
    Prennent-ils des responsabilités ? Jusqu’où vont ces prises de responsabilités ?
  • Et nous-mêmes, où en sommes-nous dans notre propre appartenance à l’Eglise ? Quel pôle privilégions-nous ?
    Nos contacts ou rencontres avec des jeunes en seront marqués. Il y a des différences légitimes : nous pouvons être plus mystiques, plus portés vers des tâches éducatives, plus actifs ou militants.
    L’important c’est qu’aucun des trois pôles ne soit sacrifié ou insuffisamment développé.

UNE DIVERSITE d’EXPRESSIONS DE FOI

Les jeunes dont nous avons parlé ne constituent pas un monde homogène. Bien sûr, par rapport à nous, adultes, ils ont des caractéristiques propres, des points communs qui nous font dire : les jeunes, le monde des jeunes, la planète des jeunes. Mais quand nous commençons à les regarder de plus près, à les connaître mieux, ce monde des jeunes nous apparaît constitué de milieux différents, typés culturellement, traversé de courants différents.

Leurs expressions de foi elles-mêmes sont marquées par ces différences et la diversité de leurs expériences d’Eglise.

Nous avons partagé des expressions de foi très variées. Cela ne devrait pas nous surprendre ou nous inquiéter : le pluriel est inscrit au coeur même de l’expérience chrétienne.

UN SEUL JESUS-CHRIST, QUATRE EVANGILES

Primitivement chacun des Evangiles s’adressait à une ou à des communautés chrétiennes différentes, culturellement typées :

  • Matthieu à des communautés judéo-chrétiennes
  • Marc à des communautés chrétiennes de Rome
  • Luc à des communautés marquées par la culture grecque
  • Jean à des communautés d’Asie Mineure.

Nous avons une diversité d’auteurs, rendant compte de leur rencontre avec Jésus-Christ, avec leur sensibilité, leur expérience, une diversité de communautés avec leurs problèmes et leurs questions qui marquent la présentation de l’action et du message de Jésus-Christ.

Le Nouveau Testament et la tradition chrétienne nous fournissent une grande variété de registres pour dire notre foi.

. . .

Apprendre à connaître le Père,
Jésus : "Qui m’a vu a vu le Père".
cf. aussi toute la longue préparation à travers l’Ancien Testament.
le Fils (les Evangiles)
le Saint-Esprit, son action dans la vie de Jésus et dans celle des premières communautés chrétiennes :
cf. le dyptique de Luc (Evangile et Actes des Apôtres)...

La recherche biblique, théologique... tout au long de l’histoire de l’Eglise jusqu’à aujourd’hui.

. . . Les Sacrements,
les psaumes, hymnes, professions de foi...
Nous trouvons une diversité de formes :
- action de grâce
- demande
- intercession
- demande de pardon...
. . .

Faire la volonté du Père, obéir au Père, garder ses commandements, répondre à l’amour du Père :
Dieu nous a aimés le premier... Suivre Jésus-Christ, imiter Jésus-Christ, vivre dans le même Esprit, l’Esprit de Jésus, mettre en oeuvre ce que Jésus dit, demande...

Se laisser guider par l’Esprit, les fruits de l’Esprit...

ANNONCER LA BONNE NOUVELLE DANS LA LANGUE MATERNELLE DES AUDITEURS

L’Esprit de Pentecôte (Ac 2,1-12) inverse la logique de Babel où la diversité des langues était perçue comme l’impossibilité d’entreprendre ou de continuer à entreprendre quelque chose ensemble.

Il rend les messagers de la Bonne Nouvelle capables de rejoindre leurs auditeurs dans leurs langues maternelles. La langue maternelle c’est celle à laquelle on recourt pour exprimer son expérience profonde, ce qui tient à coeur, ce à quoi on aspire...

Nous sommes appelés à apprendre la langue ou plutôt les langues maternelles des jeunes, à repérer leurs dynamismes, ce qui est important, vital pour eux, comment ils l’expriment, à travailler l’Ecriture pour devenir capables de l’annoncer avec leurs mots à eux, sans rien perdre de ce qui est important. Vaste programme : mais tâche passionnante !

Si l’annonce ne rejoint pas les jeunes dans ce qui compte pour eux (aimer et être aimé, créer et être utile, communiquer et être écouté, s’engager et être reconnu...) elle ne peut être une Bonne Nouvelle, elle restera un fait divers. Si nous ne trouvons pas les mots et les gestes pour traduire dans leurs cultures d’aujourd’hui les appels de l’Evangile à reconnaître le déjà-là du Royaume, à aller plus loin, à se convertir, à se dépasser, à prendre une part active à la mission, nous risquons de réduire l’Evangile à un vague altruisme, de badigeonner d’un peu de vernis chrétien ce qu’ils étaient de toute façon décidés à vivre.

L’EXEMPLE DE PAUL

Dans les Actes des Apôtres, Luc nous présente trois discours missionnaires de Paul, à trois communautés distinctes, culturellement typées.
A travers ces trois discours qu’il a composés en reprenant des matériaux traditionnels, Luc nous livre ce que devaient être à ses yeux les schémas de l’annonce de la Bonne Nouvelle à des cultures différentes.

Ac 13, 16-41 : Le discours se situe à Antioche de Pisidie.

Il s’adresse à des Juifs.
Il a lieu dans la synagogue, le lieu où les juifs se retrouvent pour approfondir leur foi et célébrer, après la lecture de la Loi et des Prophètes.

