Les jeunes et l’avenir de l’Eglise


Dans la conjoncture actuelle, celle d’un monde traversé par des dynamismes nouveaux ou marqué par une manière nouvelle de vivre des dynamismes anciens, spécialement au niveau des jeunes, quels sont les enjeux pour l’Eglise ?

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Yvon BODIN, du S.N.V., membre de l’équipe d’animation, avait accepté de porter sur tout ce que témoignages et carrefours nous auraient révélé l’éclairage doctrinal indispensable.

Les pages suivantes sont rédigées par un auditeur attentif qui a pu disposer d’un bon enregistrement. Elles ont été soumises au conférencier qui s’yest reconnu.

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LES JEUNES ET L’AVENIR DE L’EGLISE

Remarques préalabIes

1) La question posée est celle de la mission, de l’évangélisation.
Nous savons que l’Esprit-Saint travaille au coeur du monde. Nous sommes invités à signifier la foi en pleine vie. C’est en cela que se fonde l’avenir de la foi. Mais connaissons-nous bien l’énoncé des nouvelles questions ?

Il ne s’agit plus seulement d’une question de générations, avec les conflits bien connus. Il s’agit de transmettre la foi à des gens d’une autre culture, d’un autre monde où nous risquons d’être des étrangers si nous ne consentons pas, de quelque manière, à nous faire nomade avec eux.

C’est de la jeunesse d’aujourd’hui qu’il s’agit. Ne croyons pas trop vite la connaître à partir de nos expériences passées.

2) Cette jeunesse est plurielle.

Il y a la grosse masse, entraînée dans le flux des évolutions rapides, avec les traits de mentalité caractéristiques de notre époque.

Il y a aussi les marginaux, petites minorités, particulièrement marquées par le phénomène des nouvelles cultures.

Et puis des gars et des filles, marqués, eux aussi, par l’air du temps, mais qui s’engagent avec lucidité dans les combats actuels.

Enfin, tout simplement, tous ces gens, les "gens de chez nous", pour qui la vie, la mort, l’amour sont autant d’expériences qui font le tissu de leur existence.

Les jeunes dont nous parlons sont plongés dans ces réalités, influencés par ces courants et, quelquefois, ça évolue très vite. Soyons donc modestes ...

3) Peut-on parler chez ces jeunes d’une "montée d’humanité" ? oui, sans doute.
Elle s’exprime à la fois comme un cri, un refus, mais ce cri est une attente.

Si nous observons un phénomène massif de"contre-culture", nous reconnaissons en son épicentre une recherche massive de sens.

On croyait à un avenir meilleur, aux possibilités illimitées de la raison, de la croissance, de la technique... ; et voilà que c’est la survie même de l’espèce qui est en jeu. "La fête s’est métamorphosée en un grand frisson. Chez les jeunes, l’homme refuse d’être réduit à un être de besoin. Il est un être de désir et de dépassement de son désir. C’est cela qu’il crie, d’une manière ou d’une autre. On est en quête d’un nouveau type d’homme. On cherche un sens à l’existence personnelle, à l’histoire, à l’univers.

Deux questions

- L’ampleur d’un tel changement est-elle une chance pour le christianisme ?
Et tout d’abord, de quel christianisme parlons-nous ? De quelle foi s’agit-il ?
N’y a-t-il pas risque de récupération ?

D’où une première question : Dynamismes et foi.

- D’autre part, on remarque une certaine séduction pour le Christ et l’Evangile. Mais cela va quelquefois de pair avec une certaine distance prise par rapport à l’institution, par rapport à l’Eglise.

D’où la seconde question : Dynamismes et Eglise.

1 - DYNAMISMES ET FOI

Des champs nouveaux se présentent à l’évangélisation. Mais s’agitil d’une chance pour le christianisme ?

Le diagnostic de départ se doit d’être nuancé : la" foi n’est pas nécessairement dans le prolongement de ces dynamismes qui charrient souvent le meilleur et le pire. Elle ne lui est cependant pas étrangère, tout en demeurant au-delà.

