Témoigner d’un Dieu d’amour


Petite Soeur Elli-Myriam
Petite Soeur de Jésus

Originaire d’Allemagne, je vis depuis douze ans à Casablanca. Très jeune, j’ai souhaité vivre, à la suite de frère Charles, une vie d’amitié et de prière parmi les musulmans. Pour moi, c’est une grande chance de vivre ici, même s’il n’est pas évident de se faire proche. J’ai dû perdre pas mal d’illusions. Il faut du temps, beaucoup de temps pour se laisser accueillir, se laisser adopter par les autres. Peu à peu. S’approcher avec respect, accepter de rester différent et surtout ne pas construire de nouveaux murs.
Je vis avec des croyants à la foi forte ; ils se savent reliés à Dieu. Dans ce peuple très religieux, qu’est-ce que ma vie peut apporter ? Je souhaite simplement témoigner d’un Dieu d’amour, aimant les pauvres, qui nous veut tous frères et sœurs dans la vie de quartier, dans le travail, dans la communauté. Même s’ils ne se convertissent pas, je veux aller vers eux avec amour, faire aimer le Christ sans regarder les résultats. Une influence sur les Marocains ? C’est une question qui ne correspond à rien pour nous.
Nous habitons un quartier périphérique de Casablanca dans une petite maison comme les autres. Quartier qui n’a pas très bonne réputation : on y a relogé les habitants d’un bidonville. Une sœur plus âgée reste à la maison pour l’accueil et les visites ; je travaille depuis dix ans dans un atelier de confection, dix heures par jour ; c’est pour moi un temps de rencontre possible avec Dieu et avec les autres. L’usine emploie mille sept cents personnes sur trois étages ; il y a onze chaînes d’où sortent six mille chemises par jour, destinées à l’exportation. Le travail est stressant, il y a beaucoup de bruit et les cadences de production ont presque doublé ces dernières années. Le salaire, inchangé depuis quatre ans, est de 10,80 dirhams de l’heure. J’ai l’impression que l’atelier de Nazareth, chez Joseph, devait être plus calme… J’aime bien ce travail. J’y vais à pied avec des milliers et des milliers d’autres qui rejoignent ce quartier industriel. On parle en chemin, comme sur la route d’Emmaüs, car on finit par se connaître. Franchir la porte de l’usine, c’est arriver chez moi. Mon travail : compter la production horaire et la porter au magasin. J’accueille le travail et la peine des ouvrières. L’ambiance est bonne : cadres marocains compétents qui font bien leur travail, des collègues toujours prêts à donner un coup de main et à pardonner les erreurs inévitables dans tout travail. J’ai aussi à m’occuper des fournitures ; j’ai donc à visiter tous les étages, ce qui me permet de rencontrer aussi bien la femme de ménage que le directeur. Parfois, il faut transporter des choses lourdes ; j’admire la gentillesse et la disponibilité de tous ceux qui se proposent pour m’aider.
Peu ont choisi ce travail. Le soir, on rentre fatigué après dix, parfois onze heures de travail. Et il faut toujours produire plus : la concurrence dans ce secteur est vive, alors on augmente les cadences pour que l’usine subsiste. Il m’arrive d’engager mes collègues à réagir devant les conditions de travail, à demander leurs droits parce que je me sens solidaire d’eux. On m’appelle souvent « Myriam dyalna » (notre Myriam) et c’est une joie pour moi de l’entendre. Un jour de grève des boulangers, une ouvrière m’accueille avec un pain qu’elle avait fait à la maison à mon intention : elle avait pensé à moi !
Vie de prière : une fois par semaine, nous avons l’Eucharistie à la maison. Nous y apportons les joies et les peines de ceux qui nous ont permis d’entrer dans leur vie. Je suis trop fatiguée pour supporter les grandes lectures ou considérations : la Parole me suffit et ma prière devient très simple. Importance de prier aussi en arabe parce que c’est la langue liturgique du peuple. Vie de quartier : beaucoup de souffrances, de soucis ; maladies, chômage sans solutions. Tous les vendredis, une famille prépare le couscous pour le partager avec nous. Le soir en rentrant, je trouve ma part. J’ai une place dans leur vie.
Mon lieu de vie est loin de la paroisse, mais je me sens liée à toute l’Eglise avec un grand désir de vivre l’unité. Et je suis en chemin pour m’ouvrir à du nouveau.