Francheville 1983 - Une session nationale sur la Vie Religieuse


Damien SICARD *

Du Lundi 28 Novembre au Jeudi 1er Décembre 1983, 74 vicaires épiscopaux pour les instituts de religieux et de religieuses se sont retrouvés en session à la Maison Saint Joseph de Francheville, près de Lyon, avec sept évêques, pour la plupart membres de la Commission Episcopale pour l’Etat religieux, cinq membres du Comité Permanent de la Conférence des Supérieurs Majeurs de France, sept membres des Conseils nationaux de l’Union des Supérieures Majeures de France et du Service des Moniales de France et les trois présidentes des Unions Spécialisées de Religieuses.

C’était la deuxième fois qu’avait lieu une pareille assemblée. Il y a quatre ans s’était tenue à Orsay, dans la région parisienne(au lendemain de la parution d’un document émanant des deux Congrégations du Saint Siège pour les Evêques et pour les Religieux et Instituts séculiers, intitulé MUTUAE RELATIONES, une première rencontre nationale à laquelle 65 vicaires ou délégués épiscopaux et quatre évêques avaient pu assister.

Le but était alors de cerner, à la lumière du document romain du l4 Mai 1978, le rôle et les fonctions du vicaire épiscopal pour les instituts de religieux et de religieuses que préconisait son paragraphe n° 54.

Dans le prolongement du dossier sur la Vie Religieuse et les perspectives missionnaires de l’Eglise de France, ouvert par nos évêques à Lourdes trois semaines plus tôt, FRANCHEVILLE 1983 avait pour objectif, compte tenu de ses participants,

"d’EVALUER LA FACON DONT LES COMMUNAUTES RELIGIEUSES VARIEES ET MULTIPLES de nos diocèses français de l’hexagone et de l’Outre-Mer, PERMETTENT, POUR LEUR PART, AU MYSTERE DE L’EGLISE d’ETRE SIGNE DU SALUT", pour le monde de cette fin du XXème siècle. ( l )

C’est cet objectif doctrinal, missionnaire et pastoral que la session de FRANCHEVILLE voulait faire partager à tous les diocèses de France. Elle le fit dans une double démarche que ces lignes veulent brièvement présenter et qui occupa tour à tour notre attention :

  • un commun regard sur la vie religieuse dans l’Eglise
  • une mise en oeuvre des conclusions de l’Assemblée de Lourdes.

- La dimension apostolique et contemplative de la Vie Religieuse

C’est sous ce titre que trois conférenciers furent appelés à intervenir :

  • Dom André LOUF, cistercien, abbé de Sainte-Marie du Mont,
  • le Père Michel DORTEL-CLAUDOT, jésuite, professeur au Centre Sèvres et à l’université grégorienne à Rome,
  • Soeur Christiane HOURTICQ, auxiliatrice, maître-assistant à l’Institut catholique de Paris.

Quatre exposés furent présentés, quatre éclairages successifs et complémentaires sur l’insertion ecclésiale de la vie religieuse monastique et de la vie religieuse apostolique.

l - "LE RELIGIEUX EST CETTE PART DE L’EGLISE QUI DOIT DEMEURER ADOSSEE AU DESERT"

C’est ainsi que Dom A. LOUF introduisait sa conférence.
Celle-ci montrait d’abord comment "le désert est une structure théologique fondamentale de l’Eglise" qui continue à y "plonger ses racines". Ni abri, ni refuge, ni serre, le désert est un creuset, un lieu de pauvreté, un lieu où renaître car, au plus profond de l’être, chacun s’y trouve affronté à sa part d’athéisme et à sa nuit, à l’épreuve de la foi dans toute son amplitude.
Mais voilà que le Peuple de Dieu sort de la cité pour assiéger le désert et c’est le va-et-vient apostolique entre le désert et la cité, c’est la vie religieuse "aimant qui attire irrésistiblement". Le désert et le monde coïncident quelque part : ce lieu c’est l’Eglise, envoyée au monde sans lui appartenir. La vie religieuse est ainsi au coeur de l’Eglise comme un lieu de discernement et de discernement spirituel.

2 - Avec l’humour et l’aisance qu’on lui connaît, le Père DORTEL-CLAUDOT PROMENA ALORS LES PARTICIPANTS DE LA SESSION DANS LES 133 ARTICLES ou canons DU NOUVEAU CODE (entré en vigueur 48 heures avant notre rencontre), qui concernent la vie religieuse.
Il en releva d’abord les caractères généraux : le lien entre le théologique, le spirituel et le juridique, le sens ecclésial de la vie religieuse, l’absence de discrimination entre religieux et religieuses, le respect du caractère particulier de chaque institut et son droit propre.
Il s’attarda ensuite, s’adressant à des vicaires épiscopaux, à ce que le Nouveau Code dit du rôle de l’évêque au regard des instituts religieux en général et des instituts de droit diocésain en particulier.

