Ils ont droit à l’Eucharistie


- Un animateur de Foyer partage son expérience, ses convictions -
Récemment, l’atelier "Foyers-Séminaires de Jeunes" qui se réunit au S.N.V. publiait un document important pour faire le point de la situation et proposer des perspectives d’avenir.

Le témoignage suivant permet de pénétrer un peu plus avant dans ce que peut être la vie profonde d’une équipe de jeunes en Foyer.

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A partir des jeunes du Foyer dont j’ai la charge, je me pose la question : ces adolescents, vont-ils découvrir l’Eucharistie ? Cela m’oblige à me renouveler moi-même pour chercher avec eux les voies de cet appel vers l’Eucharistie que, certainement, le Christ leur lance. Les "ado" ont droit à l’Eucharistie... Un droit ! Peut-être est-ce un mot à privilégier. Ils n’entendent souvent parler de l’Eucharistie qu’en terme de "devoir", d’obligation.

Après une période de fidélité, de goût même pour l’Eucharistie, arrive avec les 16-15 ans une désaffection. L’attachement de l’enfant de naguère était profond, riche, lié habituellement à une participation active dans le service liturgique : préparer l’autel, porter une aube, "servir la messe", faire la lecture, donner des intentions, être au groupe de chante... Souvent l’adolescent de 15 ans ne veut plus se montrer, il n’a plus goût à se mettre en avant, ni devant les gars et les filles de son âge, ni devant les adultes a fortiori. A l’Eglise, il préfèrerait rester derrière, anonyme. Il dit ou montre qu’il aime mieux désormais une messe où il n’a rien à préparer, à dire, à faire : ça ne lui dit plus rien. (Sauf d’heureuses et indispensables exceptions en des jours favorables à susciter régulièrement).

Il décroche ? Comme tant d’autres ? Est-ce bien vrai ? Comprendre que ce recul n’est pas mépris du Seigneur. Que même l’abstinence eucharistique - si elle n’est pas perpétuelle - traduit une plus exacte liberté.
Accepter toutes les transformations psychologiques et personnalistes de l’adolescence. Mais ...

Mais, éducateur, prêtre, je ne dois pas en rester là. Le trop fameux "ça ne me dit plus rien", je ne veux pas le leur laisser accepter comme une fatalité. Par dessus tout je dois croire, et je crois très fort, grâce à de nombreux signes, en la foi très réelle de ces adolescents. Et je dois les aider à se convaincre eux-mêmes de leur foi et de leur amour du Christ. Notamment s’il y a eu ou s’il y a toujours un projet de vocation : le jeune est le premier désemparé, désorienté, de ne plus éprouver le même attrait pour les "choses de Dieu", la même joie pour ce qu’il aimait auparavant. Est-ce le Seigneur qui s’éloigne, ou lui qui s’éloigne du Seigneur. Est-ce que sa vocation était illusion ?

A ce moment charnière de leur vie chrétienne, jusqu’ici très basée sur le culte liturgique, je suis là. C’est leur chance, je l’espère : ils ont besoin d’une compréhension, d’une aide, d’un aiguillage vers un autre style de fidélité au Seigneur, et donc à l’Eucharistie. Ils vont vers une perception plus adulte et plus totale de l’Eucharistie, alors que, s’ils ne sont pas aidés, ils croiraient s’en éloigner inéluctablement comme le satellite quittant la zone d’attraction de son astre.

Perception plus totale parce que plus en lien avec leur vraie vie, leurs problèmes, leurs doutes eux-mêmes, l’éveil de leur puissance d’aimer.

Je dois pousser l’adolescent à trouver le lien entre l’Eucharistie et la vie : sa vie et celle des copains, leurs aspirations, leur avenir, leurs contradictions (En particulier, ces contradictions difficiles qui frappent tous les éducateurs d’ados, entre le besoin accru de vie collective et le besoin, non moins accru, d’une vie secrète, individualiste, "qui ne regarde personne", et qui rend si mal aisé de se confier).
L’adolescent pressent déjà des choix et des refus ; des solidarités (oh combien !) et des contestations. C’est très difficile pour un adulte de discerner clairement entre les complicités et les solidarités, combien plus encore pour l’adolescent. Îl n’y a qu’un grand amour du Christ, une amitié avec lui, entretenue par l’Eucharistie notamment qui peut soutenir dans ces combats.
Je dois pousser l’adolescent vers l’engagement "pour un monde nouveau" :
c’est à dire à une sortie de soi, à un don de soi aux autres, pour essayer de neutraliser l’autre tendance au repli, à la fermeture sur soi. La participation à l’Eucharistie ne sera plus une participation "d’enfant de choeur".
Elle doit être "constructive" de sa vie... Je dois aller dans ce sens, mais ce n’est pas perçu ni réalisé en un instant par des jeunes. Faire confiance au temps, mais surtout faire confiance à Jésus-Christ. Le pain de Vie aura-t-il la saveur aimée et recherchée d’un pain indispensable à la vie ? Restera-t-il au contraire "le pain qui n’a pas d’affamés" ? (Mgr Maziers)

Enfin il me paraît capital d’être "témoin". Témoigner que toute ma vie est "Eucharistie", du matin au soir. Montrer qu’à l’heure de l’Eucharistie, le Coeur du Christ, par moi, mais bien sûr aussi par eux, est tout entier livré au monde, à mes frères. Le temps fort de la célébration se prépare et se prolonge ; il s’enrichit de tout le vécu de ma vie, de leur vie, de la vie du monde. "Il a donné sa vie pour nous, nous devons, nous aussi donner notre vie pour nos frères". Ce mot de Jean, c’est toute l’Eucharistie résumée.

Je suis convaincu que le rôle d’un Foyer (séminaire) de Jeunes est là : tout centré sur l’Eucharistie, découverte, vécue... Après cela, le Seigneur verra s’il a besoin de tel ou tel pour un ministère sacerdotal, une vie religieuse ou missionnaire, ou pour être un chrétien laIc. Une chose est certaine : l’appel à l’Eucharistie, parce qu’il est appel à vivre l’Evangile dans le monde, ce n’est jamais une illusion.

Comme le dit le Centre National des Vocations, l’Eucharistie est au coeur de tous les appels, de toutes les vocations... même à l’adolescence.

Michel PORTEVIN
(Lourdes)