Des projets communautaires : Des Frères, en Provence


"...L’Eglise d’Aix et d’Arles accueille une Communauté des Frères des Campagnes et l’envoie en mission pour le service des immigrés et pour l’animation des Mouvements d’Action Catholique d’enfants, de jeunes, d’adultes, en monde rural. Il s’agit donc bien d’une mission d’Eglise au coeur des réalités humaines de ce diocèse."

(Quelques lignes extraites de la lettre d’envoi en mission de notre évêque)

Chercher à louer une maison en Provence fait aussitôt penser à ces vacanciers en quête de soleil au pays de Pagnol où il fait bon vivre. Ce n’est pas précisément pour cette raison que nous sommes à NOVES depuis deux ans.

Au nord des Bouches-du-Rhône, à proximité d’Avignon, cette petite ville de 3 500 habitants se situe dans la région Alpilles-Durance, la plus peuplée du département comme zone rurale (63 000 habitants). Sur cette terre gagnée au marais, le soleil et l’eau font pousser et mûrir fruits et légumes en quantité.

La population agricole est importante en maraîchage. Dans cette région riche il est possible de vivre sur de petites surfaces. La main-d’oeuvre salariée est nombreuse. Malgré la mécanisation, beaucoup de travaux s’exécutent manuellement. Les bras sont venus d’ailleurs : Italiens et Espagnols, en France depuis une génération ou plus, naturalisés ou non. Les plus nombreux sont actuellement les Maghrébins d’origine marocaine. Certains ont fait venir leur famille, beaucoup viennent comme saisonniers, quatre, six ou huit mois, puis repartent au pays.

Cette profession agricole suscite des emplois para-agricoles :

  • organisation de la production : techniciens
  • organisation du commerce : courtiers, vendeurs
  • Organisation de l’approvisionnement : marchands d’engrais, fabricants d’emballages...

Le pays du soleil attire aussi certaines personnes qui viennent prendre leur retraite.

Il faut parler également de cette foule de touristes français et étrangers qui passent visiter la région et y vivre une période de vacances.

L’HISTOIRE DE NOS DEBUTS

Nos débuts sont les débuts de beaucoup de personnes qui ont senti que l’implantation de notre communauté religieuse, c’était également leur affaire, qu’ils avaient droit à la parole.

Recherche commune avec tout un groupe de personnes

Tout d’abord, nous avons écouté les besoins exprimés par des ruraux avec qui nous étions en contact, surtout par le biais de l’Action Catholique. Ces personnes se situaient en partie dans le nord du département des Bouches-du-Rhône, pour la plupart assez engagées dans un travail de recherche sur l’évolution du monde rural. Les besoins qui étaient exprimés rejoignaient les aspirations de tout un groupe de personnes insérées en rural à travers les quatre coins du département. Ce "Groupe rural" se compose de représentants du C.M.R. (Chrétiens en Monde Rural) ainsi que de religieuses, religieux, prêtres au travail dont la visée principale est celle des Mouvements C.M.R., M.R.J.C. (Mouvement Rural de la Jeunesse Chrétienne) et A.C.E. (Action Catholique des Enfants).
Différentes rencontres ont permis de dégager une série d’appels précis, en voici quelques-uns :

"Il y a place pour des religieux qui s’implantent d’une autre manière en milieu rural,."

"Aller au devant de ceux qu’on ne voit jamais dans une église. Etre présent dans le monde du travail, ouvriers d’usine, ouvriers agricoles, immigrés..."

"Les immigrés ne demandent rien. C’est leur présence qui est un appel"

"On souhaite que les chrétiens membres des équipes d’Action Catholique rurale, ou toutes les personnes qui cherchent à se regrouper pour une réflexion sur leur vie, leurs engagements et leur foi, puissent trouver auprès de vous un lieu pour le faire..., un lieu qu’on ne trouve pas habituellement..."

"On a besoin de lieu de prière où puisse se développer l’espérance au coeur des hommes..."

Naissance du projet

C’est à partir de cette longue recherche ensemble, avec le soutien de notre évêque et de la Congrégation, qu’ont pris naissance petit à petit les grandes lignes de notre projet, compte tenu de ce que nous sommes et de ce que nous voulons être.

- PROJET DE VIE COMMUNAUTAIRE :

Nous avons souhaité jouer à plein le jeu de la communauté entre nous : prière, eucharistie, services de la maison, mise en commun de nos préoccupations, de notre situation, accueil de ceux qui se présentent, personnes ou groupes. Cela parait évident pour des religieux, ça n’en est pas moins difficile.

- INSERTION :

Nous désirons vivre à la manière d’une famille modeste, avec un travail salarié, habitant une maison en location qui puisse favoriser l’accueil.

- DEUX AXES PARTICULIERS :

- travailler à soutenir et éveiller une action catholique rurale

- partager avec les immigrés.

Mise en oeuvre de ce projet

Notre vie commune a commencé le jour où nous nous sommes retrouvés tous les quatre dans un logement de travailleurs saisonniers. Ce logement avait été mis à notre disposition par des amis. Nous y sommes restés un mois. Ce mois de "campement" nous a permis de partager un peu la situation de nombreuses personnes déracinées, qui vivent de façon précaire, dans l’incertitude du lendemain, en quête de travail et de logement.

- Recherche de la maison. Des maisons inoccupées, ce n’est pas ce qui manque dans la région, encore faut-il en trouver une à louer. Ces longs mois que nous avons passés à chercher un logement nous ont fait découvrir quelques traits de mentalité de la population. Certaines personnes par exemple, ont refusé de nous louer leur maison.

