Comment mieux servir l’Appel ŕ la Vie Religieuse


Michel RONDET *

Une réflexion qui voudrait nous aider à nous situer très humblement au service de l’Esprit.
Conscients que nous touchons ici l’action de l’Esprit dans ce qu’elle a à la fois de plus inattendu, de plus nouveau, et de plus traditionnel.
Nous en avons eu la manifestation tous ces jours-ci, à travers les témoignages entendus. Devant eux, notre attitude est d’abord d’admiration et de reconnaissance.
Oui, l’Evangile est vivant,
Oui, l’Eglise est perpétuellement renouvelée par l’Esprit et si son visage est parfois marqué de rides et de signes de vieillissement, il est aussi toujours marqué d’une nouvelle jeunesse... A nous de percevoir les signes de l’Esprit et d’essayer très humblement d’être disponibles à sa nouveauté.

C’est dans cet esprit que je proposerai quelques réflexions sur l’accompagnement des vocations religieuses.

 

REMARQUE PREALABLE

Dans cette tâche nous nous trouvons toujours devant un appel : ou, si l’on veut, devant une liberté qui prend sa vie en charge sous le regard de Dieu.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit ; ne donnons pas au mot appel un sens trop extrinsèque ; les chemins de Dieu sont divers ; ils peuvent passer par l’inattendu, la découverte bouleversante, ils aboutissent tous finalement à ce moment où une liberté humaine se découvre et prend pleinement conscience d’elle-même dans le oui qu’elle dit à la Voix qui retentit au plus profond de son coeur, et qui y fait entendre un appel qui la dépasse infiniment.

Ainsi, quels que soient les chemins suivis, ils aboutissent tous, nous le savons d’expérience, à ce moment très simple et d’une infinie profondeur où une vie prend sens dans le oui qu’elle a dit à Dieu.

Dans cet appel l’Eglise a toujours sa place. On a dit hier :

  • L’Eglise appelle au presbytérat.
  • Elle reçoit ceux que l’Esprit appelle à la vie religieuse.

La formule souligne bien le rôle actif de l’Eglise dans l’appel au ministère. Il s’agit alors d’un service précis, important, permanent, c’est donc bien à l’Eglise qu’il revient de demander et de confier ce service.

La formule cependant demande à être nuancée pour deux raisons :

a) Dans l’Eglise : il n’y a pas de séparation entre fonction et grâce, entre ministère et charisme.
Tout ministère est confié dans l’Esprit, dans l’invocation de l’Esprit.
Le sacrement de l’ordre existe pour rappeler que les fonctions essentielles de la vie du Peuple de Dieu ne peuvent se vivre qu’ordonnées au Christ dans l’Esprit.

b) Une autre raison nous invite à nuancer la formule : l’Eglise latine a choisi de lier célibat et ministère. Ce choix est un choix, il n’est pas une nécessité. La question de l’organisation du ministère est une question ouverte dans l’Eglise (depuis l’institution des sept dans les Actes), elle doit le rester.
Mais si l’on maintient ce choix, et si l’on veut lui donner tout son sens spirituel, comme l’a fortement souligné le cardinal Lustiger, il faut dire que l’Eglise latine demande à tous ses prêtres ce que l’Eglise d’Orient demande aux évêques. L’Eglise d’orient ne confie la charge épiscopale qu’aux baptisés qui ont fait le choix de la vie monastique (de la vie religieuse en contexte oriental) ; ceux en qui elle a reconnu et éprouvé le charisme évangélique de la vie religieuse.
C’est bien ce que signifie traditionnellement le choix du Célibat pour le Royaume, choix qui n’est jamais un choix isolé, mais qui ne prend sens que dans l’orientation évangélique de toute la vie.
En appelant ses prêtres à vivre le célibat pour le Royaume, l’Eglise latine ne leur demande donc pas seulement de vivre honnêtement le célibat dans une fonction ministérielle, elle leur demande en fait, même si elle ne le dit pas toujours assez nettement, d’engager leur vie dans la radicalité évangélique du Royaume.

Le discernement des vocations à la Vie Religieuse et au ministère se fera donc sur un fond commun de reconnaissance d’un appel évangélique. Dans les deux cas il s’agit de vérifier si quelqu’un a bien été "saisi par Jésus Christ".

La particularisation de l’appel se fera plus au niveau des aptitudes, des goûts spirituels, des besoins ressentis.

L’appel à la vie religieuse est bien appel de l’Esprit, mais cet appel ordonné à la croissance de l’Eglise ne naît pas indépendamment de l’Eglise, nous y avons déjà fait allusion hier.

Si la vie religieuse est réponse évangélique aux besoins, aux soifs spirituelles d’une époque, c’est en vivant la rencontre Evangile-Monde que l’Eglise appelle à la Vie Religieuse. C’est en étant présente aux points de rencontre de l’Evangile et de la culture qu’elle verra surgir des fondations nouvelles.

