DOCTRINE : Le ministère des prêtres diocésains


Constant BOUCHAUD *

Une Pastorale de l’appel au ministère presbytéral prend en compte certaines questions et une certaine analyse de la situation, en même temps qu’elle reflète une idée du ministère des prêtres et des prêtres eux-mêmes.

Quelles questions se posent aujourd’hui ?

Nous avons pu remarquer un déplacement des questions concernant les prêtres. Ce fut d’abord, au lendemain du Concile : Quel peut être le statut du prêtre ? Quelle place peuvent avoir les prêtres dans un monde sécularisé ? La question s’est déplacée au cours des années suivantes : "Prêtre pour quoi faire ?", Le développement des nouveaux ministères semble alors démanteler ce qui était considéré comme le ministère (totalisant) du prêtre. La question devient par la suite : "Prêtre comment ?", Les requêtes spirituelles et communautaires de beaucoup de jeunes, le développement des communautés nouvelles, amènent à s’interroger :
Comment être prêtre dans un monde étranger à la foi, comment être aujourd’hui homme de prière, serviteur de la communion, vivant une réelle fraternité au milieu des tensions que connaît l’Eglise elle-même et qui retentissent dans le presbyterium ?
La question du ministère devient ainsi la question du ministre lui-même :
Comment, à quelles conditions être un homme "qui existe", non pas certes à côté de son ministère, en se réservant ailleurs le temps de vivre, mais un homme qui vit son ministère et trouve son accomplissement dans le service pastoral et à travers l’épreuve apostolique elle-même.

D’autre part, comment comprendre la situation actuelle ? Nous la connaissons : un presbyterium relativement peu nombreux, surtout diminué numériquement, vieilli ou vieillissant. Nous n’ignorons pas les chiffres : aujourd’hui à peu près 28 000 prêtres en France, mais combien à l’âge de l’action ? En l’an 2000, peut-être 15 000 : 50 % auront plus de 65 ans ; à moins d’un renouveau des "vocations, 10 % auront moins de 40 ans. Cette situation de pauvreté croissante ne suscite peut-être pas un sentiment d’impuissance mais elle provoque une inquiétude chez beaucoup, peut-être d’ailleurs davantage chez les prêtres de la génération moyenne que chez les plus jeunes.
Cette pauvreté doit être comprise dans la foi : de toute évidence nous portons le trésor de l’appel et de la grâce du ministère, suivant l’expression de Paul, dans des vases d’argile, singulièrement fragiles et vulnérables. Encore ne faut-il pas se glorifier de sa faiblesse, sinon dans cette perspective de foi et d’espérance.

Cette diminution du nombre des prêtres ne signifie pas disparition du ministère. Les candidats au presbytérat sont très nombreux dans d’autres Eglises. Les ministères se diversifient en Occident. Le nombre croissant des diacres donnera au ministère diaconal une figure précise. De nouveaux "types" de prêtres prennent place dans nos Eglises ou se forment dans une perspective religieuse.

Les prêtres diocésains ont-ils leur place dans l’Eglise qui se construit ? Quelle idée du prêtre diocésain inspire et dynamise la Pastorale des vocations ?

Je présenterai à ce sujet trois séries de réflexion :

  1. Quelques repères concernant le ministère des prêtres diocésains
  2. Quelques questions que l’on peut se poser aujourd’hui, au sujet de la mission et de la sainteté des prêtres
  3. Quelques interrogations concernant plus particulièrement la Pastorale des vocations.

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1. Quelques points de repère

Il y a vingt ans paraissait une étude sociologique sur : "Le simple prêtre, sa formation, son expérience". Ce titre peut nous surprendre. Il nous parait d’abord anachronique : peut-on réduire à l’unité les prêtres diocésains si différents du fait des ministères exercés et de la formation reçue ? Surtout s’ils ne sont ni religieux - ni évêques - les prêtres diocésains ne doivent-ils pas être compris, de manière positive, en référence à l’Eglise diocésaine à laquelle ils appartiennent et qu’ils servent ?

Je m’arrêterai à quatre aspects de cette appartenance et de ce service.

  1. L’appartenance à un diocèse c’est-à-dire à une Eglise particulière, pour son service ;
  2. Le service d’un peuple, dans un espace humain déterminé ;
  3. La relation à l’évêque ;
  4. L’appartenance au presbyterium, dans la diversité des ministères et des services.

l - L’appartenance à une Eglise particulière

Lorsque fut créée une maison pouvant recevoir et réorienter des anciens d’Ecône désirant être prêtres diocésains, une évidence s’imposait : ils avaient généralement fort peu le sens de l’incardination, de l’appartenance à une Eglise particulière, du lien à un évêque ayant charge d’un diocèse. On peut craindre que ne se retrouve ici ou là des lacunes de ce genre.

