Les projets de jeunes


TEMOIGNAGE D’UN DELEGUE AUX VOCATIONS

Je précise qu’il s’agit d’un témoignage, et je suis parfaitement conscient des limites de ce que je vais dire (1).

Bien sûr, depuis quelque temps, mon expérience se trouve enrichie de celle des autres délégués avec qui je travaille régulièrement. Cependant, je ne parle pas en leur nom, un autre aurait probablement mis des accents différents.

Je vous demande donc de me lire avec bienveillance, mais aussi avec tout le sens critique nécessaire.

J’aborderai trois points :
1) Aujourd’hui, les jeunes qui ont un projet de vocation : qu’est—ce que je perçois dans leur démarche ?
2) Mon rôle de délégué, dans quelles perspectives j’essaie de travailler ?
3) Difficultés rencontrées, et quelques souhaits que je me permets de formuler très humblement.

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I - AUJOURD’HUI, LES JEUNES QUI ONT UN PROJET DE VOCATION

Tout d’abord, je constate que de nombreux jeunes envisagent de se mettre au service de l’Evangile. A ce niveau, je ne parlerai donc pas d’une crise de vocations. Mais beaucoup d’entre eux n’ont pas trouvé un enracinement et un soutien ecclésial suffisant pour leur permettre d’exprimer, d’approfondir et de bien situer leur projet dans la Mission actuelle de l’Eglise.

Je note par ailleurs que les prêtres ou les laïcs qui connaissent leur recherche sont souvent désemparés (voir même sceptiques), et ne savent pas comment cheminer avec eux. Il .n’y a pas si longtemps encore, cette tâche était confiée a des spécialistes dans le cadre d’institutions bien précises.

A ce niveau, je parlerai volontiers d’une crise de la pastorale et de la formation des vocations.

Quelques remarques sur ces jeunes (je ne parlerai que des 18-30 ans)

"Le vent souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va".

Ainsi en est-il de quiconque aujourd’hui entend l’appel de l’Esprit pour le service de l’Evangile.

Oui, la très grande diversité de ces jeunes, de leurs projets, de leur vision du monde et de l’Eglise, de leur conception du ministère, ne rend pas l’analyse facile.

Je me bornerai donc à quelques remarques (ce ne sont probablement pas les plus pertinentes ni les plus objectives, car aujourd’hui, et la remarque me paraît importante, il n’est pas facile de réfléchir avec calme, réalisme et objectivité ce problème des vocations).

A travers cette diversité, il me semble percevoir :

- trois courants,

- trois sources,

- trois dynamismes
qu’il ne faudrait pas majorer, et qui souvent s’entremêlent.

1 "Vocation - Service de Dieu"

Dans cette ligne, le sacerdoce est envisagé, souvent avec une certaine certitude, comme la seule réponse à l’appel de Dieu. Il peut y avoir hésitation sur l’appel. Il n’y a pas d’hésitation sur la forme de la-réponse.

"Si Dieu m’appelle, je dois être prêtre".

Le Sacerdoce est d’abord perçu comme la meilleure forme de vie pour vivre l’Evangile, pour suivre Jésus-Christ.

"Le Prêtre, un autre Jésus-Christ"

Sur le plan du ministère : le prêtre, c’est l’homme de la prière, de la Parole. C’est le témoin de Dieu, le témoin de la transcendance.

Ce courant, assez traditionnel, se fait plus rare. Cependant, je rencontre encore quelques jeunes qui, avec des nuances, s’inscrivent assez bien dans cette ligne.

2) "Vocation,- Service du monde"

Le prêtre : un homme parmi les hommes, partageant les mêmes conditions de travail et de vie, construisant avec eux le monde.

Le travail professionnel, l’engagement politique sont vivement souhaités. Le prêtre, dans cette vie partagée, sera mieux à même de témoigner de l’Evangile dans les réalités humaines, de s’affronter à l’incroyance, de trouver un nouveau langage de la foi plus approprié à l’univers culturel des hommes d’aujourd’hui.

Dans ces deux orientations apparemment bien différentes, on retrouve la même absence de dimension ecclésiale. Ceci s’explique sans doute du fait que beaucoup de ces jeunes n’ont jamais fait l’expérience d’une communauté apostolique, véritable cellule d’Eglise.

3) "Vocation - Service de l’Eglise"

- Leur vocation est vécue dans un contexte plus collectif. Très vite, "on en parle aux copains". Et si ces jeunes appartiennent à un mouvement d’action catholique, ce qui est souvent le cas, ils désirent être soutenus dans leur recherche par le mouvement dont ils se sentent solidaires, y compris dans leur vocation.

- Leur projet de vie sacerdotale s’insère au cœur d’une vie militante. Leur rencontre du Seigneur s’est faite à travers leur ouverture aux autres et s’est concrétisée dans un premier temps dans une vie militante et apostolique. Puis, de cette vie baptismale vécue en communauté, surgit ou s’approfondit l’appel au ministère sacerdotal, au bénéfice de la mission déjà vécue en Eglise, au sein d’un peuple.

- Leur vocation enracinée dans cette démarche communautaire et apostolique, se situe plus dans -la mission "Eglise-Monde", que dans la mission présidence : "prêtre-monde".

- Je note enfin que leur vocation, si elle est bien une réponse personnelle à un appel du Seigneur, est aussi une réponse à l’appel d’une communauté, qui provoque et aide à approfondir la recherche. Ceci me paraît très net aujourd’hui dans les mouvements d’action catholique, notamment dans la J.O.C.

