Le discernement des vocations féminines


Ce texte est une synthèse des travaux accomplis par plusieurs équipes de religieuses ou membres d’instituts séculiers de la région parisienne au cours de l’année 1975. Il présente des points de repère utiles à tOus ceux et à toutes celles qui se trouvent affrontés au problème du discernement des vocations féminines.

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Il m’est impossible de vous faire revivre, dans son intégralité, la promenade que nous avons faite, cette année, à une trentaine, sur les sentiers du discernement des vocations.

Je me propose toutefois de vous en faire parcourir rapidement quelques étapes et de vous faire partager quelques fruits de notre recherche, glanés ça et là au cours de notre longue randonnée. Celle-ci n’a pas manqué d’imprévus, de pistes inattendues, d’interrogations multiples parmi lesquelles il fallait, bien choisir, parmi lesquelles aussi il fallait bien passer.

En voici quelques-unes :

  • Comment discerner l’authenticité d’un appel à une vie consacrée ?
  • En quels termes la question de la vocation est-elle posée ?
  • Comment les jeunes expriment-elles ce qu’elles perçoivent être un appel à un célibat consacré.
  • De quelle disponibilité s’agit-il lorsqu’elles parlent d’engagement de tout leur être à la suite du Christ ?
    • Est-ce une disponibilité pour une fonction dans l’Eglise, ou pour un service précis ?
    • Est-ce une disponibilité inconditionnelle à Jésus-Christ capable de combler toute une vie et qui s’exprimera beaucoup plus dans un "être" que dans un "agir" ?
    • S’agit-il d’un appel à une vie chrétienne, évangélique, à un service d’Eglise ou à une vie consacrée.

A ce carrefour de questions, à la croisée de tous ces chemins, il nous a semblé bon de nous arrêter un moment pour partager notre réflexion et nos convictions, non sur l’importance du discernement, ce qui ne fait aucun doute, mais sur les conditions qu’il requiert, qu’il suppose.

Je les ai regroupées en quatre points essentiels :

1) Importance de la durée
Un vrai discernement demande du temps, des années parfois, et aujourd’hui plus que jamais. Il se fait dans une histoire, dans une durée, à travers tout un cheminement.

2) importance de la relation,
de la connaissance, de la rencontre dans l’accompagnement, importance du type de relations vécues, la jeune se situant différemment selon qu’elle s’adresse à une responsable de formation à qui elle dira volontiers :"je veux être religieuse", ou à une personne amie à qui elle confiera son projet de façon beaucoup moins affirmative : "qu’est-ce que le Seigneur attend de moi ?"

3) Importance des autres,
qui interpellent, aident à préciser un projet, à éclairer un cheminement. Un vrai discernement se fait à plusieurs, en Eglise.

4) Importance et nécessité vitale de la Prière :

- C’est le Seigneur qui appelle,

- C’est Lui qui a l’initiative,

- C’est l’Esprit qui nous donne de discerner le meilleur

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Après cette petite halte, nous avons repris la route et disposé quelques balises qui sont autant de critères sur le chemin du discernement d’un appel à une vie consacrée : un chemin que nous avons parcouru, à notre rythme, en gardant bien présentes à notre cœur et à notre mémoire les jeunes dont nous nous faisions l’écho à travers des exemples concrets.

Il nous a semblé important de retenir, comme critères de discernement :

a) Un certain équilibre humain, affectif, vérifié dans la relation à l’autre, quel qu’il soit, ou tout au moins, une possibilité d’évolution positive vers cet équilibre. Et donc une maturité suffisante pour une prise en charge personnelle de son existence, pour assumer une certaine solitude.

b) Une réelle insertion dans son milieu, une prise en charge de ses responsabilités, de sa vie professionnelle où se vit, aujourd’hui, dans le concret de son existence, son "oui" à Jésus-Christ.

c) La réalisation d’une certaine unité de vie, d’autonomie réelle par rapport à la famille, au milieu ambiant.

d) Une disposition à la vie de relations en en assumant les tensions : que ce soit pour une vie en communauté ou en laïcat consacré : d’où une exigence de vérité dans la relation, d’attention aux personnes, de respect des différences, d’où aussi l’importance de la référence au groupe, de l’aptitude au partage, à la mise en commun et de l’acceptation des remises en question.

e) Une authentique vie baptismale, confirmée par une relation personnelle au Seigneur, par le choix libre et radical de la Personne de Jésus-Christ, à travers le célibat, dans une certaine fidélité. Ce critère nous paraît essentiel, fondamental, spécifique d’une vie consacrée, même si tous les critères interfèrent et s’appellent les uns les autres.

f) Conscience de vivre une appartenance à l’Eglise, une dimension ecclésiale en en acceptant les médiations (ceci à partir de jeunes ayant exprimé le désir d’une vie religieuse sans lien avec une congrégation).

g) Nécessité de passer du rêve à la réalité (nous en avions déjà souligner l’importance l’an dernier ! ), de "vivre en liberté avec son projet", de l’habiter tout en restant ouvert et disponible.

A ce moment de notre cheminement et au détour du chemin, une évidence, qui est aussi une question, a surgi et réorienté notre marche dans une autre direction : celle des critères différenciés ; je m’explique :

Accompagner des filles dans le discernement d’un appel à une vie consacrée, suppose une connaissance des caractéristiques propres à chaque vocation particulière :

  • Laïcat consacré,
  • Vie religieuse apostolique
  • Vie monastique.

Sans en faire un absolu ni un énoncé complet, nous allons prendre le temps de repérer, pour chacune de ces vocations propres, quelques critères essentiels qui, une fois encore, n’ont rien d’exhaustif, mais nous serviront surtout d’indice et de points de référence.