Retenons donc d’abord l’appartenance à cette Eglise particulière qu’est un diocèse.

Dans le décret concernant la charge pastorale des évêques, le Concile définit le diocèse comme "une portion du peuple de Dieu confiée à un évêque pour qu’avec l’aide de son presbyterium, il en soit le pasteur. Ainsi le diocèse lié à son pasteur et par lui rassemblé dans 1e Saint Esprit, grâce à l’Evangi1e et à l’Eucharistie, constitue une Eglise particulière en laque11e est vraiment présente et agissante l’Eg1ise du Christ, une , sainte, catholique et apostolique" (Christus Dominus, n° II).

Ce texte très dense est capital. Comme beaucoup d’autres textes conciliaires, il implique tout d’abord la priorité donnée à l’Eglise par rapport aux ministères. C’est l’Eglise qui est sacrement de l’unité entre les hommes, témoin visible du Christ, peuple sacerdotal. Notre sacerdoce s’inscrit dans cette Eglise, à son service. Dans l’Eglise particulière est présente en vérité l’Eglise du Christ.

Depuis quelque temps, l’Eglise de France remet en valeur la réalité diocésaine. Certains on pu s’en inquiéter : ne serait-ce pas une sorte de repli risquant d’entraîner une certaine dissociation de la Conférence épiscopale ? C’est une réelle question, que les évêques se posent. Mais il reste vrai que l’Eglise diocésaine est présence de l’Eglise dans une portion de l’humanité et normalement dans le lieu où vit celle-ci. Elle n’existe d’ailleurs comme Eglise de Jésus-Christ que dans la communion des Eglises. Celle-ci se réalise localement dans un ensemble de diocèses ; elle s’exprime pour une part dans une Conférence épiscopale. Mais elle ne s’arrête pas aux frontières d’un pays ; elle est avant tout communion des Eglises au plan universel.

Que signifie pour nous l’appartenance à une Eglise particulière, qui a sa vie et son visage propres ?

Nous sommes entrés, par notre ordination, dans une histoire, dans une "tradition" : l’histoire de cette Eglise, qui a un passé, une mémoire. Mais il faut ajouter que cette histoire se poursuit, que cette "tradition" est vivante aujourd’hui. Nos Eglises peuvent sembler vieillies. En réalité, il y a une grande nouveauté des diocèses : concrètement, tant de réalisations nouvelles, de recherches et de germinations. La mission des prêtres est de plus, d’après le Concile, de participer au ministère même du Christ qui "construit" son Eglise : il s’agit de construire avec Lui et en Lui, en étant attentif et disponible au travail de l’Esprit.
Ajoutons que le prêtre est intérieur à cette Eglise : il en fait partie, souvent par ses origines, ses liens, son apostolat ; en même temps, dans son ministère, il est placé comme "vis-à-vis" de cette Eglise, donné à elle comme signe qu’elle se reçoit de son Seigneur.

Dans cette Eglise, quel va être son service ? Il est d’abord témoin et serviteur de la Foi en Jésus-Christ, de l’authenticité même de cette foi, et de "la puissance de l’Evangile", capable d’éclairer toutes les dimensions de l’existence. Il est témoin de son apostolicité dans la fidélité à la foi des apôtres, mais aussi de sa capacité de rayonnement apostolique. Il est témoin et serviteur de l’espérance dans un peuple en route, affronté à tant d’incertitudes, et porteur d’avenir ; témoin et serviteur de la communion dans un monde divisé, mais aussi au coeur même de nos Eglises qui présentent tant de
diversités et connaissent bien des tensions.

Le ministère de l’évêque est un ministère d’articulation vitale entre des réalités ecclésiales qui coexistent souvent sans se rencontrer : les paroisses, l’Action Catholique, des groupes de prière, etc. : que ce ne soit plus une coexistence, une simple cohabitation mais une communion ! Les prêtres remplissent cette tâche dans l’ensemble du diocèse : hommes de communion respectant les différences, mais faisant qu’elles s’articulent et communiquent.

Les prêtres sont aussi témoins et serviteurs du dynamisme missionnaire d’une Eglise. On a craint depuis quelque temps qu’après avoir cherché à être présente à ce monde pour lui porter l’Evangile, l’Eglise de France ne se replie sur des zones plus calmes et plus sûres. Ce repli serait illusion. Nous ne pouvons oublier la dimension missionnaire de la vie même de l’Eglise. Les prêtres doivent garder vivant ce dynamisme et cette ambition évangélisatrice.

