Après l’Assemblée de Lourdes


Mgr. Louis-Marie BILLE *

Ces quelques lignes n’auront rien d’une synthèse des travaux de l’Assemblée de Lourdes touchant la Vie Religieuse.
Rien ne vaut, de ce point de vue, la lecture des textes mêmes de l’Assemblée plénière. Il m’a été demandé, au retour de Lourdes, de parler à la première personne et de dire quel message j’avais moi-même reçu de notre Assemblée plénière à propos de la Vie Religieuse. C’est cela que je vais essayer de dire.

 

EVEQUES et RELIGIEUX

C’est du fait même de notre travail et de la manière dont nous avons travaillé que je voudrais parler d’abord. Je ne sais si dans l’histoire récente, d’autres conférences épiscopales ont mené une réflexion de ce genre, mais je crois significatif que nous, nous l’ayons fait. Significatif, pourquoi ? Parce que, me semble-t-il notre travail se situait dans la droite ligne de "Mutuae relationes". Religieux, religieuses et nous-mêmes avons essayé de vivre effectivement ce que doivent tendre à être nos "relations mutuelles".
S’il fallait résumer en quelques mots ces relations, je parlerais : de collaboration, de respect, d’accueil et de discernement.

Collaboration :

Puisque, dans toute la France, les religieux et religieuses avaient largement contribué à la préparation de cette Assemblée par le travail des organismes nationaux, mais aussi parce que dans chaque diocèse les communautés et les divers Conseils diocésains ont accepté de dire à leurs évêques leurs richesses, leurs difficultés, la réalité du service apostolique rendu.
La collaboration, j’ai pu la vérifier, à Lourdes même, par l’aide qu’ont apportée les religieux présents.

Respect :

Faute de mieux, j’ai envie de parler de respect des compétences. Selon ce que j’ai pu percevoir, les religieux présents à Lourdes ont beaucoup tenu à ce que la parole des évêques soit vraiment la leur. S’ils ne refusaient pas de donner leur avis, ils tenaient à ce que l’Assemblée plénière ait la liberte et la responsabilité de sa propre parole.
De la même manière, je crois que nous, évêques, nous avons respecté dans notre réflexion le rôle propre des Supérieurs religieux, et ce que "Mutuae relationes" appelle l’autonomie des instituts.

Accueil :

Ce n’est pas un hasard si la première phrase du texte de conclusion voté par les évêques dit que, "au sein du peuple des baptisés, la Vie religieuse est un don de Dieu à l’Eglise pour sa mission dans le monde".
Et les phrases qui suivent ("une vie toute livrée à Dieu.., ("Une vie toute entière vécue pour le Christ", etc.) ne sont pas des normes que les évêques édictent, mais le constat heureux que tels sont bien les éléments majeurs du projet que l’Esprit-Saint a fait mûrir, aujourd’hui et dans l’histoire de l’Eglise, au coeur d’un certain nombre de croyants.

Discernement :

Cet accueil n’a pas été passif. St Paul parle, au début de l’épître aux Philippiens, de "se réconforter les uns les autres et de s’encourager dans l’amour". Est-il exagéré de dire que c’est cela que nous avons essayé de faire ? Sans doute, ne sommes-nous pas allés très loin dans les déterminations concrètes ; peut-être aussi le poids de notre ministère quotidien nous a-t-il rendus plus attentifs aux questions qui se posent dans les instituts de vie apostolique qu’à celles posées dans les instituts voués à la contemplation. Il n’empêche que les documents issus de l’Assemblée plénière balisent le chemin pour que soient relevés les défis de l’heure, pour que soit promue une pastorale ajustée des vocations, pour que soit vécue une meilleure collaboration entre les Eglises diocésaines et les instituts religieux.

Ce que nous avons vécu à Lourdes ne dit pas le tout de notre ministère épiscopal, mais des aspects importants en ont été manifestés. Si, dans les années qui viennent, je dois prendre en compte le contenu des orientations que nous avons prises, il me semble que j’ai aussi à continuer une manière de vivre mon ministère d’évêque et un mode de relations avec les religieux eux-mêmes.
Sans doute cela m’ouvre-t-il des chemins dans d’autres domaines que celui du lien avec les religieux et religieuses de mon diocèse.

