Dieu appelle réellement aujourd’hui


Un évêque
Michel COLONI *

Au terme d’une session, ou encore au moment de la publication de ses principales interventions, il y a deux manières d’en rendre compte.

On peut, rassemblant les éléments qui ont semblé en être les points forts, tenter de construire une synthèse personnelle.

On peut aussi se tenir plus près du climat que l’on a perçu, des interpellations qui vous ont atteint en fonction de votre histoire ou de vos responsabilités, et livrer en confidence ce qui a changé en soi-même tout au long de cette session.

Evêque délégué de la Conférence épiscopale auprès du Service National des Vocations, j’avais entendu Mgr Bouchex à la dernière Assemblée de l’épiscopat, en Novembre 1983, à Lourdes, citer parmi les objectifs de la réflexion entreprise sur la vie religieuse : "favoriser l’authenticité et la promotion de la vocation religieuse au milieu des autres vocations". Au terme de la session organisée par le S.N.V., en Juillet dernier, à Issy-les-Moulineaux, je ne pouvais plus envisager tout à fait de la même manière cet objectif et ma mission.

C’est ce "fruit" de la session dont je voudrais rendre compte.

Dieu continue à appeler au désert

Il n’était pas nécessaire de réunir deux cents délégués pour que je sache que la crise des vocations spécifiques est une des interrogations majeures posées à notre génération, et particulièrement aux responsables de l’Eglise. Je ne pouvais m’étonner, non seulement de l’entendre évoquer publiquement à Issy-les-Moulineaux, mais de déceler l’angoisse et jusqu’à l’intoxication dont nous souffrons tous en recourant, sans en avoir une maîtrise suffisante, à l’instrument statistique, voire aux explications sociologiques qui visent à en rendre compte.

Que des responsables religieux, que des responsables des Services des Vocations témoignent de leur inquiétude face à l’avenir, voire d’une lassitude certaine, je l’ai expérimenté à Issy-les-Moulineaux au cours de carrefours ou de conversations personnelles, comme je l’avais expérimenté bien des fois auparavant.

Contrastant avec cette première impression et manifestant une réelle nouveauté, l’évidence s’est imposée : il y a encore et toujours des femmes et des hommes jeunes que Dieu appelle à le servir dans une vie de religieux. Je fais référence, bien sûr, aux témoignages entendus des six jeunes, mais aussi à ce qui fut évoqué par les représentants des Communautés nouvelles. Je fais tout autant référence à l’impact de ces paroles sur l’Assemblée, à ce que leur expression a provoqué et permis de dire à nouveau.

Il semblait que sans rien nier des difficultés d’hier, d’aujourd’hui, et certainement de demain, sans rien nier des analyses, des mises en perspective et des mises en garde, l’atmosphère était autre : nous expérimentions que Dieu continue à appeler au désert. L’appel est adressé au peuple tout entier, mais à certains il est adressé avec une radicalité qui fera d’eux les signes privilégiés de la démarche proposée à tous.

Le désert c’était la vie pauvre et vulnérable découverte par des héritiers nantis, ou fraternellement partagée entre tous ceux qui ont entendu la Voix.

Le désert, c’était aussi la pauvreté non pas consentie et assumée, mais constatée et subie au milieu d’une apparente surabondance, incohérence de notre monde, incohérence discernée en chacun divisé lui-même entre un idéal entrevu et l’impuissance à y correspondre.

Le désert, c’était ces années éprouvantes où des responsables d’institutions refont sans fin des graphiques, des pyramides d’âge, et sont tentés de désespérer de la perpétuité de leur mission.

Dans ce désert si évident, des signes de vie étaient donnés, imprévisibles, indubitables, et nous entraînaient à en repérer de nouveaux qui avaient jusque là échappé à notre attention.

Des vocations religieuses existent aujourd’hui, nous les avons rencontrées. Et de partager un soir leur prière dans une cathédrale pleine, multipliant le nombre de ceux qui s’étaient rassemblés à Issy-les-Moulineaux, l’illustrait de façon frappante.