Ce sont là quelques aspects du service d’une Eglise particulière. Faut-il rappeler que cette Eglise s’inscrit dans la communion des Eglises ? De ce fait, si un prêtre appartenant à un diocèse part dans une autre Eglise, au titre de l’appel "Fidei donum", ce n’est pas pour quitter cette Eglise : il est envoyé par son Eglise à une autre Eglise. Et si un jour, en France, une Eglise particulière reçoit des prêtres d’Afrique envoyés par leur Eglise, ce sera le même partage entre les Eglises. Nous ne cessons pas d’être de cette Eglise si nous travaillons ailleurs envoyés par elle.

2 - Le service d’un peuple, d’une portion de l’humanité

Certes, nous ne pouvons pas séparer cette Eglise diocésaine et le peuple qu’elle rassemble en Jésus-Christ. Les prêtres ont pour première fonction d’annoncer l’Evangile à tous les hommes, affirme le Concile ; ce doit être vrai d’abord dans "l’espace" humain de ce diocèse, qui est d’ailleurs en relation étroite avec un ensemble beaucoup plus large, une nation et un contexte international. Tout est lié.

Serviteur d’une Eglise en état de mission, les prêtres sont appelés à demeurer passionnément attentifs à la densité de tout ce qui se vit dans cet espace humain : les joies et les inquiétudes, les épreuves, les tensions tout comme les espoirs. Tout a sa place dans le coeur et la prière des pasteurs. C’est un "espace" d’évangélisation ; le prêtre y est présent - avec l’Eglise, et à son service - pour que l’Evangile soit annoncé dans un monde sécularisé où, si largement, le sens de la vie s’efface. Il doit porter un message d’espérance dans un monde déstabilisé et inquiet, où l’avenir paraît bouché. Il est serviteur de la réconciliation et de l’unité dans un monde conflictuel et divisé. Il est au service de ce peuple, aimant ce peuple, lié à ce peuple, "de" ce peuple.

Il est vrai qu’une question surgit : Est-ce que nous pouvons quelque chose dans un monde où, comme on l’a dit, tant de facteurs nouveaux, tels que le développement de l’informatique, font que les problèmes semblent réduits à une objectivité froide, où la mort elle-même est banalisée. N’oublions pas que cette banalisation recouvre une inquiétude, une angoisse ; elle n’existerait pas autrement. Il y a dans cette humanité une prise pour l’Evangile non pas seulement au niveau des inquiétudes et des questions, mais plus fondamentalement parce que dans la vie de chaque homme une destinée est en jeu et le prêtre le rejoint en ce lieu intérieur, dans le secret d’une liberté où se joue cette destinée. C’est ce niveau de profondeur que doit atteindre la parole du prêtre, tout comme son écoute des hommes. Prêtre, il est signe de transcendance mais aussi témoin de la miséricorde et messager d’espérance et de "consolation" au sens paulinien du mot, plus actuel que jamais.

3 - Rapport à l’évêque

Le Concile définit le diocèse non en le délimitant par des frontières, mais par rapport à l’évêque : il est "portion du peuple de Dieu confiée à un évêque". Notre sacerdoce, notre ministère se conçoivent et se vivent donc en rapport avec l’évêque.

Ce lien à l’évêque n’est pas essentiellement d’ordre administratif ; il n’est pas d’abord commandé par les exigences d’une bonne organisation pastorale. Il a pour fondement l’ordination sacerdotale, la consécration au service de l’Evangile et l’unité de la mission apostolique :
"Tous les prêtres, affirme le Concile, en union avec les évêques, participent à 1’unique sacerdoce et à 1’unique ministère du Christ ; c’est donc 1’unité même de consécration et de mission qui réclame leur communion hiérarchique avec 1’ordre des évêques" (P.O.7).

Dans le cadre du diocèse "en chaque lieu où se trouve une communauté de fidè1es, ils rendent d’une certaine façon présent l’évêque auquel ils sont associés…, assumant pour leur part ses charges et sa sollicitude" (L.G.28).

Nous sommes des "coopérateurs" de l’ordre épiscopal : non pas de simples exécutants des projets de l’évêque, mais des coopérateurs responsables. Nous sommes voués à l’obéissance du Christ : mais selon les termes du Concile, à une "obéissance responsable". Vatican II va même plus loin en présentant les prêtres comme des "conseillers" de l’évêque (P.O.7).