Schéma de l’annonce de l’Evangile à ces milieux juifs :

  • un rappel de l’histoire du peuple juif :
    • le choix des pères,
    • la sortie d’Egypte,
    • l’installation en Canaan,
    • les juges,
    • la royauté, avec insistance sur David : de sa descendance Dieu a fait sortir Jésus, Jean-Baptiste
  • la mort et la résurrection de Jésus-Christ,
  • l’accomplissement des Ecritures,
  • l’appel à la conversion.
Ac 14, 15-17 : Le discours se situe à Lystre.

Il s’adresse à des païens ; il vaudrait mieux parler de polythéistes, car l’athéisme au sens moderne du mot n’existait pas dans l’univers très religieux de l’époque. Il a lieu aux portes de la ville, le lieu des rencontres, des débats.

Schéma de l’annonce de l’Evangile à ces milieux polythéistes :

  • Nous sommes des hommes comme vous : cessez de nous prendre pour des dieux !
  • appel à abandonner les idoles, ces "sottises",
  • annonce du Dieu vivant qui a créé le ciel et la terre, la mer et tout ce qui s’y trouve, du Dieu créateur et providence : il donne la pluie et les saisons fertiles.

Le discours est interrompu ; le schéma est totalement développé dans le discours d’Athènes.

Ac 17, 22-31 : Le discours se situe à Athènes, haut lieu de la culture grecque.

II s’adresse à des philosophes grecs, épicuriens et stoïciens.
Il a lieu devant l’Aréopage, conseil aux attributions religieuses et universitaires.

Schéma de l’annonce de l’Evangile aux intellectuels grecs :

  • un point d’accrochage : la religiosité des Athéniens (l’autel "au dieu inconnu"),
  • l’annonce du Dieu créateur, avec reprise de thèmes stoïciens :
    "Dieu n’habite pas des temples construits de mains d’hommes".
    "Dieu n’a besoin de rien".
  • l’appel à la conversion et l’annonce du jugement,
  • la garantie : la résurrection de Jésus

Une invitation pour nous à chercher et à trouver des parcours respectant les jeunes dans leurs cultures et leur permettant de s’ouvrir progressivement à la totalité de la Bonne Nouvelle.

L’EGLISE d’AUJOURD’HUI

Je vais me limiter à un seul texte : l’exhortation apostolique sur l’Evangélisation de décembre 1975, fruit du synode des évêques de 1974. Paul VI dit :

 

"Evangéliser, pour l’Eglise, c’est porter la Bonne Nouvelle dans tous les milieux de l’humanité et, par son impact, transformer du dedans, rendre neuve l’humanité elle-même..." (n° 18)

"...Pour l’Eglise il ne s’agit pas seulement de prêcher l’Evangile dans des tranches géographiques toujours plus vastes ou à des populations toujours plus massives, mais aussi d’atteindre et comme de bouleverser par la force de l’Evangile les critères de jugement, les valeurs déterminantes les points d’intérêt, les lignes de pensée, les sources inspiratrices et les modèles de vie de l’humanité, gui sont en contraste avec la Parole de Dieu et le dessein du salut." (n° 19)

"Il importe d’évangéliser -non pas de façon décorative, comme par un vernis superficiel, mais de façon vitale, en profondeur et jusque dans leurs racines - la culture et les cultures de l’homme, dans le sens riche et large que ces termes ont dans "Gaudium et Spes", partant toujours de la personne et revenant toujours aux rapports des personnes entre elles et avec Dieu..." (n° 20).

DES APPELS

Nous sommes provoqués à une attention soutenue pour recueillir les expressions de foi des jeunes, mais aussi à en rendre possible, à en favoriser la régulation par le partage, le débat de foi entre jeunes et avec des adultes, par la confrontation avec l’Ecriture (directement ou par la médiation d’articles de journaux, de bulletins) et avec la Tradition de l’Eglise (conciles, professions de foi, expressions de croyants à travers l’histoire et aujourd’hui...). La foi se transmet et se nourrit par le témoignage de croyants !

UNE EGLISE APPELANTE

Par rapport aux jeunes, l’Eglise est appelante ou doit l’être à plusieurs niveaux. Elle les invite :

  • A participer à sa vie : il arrive que des jeunes n’appartiennent qu’à un seul groupe ou Mouvement d’Eglise. Mais le plus souvent leur appartenance à l’Eglise se vit à travers une pluralité de lieux, de moments de groupes : cf. célébration des sacrements, prière communautaire, formation, révision de vie, actions concrètes...

  • A développer une expérience croyante où les trois pôles aient vraiment leur place.

  • A prendre une part active, des responsabilités.

  • A préciser leur projet de vie :
    C’est dans cette ligne que se situe la réflexion, la recherche par rapport à des vocations spécifiques.

    L’appel à des vocations spécifiques n’est pas d’abord d’ordre psychologique, une sorte de voix intérieure, c’est d’abord un appel de l’Eglise :
    • A travers la vie et le témoignage de prêtres, de diacres, de religieux et de religieuses,
    • à travers l’expression des besoins d’aujourd’hui : de qui l’Eglise a-t-elle besoin pour remplir sa mission ? De quels ministères, Services ?
    • à travers des structures d’accueil, de discernement, de formation,
    • et finalement à travers l’évêque, responsable d’une Eglise particulière, pour les prêtres et les diacres, à travers les responsables des congrégations et des instituts pour les religieux et les religieuses.

NOTES ---------------------------------

(1) Louis-Marie CHAUVET : "Du Symbolique au symbole, Essai sur les sacrements" Collection "RITES et SYMBOLES", Editions du Cerf, 1979, pp.96 et 97 [ Retour au Texte ]

* Le Père Robert STRASSER, prêtre du diocèse de STRASBOURG, est l’ancien Secrétaire national des G.F.O., et présentement aumônier à la Mission Ouvrière du diocèse de STRASBOURG [ Retour au Texte ]