Une Pastorale


PASTORALE DES VOCATIONS ET RELANCE POUR LA MISSION

Jean Dantonel (*)

Lorsqu’Abraham et Sara se sentaient vieillir, leur inquiétude grandissait de se voir ainsi quitter la vie sans descendance. Il s’agit-là sans doute d’une réaction tout à fait normale pour tout homme qui se sent vieillir. Je crois pouvoir dire que les Instituts missionnaires connaissent quelque chose de cette même inquiétude face à la raréfaction des vocations missionnaires. Lorsqu’un institut voit augmenter le nombre des pensionnaires de ses maisons de retraite et ne reçoit aucun jeune en formation pendant plusieurs années, il se demande avec passablement d’anxiété ce que sera son avenir. Il n’est donc pas étonnant dans une telle situation, que les Instituts missionnaires aient tenté de relancer leur pastorale des vocations.

Il n’est pas impossible que certains aspects de la pastorale des vocations des Instituts missionnaires aient parfois donné l’impression que chacun travaillait d’abord à sa propre survie, sans beaucoup de coordination, cependant les choses ont bien changé ces dernières années, principalement grâce à une réflexion commune des délégués aux vocations et aussi grâce à une évolution dans la façon même de comprendre la Mission aujourd’hui.
Au début de cette année durant laquelle va se tenir le Congrès National Missionnaire à Lisieux, il peut être bon de faire le point : où en est, aujourd’hui, la pastorale des Vocations missionnaires ?

l - QUELQUES CONVICTIONS FONDAMENTALES

Les rencontres entre délégués aux vocations missionnaires qui ont eu lieu principalement dans le cadre de l’Atelier "Vocation missionnaire" du S.N.V., permettent de dégager quelques orientations fondamentales qui sous-tendent la pratique.

L’appel à la mission universelle est d’abord adressé par Dieu à toute l’Eglise, et pas seulement eux membres des Instituts missionnaires. Les missionnaires, prêtres, religieux, religieuses ou laïcs, ne sont donc pas des "spécialistes" de la mission, comme si cet aspect de la vie de l’Eglise leur était réservé en propre. C’est véritablement toute l’Église qui est missionnaire par sa nature même. Une communauté chrétienne ne peut se dire vraiment communauté d’Eglise que si elle réalise en elle, d’une façon ou d’une autre, cette dimension universelle de la mission, cette réponse à l’appel de Dieu à son Peuple d’être "témoin parmi les nations". Cela signifie également que l’Eglise n’est pas pleinement missionnaire si elle ne conçoit la mission qu’à l’intérieur d’elle-même.

Cette première conviction oriente déjà vers des conséquences pratiques :
Une pastorale des vocations missionnaires ne peut être qu’une pastorale d’Église, vécue en Eglise. Et nous aurons à préciser plus loin ce que cela implique dans le concret. Il importe aussi que les communautés elles-mêmes vivent d’une certaine façon la mission et la solidarité universelle. Et ceci doit être l’un des objectifs d’une pastorale des vocations missionnaires.

Dans la ligne de cette première conviction que je viens d’évoquer, l’ensemble des délégués aux vocations des instituts missionnaires réalise de mieux en mieux que le but de leur action pastorale n’est pas tellement la survie de chaque institut, mais d’abord la continuité de la Mission universelle de l’Eglise. Il faut être clair sur ce point : Il ne s’agit, nullement ici d’évacuer, ni même de négliger, le charisme propre et la spécificité de chaque institut. Chacun a son rôle propre et son histoire, et donc chacun a sa place dans la vie et le dynamisme missionnaire de l’Eglise. Mais il est important de bien situer les choses : les instituts sont au service de cette action missionnaire de l’Eglise, et celle-ci reste première.
On peut alors admettre que les divers instituts n’épuisent pas les multiples possibilités de réaliser une vocation missionnaire. Et une pastorale des vocations missionnaires doit certainement se faire accueillante à tous ceux qui désirent authentiquement se mettre au service de la mission universelle de l’Eglise, les aider à cheminer et à discerner l’appel du Seigneur. C’est là, je crois, le moyen de mettre en oeuvre une véritable pastorale d’Église, dans le respect des charismes propres de chaque institut.

Si l’on parle de vocation missionnaire, la question se pose immédiatement :
qu’est-ce que la mission aujourd’hui ? Je n’ai pas à refaire ici une histoire de l’évolution de la mission au cours des dernières décades. Je voudrais simplement exprimer ce que l’on entend aujourd’hui lorsqu’on parle d’appel à la mission.