A/ Créer un espace pour l’homme, est-ce nécessairement créer un espace pour Dieu ?

Le préalable nécessaire à la foi est Ie sacré que l’homme porte en lui. Or nous nous trouvons devant une résurgence du sacré. Mais de quel sacré s’agit-il ? Est-ce le sacré chrétien ?

Pour tenter de discerner, quelques jalons :

1) Un constat : le refus du non-sens prend aujourd’hui une dimension prodigieuse. Il prend une coloration religieuse. Mais ce n’est qu’un aspect d’un phénomène plus large, celui de la contre-culture contemporaine. On cherche une autre conception de l’homme qui laisse place au silence, à l’écoute, à l’accueil, à l’étonnement et, dans certains cas, à l’extase, à la contemplation, ou à des recherches de "spiritualité".

C’est ainsi que s’ouvre, en contre partie de la raison technicienne du volontarisme et de l’action efficace, un espace où l’on peut tendre vers autre chose.

2) Cependant ce sacré est un sacré séculier, le verso d’un procès intenté à l’humanisme occidental, qu’il soit marxiste ou bourgeois. C’est un sacré profane, peut-être a-religieux (ce qui ne veut pas dire anti-religieux). Il exprime moins le problème ou la recherche d’un au-delà de l’homme qu’une tentative pour trouver son en-deça, c’est à dire ses racines, ses origines.
C’est l’homme qui motive et non la divinité.

3) Nous sommes souvent en présence d’un néo-paganisme qui confond l’idole avec l’icône. Jean Vernette dans son ouvrage "Au pays du nouveau sacré", nous en propose quelques manifestations :

  • Le vitalisme. On insiste plus sur l’intensité de la vie que sur sa conversion. Il s’agit surtout d’être "bien dans sa peau".
  • La ferveur écologique, un retour à la nature, à la terre.
  • Le panthéisme cosmique. Dieu n’est plus quelqu’un, mais "ça". Dieu, c’est tout et c’est rien, mais on en parle volontiers. Nous avons là une sorte de syncrétisme sentimental et émotionnel.
  • Un certain utopisme. Une façon de sentir les choses, généreuse et romantique.

B/ Cela dit, il y a peut-être aussi des pierres d’attente pour la foi.

Le Royaume est en chantier en tout cela. Essayons de jeter des passerelles entre ces aspects nouveaux de l’homme, ses comportements nouveaux , les valeurs dont il fait l’expérience et les valeurs évangéliques.

Peut-être pouvons-nous repérer trois points d’appui.

1) Le vrai préalable de la foi se trouve dans l’homme lui-même.
Il est mystère d’ouverture et de communion. Le vrai sacré, c’est l’homme qui se découvre comme être de désir et d’au-delà de don désir.
Or il se trouve que le sacré, dont on observe aujourd’hui le retour, se déplace des choses vers l’homme, vers le coeur de l’homme, vers son lieu d’origine. Dès lors la Bonne Nouvelle a plus de chance d’être perçue comme parole de tendresse venant d’ailleurs, s’il est vrai. que c’est le coeur de l’homme qui est touché par cette vague du sacré.
Ce n’est pas la foi, mais c’est peut-être une chance pour l’évangélisation. L’expérience d’une altérité au coeur du quotidien peut être une expérience de sortie de soi, de désapprobation. Même si c’est encore embryonnaire, cela peut être une pierre d’attente pour l’expérience de l’Altérité.

2) Un autre point d’appui, à la lumière du Mystère de l’Incarnation : en régime chrétien, il n’y a pas de frontière entre le profane et la foi. A la différence des autres religions, la foi pénètre tout ; elle n’est pas en "résidence surveillée". Pour le chrétien, c’est toute l’existence qui est sacrée et peut devenir lieu de sanctification. Tout, hormis le péché, peut devenir matériau de résurrection.

