Les jeunes au moment d’entrer en formation pour le ministère presbytéral


Essayer de mieux cerner l’identité de ceux qui, aujourd’hui, entrent dans un temps de formation au presbytérat suppose pas mal de témérité, tellement cette réalité est complexe, diverse, évolutive. On me pardonnera de m’y risquer, non pour élaborer une synthèse normative où chacun pourrait retrouver la totalité de son expérience, mais plutôt pour attirer l’attention sur quelques éléments représentatifs de la situation et du comportement de ces jeunes.

Les remarques qui suivent ont été glanées dans les conversations avec des animateurs de foyers-séminaires ou de diaspora, dans la rencontre de responsables de formation, et dans l’écoute de jeunes qui se présentent au C.N.V. (une vingtaine depuis octobre 1974).

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I - QUI SONT-ILS ?

Ils viennent de tous les horizons, 46% du monde rural, 54% du monde urbain, avec une prédominance dans l’un et l’autre cas des classes moyennes. (Ce qui est, semble-t-il, a l’image de l’Eglise, prise dans son ensemble).

Leur moyenne d’âge augmente sensiblement pour se situer autour de 22 ans. (On signale même que sur les 73 G.F.O. en premier cycle, 10 sont entrés à l’âge adulte : plus de 28 ans. "L’esprit collégien - largement répandu dans nos vénérables institutions - n’y trouve plus son compte.

Leur origine scolaire est connue : 40% viennent des séminaires de jeunes ou foyers, 15% des facultés et écoles supérieures, 13% de l’enseignement catholique, 11,3% du travail, 9% des lycées et collèges d’état...

A propos de ces jeunes, on entend dire d’une manière globale qui appellerait des nuances, qu’ils sont "classiques". L’expression n’est pas forcément péjorative. Sans doute signifie-t-elle que la nouvelle génération se situe, à certains égards, en amont de la contestation de mai 68, qu’elle est moins bloquée par les problèmes institutionnels, qu’elle subit davantage l’oppression de la société actuelle, qu’elle se mobilise moins dans la recherche de modèles radicalement nouveaux. Mais que présage cette relative sérénité ?

Je suis très frappé par la diversité de ces jeunes, qui s’inscrit dans un monde éclaté et une Eglise pluraliste :

- diversité d’opinions et de comportements,

- diversité d’engagements et d’options apostoliques (Action Catholique, scoutisme, Jeunes Témoins du Christ, groupes de prière, renouveau charismatique, aumônerie de lycée, objection de conscience etc.)

- diversité au plan de la foi : tantôt le contenu de la foi paraît très réduit. Ainsi, "la présence réelle", "le péché" ne semblent rien évoquer. Le passé ecclésial paraît très mince, au profit d’une sorte de subjectivisme, d’élans de générosité, et même d’un sens apostolique, qui semblent faire peu de place à l’initiative de Dieu. Non seulement ils ne se sentent pas concernés par le langage officiel de l’Eglise et les préoccupations de leurs aînés, mais ils ne semblent pas établir de relation vitale entre l’Eglise et la riche expérience communautaire qu’ils font. Tantôt, au contraire, on percevrait une conception plus complète et plus traditionnelle de la vie chrétienne, mais durement affrontée au phénomène "incroyance" et à la sécularité ambiante.

Il semble que, plus qu’autrefois, ces jeunes désirent des communautés de soutien ou des lieux de partage, de recherche et de prière. Par ailleurs, on les sent préoccupés de conserver des liens étroits avec leur famille et avec toutes les relations déjà établies.

II - LEURS MOTIVATIONS

Je crois percevoir quatre pôles privilégiés et parfois concomitants dans les motivations qui les provoquent à envisager l’éventualité du ministère presbytéral. On sera particulièrement attentif aux éléments positifs de ces motivations.

a) Une expérience spirituelle
L’interrogation sur le presbytérat surgit au coeur d’une expérience de foi, et la vocation apparaît en priorité comme une expérience spirituelle. L’intériorité prend nettement le pas sur le combat- social et même sur l’engagement apostolique. L’aspect ministériel s’estompe au profit de "la consécration à Dieu" et d’une sorte de "projet religieux". Les jeunes parlent de "découverte de Jésus-Christ" mais aussi de don total, de disponibilité au Seigneur, de vivre l’Evangile"...

