Accompagner des jeunes... Pourquoi ?


La question est d’actualité ! Autour de nous, tant de voix s’élèvent pour dire : "S’intéresser au problème des vocations aujourd’hui, est-ce possible, est-ce nécessaire ?

Qui n’a entendu ou perçu des réactions d’indifférence, voire d’opposition devant l’aide apportée à des jeunes qui forment un projet de vie sacerdotale ou religieuse ? Ignorance, lucidité, apitoiement, ironie, prophétisme, hostilité déclarée ? Tout cela se trouve sans doute.

Et voici que chacun de nous est sommé de rendre compte de ce qu’il fait, de ce qu’il croit, des motifs qui justifient sa tâche d’accompagnateur.

Acceptons d’abord d’entendre les questions de ceux qui nous interpellent. Ensuite nous pourrons exprimer, en connaissance de cause, nos convictions sur la nécessité de l’accompagnement.

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I- L’ACCOMPAGNEMENT EST RECUSE

Le refus d’aider les jeunes en recherche de vocation prend des formes multiples. D’une manière globale, on peut distinguer ceux qui rejettent le principe même de l’accompagnement, et ceux qui, sans en écarter le principe, en récusent certains modes concrets d’expression.

a) Ceux qui disent "non" à l’accompagnement.

Il s’agit en l’occurrence d’un refus délibéré de prêter attention à certains projets d’avenir et d’accompagner les jeunes dans leur recherche et leur cheminement.

- Bien souvent, cette attitude s’appuie sur l’incertitude qui affecte aujourd’hui l’identité des ministères et de la vie religieuse. "Accompagner ? Il faudrait d’abord savoir à quoi ? A quel sacerdoce ? A quelle vie religieuse ? Et en définitive, pour quelle Eglise ? On ne peut sérieusement donner suite à des projets tant qu’on n’aura pas répondu à ces questions préalables !"

- Cette opposition traduit également le désaveu de certaines formes actuelles de ministères et de vie religieuse. "Quand on voit certaines conditions de vie sacerdotale, quand on sait ce qui se passe dans telle ou telle communauté religieuse, quand on pense au ministère exercé par les uns et aux tâches accomplies par les autres, comment laisser des jeunes s’orienter vers cette voie ?"

- Derrière ce refus se profile aussi une certaine conception de la vocation :"accompagner des jeunes ? Certainement pas. Quel crédit accorder à leurs projets d’avenir ? Les seules vocations à prendre au sérieux sont celles d’adultes, mûries par l’expérience et l’épreuve du temps, conscients de leur choix, appelés ou reconnus par la communauté. Hors de ces. perspectives, il n’est qu’idéalisme dangereux, orientation prématurée, influence opprimante."

- Cette prise de position s’appuie parfois sur des motivations plus radicales encore. Elle veut être un moyen de pression, de type révolutionnaire. "Ne faisons rien, pendant-vingt ans s’il le faut, pour contraindre l’Eglise à évoluer. Rendre possibles certains engagements,, c’est empêcher pratiquement toute modification du statut sacerdotal, de l’exercice des ministères, de la vie religieuse, de la formation aux ministères ou à la vie consacrée. L’attitude réformiste qui envisage seulement d’amender la situation actuelle est complice du statisme de l’Eglise."

b) Ceux qui disent "non" à certaines formes d’accompagnement.

Il ne s’agit plus dans ce cas d’un refus de principe mais d’un désaccord profond avec certains types d’accompagnement. "Cheminer avec les jeunes ? D’accord, mais pas n’importe comment !"

- on redoute une pédagogie protectionniste, qui ne permet pas l’affrontement nécessaire avec les réalités de la vie- Les termes "de protection, de précaution, de préservation, de mise à part" dénoncent cette tendance à mettre à l’abri des contestations et des épreuves du monde contemporain. "Ce n’est pas seulement une grave erreur pédagogique, par rapport à l’éducation des jeunes, à la prise de conscience do leurs responsabilités, à la maîtrise de leur affectivité, à la purification et à l’approfondissement de leur foi... C’est accumuler pour demain des difficultés supplémentaires..."

- On .redoute une pédagogie prédéterminante, qui ne respecte pas la liberté des personnes. "Le jeune ne sera t il pas condition-né, déjà placé sur des rails, catalogué par son entourage ? Pourra-t-il librement choisir, en connaissance de cause ?"