Il serait intéressant, de ce point de vue, d’écrire, par exemple, une histoire parallèle des fondations religieuses et de l’évolution culturelle de l’Europe. On verrait combien l’histoire et la localisation géographique de ces fondations sont liées au développement culturel de l’Europe.

Etre au service de l’appel à la vie religieuse, c’est d’abord être à l’écoute des besoins spirituels du monde et des motions de l’Esprit.

Où est-ce que des choses bougent ; où est-ce qu’une nouveauté se manifeste ?

Etre attentifs, être présents là. Des choses naîtront.

Etre attentifs à l’Esprit, c’est être à l’écoute des pauvres, de leur espérance.

Comment accompagner un projet de vocation religieuse ?

l - Il n’y a de croissance humaine et spirituelle que dans une relation

C’est une évidence.

Un projet de vie, pour prendre corps, a besoin de se dire, de s’exprimer. Il faut qu’il trouve les personnes et les groupes où il pourra prendre conscience de lui-même, se vérifier, s’exprimer.

Quelle peut être alors notre attitude ? Ecouter, être témoin, oui. Mais nous pouvons essayer de l’être d’une manière active, consciente.

a) en aidant celui qui parle à relire l’action de Dieu dans sa vie.

Dieu est fidèle.

C’est dire que l’action de Dieu, même lorsqu’elle se manifeste de façon imprévue, construit toujours une continuité.

Le propre de l’Esprit, c’est de donner corps, cohérence à ce qui pouvait paraître discontinu, juxtaposé.

Il est important aujourd’hui où les itinéraires spirituels sont divers et contrastés, d’aider à découvrir la fidélité de Dieu qui lie tout cela et lui donne sens.

Une vocation, c’est un projet de vie où l’Alliance prend corps. Le signe d’une vocation authentique, c’est sa capacité à rendre quelqu’un sujet de sa propre histoire.

b) aider à interpréter les motions spirituelles dans leur contexte.

Quelque chose est apparu dans ma vie qui m’a étonné, inquiété, bouleversé, quel nom lui donner ? Grâce, appel, illusion ?

Ce peut être tout cela et ce n’est qu’en replaçant cet évènement dans son contexte spirituel que je pourrai lui donner sens.

Est-ce le pur reflet de mes états d’âme du moment : exaltation ou déprime ? Est-ce l’écho en-moi d’un climat de groupe surchauffé ? Est-ce l’émotion passagère suscitée par un évènement inattendu ? ou est-ce en moi, à travers et au-delà de tout ceci peut-être, la parole du Christ qui m’appelle ?

Je ne pourrai répondre qu’après avoir essayé de dégager l’appel entendu du contexte dans lequel il a retenti et qui peut l’avoir coloré ou déformé. Un choc spirituel vécu dans un monastère peut être perçu comme un appel à la vie monastique alors qu’il est une invitation à la prière et à la conversion dans la vie quotidienne.

c) aider à reconnaître les étapes

Toute grâce s’inscrit dans une histoire, c’est dire qu’un appel ne débouche pas nécessairement sur sa réalisation.

On a beaucoup dit qu’il ne fallait pas faire attendre Dieu et que l’urgence faisait souvent partie de l’appel. C’est vrai, mais la réponse peut comporter des étapes et le terme ne se dévoiler que progressivement. Accepter ce temps de maturation et de vérification peut être une épreuve pour une générosité de jeune qui vient de découvrir un appel. Les délais imposés peuvent apparaître comme l’expression d’une suspicion, d’un refus de croire à la grâce.

Pour l’accompagnateur, il sera important de bien manifester qu’il prend au sérieux le désir exprimé et que c’est pour cela qu’il lui propose les étapes qui lui permettront de se fortifier et de se préciser.

Il ne s’agit pas alors d’attendre passivement une hypothétique maturité, mais de s’engager dans un processus réfléchi, de marcher à la suite du Christ, à travers des étapes programmées qui auront chacune leur finalité spirituelle et dont il sera possible de mesurer les fruits.

A un garçon qui affirmait avec force sa vocation à un ordre missionnaire de structure internationale, il fut demandé, comme témoignage du sérieux de son propos, de faire l’effort d’ajouter à son programme d’études l’apprentissage d’une langue étrangère. C’était exigeant mais adapté et la façon même dont une telle épreuve fut acceptée et vécue constitua un bon test de maturité spirituelle.

Un moment délicat de cette progression sera celui de la décision : passer des générosités successives au choix qui engage et structure une vie. Cette étape est aujourd’hui souvent difficile et l’on voit des jeunes multiplier et prolonger les recherches jusqu’à ce que, finalement, le temps ou les évènements décident pour eux.

Dans ce contexte, il ne peut s’agir, pour l’accompagnateur, de forcer une décision de quelque manière que ce soit, ni de l’assumer à la place du sujet, fut-ce pour le libérer d’hésitations qu’on estime paralysantes et non fondées.

