La recherche de la J.O.C.F.


Il y a quelques mois, plus de deux cents religieuses accompagnées de quelques prêtres assistaient à Paris à une session organisée par Forma Gregis avec le concours du Centre national des vocations. Le thème de ces journées était : "cheminement actuel des jeunes en recherche de vie religieuse."

La 1ère journée fut consacrée à l’écoute de cinq jeunes en recherche • de vie religieuse, la seconde le fut à l’écoute de ceux et celles qui accompagnent des jeunes : 2 prêtres, 2 religieuses et une laïque responsable JOCF. La 3ème journée fut réservée aux responsables de formation pour une réflexion sur "recherche et formation" : écoute et interpellation à partir des témoignages entendus.

L’intervention reproduite ici s’inscrit dans le cadre de la deuxième journée de cette session et donne le point de vue d’une responsable des jeunes du monde ouvrier qui pensent à la vie religieuse.

On sera attentif :

- aux raisons qui ont conduit la J.O.C.F. à porter un intérêt tout particulier aux vocations féminines ;

- aux orientations fondamentales de l’effort entrepris ;

- ainsi qu’au bilan dressé après sept années de recherche et d’action.

Le texte complet de cette session peut être demandé au C.N.V. ou à Forma Gregis, 310 rue de Vaugirard, 75015 PARIS (8 F l’unité).

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Responsable à la J.O.C.F. de la recherche des jeunes du Monde Ouvrier vers une vie consacrée, je soulignerai d’abord le sérieux avec lequel les filles s’engagent dans cette recherche, mais je voudrais aussi dire dès le départ que cette recherche est bien humble. Le désir d’une consécration au Seigneur se manifeste à travers toute la vie en Mouvement ; le Mouvement veut essayer de les aider à répondre, mais nous avons bien conscience que nous ne savons pas "le tout de la vie religieuse" et nous avons bien conscience aussi que nous n’avons pas "le monopole des vocations en Monde Ouvrier".

I - COMMENT LA J.O.C.F. A-T-ELLE ÉTÉ AMENÉE A SE SENTIR CONCERNÉE ?

Tout naturellement à partir de la vie, des besoins exprimés par des jeunes du Milieu Ouvrier, militantes jocistes. L’initiative de ce qui se fait aujourd’hui bien humblement dans le Mouvement, ne revient pas à l’équipe nationale mais aux filles mêmes qui se posaient la question d’une vie consacrée. Cela vaut peut-être la peine d’expliquer comment "la chose a démarré".

En 1967, la J.O.C.F. a organisé à Paris un rassemblement national de jeunes travailleurs et jeunes travailleuses. Pour la préparation de ce rassemblement, des journaux ont été édités en commun par les deux mouvements J.O.C. et J.O.C.F., avec pourtant l’une ou l’autre information qui concernait davantage soit les gars, soit les filles. C’est ainsi que, sur un bulletin aux responsables fédéraux et fédérales, la J.O.C. avait inséré un pavé-information annonçant une rencontre nationale proposée aux militants jocistes qui pensent ou sacerdoce. Il était libellé : "Jeunes travailleurs, militants qui pensez au sacerdoce ou à la vie religieuse, une session aura lieu etc." Est-ce parce qu’il était question de vie religieuse, ou le manque d’habitude pour lire un journal qui d’ordinaire ne s’adresse qu’aux filles ? Surprise ! Quatorze filles s’inscrivent à cette session... On les décommande en leur disant qu’il s’agit du sacerdoce, mais cela correspondait sans doute à une attente trop profonde pour que les filles restent sur leur faim. Une dizaine d’entre elles récrivent à l’aumônerie nationale : "il n’y en a que pour les gars, nous aussi on aimerait pouvoir se retrouver pour réfléchir, on ne sait pas trop comment parler de tout cela autour de nous, et on ne se retrouve pas dans ce qui se fait dans les diocèses.. !

LE Mouvement ainsi interpellé propose une rencontre... Vingt-cinq filles y participent. Depuis, chaque année, plusieurs week-ends ont lieu sur Paris ou en province.

Avant d’aller plus avant dans ce qui se fait aujourd’hui, regardons pourquoi le Mouvement se sent concerné par cet appel et ce cheminement des filles du Monde Ouvrier vers une vie consacrée.

II - POURQUOI LE MOUVEMENT SE SENT-IL CONCERNÉ ?

La J.O.C. veut permettre à chaque .jeune du Monde Ouvrier de réaliser sa vocation divine. Cardjin disait : "tout jeune travailleur (donc, toute jeune travailleuse) a une mission, une destinée divine, non pas après la mort, mais dès aujourd’hui dans sa vie concrète et journalière où il est l’apôtre premier et immédiat de Dieu dans son milieu, parmi ses camarades."

La Jeunesse Ouvrière, telle qu’elle apparaît à qui la regarde de l’extérieur, peut sembler une masse anonyme ou contestataire... Mais la Jeunesse Ouvrière, ce sont d’abord des personnes..., des personnes avec des richesses extraordinaires mais aussi avec des conditions de vie écrasantes.