- On redoute une pédagogie de la formation professionnelle, alors qu’il s’agit du stade de la recherche. "Ne faisons pas de ces jeunes des clercs avant l’heure. Ne confondons pas recherche et formation- Autre chose la maturation d’un projet, autre chose la préparation à un ministère ou à la vie religieuse. Il ne faut pas confondre les étapes."

- On redoute une pédagogie marginale qui ne tient pas compte de l’enracinement humain et de l’engagement apostolique des jeunes dans leurs milieux de vie. "Nous refusons une recherche qui obligerait le jeune à se couper de son milieu-naturel de vie, du tissu humain dans lequel il vit," "Le jeune a besoin de sentir la terre sous ses pieds, d’être planté au milieu des siens, reconnu d’eux et les connaissant bien, intégré au moins à ceux de son âge, et compté comme l’un d’entre eux". "Un projet mûrit à l’intérieur d’une vie militante, réfléchie, approfondie, relue dans la foi. Il ne faut pas sortir les jeunes de leurs engagements car c’est là qu’ils sont appelés à témoigner de leur foi. et qu’ils peuvent, à travers les besoins d’un peuple, discerner les appels du Seigneur et y répondre."

- On redoute une pédagogie spécifique, qui minimise l’importance prioritaire donnée à la formation humaine et chrétienne des jeunes. "L’essentiel n’est-il pas d’éduquer des hommes et des chrétiens ? Et n’est-ce pas fondamental pour la maturité et le discernement d’une vocation plus spécifique ?"

c) Comment réagissons-nous devant ces remarques ou ces questions ?

Ce serait nous sécuriser à bon compte que de n’y voir que

- référence à un passé révolu ;

- préjugés hâtifs ;

- pointes d’affectivité mal contrôlée ;

- souvenirs d’expériences malheureuses ;

- problèmes d’adultes immatures et angoissés

- élucubrations d’idéologues ;

- que sais-je encore ?

Ceci ou cela n’est pas forcément exclu, et un travail de discernement s’impose. Mais plutôt que de percevoir ces réactions comme une menace, ne serait-il pas plus expédient de déceler en quoi -elles nous interpellent et nous provoquent dans nos convictions, nos attitudes, notre action pastorale ?

Nul doute que de telles réactions viennent opportunément :

- nous rappeler que certaines formes d’accompagnement sont injustifiables, donc inadmissibles, et qu’elles doivent, le cas échéant, disparaître.

- nous provoquer à réviser constamment la pédagogie de cet accompagnement et notre attitude d’éducateurs ;

- nous révéler des mentalités dont il faut tenir compte dans notre travail ;

- nous inviter à motiver une pastorale d’accompagnement dons le contexte actuel et pour le monde de ce temps

II - POURQUOI UN ACCOMPAGNEMENT EST-IL NECESSAIRE ?

- Au nom d’une triple fidélité, me semble-t-il :

  • aux jeunes et à leurs projets ;
  • au dynamisme de la vocation qui se précise dans le temps et à l’intérieur d’un Peuple ;
  • à Jésus-Christ qui appelle.

a) "La reconnaissance"des projets de jeunes.

- C’est d’abord une question de fidélité à ce que vivent les jeunes. "Fidélité à la vie" : l’expression serait-elle devenue un slogan commode pour dissimuler nos déficiences et nos manques ? Un malicieux déclarait un jour à ce sujet : "on parle beaucoup des absents dans l’Eglise." Etre attentif à une personne, n’est-ce pas la rejoindre dans tout ce qui constitue sa vie, c’est-à-dire en l’occurrence dans ses interrogations actuelles concernant l’avenir ?

Toutes les réalités de la vie des jeunes exigent notre attention, ce qui ne supprime pas mais appelle au contraire de notre part lucidité et discernement. Dans les aumôneries de scolaires, dans les mouvements, dans les rencontres de parents, l’effort sans cesse renouvelé de nombre d’adultes pour rejoindre les questions des jeunes en constitue un signe éclatant. Adopter une attitude de désengagement et de fuite traduirait une incapacité notoire au dialogue et à la recherche commune. Un éducateur peut-il l’accepter sans se disqualifier pour l’accomplissement de sa tâche ? Et quelle conception de l’éducation et du service laisserait apparaître ce refus arbitraire de prendre les jeunes "tels qu’ils sont"’ ?