Les rapports des prêtres avec l’évêque doivent être l’objet d’une réflexion constamment reprise. Il y a toujours des dangers de régression. Quelle écoute, quelle attention de la part de l’évêque ? Mais aussi quelle disponibilité responsable de la part des prêtres ? De la part de l’évêque et des prêtres c’est une même vision de foi ecclésiale qui s’impose.

L’évêque donne au ministère des prêtres sa dimension apostolique, c’est-à-dire son enracinement dans l’apostolicité de l’Eglise. Il lui confère également sa dimension universelle : l’évêque est, dans l’unité du Corps épiscopal, témoin de la communion des Eglises.

4 - L’appartenance au presbyterium

Un quatrième repère fondamental est l’appartenance au presbyterium du diocèse. On n’a peut-être pas assez souligné le fait que le Concile ne parle pas "DU" prêtre, au singulier, il utilise le pluriel : "DES" prêtres. Il insiste sur l’unité entre les prêtres en évoquant d’ailleurs en même temps l’unité entre évêques et prêtres. Cette unité se fonde tout à la fois sur la consécration au service de l’Evangile et sur la mission commune, pastorale et missionnaire. Cette unité n’a d’ailleurs pas de frontières :

"Du fait de leur ordination qui les a fait entrer dans 1’ordre du presbytérat, les prêtres sont tous intimement liés entre eux par 1a fraternité sacramentelle" (P.O.8).

La mission n’a pas davantage de limites :

"Le don spirituel que les prêtres ont reçu à 1’ordination les prépare non pas à une mission limitée et restreinte, mais à une mission de salut d’ampleur universelle" (P.O.10).

Cette unité trouve cependant une expression concrète et proche dans le cadre du diocèse, en dépendance de l’évêque, au sein du presbyterium diocésain. Quelles que soient les tâches confiées, "Il s’agit d’un ministère sacerdotal unique exercé pour les hommes" (P.O.10) : construire le Corps du Christ dans cette portion de l’humanité, faire que cette humanité, que tout cet "espace" humain, avec les richesses de ses efforts, de sa culture, de ses espoirs et de ses épreuves, soit saisi par l’Esprit et s’édifie en Corps du Christ vivant de sa vie et témoignant de son amour.

On est très loin de l’individualisme ecclésiastique ; on devrait être loin des oppositions et des divisions qui ont pu régner récemment. Cette unité suppose une conscience très vive de l’oeuvre commune à réaliser ; elle a aussi besoin de médiations pour se développer, en particulier celle des institutions qui permettent dialogue et concertation.

Certes, les religieux font partie du presbyterium étant attachés au service d’un diocèse. Ils apportent les richesses de leurs "charismes", mais le lien à un diocèse déterminé n’a pas la même permanence.

Cette insistance sur l’unité entre prêtres ne tend aucunement à séparer de nouveau les prêtres des laïcs. Il ne s’agit pas d’une sorte de restauration du "clergé". les prêtres doivent s’aider mutuellement à rester proches de tous. De plus, les responsabilités apostoliques sont partagées avec d’autres ministres : c’est dans ce contexte pastoral diversifié que se situe le ministère presbytéral, qui trouve ainsi sa vraie place, structurant, avec l’évêque et en sa dépendance, l’ensemble des ministères et services, dans une Eglise tout à la fois sacramentelle et missionnaire.

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2 - Quelques questions actuelles

Après avoir évoqué ces repères, trois questions peuvent retenir notre attention.

- La première peut s’exprimer en ces termes :
COMMENT JOINDRE "MISSION" ET "MYSTIQUE" ?
Les prêtres français ont été invités à entrer dans la mission et à s’y donner totalement. Nous avons compris notre ministère comme étant essentiellement apostolique, ministère d’évangélisation en même temps que ministère pastoral au service des communautés, pour qu’elles soient elles-mêmes évangélisatrices. Aucun recul ne doit être accepté par rapport à cet appel ; nous sommes d’ailleurs loin d’y répondre pleinement.

Les jeunes nous invitent aujourd’hui à envisager en même temps, au coeur de l’appel missionnaire, ce qu’on a pu appeler une dimension "mystique" du prêtre et de son ministère. Cette dimension mystique est d’abord celle du sacerdoce du peuple de Dieu auquel le prêtre ne cesse d’appartenir et qu’il a mission de servir.
C’est aussi la question des rapports entre la mission et la sainteté des prêtres. Dans certaines Eglises, le sens en est très imprécis parce que les modèles ont toujours été les religieux missionnaires fondateurs. Il faut alors découvrir ce que peut être la sainteté du prêtre diocésain et comment elle peut être vécue dans une Eglise marquée par une culture et une histoire.