Il s’agit d’abord et fondamentalement de l’annonce de Jésus-Christ et de la Bonne Nouvelle du Salut. C’est à cela d’abord que Dieu appelle son Eglise, et c’est pour cela qu’il envoie ses Apôtres.
Mais cette annonce de l’Évangile ne se fait pas à la manière de conquérants. Il est frappant de remarquer à quel point le témoignage des missionnaires aujourd’hui insiste sur le fait qu’ils ont eu autant à recevoir qu’à apporter. Rien ne peut mieux illustrer le fait que la Mission est aussi dialogue. L’annonce de Jésus-Christ ne peut se faire qu’avec un très grand respect des personnes auxquelles elle s’adresse et de ce qu’elles vivent. La mission exige donc une grande qualité d’écoute : connaissance d’une autre culture et de toutes les richesses que peuvent vivre des peuples qui professent une autre religion. L’appel à la mission devient donc un appel à rendre visible dans l’Eglise, la richesse infiniment variée du visage du Christ à travers les divers peuples et civilisations.

La mission telle qu’elle est vécue aujourd’hui s’exprime souvent aussi en terme d’échange. Si l’Eglise doit vivre concrètement son universalité, le mouvement missionnaire ne peut pas être seulement à sens unique. La découverte des richesses des autres cultures appelle nos Eglises d’occident à accueillir d’autres expressions, asiatiques, africaines ou américaines, de l’Evangile et de la Foi chrétienne : Il ne s’agit pas là de faire appel à un personnel venu d’autres continents pour boucher les trous dus au manque de vocations. Si la mission vise à exprimer le caractère universel de l’Eglise, cet échange est effectivement un des aspects vécus de la mission.

Les problèmes du sous-développement, la question des droits de l’Homme et les situations d’injustice entre les peuples préoccupent beaucoup de personnes aujourd’hui et principalement des jeunes. Ceci amène parfois à confondre l’activité missionnaire de l’Eglise avec le travail pour le développement ou les oeuvres humanitaires. Il est heureux que les missionnaires se laissent interpeller par ces drames humains et qu’ils fassent tout leur possible pour aider à les résoudre.
Ceci aussi c’est l’annonce de l’Evangile, ainsi que le rappelait Paul VI (Evangelii Nuntiandi).
Mais la question qui se pose à nous, ici, dans le cadre d’une pastorale des vocations missionnaires, est la suivante : Comment la prise de conscience de ces situations d’injustice peut-elle être perçue comme un appel de Dieu ? C’est la responsabilité des délégués aux vocations de discerner avec les jeunes, s’il ne s’agit pas là, au-delà de sentiments humanitaires, d’un véritable appel de Dieu pour un engagement au service de l’Evangile.

Voilà donc quelques-uns des éléments qui ressortent de la réflexion sur la pastorale des Vocations dans les instituts missionnaires aujourd’hui. Je ne prétends évidemment pas avoir tout dit. Mais il me semble que ces quelques points sont plus directement susceptibles d’en éclairer la pratique.

2 - LA PRATIQUE

Une des premières choses qu’on peut noter dans la pratique des instituts missionnaires, concernant la pastorale des vocations, c’est une certaine priorité donnée à l’animation missionnaire. Cette priorité existe au point que, dans certains instituts, animation missionnaire et pastorale des vocations ont été simplement confondues. Très souvent, il n’y avait pas de délégué aux vocations, mais seulement des délégués à l’information et à l’animation missionnaire. Ceci relève du souci tout à fait légitime d’ouvrir d’abord les communautés chrétiennes à la dimension missionnaire, avant de chercher à susciter des vocations. C’était peut-être aussi l’expression d’une certaine timidité : on n’osait pas annoncer franchement la couleur et appeler directement au service de la mission.
Actuellement, ces deux services sont le plus souvent distincts : il y des délégués aux vocations qui assurent plus directement l’éveil et l’accompagnement des jeunes, et des délégués à l’animation missionnaire qui s’adressent davantage à des groupes plus larges. Généralement, les services d’animation missionnaire ne se contentent pas d’actions purement ponctuelles ; le plus possible, ils favorisent des interventions qui sont assurées d’une certaine suite : soit avec des interventions successives, soit avec le lancement sur place, d’un groupe missionnaire capable d’entretenir une ouverture vers les Eglises des autres continents.

Les responsables de la pastorale des vocations dans les Instituts missionnaires ont de plus en plus le souci d’en faire véritablement une pastorale d’Eglise.
Concrètement cela se vérifie déjà par l’existence d’un délégué des instituts missionnaires à l’équipe nationale du service des vocations, et par l’existence de l’atelier des vocations missionnaires où la plupart des instituts missionnaires masculins et féminins sont représentés.
Ceci implique aussi une articulation du travail au niveau des régions et des diocèses. Il y a déjà plusieurs commissions régionales des vocations où les instituts missionnaires sont représentés. D’autre part, je crois que les délégués des instituts font vraiment leur possible pour que les activités vocationnelles qu’ils organisent se fassent en collaboration avec les services diocésains. Ainsi, lorsqu’il s’agit de jeunes se présentant avec un projet de vie missionnaire, je pense que la plupart des délégués des instituts ont le souci de les mettre en lien avec un Service Diocésain.

