Discernement religieux et coopération


Anne, Cécile et Gaël ont pris tous les trois le chemin de congrégations religieuses à leur retour de coopération. Ce temps de volontariat a été pour eux trois déterminant car ils y ont fait l’expérience de Dieu et ont pu ainsi connaître davantage leur vocation.

Des jeunes de retour de coopération

Comment être parmi les « petits » ?

Si au départ, Cécile, volontaire au Bénin ne mettait pas forcément le mot « Dieu » sur le sens qu’elle voulait donner à sa vie et que Anne, volontaire au Brésil voulait vérifier si l’appel qu’elle entendait « était bien celui de suivre le Christ », le cheminement de ces deux postulantes comporte certaines similitudes. On pourrait dire que, pour Anne et Cécile, tout a commencé « très simplement » : en se laissant toucher par et abandonner à ce qu’elles vivaient.

Se laisser toucher et questionner, une étape nécessaire pour faire résonner Dieu. Comme témoigne Anne : « L’éloignement de la famille et des amis, de son environnement familier favorise le fait d’être “neuf”, c’est-à-dire d’arriver dans un lieu où personne ne connaît votre histoire ni même votre environnement, vous remet face à vous-même. Quelle est en effet la part de moi-même qui n’est que la projection du désir des autres et quelle est celle qui m’appartient vraiment ? C’est aussi pouvoir vérifier que l’on est capable de vivre un tout petit peu ce que demande le Christ : “Va, quitte tout et suis moi...” L’accueil, la simplicité dans les relations (spontanéité), la démonstration des sentiments, la vie à court terme tels qu’ils sont vécus au Brésil m’ont obligée à m’ouvrir plus, à faire confiance. La confiance et l’ouverture sont indispensables pour vivre une relation à Dieu qui soit une relation d’amour. »

Pour Cécile, « travailler avec le Père Christian et le Père Bernard, responsables de ma communauté d’accueil à Abomey, visiter régulièrement les Sœurs de l’Assomption, qui étaient à six kilomètres de mon lieu de travail, cela amène à s’interroger ! Au début, on se dit que ces gens sont “fous” à rester ici toute leur vie comme religieux ! Petit à petit, au contact des plus pauvres, de la mort, de la vie, on se laisse transformer, toucher… Alors, pourquoi pas moi ? Et si au fond de moi, je recherchais ce que vivent ces religieux ? »

Participer à l’œuvre de l’Eglise

Ce qui a été aussi déterminant, c’est de travailler en Eglise et de prendre conscience du rôle qu’elle peut et doit jouer. Pour Anne, « les premiers mois de coopération ont été un temps de solitude et de temps libre (parce que nouvelle, étrangère, et pas encore trop impliquée dans le travail), ça a donc été un temps privilégié de prière, de relecture de ma vie et de lecture (merci François Varillon et Albert Rouet...). Comme je travaillais pour le diocèse, j’ai donc eu l’immense chance de partager un peu du quotidien de l’évêque et de voir beaucoup d’aspects de l’Eglise locale. J’ai en plus vécu quelques mois au diocèse et ai pu aller à la messe quasiment tous les jours pendant ce temps, et avoir un oratoire à côté de ma chambre. J’ai ensuite partagé la vie de deux religieuses, dans un quartier plus populaire.
La foi et le travail de l’évêque, de certains prêtres et religieuses et de certains laïcs, ont été pour moi un témoignage très fort. La joie des célébrations aussi est très communicative. Enfin, le Brésil donne un visage différent de l’Eglise avec les communautés de base et la rareté des prêtres, l’importance accordée à la lecture de la Bible et aux groupes de partage, une autre approche de la liturgie. Cela permet de comprendre le sens de l’universalité de l’Eglise, et aussi de mieux discerner l’essentiel. Etre coopérant, envoyé par l’Eglise de France, et appelé par un évêque, c’était aux yeux des habitants, être missionnaire. Ce que j’ai découvert de la mission de l’Eglise catholique au Brésil, c’est qu’elle est réellement celle qui doit aller là où aucun politique, aucun pouvoir public, ni même aucune association ou autre Eglise ne va ou ne reste. Souvent, l’évangélisation commence par la lutte contre la misère ou l’injustice. Car j’ai vu là-bas des gens en situation de survie ou submergés par les soucis, qui ne sont pas toujours capables d’entendre une homélie ou un cours de catéchèse – et qui ne sachant pas lire, n’ont pas accès à la Parole de Dieu. Cette lutte passe forcément par un travail d’union des gens, pour les faire agir ensemble dans un intérêt commun. Ce que l’Eglise apporte, c’est la vraie liberté et l’espérance. Là où un coopérant peut y contribuer, c’est en témoignant que le bonheur, ce n’est pas forcément le modèle européen et sa société de consommation (surtout par rapport aux jeunes qui nous admiraient !). C’est aussi en montrant que, si on est venu rejoindre la vie de ces gens, c’est qu’on pense qu’elle a du prix à nos yeux. Enfin, c’est travailler réellement en coopération, en écoutant et respectant l’existant, pour construire ensemble quelque chose de nouveau. »

Pour Cécile : « Au Bénin, j’avais un poste d’infirmière. Je travaillais en étroite collaboration avec le Père Christian et le Père Bernard (religieux camilliens) et Fabienne, une autre volontaire. Mon expérience au Bénin a été bouleversante. J’ai réalisé que toute seule, je n’aurais pas pu accomplir la tâche qui m’était donnée. C’est en partant que j’ai pu faire l’expérience de Dieu. C’est parce que l’on travaille ensemble et que Dieu agit à travers nous, que nous pouvons réaliser ce qui nous est confié. Ma foi m’a permis de donner un sens à la misère que je côtoyais quotidiennement. J’ai appris beaucoup de choses par la présence de malades : leur simplicité, leur joie de vivre m’ont beaucoup questionnée. »

Au service des « petits »

Pour finir, on peut reprendre les termes de Gaël, volontaire DCC au Tchad de 1995 à 1997. Il a vécu et travaillé au sein d’une cellule d’Eglise, une mission jésuite, où il a pu concrètement expérimenter ce que signifie le fait de vivre en mission : la vie en communauté au service d’une Eglise locale ; l’enseignement auprès des élèves du lycée jésuite ; le travail et l’assistance au sein de la prison de la ville de Sarh ; le travail aussi auprès des enfants de la rue pour lesquels, en colla­bo­ration avec d’autres volontaires DCC, il a monté un centre d’accueil et une association : « Globalement, cette expérience de vie me paraît traduire, pour le dire avec les mots de Paul, quelque chose de l’ordre de la kénose. Y prendre part, avec ses propres faiblesses et fragilités de volontaire DCC, c’est une manière d’apprendre à se dépouiller pour l’autre et à recevoir la vie, la joie, un sourire ou une grimace de l’autre à la manière dont le Fils la reçoit du Père (Jn 17). Là-dedans se cache ce à quoi la vocation religieuse, je crois, nous invite : vivre de la vie trinitaire de Dieu, dans le dépouillement kénotique, au service du Fils rencontré en chaque « petit » (Mt 25) et dans la louange de Dieu, manifeste chaque fois que l’on tente, aussi maladroitement que ce soit, d’œuvrer dans le sens de la justice (Is 58). »