3) A vrai dire, l’avenir de la foi tient surtout, non plus tant à l’ouverture de l’homme vers Dieu, qu’à l’ouverture de Dieu vers l’homme. Si le sacré en l’homme peut être une ouverture à la foi, il faut reconnaître que le plus important c’est que Dieu soit ouvert à nous.

C’est l’étonnante nouvelle de bonheur ; Dieu est tendresse pour l’homme et ne peut se défaire de ce projet d’amour. De ce fait, le Royaume est déjà là. Il déborde, et de combien, les frontières de l’Eglise visible.

L’Esprit est au travail dans le monde. Le Christ, grâce à lui nous précède dans la "Galilée" de chaque personne. Porteur de son Esprit, il a déjà travaillé ce monde et le travaille à tout instant en y jetant la semence de sa Pâque.

C/ Des jalons ..., des points d’appui ...

Risquons quelques applications :

1) La démystification du progrès, la contestation de la société d’abondance pourraient être une approche de le pauvreté de Jésus.

2) Le primat donné à la rencontre, au partage, à la communion pourrait être une ouverture au respect de la personne, à cette richesse décisive qu’est pour le chrétien une communauté de frères.

3) Le gratuit, ce qui n’est pas utile, le sens d’une meilleure relation, sont caractéristiques d’un monde fait pour les hommes. Tout ce qui est de l’ordre de la relation, si c’est évangélisé, peut être une ouverture à ce que la foi nous dit de Dieu et d’elle-même, à savoir qu’elle est vie en communion avec et pour un Dieu qui est relation, communauté.

4) L’aspiration a être soi, à s’exprimer, à se réaliser ouvre à la liberté.
La réponse que j’ai à donner, dans la foi, est une réponse libre à l’appel de Dieu. C’est donc une ouverture possible à la liberté évangélique, celle d’un choix pour Dieu, d’une décision pour Jésus-Christ.

5) Enfin l’angoisse d’être, cette sorte de question métaphysique du sens, souvent perçue de façon négative, peut être aussi ,l’occasion d’une ouverture au sens inédit et inattendu de Dieu et de l’Evangile.

Dieu est toujours celui qu’on n’attendait plus. Son surgissement a quelque chose d’original.

Bien sûr la foi est toujours au delà. Si de tels comportements et de telles valeurs peuvent être considérées comme pierres d’attente, ils ont besoin d’être évangélisés.

La foi est un don de Dieu qui nous propose son Alliance et sollicite notre réponse. L’ouverture du coeur est nécessaire mais elle n’est pas suffisante pour passer de l’idole à l’icône. Il y faut la conversion, la présence de l’Esprit, énergie de tous les passages.

Cet Esprit se donne dans l’Eglise.

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II - DYNAMISMES ET EGLISE

Observer les dynamismes qui travaillent notre monde nous fait remarquer certains déplacements qui posent question par rapport à l’Eglise.
Commençons par un constat. Nous proposerons ensuite quelques critères de discernement.

A/ Un constat

Les causes sacrées mobilisent toujours les jeunes ; mais leurs engagements sont assortis de certains déplacements qui méritent attention.
Relevons-en quatre :

  • De l’adhésion à la recherche. Nous pourrions dire du discours au parcours.
    On donne plus d’importance à l’expérience qu’au dogme.
  • De l’institué au vécu.
  • De la doctrine à la spiritualité. On est plus en recherche d’un supplément d’âme que d’un credo.
  • Du notionnel à l’émotionnel.

Dans ce contexte, on doit être attentif à deux types de déplacements dans le christianisme catholique.

1) Une certaine façon nouvelle de se consacrer à l’Evangile.
On parle de "radicalisme", de "radicalité". Qu’y a-t-il sous ce mot ? C’est la recherche de Dieu qui compte avant tout, le désir de se donner pour l’Evangile, pour Jésus-Christ. Cela passe avant les procès intentés à la société, à l’Eglise ou aux institutions dans l’Eglise.
Cela entraîne un autre déplacement, celui de fuir le monde pour faire un monde autre. Sortir pour aller ailleurs sous l’influence de certains modèles qui vous donnent des raisons de vivre. On conviendra que ce n’est pas toujours très pur.

