Comment un supérieur de séminaire voit naître des pasteurs


Jean-Yves LE BRAS *

Une équipe animatrice est d’abord normalement attentive à l’authenticité des candidats au ministère presbytéral et à leurs capacités d’écoute, de collaboration, de décision : que le projet de ministère n’apparaisse pas comme un vêtement d’emprunt, mais que l’on découvre un homme engagé personnellement sur ce chemin, et que les qualités de jugement et de relations signalent un homme apte à la responsabilité.

Notre équipe reçoit mandat des évêques concernés. Ils lui demandent d’être à la fois accueillante à la diversité des candidats et attentive aux besoins des diocèses. L’éventail est large, nous disent-ils, des personnalités qui peuvent constituer un bon terreau où s’enracinera le ministère, et les diocèses ont des besoins multiples.

Cela étant, il est demandé à cette équipe de veiller à la formation de pasteurs, d’hommes responsables de la vie et de la mission des chrétiens et de l’Eglise.

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I - A QUOI RECONNAIT-ON QU’UN FUTUR PASTEUR EST EN TRAIN DE NAITRE ?

Un des premiers signes est la qualité de la demande à l’entrée en 2ème cycle.
Je me souviens d’un instituteur compétent et heureux qui disait : "J’ai le désir non seulement d’instruire et d’éduquer, mais de servir les gens pour qu’ils réussissent leur vie selon l’Evangile. Je me sens du goût pour cela".
On peut faire fond sur un tel désir où se manifeste un "plus", non pas pour soi mais pour les frères, en écho à la Parole du Christ : "Je suis venu pour qu’ils aient la vie en abondance".

Vient ensuite la façon nouvelle d’aborder les activités de paroisse, de Mouvement, de service d’Eglise. Untel a été chef scout, animateur de formation, organisateur de camps. Le voilà capable de laisser ce travail à d’autres et d’être d’abord attentif aux liens qui se créent, aux personnalités qui se développent, aux désirs informulés qui percent, en incitant chacun à se dépasser. Tel autre, gouailleur, boute-en-train dans une équipe J.I.C., découvre la profondeur de la démarche de révision de vie et veut servir ce travail de conversion mené dans le quotidien par lui-même et les jeunes.

Puis, c’est la manière de percevoir le travail en Eglise. Untel a l’expérience de l’animation en aumônerie de lycée où il lui a fallu, à partir d’un canevas, inventer une démarche avec des jeunes, trouver des moyens matériels. Puis il découvre des tâtonnements semblables dans des Mouvements voisins. Tout en reconnaissant qu’il ne faut pas appliquer partout les les mêmes formules, et qu’il faut se méfier du "prêt-à-répéter", il découvre l’urgence du partage et de la confrontation entre animateurs. Cela évite le temps perdu, les forces gaspillées. Même dans l’Eglise, pense-t-il, il y a cet abus de pouvoir qui consiste à ne pas diffuser l’information ; et c’est une perte pour la mission. Ainsi découvre-t-il la nécessité de la coordination et une des formes spécifiques du péché dans la vie pastorale.

Ce qui est encore significatif, c’est la tonalité nouvelle que prennent la prière personnelle et les comportements qui lui sont liés.
Tel séminariste rencontre une jeune chômeuse, l’écoute en saisissant le drame d’une vie qui commence à désespérer. Il la secoue un peu pour qu’elle rejoigne un comité de chômeurs où elle pourra au moins parler, puis il confie tout ce monde à Dieu. Tel autre rencontre un ami qui vit maritalement. Sans jouer au censeur ou au redresseur de torts, il se découvre en train de parler sur un ton juste et de sortir, avec cet ami, d’une bonne conscience passive. Plus tard il se met à prier.

Un pasteur grandit chez quelqu’un, comme chez Saint Paul, à la mesure de l’ouverture du coeur : "Corinthiens, notre coeur s’est grand ouvert. Vous n’êtes pas à l’étroit chez nous" (2 Co 6, 2). La charité pastorale prend peu à peu racine. Il peut arriver que l’un ou l’autre prenne trop à coeur, non seulement la réussite de ses activités ou le projet de son Mouvement, mais aussi l’évolution personnelle de ceux qu’il accompagne... au risque de les forcer dans leur liberté. Mais voilà qu’il découvre que ce n’est pas de lui-même qu’il allume le feu en autrui. Il est seulement le ministre, le serviteur de la charité du Christ. Humilité. Humour pastoral.

Ainsi se révèle peu à peu la fibre pastorale des séminaristes.

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II - L’INSTITUTION, DANS SON ENSEMBLE VEUT FAVORISER CETTE ECLOSION.

La finalité de toute la formation est pastorale.

UNE FORMATION EN ALTERNANCE :

Le conseil spirituel et le partage en équipe sont une aide continuelle pour vérifier, purifier, entretenir la qualité de l’engagement pastoral, en toute activité, même dans le travail intellectuel.
Mais il y a des moyens plus spécifiques, mis en oeuvre dans l’insertion progressive en chaque diocèse. La communauté du séminaire est essentiellement transitoire. Aussi, un des moyens majeurs de la formation est le travail en alternance : les séminaristes sont accueillis périodiquement dans une équipe pastorale et participent de façon progressive à la vie et au travail des prêtres et de ceux qui leur sont associés.