Une autre façon de réaliser une pastorale d’Eglise c’est de favoriser une plus grande collaboration inter-instituts. Cette collaboration existe déjà au niveau de la réflexion et des échanges. Dans les réalisations pratiques, il y a encore beaucoup de progrès à faire en ce domaine. Mais il y a eu plusieurs fois des sessions d’éveil ou de discernement qui ont été organisées par plusieurs instituts ensemble. Il en est de même pour certaines sessions d’animation missionnaire. Et chaque fois, autant les animateurs que les participants soulignent l’avantage de telles pratiques spécialement grâce à la diversité des témoignages qui apporte une plus grande ouverture.

Il est une préoccupation qui est, je crois, commune à tous les instituts : c’est le recherche de lieux de visibilité. Il y a là une difficulté réelle. Les instituts exclusivement missionnaires n’ont, la plupart du temps, aucune insertion pastorale en France. Et c’est précisément cette difficulté qui a donné naissance à l’implantation de plusieurs petites communautés d’accueil en divers endroits de France.
Ces communautés de trois ou quatre missionnaires ont à la fois l’avantage d’être une présence visible et d’assurer une certaine intégration à une pastorale locale et aussi, l’inconvénient de limiter à un diocèse ou à une région déterminée. Une autre façon de pallier à ce manque de visibilité, c’est l’organisation de certaines activités propres à un institut ; un camp de vacances, une route ou un pèlerinage.

Un effort est fait aussi par quelques instituts pour que ces lieux de visibilités soient en même temps des lieux de rencontre de l’autre.
Quelques-unes des communautés mises en place sont des communautés inter-nationales. Ceci est peut-être plus fréquent dans les instituts féminins où des religieuses venues d’Afrique ou d’Asie, sont membres de communautés d’accueil en France. C’est là une excellente manière de réaliser la mission sous forme d’échange.
Certaine des routes ou pèlerinages qui sont organisés sont parfois aussi ouverts à des jeunes de différentes nationalités. Il y a là déjà une première réalisation de l’ouverture à d’autres mentalités.

CONCLUSION

Voilà donc quelques aspects de ce que peut être, aujourd’hui, la pastorale des vocations missionnaires.
En terminant, je voudrais encore signaler un état de fait qui se pose à moi comme une question. Divers organismes de coopération missionnaire en France font un effort tout à fait remarquable, au moins dans certains diocèses, dû en particulier au travail des délégués épiscopaux à la coopération missionnaire (DECM) et aux groupes d’animateurs du Service Missionnaire des Jeunes (SMJ).
Certaines régions ont organisé des week-ends ou des journées d’animation missionnaire particulièrement réussis. On pourrait souhaiter que ce soit là un terrain privilégié de collaboration entre les instances de coopération missionnaire, les instituts et les services de vocations. Il faut évidemment veiller à ne pas faire de la "récupération" dans un sens ou dans l’autre. Pourtant je crois qu’il y a là des occasions tout à fait remarquables pour que d’une part, les services de vocations s’ouvrent davantage à la dimension universelle et, d’autre part, les services de coopération missionnaire soient plus conscients de leur responsabilité dans l’éveil des vocations.
En tout cas, ce que nous souhaitons le plus vivement c’est que le Congrès missionnaire de Lisieux soit l’occasion d’une collaboration et d’une articulation toujours plus grande et plus efficace entre les divers services d’Eglise qui sont ordonnés à la mission et à la pastorale des vocations.

En commençant cet article, j’évoquais la situation d’Abraham et de Sara devenus vieux et laissés sans enfants. Je n’oublie pas, évidemment, qu’Isaac est né quelques temps plus tard, sur une intervention de Dieu.
Il ne s’agit pas de se consoler en rêvant que Dieu, après tout, fera sans doute un miracle !.... Ce rappel biblique me fait simplement penser que, si importantes et si nécessaires qu’elles soient, nos activités et nos initiatives devront toujours s’enraciner dans la prière et dans l’écoute de ce que Dieu veut pour son Eglise, aujourd’hui. Et j’ai de plus en plus la conviction que c’est en faisant un travail d’Eglise et en Eglise, ce qui suppose concertation et collaboration, que nous correspondrons le mieux à cette volonté du Seigneur pour que son peuple continue sa mission.

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* Jean Dantonel, prêtre des Missions Etrangères de Paris, est membre de l’équipe pastorale du Service National des Vocations [ Retour au Texte ]