- C’est aussi être attentifs au retentissement des projets d’avenir dans la vie actuelle des jeunes. La reconnaissance est basée ici sur les lois duodéveloppement de la personne. Ce serait une erreur psychologique et pédagogique, de plus en plus dénoncée par les spécialistes au fait de ces questions, que d’écarter une hypothèse d’avenir chez un jeune dans la mesure où elle le met en état de recherche et stimule les ressources de sa personnalité. Une personnalité ne mûrit pas dans un climat d’attentisme, où l’on ne prend en considération aucun appel.

- Il s’agit également de répondre à l’attente ou à la demande des jeunes, à leur besoin de parler de leur projet, de le valoriser, de l’objectiver, de le confronter à celui des autres. Certaines réflexions retentissent comme des cris de détresse : "Je ne peux parler de cette question à personne, et pourtant, je ne peux la garder pour moi tout seul !" Cet aspect revêt une grande importance aux yeux des jeunes, renforcée par l’isolement psychologique dans lequel ils se trouvent. Il serait regrettable que les adultes, dans leur volonté légitime d’être circonspects, s’en tiennent paradoxalement à’un jugement rapide et extérieur, et se mettent ainsi dans l’incapacité pratique de percevoir le sens et l’importance de certaines demandes. Mais pour ébranler l’indifférence, faire évoluer les mentalités, éviter les disputes oiseuses, est-il témoignage plus convaincant que celui des jeunes eux-mêmes ?

- Cette reconnaissance des projets de jeunes engage l’avenir de l’Eglise et son renouveau. Ce n’est pas à partir de thèmes ni de simples affirmations théologiques que seront façonnés les nouveaux visages de prêtres, de religieux et de laïcs, mais de la vie même du Peuple de Dieu. Il est clair que pour ce renouvellement, l’Eglise ne peut se passer du concours des nouvelles générations. Une société qui se durcit contre la créativité de la jeunesse risque fort de laisser se développer loin d’elle les ferments mêmes qui assureraient son rajeunissement.

Comment y parvenir si les aspirations des jeunes se heurtaient à l’indifférence ou au refus des chrétiens et des responsables de la pastorale ? Comment ce renouveau pourrait-il prendre corps dans la vie de l’Eglise si la rencontre de l’offre et de la demande devenait impossible ? Question préalable : comment l’interpellation des jeunes trouverait-elle un écho s’il n’y avait pas d’éducateurs qui les connaissent, les accompagnent et donc puissent entendre, accueillir, faire retentir leurs questions 1.

b) La vocation se précise dans le temps et dans l’histoire d’un Peuple.

- La vocation se précise dans le temps.
Si l’accompagnement est nécessaire, c’est aussi au nom d’une saine théologie de la vocation. Il semble que beaucoup ,d’incompréhensions s’évanouissent à la lumière d’une vision dynamique de la vocation.

A cet égard, certains récits bibliques sont particulièrement éclairants. Dans la Bible, la vocation apparaît comme une découverte, souvent progressive, au coeur d’une relation et d’un dialogue entre Dieu et les personnes. Que l’on songe au long débat qui s’établit entre Yahvé et Moïse, aux hésitations de Jérémie, à la vocation des apôtres. Tous entrent en conversation avec un Dieu qui plaide sa cause, écoute leurs objections, fait droit à leurs requêtes, se plie aux lenteurs d’une recherche.

La vocation est saisie dans le mouvement même de la vie. Elle se construit au fil des jours, tout au long d’une marche avec le Seigneur, dont le parcours se révélera progressivement. Refuser d’avancer, en fonction de la lumière du moment, serait renoncer à explorer la route et à découvrir où elle nous mène. Mais brûler les étapes reviendrait à oublier :

  • que la vocation est recherche tâtonnante, dialogue, découverte permanente ;
  • qu’elle exige maturité et discernement ;
  • et donc qu’elle se définit dans le temps.

On conçoit aisément qu’une telle recherche ne puisse demeurer longtemps une entreprise individuelle.

- La vocation s’inscrit dons l’histoire d’un Peuple.
Elle ne constitue pas une réalité abstraite. Elle revêt un visage, prend corps dans une personne concrète, à travers la prise de conscience des besoins d’un peuple. C’est dans un peuple et pour un peuple que Dieu appelle.

Cette découverte des appels du Seigneur à travers les besoins des hommes nécessite du temps et aussi- un apprentissage et une pratique, c’est-à-dire :
le partage de ce qui est vécu au sein de l’expérience humaine et ecclésiale ;

  • la lecture chrétienne de la vie pour y découvrir Jésus-Christ qui agit et qui appelle ;
  • l’initiation à une présence et à un engagement dans son milieu :
  • la rencontre du Seigneur au coeur de l’existence quotidienne, éclairée par sa Parole et célébrée dans l’Eucharistie.