2) Un certain mouvement communautaire. Cette recherche de la communauté se fait sous le signe de l’impatience et de l’immédiateté ; avec, parfois, une recherche de tendresse, de chaleur euphorisante.

Posons-nous deux questions :

  • Le christianisme est-il un donné transmis et reçu ou est-il vécu et interprété librement ?
  • Est-ce que la dimension doxologique vécue plus intensément dans le cadre communautaire est assortie de l’autre dimension qui doit aller de pair, celle de l’engagement dans la mission ?

B/ C’est le moment de nous proposer quelques "critères d’ecclésialité".

1) L’Eglise est fondation de Dieu en l’Esprit de Jésus. Cela signifie qu’elle n’est pas Eglise d’elle-même. Elle ne se convoque pas elle-même. Il faut donc reconnaître l’initiative de Dieu. Elle rassemble les personnes qui reconnaissent cette initiative.

2) Elle rassemble ceux qui prennent Jésus Christ comme Maître et Seigneur et qui en sont les témoins. C’est en cela qu’elle consiste.

3) Elle est cet ensemble de personnes qui tirent leurs pensées, leur doctrine, leurs attitudes de foi et de vie, de l’enseignement des Apôtres et de leurs successeurs. A leur suite, ils se savent envoyés en mission.

4) Elle porte une attention particulière à la communion fraternelle. Elle se veut communauté de frères (Actes 2, 42). Il s’agit pour eux du vivre la loi d’Amour.

Quatre critères que l’on peut formuler ainsi, de façon différente :

  • la confession de la foi
  • la communion
  • le sens de la mission
  • la reconnaissance du ministère ordonné.

Autant d’éléments qui se nouent et trouvent leur cohérence dans l’Eucharistie, moment suprême de la réalisation de l’Eglise.

DES CONCLUSIONS ET DES APPELS

  • Un parti pris de sympathie. Savoir faire abstraction de nos schémas, de nos modèles, de nos propres cadres de référence. Etre capable de nous étonner, de nous mettre à la place des autres, de nous convertir.
    Le monde d’aujourd’hui est différent de celui d’hier. Sans doute n’est-il pas meilleur. Pourquoi serait-il pire ?

  • Nous avons aussi à réapprendre à gérer le sacré. Ce sera peut-être retrouver ce qu’il y a de positif dans l’inutile, dans une certaine chaleur, une certaine qualité de vivre ensemble. Prendre le temps d’écouter, de vivre, de prier. Une foi chrétienne chimiquement pure pourrait être dangereuse...

  • Il y a aussi le courage de la créativité. La réinvention, à base de théologal.
    Dépasser l’organisation pour mieux vivre la communion au Christ, la communion aux frères. Ce sera dévoiler le visage du Christ.
    Donner le primat à la liberté sur l’ordre. Vivre mieux la communication.

  • Cela n’empêche pas de tenir des exigences. Au contraire, c’est indispensable :
    - Avoir le courage de rappeler que l’Eglise est aussi Institution. Avoir le courage de l’ "orthodoxie", nécessaire à l’ "orthopraxie".
    - Nous rappeler que nous sommes précédés, entourés, redevables de beaucoup d’autres témoins. Le christianisme est toujours à inventer mais pas jusqu’à ses racines.

  • Enfin, nous renvoyer toujours à la mission, au réel.
    Cela n’ira pas sans exigence intellectuelle. Nécessaire pastorale de l’intelligence sans laquelle expérience et émotion seraient dangereuses.
    Bref, former en nous des personnes libres, éclairées par une foi qui engage tout l’être dans un acte d’obéissance à Dieu.