On a pu se demander s’il y a une spiritualité du prêtre diocésain. En effet, le ministère du prêtre n’est pas une "école" de vie spirituelle, analogue à l’école ignatienne ou thérésienne. Ce n’est pas une école de plus ; il s’agit de tout autre chose.

On peut parler d’une spiritualité des prêtres diocésains en un autre sens. Le ministère des prêtres est voie de sainteté et il y a un style de sainteté qualifié par la charité pastorale. Certes, rien ne dispense de s’inspirer des maîtres spirituels. Le prêtre reste d’ailleurs un disciple de Jésus Christ, aussi bien au niveau de la prière qu’au niveau sacramentel ; il se sanctifie d’abord à la manière des baptisés. L’expérience même du ministère tend à le faire de plus en plus disciple. Mais il reste vrai qu’il y a un chemin et un style de sainteté des prêtres diocésains.

On peut retenir trois sources de cette sainteté.

l) L’ORDINATION

S’il y a une "spiritualité" baptismale, il y a aussi une spiritualité enracinée dans la grâce de l’ordination. L’ordination n’est pas d’abord pour la sainteté personnelle, mais pour la mission. Elle habilite sacramentellement au ministère de la grâce à l’oeuvre à accomplir. Elle consacre cet homme baptisé en le saisissant dans tous ses dynamismes d’homme et de chrétien. Elle le "configure" à Jésus-Christ, afin qu’il soit capable d’agir au nom du Christ Tête de son Corps, "in personna Christi capitis" (P.O.20).

On pourra cependant objecter que nous sommes capables d’agir au nom du Christ particulièrement dans l’ordre sacramentel ; mais on n’accomplit pas cette action comme du bout des doigts : elle nous engage totalement. A l’ordination des prêtres, l’évêque leur demande : "vivez ce que vous accomplissez". Ce n’est pas un agir tout extérieur : il compromet totalement. Le ministère implique tout à la fois présence et effacement, dans un service accompli au nom d’un Autre et orientant vers Lui.

Il y a ainsi un "mystère" du prêtre appelé à être signe de Jésus-Christ. Il agira donc "dans les dispositions du Christ", comme dit encore le Concile (P.O.13).

L’ordination, on l’a observé, prend parfois dans nos communautés les apparences d’un "sacre". Nous savons combien ce peut être ambigu. En réalité elle dépossède l’homme qu’elle "consacre", le faisant appartenir à un autre, pour l’inscrire dans un ensemble qui le dépasse ; elle le voue à une oeuvre qui est celle de l’Esprit, et ainsi elle le compromet avec lui pour agir et vivre à la manière du "Serviteur".

2) LE MINISTERE MEME comme expérience de l’Esprit

Cette expérience a des dimensions humaines que nous ne devons jamais oublier. Le ministère pastoral est d’abord une expérience d’homme d’une richesse incomparable : richesse d’écoute, de partage, de fidélité, de joies et d’épreuves. On ne se façonne pas humainement, nous le savons, sans traverser l’épreuve. L’accomplissement du ministère est plus profondément expérience pascale. Saint Paul présente sous cet angle l’expérience apostolique : il est mort et vie, expérience de don total, de communion à la Passion du Christ pour que la Vie en Christ grandisse. Le Concile a insisté sur ce point : le ministère accompli dans l’Esprit du Christ est ainsi chemin authentique de sainteté (P.O.13).
Il ne l’est pas assurément à n’importe quelle condition ; mais il l’est en vérité si le prêtre le remplit dans l’Esprit du Christ, à la manière du Christ et en dépendance de lui, et en communion à sa charité pastorale. Le Concile a exposé en détail le sens de cette affirmation. Ainsi l’annonce de l’Evangile suppose et développe une écoute, une contemplation, une intériorisation du message, et une conformité intérieure à la Parole proclamée (P.O.13).
Plus encore, dans le ministère sacramentel, c’est l’oeuvre de la Rédemption qui s’accomplit. Pâque de Jésus dans laquelle le ministre est impliqué : tout le service pastoral fait vivre la charité du Christ qui l’a porté à se livrer jusqu’à la croix.

Le ministère "configure" lui-même à Jésus Pasteur. Combien de prêtres portent en eux, le plus souvent sans le savoir, non seulement une richesse de mémoire, mais un visage intérieur buriné peu à peu par l’expérience apostolique et pastorale.