Un texte-guide de cette insertion est proposé à toutes les parties prenantes pour préciser les modalités, les exigences, les responsabilités. Une réunion annuelle rassemble séminaristes, animateurs, représentants des équipes pastorales pour que la coresponsabilité soit manifeste. L’orientation est ainsi définie :
"L’insertion et la vie en communauté, en alternance, font découvrir des manières différentes de vivre la prière, le partage, l’interpellation, l’aide mutuelle, la collaboration entre gens de sensibilité pastorale différente. Il s’agit de construire l’unité de vie nécessaire pour s’engager librement et réaliser ce qu’est la charité pastorale."

POUR UNE STRUCTURATION INTELLECTUELLE

Cette formation en alternance permet la structuration intellectuelle. Pendant l’insertion, il s’agit de faire surgir les questions à partir de l’expérience quotidienne pastorale, de percevoir l’enjeu théologique des options prises, en participant à la réflexion des Mouvements et des secteurs. Et dans le travail au séminaire, il s’agit d’élaborer une réflexion théologique, en rapportant les expériences de chacun à la Tradition de l’Eglise, avec l’aide des professeurs.

POUR UNE CLARIFICATION

Cette formation en alternance permet de dissiper quelques craintes et de rectifier certaines images. Ainsi les séminaristes découvrent qu’un agenda bien rempli n’est pas synonyme de vie dispersée, et qu’une prière de louange et d’intercession habite le coeur des prêtres, même s’ils ne l’expriment que discrètement, avec pudeur.

Et les prêtres découvrent, sous une forme différente chez plus jeunes qu’eux, les accents qui ont marqué leur propre vocation : le désir de servir la réussite des hommes à la suite du Christ qui a passé en faisant le bien, et le sentiment que ce travail pastoral correspond à leur inclination personnelle dans l’Esprit.

ET UNE DECOUVERTE DU MINISTERE

Cette clarification est importante pour permettre la conversion au ministère. Les candidats, sous des formes différentes, connaissent une certaine crise au cours de leur formation. C’est une période, parfois longue, où des éléments concrets, tenant à eux-mêmes, au diocèse, aux prêtres, leur apparaissent avec tout leur "poids" de réalité et de pesanteur, et où ils trouvent en eux-mêmes, comme dans les appuis des communautés et des prêtres, du mouvement pour aller plus loin. La formation en alternance est nécessaire pour que ce discernement se fasse en vérité. Grâce à elle, apparaît ce qui fait la richesse et l’attrait du ministère diocésain :
La participation à des Mouvements qui ont des projets apostoliques, la connaissance et le soutien de chrétiens "ordinaires" qui ont le souci du témoignage évangélique, la mise en oeuvre des décisions qui organisent la vie quotidienne d’une paroisse, le souci de favoriser la cohésion d’une communauté, le goût de célébrer les grands moments de la foi, en Eglise...
Le ministère, dans sa variété, peut leur paraître d’abord émietté ; mais ils en découvrent les possibilités d’invention quotidienne, de travail en commun, de réussites palpables, de joie partagée, et ils en pressentent la profonde unité possible.

Deux moyens favorisent particulièrement cette découverte du ministère.

  • C’est d’abord l’accompagnement offert par une équipe de chrétiens pendant l’alternance.
    "Cette équipe vit avec le séminariste une communion de foi, de prière, de réflexion personnelle ; elle aide à faire le point, souligne les attitudes à promouvoir. Elle ’reçoit’ déjà de façon active quelqu’un qui va être donné comme prêtre à l’Eglise".
    Ainsi le séminariste saisit combien son ministère sera lié à celui de chrétiens responsables et fraternels. Il reçoit le gage d’une collaboration qui n’ira pas sans tensions sans doute, mais qui ne le laissera pas solitaire.
  • C’est ensuite le partage fraternel de la prière et de la réflexion pastorale avec les autres séminaristes et prêtres. Cela se vit de manières très diverses.
    C’est la relation avec le Conseil presbytéral de chaque diocèse, comme la rencontre des candidats formés pour un même diocèse dans des institutions différentes (séminaire inter diocésain, E.F.M.O., séminaire universitaire).
    C’est la participation éventuelle aux journées de reprise spirituelle des prêtres dans une aumônerie de Mouvement, comme la relation avec les associations de prêtres diocésains..

Ces réflexions sont partielles et reflètent d’abord l’expérience du second cycle de séminaire. Elles veulent manifester notre souci de former des prêtres diocésains, en relation étroite avec nos diocèses.

* Le père Jean-Yves LE BRAS est supérieur du séminaire inter diocésain de LAVAL, QUIMPER, SAINT BRIEUC, VANNES [ Retour au Texte ]