Mais ces vocations, je devais constater qu’elles venaient d’un ailleurs et non d’une programmation épiscopale. Un frère évêque en même temps que fils d’un grand ordre religieux nous l’a dit : les vocations de religieux, c’est d’abord l’affaire des familles religieuses avant que ce soit celle des Services Diocésains.

Il était clair que tel ou tel de ces appelés avait échappé à nos circuits et à nos organigrammes. Le style de tel autre pouvait nous surprendre. Nous n’en aurions pas eu l’idée pour donner un signe évangélique au monde que nous voulons baptiser. Une réflexion de spirituel, de théologien, de pasteur, nous rappelait que cet appel est charisme, don de l’Esprit bousculant toujours ceux-là même qui ont imploré sa venue.

Des religieux, des religieuses revendiquant une marge d’indépendance dans l’obéissance à l’appel de leur fondateur le traduisait dans le vécu ecclésial. L’originalité de chacun de nos témoins l’illustrait et l’imposait comme une évidence.

Il y a des vocations religieuses, et un évêque n’en est pas pleinement le maître.

La responsabilité de l’Evêque

Ces vocations ont besoin que l’évêque intervienne. L’authentification de ce surgissement de l’Esprit dans une vie d’homme ou de femme est indispensable pour qu’il parvienne à sa maturité dans, par, pour l’Eglise. Tel échange, telle question au terme d’une conférence, tel enseignement donné le rappelait non seulement comme une conclusion doctrinale, mais comme une expérience millénaire qui se renouvelle sous nos yeux.

Cette pastorale des vocations religieuses a besoin que les premiers responsables de l’Eglise redisent à des assemblées chrétiennes d’aujourd’hui que l’appel de Dieu est actuel.

Ils ont à faire savoir à l’ensemble d’un peuple ce que leur responsabilité leur a donné de découvrir et qui ne doit pas rester confidence d’une personne à une autre mais, avec tout le respect et toute la discrétion requise, événement que toute l’Eglise doit connaître pour admirer et rendre grâce, pour recevoir aussi, à travers cet événement, l’appel et tout simplement l’évidence que cela demeure possible.

Ces vocations sont grandes. Mais à la mesure même de leur grandeur, elles sont périlleuses. Est-ce bien Dieu qui appelle et à quoi appelle-t-il ? Evêques, nous ne pouvons prétendre être à l’origine de ces appels. Mais nous avons à inventer les moyens qui permettent à ceux qui se pensent appelés de discerner, vérifier dans un cheminement ecclésial qu’ils ne sont pas le jouet d’une illusion, que c’est en vérité à un appel du Seigneur qu’ils répondent.

Certes, ce discernement est de la responsabilité des différentes familles religieuses. Mais chacune d’entre elles n’est, à elle toute seule, l’Eglise tout entière. Ce n’est pas seulement pour des raisons pratiques de coopération à organiser, où les plus faibles pourront recevoir l’appui des plus forts, que les évêques ont à intervenir. C’est comme les témoins de l’universalité de l’Eglise, et aussi de l’universalité d’un monde à évangéliser qu’ils auront toujours à interpeller les Congrégations. La figure inévitablement et légitimement particulière d’une vocation religieuse recevra de leur intervention une ouverture à l’universel, signe de la rencontre et du service de Dieu.

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J’achève ma confidence. La session m’a moins appris qu’elle ne m’a modifié. L’acte de foi s’est, par elle, fait plus clair.

Responsable de la globalité de la mission de l’Eglise, je ne ferai demain, pas plus qu’hier, l’économie des analyses et des instruments qui permettent de la poursuivre plus efficacement. Mais, pour avoir connu la tentation de confondre les moyens et la fin, et de faire d’un instrument une prison, j’attache d’autant plus de prix à ces quelques heures qui renversaient une perspective trop accoutumée.

C’est parce que Dieu appelle réellement aujourd’hui le tout premier que j’ai le devoir d’intervenir.

* Le Père Michel COLONI est évêque auxiliaire de Paris et évêque délégué de la Conférence épiscopale auprès du Service des Vocations. [ Retour au Texte ]