Après avoir rencontré pas mal de difficultés, nous avons réussi à trouver une maison située à environ 1,5 km du village de Noves. Des saisonniers marocains travaillant comme ouvriers agricoles habitent dans le même corps de bâtiment.
Le 25 Mars 1981, fête de l’Annonciation, jour où nous trouvions un logement, restera pour nous une date dans l’histoire de notre communauté.

COMMENT NOUS VOULONS NOUS SITUER

"MAIS ALORS, QUE FAITES-VOUS ?"

Ce genre de question nous fut souvent posée par les gens du pays, nos voisins, ou au hasard de nos rencontres dans la vie quotidienne. Après l’énumération de nos activités, nous sentons un certain étonnement, voire une déception :

"Mais alors vous ne faites pas d’apostolat ? Vous ne vous occupez pas de la paroisse, des catéchismes, des sacrements, etc. ?"

"Que faites-vous ?"

Nous avons ressenti ici peut-être plus que dans les autres régions, la tendance à définir quelqu’un ou un groupe, par ce qu’il fait et non ce qu’il est.
En ce qui nous concerne - petite communauté de croyants - nous voulons être présence évangélique dans le milieu rural où nous vivons, en lien avec une population, dans la perspective d’un partage de vie, attentifs à donner déjà à ce niveau, un signe de fraternité, d’accueil, de respect des personnes telles qu’elles sont, chacun d’entre nous essayant de vivre cette dimension là où il est.

NOS ENGAGEMENTS

GABRIEL : Si j’ai choisi de continuer de travailler comme maçon en arrivant à Noves, dans une entreprise d’une douzaine d’ouvriers à Châteaurenard, c’est que je rencontre là un milieu de vie (non le seul) qui me situe comme homme, et comme croyant, partageant les conditions de travail d’autres ouvriers avec tout ce que cela comporte de rencontres humaines, de solidarités, de questionnements, mais aussi de fatigue, d’incompréhensions, de silence voire d’exclusion.

Pour moi, un ouvrier sur un chantier est d’abord un homme, il a droit au respect, à l’entre aide, à une juste rémunération, peu importe la place qu’il exerce dans l’entreprise, et qu’il soit né en Castille, à Marrakech, ou dans la vallée de la Durance.

Je vois cette présence non pas tant comme quelqu’un qui aurait à "apporter" aux autres, mais plus comme celui qui essaie de reconnaître et d’accueillir tout ce qui se vit, cela transforme mon regard sur l’homme, et là se vit ma foi en Jésus-Christ.

JACQUES : Le fait de participer à un travail de mouvement en action catholique (Chrétiens en Monde Rural Ouvrier) me met en relation avec des hommes et des femmes qui se battent dans leur milieu de vie et de travail pour plus de dignité. Ils font souvent partie des "pauvres".

Etre là, avec eux, prendre en compte tout le poids de cette vie, m’oblige à regarder les choses autrement. Il devient impossible de rester sur la touche sans s’impliquer personnellement et en communauté, sans se remettre en cause, sans se compromettre là où l’on se trouve, du côté des plus déshérités.

En aidant à mettre en place des rencontres, je découvre petit à petit l’importance de lieux propres où des personnes d’un même groupe social puissent être reconnues et partager ce qui fait leur vie. Même si ensemble nous n’avons pas toujours l’occasion de faire une référence explicite à l’Evangile, notre vie même parle. Jésus-Christ s’y révèle. Il nous arrive d’aller jusqu’à une expression de foi et de célébrer.
Le Mouvement ou les équipes dont je fais partie deviennent de véritables communautés d’Eglise.

LOUIS : Cette nouvelle insertion est la quatrième de ma vie F.M.C. Au départ j’ai contacté le milieu immigré par un travail salarié saisonnier avec eux sur un chantier pour un temps déterminé, entrecoupé de périodes d’arrêts, ce qui est le lot d’insécurité de tous les saisonniers. Travail pénible et chômage sont aussi des réalités de la région.

Actuellement je suis en pré-retraite. Le contact de la vie ouvrière se continue au syndicat : beaucoup de dépannages pour les salariés agricoles de nationalité marocaine qui s’embrouillent dans nos formalités administratives. La difficulté de la langue existe aussi.
Ils sont très sensibles au fait d’être accueillis et respectés dans leur culture et l’expression de leur foi.

ANTOINE : Travailler à plein temps dans une société d’expédition à Châteaurenard me rend proche des Maghrébins. Je prends conscience de la richesse des autres cultures, de la foi musulmane. Ce sont des hommes d’abord et quand nous travaillons ensemble, ce sont des amitiés, des luttes que nous vivons au coude à coude.

Cette proximité m’a aidé dans l’engagement définitif de la vie religieuse, dans ma foi en Jésus-Christ.

Au M.R.J.C. le partage que nous faisons à partir de notre vie, de notre foi, en lien avec des jeunes et des adultes, nous renvoie à la réalité du monde rural que nous habitons. Les immigrés ne sont pas absents dans nos rencontres, nos actions. Je perçois de plus en plus l’importance d’être attentif à ce qu’ils souhaitent, de les accueillir comme ils sont.

Croire en Jésus-Christ ressuscité, c’est aimer celui qui est différent d’origine, de Culture, de religion. C’est faire un bout de Chemin ensemble et reconnaître l’Amour qui nous devance, en le célébrant, en le partageant dans notre prière.

Conclusion

Si la curiosité, la beauté du paysage, la visite de serres ou d’autres "monuments", le soleil, vos relations de famille ou d’amitié, vous conduisent jusqu’en Provence, venez voir sur place si ce témoignage est une histoire ou une vérité.
Insérés en terre de Provence, nous découvrons de nouvelles situations de pauvreté, d’Eglise. Dans tout cela nous voudrions vivre à notre manière la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ.

* Texte tiré de la "Chronique des Frères Missionnaires et des Soeur des Campagnes" (Juin 1983) [ Retour au Texte ]