3 - Le même Père DORTEL-CLAUDOT nous présenta, le lendemain, une HISTOIRE DE LA VIE RELIGIEUSE APOSTOLIQUE FEMININE.
Passionnant parcours qui nous fait survoler le Moyen Age et même nous y attarder.

On y constate que les congrégations religieuses ne sont pas nées pour des fonctions de "suppléance". Un peu partout, on soignait en fait les malades et existait tout un réseau de personnel rémunéré ou de laïcs mariés, membres ou non de confréries ou tertiaires. Les religieuses apostoliques naissent complémentaires.
Un nouveau regard est porté sur le pauvre et le malade, le Christ est reconnu en eux. "L’origine de la vie religieuse active n’est ni sociale, ni utilitaire, mais mystique... L’expérience fondatrice de la vie religieuse apostolique est avant tout une expérience de Dieu qu’on rejoint d’une certaine façon dans le monde."

4 - Soeur Christiane HOURTICQ était chargée du REGARD THEOLOGIQUE SUR LA VIE RELIGIEUSE APOSTOLIQUE
On peut lire son exposé dans ce même cahier de JEUNES et VOCATIONS et il n’est donc pas nécessaire de s’y attarder ici.

Après avoir montré la difficulté et la nécessité d’un tel regard théologique, soeur Christiane relève que "la vie religieuse apostolique doit être inséparablement présence au monde et expérience de Dieu". Cela "conduit à porter sur l’humanité le même regard que le Christ et à l’aimer comme le Christ l’a aimée". Et cela entraîne des conséquences concrètes pour une vie dans le monde et dans l’Eglise. La démarche, plus que le savoir, est en effet engagée dans cette "christologie pratique" qui manque souvent "des mots pour le dire".
Tout cet ensemble mérite d’être lu et étudié pour lui-même.

Les vicaires épiscopaux en demandèrent la publication. Ce qui fut fait et qui met à notre disposition ces éléments importants d’une commune doctrine sur la place de la vie religieuse dans l’Eglise.

- une mise en oeuvre DU DOSSIER OUVERT A LOURDES 1985

Les vicaires épiscopaux avaient, avant la session de FRANCHEVILLE, exprimé leurs préoccupations dans l’exercice de leur ministère au service de la vie religieuse. L’ensemble de ces thèmes put être regroupé sous neuf rubriques qui donnèrent lieu à autant de carrefours.

Le compte-rendu de ces neuf carrefours fut présenté par le Père Jean BONFILS, secrétaire général de la Conférence des Supérieurs Majeurs de France, autour des lieux où la vie religieuse rejoint une Eglise particulière : tâches pastorales, soutien spirituel, structures de dialogue, engagements des unions spécialisées, pastorale des vocations, fonction même des "vicaires épiscopaux pour les instituts de religieux et de religieuses".

Si bien que la deuxième partie de la session de FRANCHEVILLE allait réfléchir très concrètement sur la spécificité du rôle de chacun des soixante-quatorze participants, vicaires épiscopaux.

Mais elle le fit sous l’éclairage du récit de ce qui s’était vécu à Lourdes pendant l’Assemblée Plénière des Evêques.

Monseigneur Maurice DELORME, évêque auxiliaire de Lyon et membre de la Commission Episcopale pour l’Etat religieux, nous présenta les travaux de cette Assemblée Plénière, tenue du 4 au 8 Novembre 1983.
Il nous en communiqua, à titre d’illustration, le texte de l’intervention d’un évêque dans le débat conclusif de Lourdes et nous fit distribuer à tous les PROPOSITIONS DE CONCLUSIONS qu’en tant que président de la Commission Episcopale, Monseigneur Raymond BOUCHEX avait présentées à l’Assemblée Plénière avant qu’elle ne se sépare.

C’est sur ce texte que les vicaires épiscopaux regroupés par Régions Apostoliques commencèrent alors à réfléchir : Quelles priorités établir ? Comment les mettre en oeuvre ? Que va faire la Région ?

Les comptes-rendus de cette recherche par régions furent présentés par le Père Louis MOUGEOT, vicaire épiscopal pour le diocèse de SAINT-CLAUDE et membre de la Commission Episcopale. Ce rapport, comme celui du Père BONFILS, dont nous parlions auparavant, figure dans le livre des ACTES de FRANCHEVILLE.
Connaissance réciproque des projets missionnaires des Instituts et des diocèses ; statut des Conseils diocésains de Vie Religieuse ; relations des Instituts de vie religieuse masculine entre eux et avec le diocèse, furent les trois priorités le plus souvent retenues.

Il n’est pas possible ici d’en détailler la mise en oeuvre dans chaque Région. Retenons seulement que les vicaires épiscopaux ont estimé que

"LA PASTORALE DES VOCATIONS EST FONDAMENTALE POUR l’AVENIR DE LA VIE RELIGIEUSE ET POUR l’EGLISE" et QU’ILS SOUHAITERAIENT QUE LES RELATIONS GRANDISSENT ENTRE EUX ET LES S.D.V."