Alors, que faire ?

  • Aider à relire les démarches précédentes comme une maturation : des pas ont été faits qui ont porté des fruits, qui ont fait apparaître des cohérences, manifesté des convergences. Le chemin parcouru a un sens et il appelle des étapes ultérieures. Il peut être bon de le souligner.
  • Aider à sortir du présent pour prendre en charge l’avenir.
    On l’a souligné souvent, les jeunes vivent beaucoup dans l’instant et sont tentés de ne pas aller plus loin que l’accueil du présent. Or, en termes évangéliques, le Royaume est à la fois présent et à venir.
    La grâce est quotidienne, mais aucun chrétien ne peut se dispenser de prendre en compte l’avenir, le sien, celui de l’Eglise et du monde. Et il y a des moments où le souci de cet avenir peut s’imposer à nous avec une urgence stimulante.
    L’avenir des charismes et des ministères dans l’Eglise se décide aujourd’hui. Si des appels évangéliques ne sont pas assumés par notre génération, il y a des visages évangéliques de l’Eglise qui disparaîtront de notre horizon. Nous ne sommes pas devant des fatalités, mais devant des choix, il n’est pas interdit de le dire.

d) aider les dynamismes spirituels à accepter le contrôle objectif de l’Eglise.

Les charismes sont pour le corps. La vocation est un appel, elle ne constitue pas un droit à recevoir un ministère ou à être accueilli dans une famille religieuse. Pour pouvoir se dire vraie, elle a besoin d’être reconnue par l’Eglise.

Seule l’Eglise peut reconnaître et confirmer un appel au ministère.

Une famille religieuse représente une cohérence évangélique dont la fécondité et l’authenticité ont été reconnues par l’Eglise, seule cette famille peut dire, après un temps de probation, si tel charisme venu à elle s’insérera ou non dans un projet.

Quelles que soient les précautions prises, les prudences manifestées, des cheminements de vocation se heurteront, un jour, à des refus ou à des échecs. Celui qui les rencontre sera tenté d’y voir la négation du chemin parcouru, la révélation du caractère illusoire de tout ce qu’il avait cherché et désiré. Il faudra l’aider à découvrir qu’échec et refus font aussi partie de sa rencontre avec Dieu et qu’au-delà de la déception ressentie, il doit retrouver, purifié et réorienté, le dynamisme spirituel qui l’avait soutenu jusque-là. Dieu peut écrire droit avec des lignes courbes, il ne nous enferme jamais dans une impasse.

2 - Il n’y a de croissance spirituelle que dans l’expérience assumée

Au plan spirituel, plus encore qu’en tout autre domaine, il faut être attentif à sortir de l’imaginaire pour affronter le réel.

Il y a, et c’est normal, dans toute vocation une part de rêve, de projection imaginaire dans l’avenir et dans l’idéal. Il est important en contexte évangélique de dépasser ce plan, de bien comprendre que Dieu n’est pas dans l’ailleurs rêvé, mais dans le quotidien assumé.

L’expérience y aidera. Il faudra donc aider ceux qui se sentent appelés à choisir et à vivre des expériences structurantes. Il faudra veiller à ce que ces expériences soient vraiment vécues comme des expériences spirituelles, pas seulement comme la vérification d’aptitudes humaines nécessaires à la vocation.

Les aptitudes à la relation, à la créativité, à l’adaptation sont importantes à vérifier, mais il est plus important encore, et plus difficile à apprécier, de savoir comment un candidat à la vie religieuse a trouvé Dieu dans ce qu’on lui demandait de faire. A-t-il vécu l’expérience comme une consécration à Dieu ? L’a-t-il vécue comme un temps de conversion où il a su se laisser remettre en question par la parole de Dieu méditée et par le discernement d’une communauté ? L’a-t-il vécue comme un temps de communion dans un partage simple et vrai de son expérience avec des frères ?

3 - Il n’y a de maturité spirituelle que dans l’acceptation de ses faiblesses

Nous n’allons pas à Dieu malgré nos faiblesses, mais avec elles. Au cours d’un chemin vers et dans la vie religieuse, des faiblesses vont se manifester, douloureuses, humiliantes. Elles pourront apparaître comme un obstacle. Elles ne le sont pas nécessairement.

Reconnues et acceptées dans l’humilité et la paix, elles peuvent devenir la source d’un authentique dynamisme évangélique. Le progrès spirituel va toujours de la sainteté désirée à la pauvreté offerte. C’est sur ce chemin que l’Esprit nous conduit. C’est sur ce chemin qu’il nous faut accompagner ceux qui sont en recherche pour qu’à travers la purification de leur désir, ils entrent peu à peu dans la béatitude des pauvres.

* Le Père Michel RONDET est jésuite, théologien du Centre de La BAUME-lès-AIX [ Retour au Texte ]