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* POUR LE LAICAT CONSACRE, nous avons mis l’accent sur :

1) l’importance de l’insertion dans la vie professionnelle, l’importance du travail, de la compétence dans le travail où vont se vivre les solidarités avec les hommes d’aujourd’hui.

2) L’appel à vivre de Jésus-Christ dans la vie, à travers la vie professionnelle, syndicale, relationnelle, sans rupture : la communauté, c’est cela, et, en réponse à un appel particulier, être "présence", "témoin", "levain dans la pâte".

3) Différence, essentielle au niveau de la Mission et du Projet qui n’engage que soi, sans compromettre les autres membres du groupe, la décision revenant toujours à l’intéressée.

4) Nécessité de partager une vraie vie fraternelle au sein du groupement : celui-ci étant la cellule d’Eglise qui reconnaît leur projet et permet de le vivre dans sa dimension collective.

5) La nécessité, pour répondre à une telle forme de vie, d’une certaine solidité, et d’une aptitude à assumer :

- une réelle autonomie,

- une grande solitude.

LA VIE RELIGIEUSE APOSTOLIQUE suppose quant à elle :

1) La vie communautaire : choisie et acceptée comme lieu de discernement dans un projet apostolique pensé ensemble, animée par un même Esprit, même s’il y a évolution de la notion de la vie de communauté.

2) La vie communautaire apostolique ; au service de la mission, vécue dans la recherche de Dieu et de son projet, devant permettre de se ré-ajuster sans cesse à l’Evangile et aux besoins du monde et des hommes d’aujourd’hui.

3) Au niveau de la Mission et de l’obéissance ; acceptation que la Congrégation, la communauté, les responsables interviennent dans plusieurs secteurs de notre vie. Les solidarités premières sont celles vécues en communauté, les décisions prises n’engageant et ne concernant pas seulement la personne, mais la communauté elle-même.

4) Au niveau de l’essentiel : une question nous a semblé importante à clarifier concernant les motivations qui poussent une fille à choisir la vie religieuse apostolique : est-ce vraiment l’amour de Jésus-Christ saisissant toute sa vie, ou le désir de remplir une tâche pastorale ou caritative précise ?

Cette question nous a amenés à faire un petit détour sur le chemin des différents ministères dans l’Eglise, et il nous a semblé important de souligner et d’évoquer ce problème, car plusieurs exemples montrent qu’il y a d’abord, chez certaines filles, un désir de remplir une tâche particulière.

Or, il n’est pas indispensable d’être religieuse pour remplir telle ou telle fonction dans l’Eglise. Il y a actuellement un appel pressant à ce que les laïcs prennent toute leur place dans la vie de l’Eglise. Cette recherche nous a conduits à faire une constatation : l’Eglise change de visage. Le peuple de Dieu prend de plus en plus sa dimension et la conscience de ses responsabilités. Et les filles que nous connaissons sont marquées par ce courant, baignent dans ce climat. L’appel à un ministère dans l’Eglise n’est pas, n’est plus le propre de la vie religieuse : des laïcs, célibataires ou non, se sentent concernés. Ces deux appels sont-ils différents, sont-ils indépendants ?

De ce fait, la vie religieuse risque d’être interpellée : une mutation s’y opère, mais elle sera de moins en moins motivée par des tâches de type"ministériel" .

Reste à redécouvrir et à vivre le "spécifique" et l’enjeu d’une vie consacrée insérée dans le monde, ainsi que le lien possible et souhaitable entre la "conformité au Christ" et la "conformité au monde" auquel elle est envoyée.

Reste à préciser les choix à faire en fidélité à cette vocation propre, au charisme des congrégations et aux besoins de l’Eglise et du monde d’aujourd’hui.

Après nous être volontairement et consciemment égarés dans ces sentiers battus, mais très importants, des ministères et des différentes tâches dans l’Eglise, revenons sur cet autre chemin, moins sinueux, peut-être, mais tout aussi important, pour aborder la dernière étape de notre route.

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Quelques critères de discernement en vue d’une VIE MONASTIQUE :

Celle-ci est :

- recherche et expérience de Dieu qui prime tout au point que le reste est relatif.

- expression radicale que Dieu est Dieu et qu’on peut passer sa vie à Le Louer.

Elle suppose :

- l’acceptation d’une solidarité universelle passant par un don à Dieu et la certitude que la prière est essentielle au salut des hommes.

- une disponibilité radicale, un équilibre personnel suffisait pour porter et prendre en charge sa vie de relation en communauté.

- une radicalité au niveau des moyens et des exigences de détachement, pour un attachement à la personne du Christ et de l’Evangile.

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Voilà donc recueillis quelques fruits d’une recherche au cours de laquelle nous avons pu préciser :

-  les conditions indispensables à tout discernement : c’était notre première étape.

- Puis nous avons balisé le chemin d’un certain nombre de critères favorisant le discernement d’un appel à une vie consacrée : c’était notre seconde étape.

- Enfin, la question des critères différenciés nous a amenés à distinguer :

    • le laïcat consacré,
    • la vie religieuse apostolique, avec la question des différents ministères dans l’Eglise,
    • la vie monastique : et c’était notre dernière étape.

J’ai terminé, mais pour rester dans le ton de la promenade que nous avons faite ensemble, et que nous aurons à poursuivre, je conclurais volontiers avec l’expression de Paul :

"Oubliant le chemin parcouru,
et quel que soit le point déjà atteint,
poursuivons notre course,
marchons toujours dans la même ligne."

Claire Pascale LINARES