DES POINTS FORTS

Si j’essaie maintenant de me souvenir de ce qui a été effectivement dit et partagé, voici les quelques éléments qui aujourd’hui émergent.

1 - Une conviction renouvelée

Elle est tout simplement celle de l’importance et du rôle de la vie religieuse dans l’Eglise, de la vie religieuse en ses diverses formes.
Cette conviction, je voudrais la faire partager, mais j’ai le sentiment

- j’anticipe ici sur la question des vocations - qu’il y a là quelque chose de difficile. Combien de chrétiens aujourd’hui considèrent la vie religieuse comme un chemin normal (ce qui ne veut pas dire habituel) de réalisation de la consécration baptismale ?

De ce point de vue, j’accueille bien comme une invitation personnelle ce qui est dit à propos du rôle des évêques : "s’inspirer d’une théologie de la vie religieuse dans l’Eglise qui ne s’en tienne pas à présenter les religieux comme un ’tiers-état’, mais comme des baptisés appelés à vivre, sous des formes diverses, une radicalité évangélique, source d’émulation pour tous les autres baptisés."

2 - Un dynamisme missionnaire

Le texte de conclusion que nous avons voté est intitulé : "RELIGIEUX ET RELIGIEUSES DANS l’EGLISE EN MISSION". Peut-être le texte qui suit n’honoret-il pas tout à fait les promesses du titre, mais l’essentiel y est, et, de toute façon, tel a bien été le sens de nos débats.

Il a été question, en référence à "Evangelii nuntiandi", de la présence des religieux aux avant-postes de la mission. Comment pourrait-il en être autrement si la vie religieuse a pour rôle de manifester par un témoignage public la force même de l’Evangile vécu aujourd’hui ?

Mais, cela ne va pas, sur le terrain, sans un certain paradoxe : d’un côté, ce sont bien tous les religieux qui, du fait même de leur consécration, sont ainsi partie prenante de la mission de l’Eglise, quelque soit leur âge, leur travail, leur activité apostolique. De ce point de vue, son rôle est d’aider à ce que le plus grand nombre en soit véritablement conscient.

D’un autre côté, nous avons dit à Lourdes qu’il faut "déterminer les terrains privilégiés où la présence de communautés religieuses serait plus nécessaire." De ce point de vue, il peut y avoir un effort nouveau à demander aux religieux et religieuses. Encore faut-il tenir compte des possibilités réelles qui sont les leurs.

3 - Réalisme et espérance

Il a bien fallu parler de vieillissement, de fermetures, d’impossibilité de faire face à certains appels. Malgré les statistiques qui nous ont été communiquées et qui montrent une légère progression des entrées dans les noviciats, un regard d’ensemble sur la situation des congrégations ne permet pas d’être optimiste, mais nous avons laissé toute sa place à l’espérance.
La question est, là aussi, de la faire partager.

4 - "Il y a diversité de dons, mais c’est le même Esprit"

Je pense maintenant à plusieurs insistances qui se sont exprimées dans l’Assemblée : insistance sur la variété des types d’instituts religieux, insistance sur l’enracinement baptismal de la vie religieuse, insistance sur "la complémentarité, comme chemins de sainteté, du mariage et du célibat consacré". A travers tout cela, se dessine une invitation pour chacun à vivre jusqu’au bout la logique du type d’existence ou du type de service auquel il a été appelé. Mais cela ne fait pas de séparation entre les chrétiens.
J’ai expérimenté personnellement, avant d’être évêque, combien des religieux et des religieuses m’avaient aidé à vivre le ministère presbytéral parce qu’ils me demandaient ce pour quoi, comme prêtre, j’étais fait.
Un peu de la même manière, la vie des religieux et l’existence de l’état religieux dans l’Eglise me renvoie à la vérité de mon ministère épiscopal, "ministère de la communauté" dont les religieux eux-mêmes ont besoin, ministère que j’exerce au service de la "vie dans l’Esprit", ministère qui appelle de moi que je sois moi-même un disciple.