3) La sainteté du prêtre n’est autre que la croissance même de LA CHARITE PASTORALE

La charité est comme la substance de la sainteté chrétienne. Il en est ainsi de la sainteté des prêtres. Mais pour eux c’est avant tout, en leur humanité, le déploiement de la charité du Christ Pasteur. Celle-ci est le principe vital d’unité intérieure, note le Concile (P.O.14).
L’unité d’une vie vient en effet avant tout de l’amour qui saisit du dedans et engage au fond de soi-même. Cette charité pastorale est, selon le langage des Pères, "gemina dilectio", "amour jumeau" : c’est tout à la fois l’amour d’un peuple en Jésus-Christ et l’amour de Jésus-Christ lui-même, tout comme dans le Christ l’amour du Pasteur et l’amour filial ne font qu’un. Tout ceci suppose la contemplation du mystère du Christ, nous dit non moins fortement le Concile : dimension contemplative du ministère que nous avons peut-être un peu oubliée. La prière du pasteur est tout à la fois contemplation du Christ Prêtre et dimension de son ministère ; et son célibat est engagement d’amour sans partage à l’égard du Christ et à l’égard de l’Eglise, de l’humanité rachetée, en communion à l’amour qui en Jésus-Christ est allé jusqu’à l’extrême.

- La deuxième question est plus délicate et je voudrais qu’on ne se méprenne pas sur son sens :
N’Y A-T-IL PAS UNE "DIMENSION SACERDOTALE" DU MINISTERE PRESBYTERAL ?
Ne faudrait-il pas la mettre pleinement en valeur ?

Sans doute cette question est-elle liée pour une part à un problème de langage. on ne parle plus du "sacerdoce" du prêtre, du ministère "sacerdotal", du "sacerdoce" ministériel, mais du "ministère presbytéral". Ce langage est précis : il distingue avec clarté mais peut-être implique-t-il une réduction du symbole. Le symbole est évocateur : il ne précise pas les contours, il oriente un regard.

Je ne prétends pas qu’il faille utiliser systématiquement le langage sacerdotal dont on observe d’ailleurs le retour mais il y a bien une "dimension" sacerdotale du ministère presbytéral. Les trois "fonctions" du prêtre sont, plutôt que des fonctions distinctes, les dimensions d’une unique mission, comme Jean Paul II l’a souligné en 1979 dans sa lettre aux prêtres. Ces trois fonctions prophétique, sacerdotale et pastorale s’imbriquent les unes dans les autres comme trois dimensions d’une même réalité, d’une même mission, en Jésus-Christ d’abord et dans le prêtre en dépendance de Jésus-Christ.

Il ne s’agit pas nécessairement de remettre en circulation ce langage sacerdotal. Il s’agit davantage de maintenir au coeur du ministère une dimension essentielle, sans oublier les autres. La dimension sacerdotale sans l’évangélisation devient ritualisme ; mais l’évangélisation sans cette dimension sacerdotale risque de se dégrader en propagande et la pastorale en animation sociale.

Si je souligne cette dimension sacerdotale, c’est parce qu’elle est souvent difficile à comprendre même si elle est plus sensible à de plus jeunes ; encore faut-il que ceux-ci comprennent sa véritable signification. Nous sommes là dans les perspectives pascales. La lettre aux Hébreux n’a fait que relire dans une perspective sacerdotale le mystère de Pâques : elle présente non point le sacerdoce ancien, mais le sacerdoce tout différent de la nouvelle Alliance, dans le sang du Christ. Il y a dans l’action mais aussi dans la vie du prêtre un aspect de sacrifice, au meilleur sens du mot. L’accomplissement même du prêtre passe à travers ce renoncement et cette mort. On retrouve ainsi les textes de Paul sur l’expérience du ministère apostolique :
"La mort est à 1’oeuvre en nous, mais 1a vie en vous" (2 Co 4, 12).

Ainsi apparaît clairement, au coeur de l’expérience sacerdotale, la place de l’Eucharistie ; elle est au centre de la vie des prêtres, tout comme elle est source et sommet de l’évangélisation (P.O.14). On donne aussi sa place à un ministère peut-être trop brièvement évoqué par le Concile : celui de la prière d’intercession et de louange, au nom d’un peuple et au coeur d’une Eglise qui est elle-même, tout à la fois, mission et louange de gloire.

- Comment allier le pluralisme pastoralet la communion fraternelle dans le presbyterium ?

Nous avons connu des conflits pastoraux dans les années 70 : conflits souvent marqués d’intransigeance, parfois de rejet ; tensions qui ont été parfois impossibles à porter et destructrices, jusqu’à l’isolement d’un certain nombre de prêtres. Nous avons vécu ainsi une période difficile, non toutefois par manque d’esprit apostolique, mais par passion apostolique.