La J.O.C. appelle et provoque ces jeunes travailleuses à prendre conscience de ces valeurs qu’elles vivent déjà (ces sourires, cet accueil, ces gestes d’entraide, de solidarité, cette amitié...), ces germes d’espérance dans leur vie ; à prendre conscience aussi qu’elles sont appelées à donner alors qu’elles ont le sentiment d’être utilisées ; à prendre conscience enfin qu’elles aspirent à être reconnues pour ce qu’elles sont alors qu’elles souffrent de n’être appréciées, intéressantes qu’en fonction de ce qu’elles font, de leurs possibilités de rendement.

Peu à peu, elles se mettent en route vers les autres, vers quelque chose, vers Quelqu’un ; en agissant ensemble elles découvrent qui elles sont, leur dignité et pourquoi elles sont faites. Nous pouvons imaginer à partir de là toute l’importance de cette dimension collective dans leur vie de foi comme dans leur vie ouvrière. Dieu les appelle à aimer, Jésus-Christ devient Quelqu’un de Vivant dans le cœur des copines. Par toute leur vie en Mouvement les jeunes du Monde Ouvrier se trouvent ainsi reliées entre elles et à la vie même de Dieu, et cela dans, avec leur vie ouvrière. Le Mouvement leur fait faire l’expérience d’une réelle vie communautaire, une expérience d’Eglise.

Dès lors, on peut dire que la J.O.C. est pour la Jeunesse Ouvrière un signe concret de l’Amour universel de Dieu et de l’appel de tous les hommes à être sauvés. Bien sûr, nous avons sans cesse à nous purifier nous-mêmes et à approfondir. C’est ce que permettent les révisions de vie en équipe, les journées d’étude, récollections, retraites... C’est sans doute là que se vérifie la vérité du Mouvement vécu dans sa totalité. C’est d’ailleurs souvent à partir de ces "temps forts" que des militantes se sentent appelées à donner davantage et à consacrer leur vie au Seigneur.

Si la J.O.C.F. ne se sentait pas concernée et interpellée par cette recherche des filles vers une vie consacrée, irait-elle jusqu’au bout de sa Mission : que chaque jeune du Monde Ouvrier puisse réaliser la totalité de sa vocation divine ? Nous avons été amenées - comme il est dit plus haut - par les militantes elles-mêmes à prendre au sérieux ce désir de consécration qu’elles expriment. Ce désir s’enracine dans leur vie ouvrière et dans leur vie militante : la recherche doit se poursuivre à travers leur vie d’aujourd’hui, dans ce collectif où ce désir a été mis à jour, dans la fidélité à leur vie ouvrière et à l’Eglise en classe ouvrière qui naît déjà là où elles sont et qui les a comme "engendrées". Tous ces cheminements de filles du monde ouvrier vers une vie consacrée sont bien le signe d’une Eglise en classe ouvrière qui se construit. Quelle espérance pour l’Eglise tout entière quand on se souvient de l’histoire du monde ouvrier et de l’Eglise !

Il nous faut aussi ajouter que nous nous sentons concernées parce que l’expérience, la vie d’Eglise que nous vivons en J.O.C, nous fait approfondir notre responsabilité de laïques et par là nous fait mieux comprendre de l’intérieur ou au moins sentir ce qu’est le sacerdoce, ce qu’est la vie religieuse, et comment ils sont complémentaires dans l’Eglise. Sans doute le travail qui se fait depuis un certain temps avec les religieuses dans le Mouvement n’est-il pas étranger à cela.

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III - SI NOUS SOMMES CONCERNÉS, QUE FAISONS-NOUS ?

Vu l’importance de l’histoire dans la vie des filles, de l’enracinement de leur désir dans leur vie ouvrière, les week-ends proposés au plan national repartent de là. Chaque participante est invitée à noter auparavant son cheminement, les personnes, les événements qui l’ont marquée, les temps forts, et les temps creux, etc. La qualité d’écoute et la profondeur de partage des cheminements, la joie qui en résulte sont autant de signes que les filles reconnaissent en chacune le Seigneur qui les appelle avec leur histoire, dans leur milieu, avec leurs relations.

Les week-ends proposés ne sont pas une continuité ; chaque fille peut participer si elle le désire à deux week-ends. En effet, le premier, plus centré sur la vocation baptismale, insiste sur la mise en oeuvre de cette vocation fondamentale dans un milieu donné ; il fait ressortir l’importance de la vie militante dans l’éveil ou la croissance d’un désir de consécration totale. Le deuxième est orienté par des témoignages donnés par des consacrées originaires du monde ouvrier ; il donne un éclairage sur les différentes formes de vie consacrée : en gros, vie religieuse et laïcat consacré.

Dès la départ, nous avons mis des conditions de participation à ces week-ends. Il y en a trois :
a) Ils s’adressent à des filles du Monde Ouvrier militantes jocistes.
b) Ils s’adressent à des aînées (plus de 20 ans)
c) Il est demandé que les filles aient déjà réfléchi avec un prêtre, avec une religieuse ou une copine, ceci pour que la préparation soit plus sérieuse.

