La formation sacerdotales en monde universitaire


Pour situer ma contribution à ce numéro de "Jeunes et Vocations", je précise que je suis aumônier d’équipe G.F.U. depuis 3 ans, responsable pour la Région parisienne, et plus spécialement chargé avec un collègue de l’Ouest de prévoir l’aboutissement, en octobre 73, des plus avancés vers une nouvelle étape (le "Temps plein") de la formation. Je continus en même temps d’être professeur au séminaire d’Issy-les-Moulineaux, ce qui me permet des comparaisons tout à fait instructives.

I - DES DIFFICULTES ET DES QUESTIONS

Les difficultés que rencontrent les jeunes en G.F.U. dans leur cheminement sont d’abord celles de tout étudiant : après le cadre familier du lycée, du collège, du Foyer, où la "classe" reste, malgré tout, un repère facile et à taille humaine, les voilà confrontés à un monde nouveau, beaucoup plus anonyme, plus vaste, insaisissable. Un assez grand nombre d’entre eux se trouvent déracinés par rapport à leur réseau de relations antérieur. Vis-à-vis de la famille, il y a même souvent, volontaire on non, une certaine rupture. Par ailleurs, les "groupuscules" étudiants, politiques ou même religieux, dans un premier temps, déconcertent. Puis, on cherchera à s’y engager avec le souci d’être plus actif, dans un monde assez "amorphe". C’est à partir de cette situation que va se vivre une maturation humaine, une éducation à la liberté et à la responsabilité dans des conditions communes à beaucoup de jeunes, sans le soutien d’un cadre particulier.

Le jeune étudiant qui pense au Sacerdoce est bien vite confronté au problème de l’incroyance. Les études et la mentalité qu’elles véhiculent, surtout en certains domaines bien représentés parmi les G.F.U. (Sciences, philo, psycho, socio) posent des questions sur la validité de la foi. De toute façon, et quelles qu’en soient les causes (changement de cadre, études, évolution personnelle), la plupart des gars connaissent, sinon tous une crise, du moins une remise en question, un "décapage" de leur foi. Et ceci, même (surtout ?) s’ils viennent d’un collège, ou encore d’un lycée ayant une aumônerie assez dynamique.

Par contre-coup, le projet de sacerdoce peu à peu se modifie et peut même devenir problématique. Au départ, les motivations sont encore souvent très idéalistes ("se dévouer") ou relèvent davantage d’une générosité religieuse très individuelle que d’une perception exacte des besoins du Peuple chrétien et de la Mission.

Ce projet, dans le meilleur des cas, a parfois un certain enracinement ecclésial (engagement à l’A.C.E., ou dans telle aumônerie de lycée) mais ce point de départ n’a pas toujours été assez relativisé ou resitué pour résister à la découverte d’autres visages plus déconcertants de l’Eglise. La tentation est grande de se replier alors sur un petit groupe "chaud" et informel, baptisé rapidement "communauté de base". Il y aurait beaucoup à dire sur ce phénomène actuel. Le bilan ne serait pas, d’ailleurs, uniquement négatif.

Progressivement, au cours des années, (et ceci va influer aussi sur le projet de sacerdoce), les études se spécialisent et se dessine l’acquisition d’une compétence professionnelle. C’est très net pour certaines branches (Médecine) mais même pour la plupart (Sciences, Droit), un peu moins en lettres. A chaque étape, il y aura des choix à faire (quelle bifurcation d’études ? Jusqu’à quel niveau les pousser ? ... La compétence professionnelle s’inscrit peu à peu dans le projet global. Même si tous n’envisagent pas, pour plus tard, d’être prêtres "en situation professionnelle", la plupart sont marqués par la mentalité et le souci d’annoncer l’Evangile dans tel "monde" plus précis (santé, industrie, économie, enseignement). Beaucoup souhaitent exercer quelque temps après leurs études, la profession qu’ils préparent. Nous les y encourageons, pour des motifs, en particulier, pédagogiques : le milieu étudiant ne suffit pas à assurer par lui-même une véritable maturité humaine et chrétienne (apostolique). Mais tout ceci pose aussi des problèmes complexes : durée ? Quel accompagnement ? Induction de nouveaux types de ministères.

Il faudrait parler aussi de la question du célibat, si rebattue à l’heure actuelle. Je dois constater que les membres des G.F.U. la posent à mon avis très sainement ; d’une part, ils vivent, comme tous les jeunes de leur âge, l’expérience d’une mixité devenue naturelle ; d’autre part, ils savent bien qu’actuellement, l’exercice du ministère sacerdotal est réservé à ceux qui acceptent aussi le célibat. Dans l’ensemble, ils l’envisagent sereinement pour eux-mêmes, tout en souhaitant parfois que l’Eglise puisse faire appel aussi à d’autres candidats. Il est vrai que la plupart de ceux qui abandonnent les G.F.U. le font souvent parce qu’ils veulent se marier. Mais ceux qui persévèrent se préparent au célibat avec sérieux et lucidité.