Actuellement, ces conflits ne sont plus aussi violents ; mais il ne faudrait pas que ce soit parce que "les héros sont fatigués", mais parce qu’on s’estime mutuellement et qu’on se comprend non pas seulement au niveau d’une amitié, comme cela a toujours existé, mais au niveau même des ministères et de la marque profonde qu’ils impriment chez le pasteur. Il est normal d’avoir des options différentes, sans y voir des contestations implicites ou des menaces.

Dans une Eglise qui a tant de richesses, il est ainsi possible que tout se rejoigne et s’articule sans se confondre. Une Action Catholique qui se voudrait absolue ne pourrait que se dégrader et se pervertir. La paroisse qui veut se fermer s’isole et meurt. De même le groupe de prière qui se veut tout devient une sorte de secte livrée au désir de l’émotion religieuse, si étranger au consentement à Dieu.

Les prêtres qui sont engagés dans ces diverses formes de ministère sentent combien aujourd’hui il faut se comprendre et s’estimer mutuellement. De nouvelles collaborations se nouent. Les Conseils presbytéraux revivent dans des diocèses où ils ont été détruits, parfois systématiquement. Il importe qu’ils fonctionnent correctement ; c’est un souci de tous les responsables qui veulent que le diocèse vive et que le presbyterium serve la communion en étant lui-même réalité de communion.

Il y a d’autres questions délicates. Ainsi faut-il aujourd’hui regrouper des prêtres non pas sur la base d’un ministère mais en fonction d’un idéal commun, à partir de sensibilités communes ? Question que des jeunes et des moins jeunes posent aujourd’hui. Ils seront peut-être plus heureux mais après quelque temps, n’y aura-t-il pas une certaine stérilité de leur ministère faute d’une suffisante confrontation ? Ne risque-t-on pas ainsi de fractionner de nouveau le presbyterium ?

Les requêtes des jeunes doivent être entendues mais aussi analysées et critiquées avec discernement. Il faut constituer des équipes capables d’un travail pastoral commun sans que l’on tende à un enfermement ou à une auto-justi fication.
De toute manière, le presbyterium, pour trouver son unité ouverte, doit être articulé avec les autres ministères et services, à commencer par le ministère diaconal, pour la même oeuvre apostolique. La question n’a pas encore reçu une véritable réponse pratique.
Pour le moment, d’ailleurs, les diacres sont peu nombreux. Quand le ministère diaconal aura pris toute sa place, comment cette situation sera-t-elle vécue au niveau d’un diocèse ? Il faudra travailler ensemble et ne pas faire des diacres des demi-prêtres, ni des assistants des prêtres : en effet le diaconat rattache à l’évêque autrement mais aussi bien que le presbytérat. Toute confusion doit être évitée entre le ministère presbytéral et les autres ministères et services, mais une réelle coresponsabilité s’impose ; elle suppose un délicat apprentissage.

Bien d’autres questions se sont posées il y a quelques années. Elles ne semblent pas aussi actuelles : ministère à temps partiel plutôt qu’à temps complet ?... Mais reste peut-être le problème des tâches diverses et de la mission essentielle. Certes, il faut aller au coeur du ministère. Mais il est vrai aussi que ce "coeur" n’existe pas sans la diversité des tâches. Il ne suffit pas de dire : peu importent les tâches multiples, vivons la relation pastorale. Le ministère pastoral est "relationnel" mais dans l’ordre humain, la relation pure n’existe pas, pas plus que le coeur n’existe sans les membres dans la totalité du corps. Certes, les tâches doivent être révisées loyalement ; leur sens doit être vérifié. Mais la charité pastorale se vit précisément dans les diverses activités du ministère.

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3- Questions au Service National des Vocations

Deux questions me semblent enfin se poser au sujet de la "Pastorale des Vocations".

l - Les rapports entre vocation presbytérale et vocation religieuse

Le Service National des Vocations a suscité et animé des rencontres concernant la pastorale des vocations religieuses et, d’autre part, la pastorale de l’appel au presbytérat. Il serait sans nul doute éclairant de comparer ces recherches et les deux formes d’appel, non pour les opposer, mais pour en préciser tout à la fois les différences, la complémentarité et les liens affectifs.

Les différences tout d’abord. Le Concile a tenu à les préciser. L’appel au ministère presbytéral est appel à un service auquel l’ordination consacre définitivement. Il s’exprime en dernier lieu par l’appel de l’évêque qui a dû vérifier la liberté du candidat et les signes d’une véritable vocation. Le Christ appelle ainsi des hommes à Le suivre pour agir en son nom.