On peut relever, dans cette ligne, le besoin accru de "temps de prière", de "relais spirituels", de "groupes de prière". Cette soif de spirituel coexiste souvent avec des interrogations sur la foi, et sans doute traduit une attitude de recherche et un impérieux besoin d’approfondissement à cet égard.

b) Un projet apostolique cohérent
La perspective sacerdotale s’inscrit ici au coeur d’une visée apostolique, le plus souvent en lien avec un mouvement d’action catholique, et au service d’une fondation d’Eglise dans un monde donné. Le projet personnel s’enracine dans le projet collectif de toute une Eglise, ce qui le dynamise singulièrement et lui apporte cohérence et unité. Toutefois, cet élément communautaire et structurant demande à être personnalisé tout au long de la formation, et à s’ouvrir constamment à la dimension de l’Eglise universelle.

c) La rencontre des enjeux du monde et de la foi
Pour ces jeunes, le ministère presbytéral semble d’abord perçu comme une annonce de Jésus-Christ présent dans les enjeux du monde, seul capable de répondre pleinement à la question de "sens", au coeur d’un monde à la recherche de "raisons de vivre".
La contestation d’une société de profit déshumanisante et l’affrontement à l’incroyance cristallisent cette recherche. On retrouve ce courant tout spécialement dans le monde étudiant et sous d’autres formes dans le monde ouvrier.

d) Le service des hommes
Une quatrième tendance se manifeste, nettement polarisée par le service des hommes, en fonction de la découverte de certaines détresses humaines, des relations instaurées avec les jeunes, des besoins du Tiers-Monde etc.
Ces perspectives posent le problème d’un discernement difficile par rapport à la spécificité du ministère presbytéral. Mais la question du discernement demeure générale et invite à s’interroger sur la consistance des projets.

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III - DES PROJETS TRES FLOUS

Je constate que la grande majorité de ces jeunes ont pensé pour la première fois au sacerdoce à l’âge de l’enfance ou de la pré adolescence. Et l’on peut-le vérifier, aussi bien dans les différents groupes de formation que dans les centres de formation, 1er et 2ème cycle. Par la suite, ce premier projet s’estompe ou tombe dans l’oubli pour resurgir sous une formulation différente et de nouvelles motivations. Cette évolution semble exiger aujourd’hui un long cheminement.

Au moment de l’entrée en formation, le projet reste souvent très flou. Les jeunes se montrent disponibles mais rarement habités par une idée précise de l’avenir. Ils recherchent plutôt des solutions à court terme. On les voit : fort embarrassés pour parler de la spécificité du ministère presbytéral, ils ne donnent pas un contenu précis "aux tâches sacerdotales", et - du moins extérieurement - ne semblent pas encore préoccupés par ce genre de questions,

Cette attitude ne saurait nous surprendre. Elle manifeste :

- la nécessité de mûrir et de définir les contours d’un projet dont la réalisation reste encore lointaine,

- la difficulté de donner un contour précis et concret au ministère presbytéral qui permette une certaine identification (cf. dans le paragraphe suivant, la question des modèles).