Comment y parvenir sans un accompagnement qui inclut non seulement des relations interpersonnelles mais aussi et surtout l’appartenance à des groupes. "Au début, lorsqu’un jeune me parlait d’un tel projet, mon premier souci était de m’entretenir personnellement avec lui. Maintenant, grâce à. Philippe et à ses camarades, je m’aperçois que le plus important est de les mettre en lien ensemble, de les provoquer sans cesse par rapport à leurs relations." (un aumônier de J.I.C.)

Par groupes, nous entendons toutes les communautés auxquelles le jeune appartient (famille, réseau de relations, école... .milieu professionnel et social,. aumônerie, mouvement apostolique surtout) et aussi éventuellement des lieux spécifiques de rencontres pour les jeunes formant un même projet.

Cet accompagnement en groupes spécifiques rejoint une réalité traditionnelle et fondamentale dans la vie de l’Eglise : de tout temps, des chrétiens se sont réunis au nom d’un même projet. "Les Actes des apôtres" en constituent le premier témoignage. Et aujourd’hui les exemples pullulant de chrétiens rassemblés pour une même recherche, en vue d’un objectif commun, dans des groupes très diversifiés

Ces rencontres spécifiques sont également à rattacher au "phénomène groupe actuel", à ce besoin, ambigu peut-être, mais absolument vital pour des jeunes, de se retrouver entre eux :

  • pour se révéler ce qu’ils sont eux-mêmes,
  • comme moyen d’expression simple, vraie, spontanée,
  • comme lieux de dynamisme, de créativité, voire de ressourcement spirituel...

C’est parce que la vocation mûrit dans le temps et au coeur d’un peuple qu’un accomplissement est nécessaire.

c) Jésus-Christ appelle.

Mais l’accompagnement des jeunes n’est-il pas d’abord fondé sur une attitude de foi au Seigneur qui appelle qui Il veut, quand Il veut, comme Il veut ? Dieu choisit ses chemins et ne se laisse pas enfermer dans nos cadres. La foi nous donne l’assurance que le Seigneur continue de parler aux hommes aujourd’hui et à tous les âges de la vie. N’est-ce-pas une invitation à être fidèles à un Dieu qui est fidèle ?

Mais la fidélité du Seigneur ne s’exprime pas forcément selon notre .attente et selon nos souhaits. Il s’agit pour nous d’aller à la rencontre de Jésus-Christ qui appelle, mais d’une façon toujours nouvelle, à travers la nouveauté d’un temps. Prenons garde, faute d’esprit de recherche et d’humilité, que ces appels disparaissent tandis que nous les cherchons ailleurs.

Du reste, les convictions sont partagées par tous ceux - responsables de mouvements, catéchètes, parents, animateurs, aumôniers - qui se consacrent à l’éducation chrétienne des jeunes. Dans son Assemblée Générale de Mai 72, l’A.C.E. exprimait sa foi en l’action du Seigneur dans la vie des enfants en proclamant : "ils ne sont pas trop petits."

S’il devient nécessaire et urgent d’interpeller des adultes pour les appeler à assurer divers ministères, il demeure vrai que l’appel du Seigneur retentit dans la vie des jeunes. LES enquêtes les plus récentes confirment que, pour beaucoup, c’est au coeur de l’enfance qu’est perçu un premier appel. "Nous constatons que ces vocations sont profondément enracinées dans toute une vie d’enfant et de jeune."

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Il reste que ces convictions sur la nécessité de l’accompagnement appelleraient de nombreuses remarques et nuances en fonction :

- de la personnalité de chaque jeune, de son âge, de son sexe ;

- de son enracinement humain dans une famille, dans un milieu,

- de son histoire, de ses engagements,

- du type de vocation qu’il envisage (ministérielle, religieuse...)

- de la consistance de son projet.

Ces réflexions ne suppriment pas les difficultés et certaines interrogations de l’accompagnateur. Bien des questions demeurent. Moins encore, elles voudraient donner l’apparence de justifier toutes les réalisations actuelles ou possibles en oubliant la pertinence de certaines critiques concernant la pédagogie de l’accompagnement.

Mais il est des jours où c’est la foi des éducateurs ou leur propre travail qui est en cause et qui a besoin de retrouver des raisons d’espérer et d’agir. Et ce n’est pas vrai seulement, à l’époque actuelle, pour ceux qui "croient aux vocations" !

Jean RIGAL