La vocation religieuse est en elle-même différente : invitation à suivre le Christ pour lui appartenir, communier à son amour et à sa Passion pour le salut du monde. La vie religieuse comme telle témoigne ainsi du mystère de l’Eglise comme témoin du monde à venir.

Mais ces différences ne doivent pas être forcées. opposer ces vocations risquerait de réduire implicitement le ministère presbytéral à une pure fonction D’un point de vue existentiel, le désir de devenir prêtre se présente souvent d’abord comme désir de suivre le Christ, de Lui appartenir sans réserve. C’est par la suite qu’une décantation se fera, que l’orientation profonde du coeur se précisera.

La distinction. de ces vocations permet leur coïncidence dans la même personne : vocation au sacerdoce ministériel et à la vie religieuse. L’appartenance de prêtres diocésains à un Institut séculier correspond à une intention analogue : suivre de près le Christ en communion à de grandes intuitions spirituelles pour le meilleur accomplissement de la mission.

Il me parait nécessaire, tout à la fois, de maintenir ces différences et de préciser ces liens. Des communautés nouvelles surgissent. Elles veulent répondre tout à la fois à un désir de consécration, de vie fraternelle et de pauvreté, dans un monde sécularisé, conflictuel, avili par l’argent, et au besoin manifeste de ministres. Un certain nombre cherchent leur identité. Il n’y a pas lieu d’arrêter ce mouvement mais un effort de clarification et de discernement ne peut que servir et favoriser un véritable progrès spirituel et apostolique.

2 - Une autre question de discernement peut se poser

La Pastorale des vocations doit présenter une certaine "visibilité" : ainsi a-t-on constitué des comités réunissant prêtres, religieux, religieuses et laïcs. Une large information est indispensable. L’appel de Dieu est certes d’ordre surnaturel et rien ne peut le déterminer ; mais les médiations humaines sont normalement nécessaires. Il faut que les chrétiens connaissent les besoins de l’Eglise, que les communautés chrétiennes soient sensibilisées au besoin de prêtres. Il faut que l’appel puisse être réellement entendu. Mais il importe de distinguer les impératifs d’une pastorale de l’appel de ceux qui concernent la formation.

Un noviciat n’est pas d’abord un moyen de rendre visible un ordre religieux : il est une institution d’initiation et de formation. Il a de ce fait, et en vue de ces finalités, ses besoins et ses objectifs propres.

Il y a quelque chose d’analogue en ce qui concerne la formation au ministère presbytéral. Un séminaire témoigne de l’avenir du sacerdoce. Il est en soi regrettable que tout diocèse ne possède pas son séminaire. Le Droit canonique prévoit cependant des séminaires inter diocésains : les impératifs majeurs sont en effet la qualité de la formation et l’équipement que celle-ci requiert. Une exigence de proximité s’impose par contre pour un Centre de Pastorale des vocations, un lieu de rencontre des jeunes en recherche : pour faire signe, ces lieux doivent normalement rester proches de ceux à qui ils s’adressent, dans le cadre diocésain.

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La Pastorale des vocations doit témoigner d’une ténacité intelligente, réfléchie mais inébranlable : si nous ne constatons aucun fruit immédiat, ne concluons pas qu’elle est vouée à l’échec. Il faut beaucoup de temps : la "crise des vocations" résulte d’un nombre de facteurs considérables. Quand il en est ainsi, on ne change pas la situation par la mise en oeuvre d’un seul moyen, mais par un ensemble très complexe, à commencer, dans la situation présente, par le renouveau de l’espérance apostolique des prêtres diocésains.

Nous sommes des pauvres. Nous sommes conscients de notre impuissance humaine et nous la voyons grandissante. J’ai eu l’occasion de méditer cette année, à l’occasion du centenaire de sa naissance, sur la vie et la pensée de Monsieur PARIS. C’était physiquement un malade, un vieillard avant la cinquantaine ; aumônier de la paroisse universitaire, il a eu un rayonnement extraordinaire C’est d’ailleurs à lui que nous devons la grande prière pour les vocations qui déborde d’espérance, d’une ferme et tenace espérance :

"Seigneur, donnez à 1a France des prêtres saints,
des saints pour aujourd’hui,
prêtres antiques dans des hommes nouveaux.
Qu’ils gardent en présence du long hiver des âmes
1’espoir obstiné des printemps à venir."

* Le Père Constant BOUCHAUD est prêtre de la Compagnie de St Sulpice [ Retour au Texte ]