Situer l’appel au presbytérat


Anne MISSOFFE *

"Une relance de l’appel au ministère presbytéral"...

Ainsi énoncé, cet objectif suscite aussitôt en moi bien des images ! Telle conférence de presse, à laquelle j’ai participé en Avril dernier, et où j’ai pu constater l’intérêt général particulièrement orienté sur les courbes comparatives des entrées au séminaire et des ordinations sacerdotales...

La soutenance d’un mémoire sur "La crise des vocations", dans laquelle des jeunes de 18 ans, élèves d’un Institut de Gestion s’interrogeaient sur le statut du prêtre : "flou dans une Eglise floue..".

Les nombreuses retraites de Jeunes au cours desquelles je suis quelquefois témoin de décisions : "Je serai prêtre".. La recherche et les questions des délégués diocésains avec lesquels il m’est donné de travailler. Mais surtout, une avalanche de constats désolés - et désolants ! - sur la diminution du nombre de prêtres, sur "leur refus d’assumer des fonctions qu’ils assuraient autrefois", sur leur "remplacement" par des "laïcs nécessairement moins compétents".
Autant de signes et d’expressions d’une inquiétude grandissante qui se mue vite en critiques et reproches adressés à l’Eglise, trop souvent soupçonnée d’infidélité à sa vocation, puisqu’elle n’est plus ce qu’elle était.

AU-DELA DE LA PENURIE ET DE l’ANGOISSE

Je ne prétends pas faire preuve d’originalité en évoquant ces situations et ces remarques, hélas trop connues. Mais il est important pour moi de les rappeler car je ne donnerai pas cher d’une "relance de l’appel au Presbytérat" qui se fonderait, en priorité, sur elles. Pas plus que je n’envisage une pastorale des vocations religieuses à partir des noviciats qui se vident !

L’angoisse et la pénurie peuvent engager des remises en question salutaires, mais elles ne pourront jamais, à mon sens, être source d’un appel renouvelé et vivifiant pour l’Eglise. Partir des manques que nous remarquons, c’est prendre le risque d’engager une pastorale qui ne se préoccuperait que de combler les vides ou de chercher des rôles de substitution.

Est-ce à dire que je ressens une telle relance comme inopportune ? Non, et loin de là, mais je suis sensible aux risques qu’elle encourt.
Quelle que soit notre place ou notre fonction, la tentation nous est toujours grande, devant l’urgence des tâches à accomplir, de tomber ou de retomber dans une relève pure et simple. Mais alors, nous risquerions aussi de n’appeler que pour perpétuer des institutions, et de donner le sentiment que, pour éviter de mourir, l’on en revient au temps du recrutement.

Depuis Vatican II, non sans tâtonnements, on s’est attaché à reconnaître la place et le rôle des laïcs dans la vie et la mission de l’Eglise. Une collaboration et une co-responsabilité plus effectives des chrétiens, prêtres-laïcs-religieux, se fait jour en bien des lieux ; au-delà d’une répartition des tâches, il s’agit donc de bien faire exister, tous ensemble et chacun pour sa part, une Eglise vivante et missionnaire.

Ce contexte nouveau - enrichi encore par la re-découverte du diaconat permanent et la recherche, ici ou là, de ministères "reconnus ou institués" - est sûrement une chance pour redéfinir la mission du prêtre et faire en sorte qu’elle soit mieux articulée sur les autres vocations. Travailler ensemble à la mission l’Eglise, ne signifie nullement, en effet, que les fonctions soient interchangeables.
La diminution ou le vieillissement des prêtres un peu partout a très souvent urgé la prise de responsabilité par des laïcs, et c’est un bien. Mais il me parait impossible qu’on y voit la perspective du remplacement des prêtres par les laïcs et que l’on se résigne à ce que l’appel au sacerdoce rencontre de moins en moins de réponses.

DES HOMMES ORDONNES A UN PEUPLE

Dans l’Eglise, tous les membres et les fonctions sont nécessaires pour l’édification du Corps du Christ : le Concile l’a rappelé avec vigueur. C’est une chose que j’éprouve avec force, tout particulièrement dans un travail de collaboration avec des prêtres : participant à la même mission - en l’occurrence dans un Service des Vocations, mais j’ai fait la même expérience dans un travail de catéchèse -, je sens combien notre place et nos rôles sont différents.
L’appel et la vocation de chacun sont essentiels mais ne doivent pas signifier la même chose. Les jeunes que nous accueillons et accompagnons ensemble y sont, également, très sensibles.

A l’occasion de ce témoignage, j’ai essayé de regarder les prêtres que je rencontre habituellement autrement que comme des compagnons de travail. Dans leurs différences évidentes, ils m’apparaissent cependant tous avec un point commun : ce sont les hommes d’un Peuple et ordonnés au Peuple de Dieu.

"Ils ne pourraient être ministres du Christ s’ils n’étaient témoins et dispensateurs d’une vie autre que la vie terrestre, mais ils ne seraient pas non plus capables de servir les hommes s’ils restaient étrangers à leur existence et à leurs conditions de vie". (Presbyterorum ordinis, n° 3).

PASSION POUR l’HOMME ET POUR DIEU

Je crois que la "tension" suggérée par ces lignes doit guider une pastorale de relance au ministère ordonné, car il y a bien souvent un risque de dissociation chez les jeunes que nous rencontrons.

Un attrait et un goût très forts pour le domaine du spirituel peuvent en faire surtout des hommes du "religieux" ; de la même façon, certains types d’engagements dans le monde, et pour le monde, pourront en faire des "militants". Il me semble qu’un chemin d’unification de ces deux pôles s’ouvre pour que la solidarité avec Dieu et la solidarité avec les hommes se vivent bien dans le même mouvement : celui d’une communion.

Une rencontre de jeunes (75 garçons et filles de 18 à 30 ans, en égale proportion) en Juillet dernier, m’a parue intéressante dans cette ligne. Un cheminement de douze jours était proposé, unissant une réflexion sur les formes diverses du ’mal-développement’ dont souffre l’humanité", et une démarche de retraite silencieuse avec accompagnement individuel. La fin de la rencontre tentait d’unifier les deux expériences, faisant ainsi ressortir que "la passion pour la terre, pour l’homme et pour Dieu" était un même et unique appel.

Ce n’est qu’un exemple mais je crois qu’une telle proposition est bien dans la ligne d’un "éveil" qui peut permettre à un appel au presbytérat d’être bien situé.

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Quant à ma mission propre, elle ne me conduit pas à prendre des initiatives directes dans une Pastorale des vocations presbytérales. Mais je m’en sens partie prenante et, toute réflexion, comme toute entreprise à cet égard, me concernent comme elles devraient concerner toutes les communautés chrétiennes. L’appel au ministère sacerdotal, comme tout appel à une vocation spécifique, est toujours une initiative et un don de Dieu. Mais ma propre vocation dans l’Eglise m’invite à permettre que ces appels de Dieu soient entendus au sein même du Peuple de Dieu.

* Soeur Anne MISSOFFE est religieuse de Nazareth, responsable du Service Régional des Vocations Féminines en Ile-de-France et directrice d’un Foyer d’étudiantes et de l’équipe de Formation dans sa Congrégation. [ Retour au Texte ]