Vivre l’Eglise dans le Monde Etudiant


"Saviez-vous qu’il y a encore des -chrétiens ?" Cette inscription sur les murs de la Sorbonne en mai 1968 pourrait servir d’exergue à une tentative d’analyse du sens de l’Eglise.en Monde Etudiant.

*
* *

I - Les mots sont piégés

Eglise ?
Au risque de sacrifier à la caricature, le mot "Eqlise" désigne encore pour les étudiants aujourd’hui, une institution vieillotte, aux structures pesantes et sclérosées, au langage désuet, volontiers aliénante par tous les interdits dont elle s’est fait l’écho au long d’une formation passée, étrangère à la vie des hommes, sinon pour entrer dans des compromissions avec les structures d’oppression, identifiée à une hiérarchie conservatrice et timorée. Comment s’étonner alors qu’un jeune de 20 ans puisse se sentir extérieur à l’égard d’une telle institution et récuser ces rassemblements du dimanche, frappés d’inauthenticité parce qu’au nom du même Jésus-Christ se trouvent coexister sans confrontation, des chrétiens aux situations sociales différentes et aux intérêts et options divergents ?

Monde Etudiant ?
De même le monde étudiant, qu’est-ce à dire ? Sinon une masse anonyme et disparate rassemblée par une structure d’enseignement, distribuant de façon abstraite et éclatée un savoir formel qu’il s’agit de consommer en vue d’un diplôme dont chacun découvre peu à peu qu’il débouche sur une impasse... d’où cette impression débilitante de vivoter, d’avancer dans l’avenir à reculons ou de se figer dans l’immédiateté de l’instant... ou cette tentation de fuir, de se replier et de s’enfermer dans des groupes de copains.

Indifférence ?
Dans le même temps, une indifférence délétère, faite de tolérance sceptique, voire une incroyance consciente de tous les soupçons qu’exercent sur la foi les courants idéologiques et les sciences humaines condamnant le croyant au témoignage balbutiant, voire au silence ? faute de langage disponible.

On est loin de ces communautés étudiantes, vivantes et nombreuses, aux propositions multiples, qui naguère permettaient une expérience d’Eglise rendant possible d’assumer dans la foi sa vie d’étudiant dans toutes ses dimensions et dont l’impact sur l’ensemble des structures étudiantes ; obligeait chacun à prendre position. Et dans des centres catho désormais désertés, l’inconfort de tant d’aumôniers d’étudiants à l’égard de leur mission est significatif de la nouveauté de la situation.

2 - La réalité est plus complexe.

Certes ce tableau est bien sombre et mériterait sans doute bien des nuances qui tiendraient compte de tout ce qui s’est passé pour chacun avant son entrée en université et feraient état de diversités multiformes :

- diversités de disciplines : les problèmes des débouchés ne se posent pas de la même façon en médecine et en lettres...

- diversités selon le nombre : un petit centre universitaire permet des inter-relations que n’autorise plus un amphi de mille étudiants.

- diversités d’expériences antérieures : autre l’expérience d’Eglise vécue dans telle école catholique plus conditionnante, autre celle qu’a favorisée une aumônerie de lycée ou l’engagement dans un mouvement.

- diversités de situations familiales : être issu d’une famille profondément croyante et engagée rend possible une participation active dans tel mouvement ou telle activité paroissiale (ACE, Liturgie - JIC...) et partant, de susciter quelque chose en monde étudiant.
. . .

3 - Des étudiants croyants

Et pourtant, il y a des étudiants qui sont croyants. Ils sont nombreux à accourir chaque année à Taizé pour partager leur recherche d’un nouveau visage de Jésus-Christ et à s’investir à leur retour dans un travail auprès des travailleurs immigrés. Chacun connaît de ces étudiants participant à l’animation de leur résidence ou de leur amphi, membres de comité de gestion d’U.E.R. ou attentifs à redonner vie et vérité aux célébrations du dimanche dans leur paroisse. Qu’un événement survienne, et on les verra rejoindre le comité d’action... N’est-ce pas à eux que l’on s’adressera pour prendre en charge telle équipe de caravelles ou de pionniers ou d’ACE, pour assurer la catéchèse dans telle aumônerie de jeunes ou pour animer les loisirs des enfants d’une cité... ou pour organiser un Noël de vieillards ? ... Et les aumôniers de JIC, de JOC ou . .de MRJC savent bien que l’entrée en université n’interrompt pas nécessairement un cheminement entrepris dans le mouvement. Si celui-ci se veut attentif à la nouveauté de cette expérience. Et bien des communautés de prière, charismatique ou spontanée, qui surgissent ça et là comptent des étudiants parmi leurs membres les plus actifs. Quant aux équipes GFU, si elles ne trouvent pas toujours sur place le tissu ecclésial où puisse s’enraciner leur projet de ministère, elles sont le lieu d’une coresponsabilité et d’une confrontation exigeante qui témoignent d’une authentique expérience d’Eglise.