5 - La pastorale des vocations

J’ai été heureux, pour ma part, de la manière dont a été abordée cette question. Certes, nous avons été attentifs à bien marquer ce qu’a de spécifique la vocation religieuse. Certes, nous avons bien parlé de pastorale et énoncé ce que, comme évêques, nous avons à promouvoir.
Mais, il est important que nous n’ayons pas isolé cette pastorale de l’ensemble de la vie de l’Eglise et de l’évangélisation.
Désirer que des jeunes s’engagent dans la vie religieuse, cela suppose que le peuple chrétien soit en état d’accueil des charismes particuliers que Dieu veut lui faire. Nous avons "appelé les chrétiens à prier pour les vocations d’une manière qui les engage personnellement" : cela veut dire qu’il n’est pas de prière pour les vocations qui ne soit un engagement de la personne ou de la communauté qui prie dans un chemin de réponse à l’appel de Dieu.

SOYONS LOGIQUES !

Les dernières réflexions que je me suis faites après cette Assemblée de Lourdes pourraient se résumer en quatre mots : "il faut être logiques".
Autrement dit, les voies que nous avons indiquées à propos de la vie religieuse sont analogiquement des voies sur lesquelles l’Eglise tout entière doit marcher.
Si la vie religieuse est bien, selon l’expression du Père GUY "mémoire évangélique pour le Peupie de Dieu", cela veut dire que ce Peuple n’emprunte pas un autre chemin d’Evangile que les religieux eux-mêmes.

Une logique d’appel

Parler de dons, de charismes, d’appels, de vocations, à propos des religieux, n’a de sens - j’y ai fait allusion ci-dessus -, que si le plus grand nombre possible de chrétiens sont éveillés à l’importance de l’appel de Dieu et rencontrent Jésus comme celui qui nous dit : "suis-moi !".

Peut-être d’ailleurs, dans l’emploi même que nous faisons de la notion de

Peuple de Dieu, oublions-nous trop souvent que, à la lumière de l’Ecriture, le Peuple de Dieu est d’abord un peuple convoqué, un peuple qu’un même appel rassemble, appel dont il devient lui-même tout entier le témoin.

Si l’on parle, comme nous l’avons fait, de "visibilité" de la vie religieuse, comment ne pas entendre là, pour l’ensemble des chrétiens, une invitation à "donner à voir" l’oeuvre de Dieu en eux.

Une logique de renouveau

La logique de notre travail en Assemblée, c’est que le renouveau de l’Eglise passe par cela même que la vie religieuse signifie dans l’Eglise, vie vécue pour le Christ et l’Evangile ; prise au sérieux du baptême ; fidélité à l’Esprit-Saint ; acceptation des ruptures que suppose l’appel des Béatitudes ; sens théologal de la vie chrétienne...

Je retrouvai, il y a quelque temps, ce que disait le cardinal ETCHEGARAY en 1978, en conclusion de l’Assemblée plénière. Il parlait des vocations sacerdotales :

"L’enjeu (en) est, en tout premier lieu, celui de la réalité du Christ dans notre monde. Un Christ qui ne vaudrait pas la peine qu’on lui donne sa vie, ne vaudrait pas la peine d’être annoncé... Le Christ n’a de poids pour le monde que par le poids qu’il pèse dans une vie d’homme... Stériliser l’appel en n’osant pas le faire apparaître sous la forme radicale d’un don total de soi pour le Christ reviendrait à priver les chrétiens du droit de vivre l’aventure de la foi jusqu’au bout."

Je me demande si le propre de l’Assemblée de 1985 n’est pas (en tout cas, ce serait mon souhait) d’avoir explicité, par le prix attaché à la vie religieuse, ce qui avait été dit de cette manière en 1978.

* Mgr. Louis-Marie BILLE, évêque de LAVAL, est membre de la Commission épiscopale de l’Etat Religieux [ Retour au Texte ]