Soeur France DELCOURT, présidente nationale de l’Union des Supérieures Majeures et supérieure générale des Auxiliatrices, expliqua comment cette Union avait choisi de situer son Assemblée générale prochaine dans le prolongement de Lourdes et comment chaque Région Apostolique dans le cadre des Supérieures Majeures, des Unions spécialisées et des Conseils Diocésains de Religieuses, choisissait des axes de travail pour préparer cette Assemblée Générale.

Le Père Jean-Paul MARSAUD, président de la Conférence des Supérieurs Majeurs de France et supérieur général des Fils de la Charité, annonça que les prochaines rencontres des instances nationales des religieux allaient préciser comment les religieux de France seraient invités à poursuivre le travail de Lourdes. N’avaient-ils pas consacré leur précédente Assemblée générale à en préparer les éléments du dossier ?

Une dernière conférence - à deux voix - allait reprendre tout cet apport des participants à la session et le fonder théologiquement, spirituellement et pastoralement.

C’est le Préfet de la Congrégation Romaine pour les Religieux et les Instituts séculiers, Monsieur le Cardinal Edouard PIRONIO qui devait la donner. Empêché au dernier moment de venir, il envoya un MESSAGE AUX VICAIRES EPISCOPAUX de France que devait lire Monseigneur BOUCHEX, et ce fut la deuxième voix.
Le secrétaire de la Commission épiscopale, le Père Damien SICARD, fut chargé de la première.

Pour présenter le rôle du Vicaire épiscopal pour les Instituts de religieux et de religieuses, quatre aspects furent tour à tour abordés :

  • - Ministère relié directement à l’évêque, le vicaire épiscopal a pour charge d’exercer ce qu’on appelle une "fonction-vicaire" qui ne "libère" pas l’évêque de son ministère propre.
  • - Avec compétence, compétence doctrinale surtout, le vicaire épiscopal doit "porter la charge" de la vie religieuse dans le diocèse, y incarner la conscience d’une Eglise qui croit à la vie religieuse, vivre cela à l’échelle d’un diocèse, favoriser le développement de la vie religieuse.
    - Ce ministère doit viser à insérer la vie religieuse dans toute la vie pastorale du diocèse pour "permettre à l’Eglise d’être signe de salut pour le monde" et cela est lourd de conséquences très concrètes
  • - Le vicaire épiscopal a aussi un rôle très particulier auprès des prêtres, aumôniers de communautés de religieuses ou de religieux non-prêtres, accompagnateurs de religieux ou de religieuses.

Le message du Cardinal PIRONIO souligna que : "L’Eglise continue d’être d’une façon spécifique, médiatrice de l’action consécrante de Dieu".

Aux vicaires épiscopaux, il précise  : "Votre mission importante et délicate vous associe intimement à cette médiation ecclésiale... Vous participez de façon unique au perfectionnement de la portion choisie de l’Eglise : les religieux ; le faisant, vous touchez, non seulement le bien-être de votre propre diocèse, mais aussi celui de l’Eglise de France et de l’Eglise universelle. Votre travail est un travail de foi, souvent caché, souvent ingrat, mais il est en même temps un travail privilégié...
Je tiens à vous dire, de ma part et de la part du Saint Père, dont je suis le délégué pour les choses de la vie religieuse dans l’Eglise, toute notre sincère reconnaissance pour votre précieuse collaboration à la promotion et au soutien de la vie religieuse en France."

Il ne restait à Monseigneur BOUCHEX qu’à tirer les conclusions de la session : FRANCHEVILLE aura été une excellente manière d’entrer dans le travail entrepris par les évêques à Lourdes, celui de la vérification (voir si c’est vrai et faire que ce soit plus vrai) de la place de la vie religieuse dans la mission de l’Eglise pour une meilleure compréhension de sa nature, une meilleure collaboration de part et d’autre, une meilleure promotion de la vie religieuse.

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C’est volontiers que ce compte-rendu a voulu répondre à la demande du Conseil de Rédaction de JEUNES ET VOCATIONS. C’est avec joie que nous apprendrons qu’il permet aux Services Diocésains des Vocations de mieux jouer leur rôle et d’augmenter leurs liens avec les instances chargées de la vie religieuse dans nos diocèses.

NOTE : -----------------------------

* Le Père Damien SICARD, prêtre du diocèse de Montpellier, est secrétaire épiscopal de la Région Provence-Méditerranée et secrétaire de la Commission Episcopale de l’Etat religieux. [ Retour au Texte ]

1 - Monseigneur Raymond BOUCHEX, président de la Commission Episcopale pour l’Etat religieux, dans son introduction aux débats de Lourdes 1983. cf. AVANCER SUR LA ROUTE DE LA MISSION EN FRANCE, LOURDES 1983, Centurion 1983, p. 64 [ Retour au Texte ].