- l’impossibilité pour tous les jeunes, dans un monde évolutif, de former de véritables projets d’avenir. Aussi, le terme "projet" paraît-il inadéquat pour signifier ce qui est plutôt une interrogation fondamentale sur le sens à donner à sa vie, sans pouvoir préciser les formes qu’elle prendra dans la vie adulte,

- la crainte, parfois, d’être contraint d’entrer dans un système clérical où l’imagination et l’invention trouveront peu de place,

- le besoin d’être reconnu dans ce qu’on vit aujourd’hui, avec son identité, son enracinement historique, et non en fonction de l’avenir, de la place qu’on tiendra plus tard,

- la volonté de vivre le moment présent, dans toute sa densité, sans anticipation sur le ministère futur. Les jeunes ont besoin d’expérimenter et de vivre dans des communautés vivantes. Ils sont épris de liberté, d’authenticité, de vérité. L’un d’entre eux déclare :"s’il est une chose qui me désole dans l’Eglise, c’est bien le fait de déprécier le présent en le présentant comme l’apprentissage du futur..."

Ces requêtes, tout en rappelant l’importance du facteur "temps" dans la maturation d’une vocation, ne plaident-elles pas pour "une pédagogie des seuils" ? Il est des pas qui grandissent et éclairent, parce qu’ils mobilisent des énergies et suscitent de nouvelles recherches.

IV - PEU D’INTERROGATIONS SUR LES MODELES

Il est frappant de constater que la question des modèles n’émerge guère dans les propos et les interrogations de ces jeunes, alors .qu’elle hante nombre d’adultes.

Sans doute, cela provient-il de ce que le choix d’un ministère ne se pose pas en termes d’urgence et que l’avenir demeurera incertain jusqu’au moment de sa réalisation. Aussi, la grande majorité d’entre eux ne semble absolument pas fixée sur un type de ministère précis. On le constate également chez les G.F.O. qui paraissent bien plus mobilisés par un type d’Eglise à susciter que par des modèles à reproduire.

Toutefois, le problème des "débouchés" dans un type de ministère déterminé surgira un peu plus tard et souvent deviendra brûlant, notamment pour les G.F.U. :

- avec l’exercice d’une profession et la question du lien entre ministère et profession,

- avec la crainte suscitée par l’engagement définitif,

- avec la fréquentation des équipes sacerdotales et le pluralisme des options pastorales,

- avec l’approche de l’entrée dans un presbyterium âgé et pas toujours missionnaire,

- avec le manque d’un projet pastoral cohérent susceptible de mobiliser les énergies.

Pour l’heure, les jeunes s’expriment plutôt sur ce qu’ils refusent et font part volontiers de leurs allergies :

- des postes à tenir en vue d’un quadrillage pastoral

- l’idéologisation, la systématisation, l’exclusivisme d’une organisation pastorale, qui ne respecte pas les différences,

- l’isolement des prêtres, le travail solitaire, ou le manque d’équipes sacerdotales.

Quant au célibat, les jeunes n’en parlent guère de façon abstraite, mais plutôt en référence à la rencontre d’une fille avec laquelle apparaît la possibilité de construire sa vie. Le célibat devient alors "une redoutable épreuve de vérité" et comme une purification et un approfondissement des motifs d’un choix.

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V - ACCEPTER DE SE COMPROMETTRE AVEC L’EGLISE

L’Eglise apparaît à beaucoup de ces jeunes comme une .Institution terriblement alourdie par le poids des structures, des habitudes, des mentalités. Ceux qui acceptent d’entrer dans un temps de formation sont aussi ceux qui acceptent de se compromettre avec les lourdeurs et la visibilité de l’Eglise, ce qui nécessite des relais humains et une pédagogie.

Ceux qui refusent cette compromission refusent dans le même mouvement d’entreprendre une étape de formation : combien sont-ils ?

Par ailleurs, je m’interroge de plus en plus sur l’influence des prêtres avant l’entrée dans le temps de formation. Tout se trouve sans doute : hostilité, retenue à la source, suspicion, étonnement, indifférence, projection des incertitudes de l’adulte. Mais aussi compagnonnage, solidarité, admiration, et foi en l’Esprit qui renouvelle sans cesse l’Eglise par l’arrivée et l’action inventive des jeunes. Croyons-nous suffisamment que les jeunes peuvent être pour l’Eglise un ferment de renouveau ?

Jean RIGAL