A ces week-ends, des filles d’une même région se sont repérées et ont décidé de se retrouver d’une manière plus régulière pour prier ensemble et continuer d’approfondir en vue de poursuivre leur discernement en fidélité à leur vie ouvrière et à leur vie militante. Il existe actuellement neuf équipes de ce genre, qui sont très différentes quant à leur forme mais aussi quant à leur contenu de rencontres. En gros, c’est : comment notre vie et notre action retentissent-elles en nous ? Pourquoi ? Eventuellement, est—ce que cela a quelque chose à voir avec la vie consacrée ? Les aumôniers du ces équipes se sont retrouvés pour partager ce qui s’y fait et leur place d’aumôniers.

On m’a demandé aussi une ébauche de bilan... Parfois les chiffres sont parlants. Depuis le début, 16 week-ends ont eu lieu au plan national, soit à Paris, soit en province.
Inscrites : 169 - Participantes : 152, issues de 57 départements.
Ages : moins de 20 ans : 4 - de 20 à 23 ans : 70 ; de 23 à 25 ans : 47 ;
de 25 ans : 15 ; plus de 25 ans : 16.

Professions par ordre d’importance : employées de bureau ou de banque : 50 ; ouvrières d’usine : 16 ; infirmières : 16 ; travailleuses familiales : 11 ; employées de maison ou collectivités : 11 ; institutrices : 8 ; monitrices, éducatrices : 7 ; vendeuses : 6 ; agents hospitaliers : 5 etc.

Responsabilités : en J.O.C.F. : 35 militantes - 33 responsables - 59 fédérales - 4 permanentes.

Dans un .autre mouvement : 2 en A.C.E. : 1 permanente et 1 fédérale ; 5 en A.C.O. 1-A.C.M.E.C., A.C.M.S.S. aussi...

Syndicales : 28 sont syndiquées (dans celles qui l’expriment) - 7 sont déléguées pour la formation ou déléguées du personnel - 1 en A.S.F. - 1 Fraternité Catholique des malades.

Nous soulignons au passage l’importance des responsabilités, quelles qu’elles soient. Elles permettent de découvrir les besoins des autres, du monde. Elles obligent à écouter, à faire confiance aux autres, à se faire confiance à soi aussi. Elles appellent une formation, parce qu’elles font ressentir le besoin d’aller plus loin (aussi bien formation ouvrière que religieuse). Etre responsable, avoir des responsabilités, cela veut dire profondément beaucoup de choses, cela demande sans cesse des remises en cause, cela oblige à une attitude d’écoute, de partage, d’émerveillement, de prière et souvent d’humilité.

Familles : 56 l’indiquent : 15 de familles de 1, 2 ou 3 enfants ; 32 de familles de 4, 5 ou 6 enfants ; 16 de familles de 7 à 10 enfants ; 1 de ou moins 13 enfants (!) ; 29 disent la profession de leurs parents : 19 ouvriers ; 7 cultivateurs ; 3 divers (police etc.)

Age auquel les filles disent avoir pensé à cette consécration : de 6 à 10 ans compris (29) ; entre 11 et 12 ans (26) ; entre 13 et 17 ans (33) ; après 17 ans : 20

Projets qu’elles expriment au week-end : vie religieuse contemplative :(16) ; vie religieuse active (46) ; laïcat consacré (8) ; ne savent pas (20). Que sont devenues ces 152 filles ? Difficile à dire, nous n’avons plus de trace d’une quarantaine :.15 sont entrées dans des congrégations dites actives (mais on sait que 5 ont quitté depuis) ; 7 contemplatives ; 7 en instituts séculiers (dont 1 a quitté) ; 12 sont mariées ; 36 sont en équipes ; 2 continuent leur recherche personnellement plus ou moins en lien.

Nous savons tous la fragilité de ces chiffres, mais ils peuvent nous aider à nous faire une idée.

En conclusion, je soulignerai l’accueil que font certaines congrégations à la recherche qui se fait et, si je peux me permettre un souhait, ce serait que cette écoute de ce que vivent et veulent vivre les filles du Monde Ouvrier qui se préparent à une vie consacrée, leur permette de s’y épanouir. Cela demande sans doute que nous cherchions continuellement les valeurs de ce qu’elles vivent. Quand on parle de fidélité à la culture ouvrière ou de collectif, ce ne sont pas que des mots, ce sont les autres qui les ont fait devenir ce qu’elles sont aujourd’hui. C’est ensemble qu’elles ont grandi. Les filles expriment tout cela, et c’est avec toutes ces solidarités qu’elles veulent vivre avec le Christ, avec une communauté. Oui, le Mouvement les a habituées à chercher ensemble, les a interpellées à partir de leur vie, à "creuser" l’Evangile, à se former. Ainsi, c’est bien toute leur vie de foi et leur vie ouvrière qui est imprégnée par ce collectif. Souhait que la recherche, le cheminement vers une vie consacrée s’appuie bien sur un enracinement humain et sur l’expérience d’Eglise qu’elles vivent déjà.

Gaby GANTELET