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II - MON ROLE DE DELEGUE, DANS QUELLES PERSPECTIVES J’ESSAIE DE TRAVAILLER

Je ne suis pas un agent recruteur qui arpente le diocèse à la recherche des vocations, ni un collecteur de fonds à la verve émouvante.

Mais je ne suis pas davantage le bureau d’enregistrement, qui attend pieusement que les candidats éventuels se présentent.

J’essaie plutôt d’être l’humble témoin de l’action de l’Esprit qui ne cesse de susciter des vocations de bien des manières, mais surtout là où se vit une véritable Eglise missionnaire.

Partager ce témoignage avec mes frères prêtres, à partir de leur propre action pastorale.
Partager ce témoignage avec les mouvements de laïcs qui aujourd’hui ont mieux perçu leur responsabilité en ce domaine.

Voilà comment je conçois mon rôle d’éveilleur. Mais éveiller ne suffit pas : il faut encore cheminer avec ces vocations naissantes, il faut accompagner ces différents projets et essayer de les mener à leur terme.

Cette tâche difficile, que je découvre peu à peu, mérite actuellement toute notre attention.

Pour ma part, chaque fois que cela m’est possible, je m’efforce, avec tous ceux prêtres et laïcs, qui sont appelés à jouer un rôle dans ce cheminement, de veiller à quatre points :

1) L’enracinement de chacune de ces vocations dans une vie humaine, dans une vie apostolique et dans une vie d’Eglise.
Ce qui suppose une présence consciente et active au cœur des solidarités humaines et une participation effective à une communauté apostolique.

2) L’approfondissement et la purification de cette vocation en gestation.

  • par une meilleure prise de conscience de sa vie personnelle et collective,
  • par une vie de foi plus exigeante et mieux vécue,
  • par une confrontation de son projet personnel avec celui des autres, dans le dynamisme d’une mission vécue ensemble.

3) Le discernement du type de formation souhaitable, en fonction de cet enracinement, du projet exprimé et des besoins de la mission.

4) L’accompagnement ultérieur pour vérifier les différentes étapes du cheminement avec les accompagnateurs et les formateurs concernés, et ainsi assurer une certaines continuité et une certaine cohésion, y compris dans la mission un jour confiée.

Je dis reconnaîtra que ce beau programme que je me suis fixé est encore, malgré quelques avancées, du domaine du rêve.

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III - DIFFICULTÉS RENCONTRÉES ET SOUHAITS FORMULÉS

- Difficultés venant de nous-mêmes, prêtres.

Beaucoup, et je suis du nombre, sont encore mal sensibilisés et mal préparés à cette tâche qui autrefois était assurée par quelques spécialistes de la formation sacerdotale.

C’est pourquoi, depuis trois ans, je réunis régulièrement, en lien avec les aumôneries de mouvements d’action catholique qui commencent à faire un excellent travail dans ce sens, tous les prêtres qui cheminent avec l’un ou l’autre de ces jeunes (actuellement une vingtaine de prêtres).

- Difficultés venant de l’absence ou de l’ambiguïté des communautés chrétiennes

Beaucoup de ces jeunes n’ont pas rencontré, et ce n’est pas toujours manque de bonne volonté de leur part, des communautés adaptées à leur vie et réellement apostoliques.

D’où bien souvent manque d’épanouissement de leur vie baptismale - vocation sacerdotale mal enracinée dans une vie ecclésiale et mal adaptée aux exigences de la mission de l’Eglise dans le monde d’aujourd’hui.

Pour cette catégorie de jeunes, nous manquons de moyens concrets et adaptés pour les accompagner dans leur cheminement.

- Difficultés venant des jeunes eux-mêmes

souvent :

  • très critiques :
      • vis-à-vis de l’institution-Eglise
      • vis-à-vis de la manière dont est vécu le ministère presbytéral
  • très hésitants devant le célibat dont ils ne voient pas le bien-fondé pour le ministère presbytéral, ou vis-à-vis duquel ils ne se sentent pas la force de s’engager définitivement.

- Le manque de critères objectifs pour discerner le type de formation souhaitable pour tel ou tel jeune, en tenant compte à la fois du charisme personnel et des besoins de la mission.

Les différentes voies de formation (qui existent présentement ou qui naîtront demain) procèdent d’intuitions et de courants très différents. C’est probablement une bonne chose

  • mais quel est la cohérence de tout cet éventail ?
  • à quoi veut répondre chacune de ces formations ?
  • quel type de ministère veut-on préparer ?
  • pour quel visage, quelle mission d’Eglise ?

- le manque de continuité entre l’éveil - la recherche - la formation et la mission confiée. Dans ce long cheminement, beaucoup de participants inter-viennent, sans qu’il y ait entre eux une concertation suffisante. Sans doute il y a su quelques progrès dans ce domaine, mais il reste encore bien des efforts à faire, et en particulier à travailler ensemble dans la cohérence et la continuité d’un projet.

Jean-Pierre LELIEVRE
(S.D.V. de Nanterre)

NOTES ----------------------

(1) Ce témoignage a été donné dans le cadre d’une session régionale qui a réuni près de Paris soixante participants : évêques, animateurs des divers modes de formation et services diocésains des vocations.[ Retour au Texte ]