4 - Au nom d’exigences

Si les étudiants chrétiens prennent ainsi leur distance à l’égard de l’institution vénérable, c’est au nom d’un certain nombre d’exigences :

- Exigence de participation active et de responsabilité vraie, non seulement dans l’Eglise mais aussi dans le monde. Tant il est vrai qu’une vie d’Eglise qui se veut fidèle à l’Evangile est indissociable à leurs, yeux d’un service des hommes et d’une contribution à l’avènement d’un monde nouveau : croire, c’est agir, c’est vérifier sa solidarité avec les plus défavorisés (accueil, défense et alphabétisation des travailleurs immigrés, SCI, Comité Tiers Monde, réfection des taudis...) et affirmer sa volonté de justice et de paix (objection de conscience, remise en cause de l’armée, non violence, engagement politique... voire révolutionnaire). Et le recul que leur permet leur situation d’étudiant,, les sollicite à mesurer l’ampleur du chantier au risque de les submerger et de les voir déserter les responsabilités plus proches et plus ambiguës que requiert la transformation de l’Université... sans oublier-le caractère contraignant des études (contrôle continu, sélection...) qui menace la persévérance dans les engagements assumés.

- Exigence d’authenticité et de partage, avant d’être un dire. La foi est pour eux un vivre et un vivre ensemble : aussi aspirent-ils à un partage difficile de leur vécu quotidien et à des confrontations éprouvantes de leurs divergences quitte à balbutier pour y vérifier leur foi en Jésus-Christ et à se replier sur des groupes de bons amis où l’homogénéité tient lieu de sécurité. Ainsi voit-on naître de ces petites communautés de partage - voire d’habitat qui, pour n’être parfois qu’un soutien affectif dans un monde individualiste et massifié, témoignent de l’impossibilité de vivre sa foi seul.

- Exigence d’invention, de créativité, voire de nouveauté à tout prix qui rend suspect l’argument de la tradition, la nécessité de se plier aux mots d’ordre d’un mouvement ou d’une organisation, qui refuse le "tout fait", le formel, les structures pour privilégier le spontané, ce qui jaillit... quitte à tomber dans l’excentrique faute de critère de discernement et de points de repère que devrait leur offrir une formation doctrinale renouvelée.

- Exigence enfin de ressourcement au nom d’une référence à l’Evangile et d’une foi vivante à Jésus-Christ dont le visage humain retrouve plus que jamais sa séduction. Et la fonction actuelle de ces communautés de prière, même si l’on y soupçonne parfois sentimentalité et évasion, témoigne d’une redécouverte de l’essentiel et d’une sève nouvelle jaillissant du vieil arbre.

5 - En définitive,

s’il est une expérience d’Eglise pour un étudiant à 20 ans, elle est ambiguë, inchoative et multiforme, à la fois faite de critique et de recul par rapport à l’institution - dont on perçoit trop les limites et les lenteurs, au nom d’une vision renouvelée de Jésus-Christ et des exigences évangéliques face aux besoins des hommes - et de tentatives, toujours embryonnaires, toujours remises en cause, parfois géniales (cf. certaines célébrations de mariage), pour inventer les nouvelles formes de célébrations et de partage, les modalités de rencontre et de rassemblement.

Dans un monde étudiant, dévitalisé et marginal, subissant le choc de courants idéologiques où se cherche une nouvelle culture, il importe de susciter ces "foyers de lumière" où se vérifie et s’affirme une identité chrétienne assez forte pour discerner et reconnaître dans l’incroyance qui s’avoue, la trace et le visage de Celui qui renouvelle toutes choses... et pour risquer, en balbutiant, une parole de foi toujours vulnérable.

A cette tache, tous sont conviés. Et dans la mesure où l’expérience étudiante est transitoire, il est essentiel de garder le contact avec ceux que l’on a accompagné jusque là (comme le font normalement certains mouvements et comme le tentent parfois certains aumôniers de lycée), sans perdre de vue l’enjeu considérable de ce "passage" où, par la confrontation avec une nouvelle culture en gestation, pourra s’élaborer et s’éprouver une annonce renouvelée de Jésus-Christ pour le monde de demain.

Et s’il était permis, en terminant, de formuler un souhait ; c’est que puissent être suscitées des confrontations entre tous ceux qui sont amenés à accompagner les étudiants durant cette étape essentielle de leur vie et lourde d’enjeu pour l’avenir de l’Eglise.

Pierre PERDU
Aumônier d’étudiants et S.D.V. à Amiens