II - LES MOYENS MIS EN ŒUVRE

Face à toutes ces questions, quels sont les moyens à la disposition des membres des G.F.U. ? Il faut souligner d’abord l’importance primordiale de la session nationale annuelle (trois semaines) ; temps de recul, de reprise et d’approfondissement ; temps d’échange aussi et de confrontation. Pendant l’année, la vie d’équipe est le lieu privilégié d’une interrogation sur le sens des engagements divers et des difficultés rencontrées- Enfin, une certaine formation à base biblique et théologique s’opère d’une façon très inductive à partir des questions suscitées par l’expérience des gars.

Ces moyens pourraient apparaître à première vue assez "légers" par rapport au cheminement classique. Cette inquiétude se rencontre parfois dans les questions de certains prêtres ou responsables : "mais est-ce bien une formation sérieuse ?"

Il faut d’abord noter le caractère onéreux de ces moyens dans la trame d’une vie assez dispersée et souvent bien chargée (surtout dans certaines branches : médecine, classes préparatoires, écoles.... Participer exige, à chaque fois, un effort, même si on est très motivé ; il faut vraiment le "vouloir". Surtout ce cheminement permet, sinon d’accumuler des connaissances, du moins de franchir un certain nombre de seuils indispensables à la maturation et au discernement de la vocation. Au bout de plusieurs années, l’acquis, même intellectuel (théologie etc.), n’est pas négligeable.

Au total, une chose me paraît importante : le cheminement G.F.U. n’est pas une simple variante du cheminement en séminaire. Il est autre. Les G.F.U., de par l’expérience même que vivent les jeunes, préparent, façonnent un autre type de candidats au ministère. En voici, deux indices parmi d’autres : d’une part, les jeunes posent la question du ministère à partir d’une situation humaine globale (réseau de relations, compétence professionnelle, engagements divers) qui se suffit à elle-même. Ils ne sont pas encombrés des problèmes de leurs aînés : comment rejoindre le "monde" et ses aspirations ? Ils sont en plein dedans ; peu de traces aussi des problèmes de boutique ecclésiastique qui leur sont bien étrangers. D’autre part, ils avancent non seulement en construisant leur personnalité, mais surtout en traçant eux-mêmes, avec les éducateurs, une certaine voie. Le mot de "coresponsabilité" souvent si vide de contenu recouvre ici une réalité. Lorsqu’il s’agit de franchir un seuil, de faire un choix important, l’intéressé, ses camarades d’équipe, son aumônier réfléchissent ensemble.

III – LE PROBLEME LE PLUS AIGU

Voilà donc un panorama un peu rapide sur divers aspects de la formation en G.F.U. Je n’ai guère fait référence à des exemples précis, mais toutes ces observations sont nourries de nombreuses expériences. S’il est toujours dangereux de généraliser, il peut être utile de faire apparaître quelques grandes lignes. Mais rien n’a été dit encore du problème le plus aigu des G.F.U., celui de leur "débouché" : temps plein de formation et surtout ministère. Certes, il ne leur est pas propre. Mais on devine à partir de ce qui précède que la solution ne peut être simple. Ce nouveau type de candidat, s’il ne répugne pas à un temps fort de recul, d’investissement intellectuel et spirituel, appelle une refonte de l’esprit, des méthodes, du style de vie de la formation ultérieure. Et surtout, il préfigure sans doute un nouveau type de prêtre beaucoup plus engagé dans la vie commune des hommes, davantage sensible aux mondes marqués par l’incroyance, et à la nécessité d’un renouvellement plus radical du visage de l’Eglise et du ministère.

IV – DEUX TENTATIONS

En terminant, je voudrais mettre en garde contre deux tentations opposées que je rencontre souvent selon les interlocuteurs. C’est tantôt une méfiance injustifiée envers la qualité et même l’intérêt d’une telle entreprise. Je suis convaincu au contraire que le dynamisme des jeunes un G.F.U. est une richesse nouvelle et un enjeu important pour l’Eglise. Mais c’est tantôt aussi l’illusion que l’on a trouvé la panacée, la "formule de l’avenir".

Les G.F. ne sont la solution au problème des "vocations" ni statistiquement (car leur nombre ne suffit pas, de loin, à compenser la chute des effectifs), ni qualitativement, car la question du ministère et des communautés chrétiennes a bien d’autres dimensions.

Les G.F.U. représentent une expérience originale, intéressante et sans doute importante, mais limitée, pour l’Eglise de France en 1973.

Bernard GOUDEY