Accompagner des jeunes... Comment ?


Des jeunes, au nom d’un projet de vie sacerdotale ou religieuse, attendent un accompagnement. Des éducateurs, pour les raisons que le P.Rigal vient de préciser, sont appelés à remplir cette mission. Ce sont là des faits.

Reste la question : "Accompagner des jeunes... comment ?" ...

N’est-ce pas une gageure que de tenter de répondre à semblable question ? Nécessairement, chacun remplit cette mission à sa manière et avec son style, propres, marqué par certaines expériences, accoutumé à un certain type de relation, entraîné à une certaine pédagogie. Bien plus, nous savons tous combien parfois une théologie sous-jacente, des options prises - et même certains préjugés, voire certains problèmes personnels - marquent fatalement notre action apostolique ! Par ailleurs, selon qu’il s’agit de gars de 6ème ou d’aînés de terminales, de jeunes en foyer ou de jeunes en diaspora, d’une lycéenne de 17 ans ou d’une professionnelle de 23 ans, autre doit être l’accompagnement. Alors, n’est-il pas chimérique d’aborder globalement cette question : "Accompagner... comment ?"

Et cependant, puisque - et nous en sommes tous là - nous devons sans cesse penser, expérimenter, remettre en cause une pédagogie qui est toujours à faire et à refaire, il est peut-être utile parfois de faire retour, pour le souligner, à l’essentiel. C’est ce que je voudrais tenter, certain que ce sont les documents suivants - traitant, à partir d’expériences vécues, de l’accompagnement en institutions permanentes, en diaspora scolaire, auprès de filles en recherche - qui illustreront ces quelques principes... que l’expérience aussi invite à souligner.

Ce qui en tout cas me paraît aussi difficile que primordial, c’est de conduire cette recherche, non à partir de principes mais à partir des jeunes, attentifs à ce qu’ils sont aujourd’hui, au monde où ils vivent, à l’Eglise qu’ils voient, aux projets qu’ils construisent, aux questions qu’ils posent.... C’est à cette condition-là seulement qu’un effort d’accompagnement peut rejoindre et servir les appels actuels de Jésus-Christ dans la vie des jeunes de ce temps.

I - LES CONDITIONS DE L’ACCOMPAGNEMENT

Y a-t-il des conditions "idéales" d’accompagnement ? Ce qui doit primer, ce ne sont pas les "structures", les "voies de cheminement" bien diversifiées et bien aménagées que nous mettons en place, que nous sommes portés à privilégier ou à critiquer, et dans lesquelles nous avons tendance à "faire entrer" des jeunes, avec beaucoup de conscience et de tact certes, et pour leur plus grand bien ! Il y a là des jeunes, qui sont de tel milieu, on telle situation, avec leur psychologie et leur vie, leurs projets et leurs questions, leurs refus et leurs attentes : là est l’essentiel, et c’est à partir de là que les conditions d’un accompagnement doivent être précisées.

1 ° - Si nous nous voulons fidèles eux personnes, un mode d’accompagnement doit être choisi en fonction des personnes.

Séminaire de jeunes, foyer ou diaspora ? cheminement individuel ou cheminement en groupe ? Lieux de rencontre ou équipes pour des jeunes en diaspora ? "qu’est-ce qui est mieux ?"...

Soyons réalistes : il nous faut avoir "la politique de nos moyens"... qui souvent aujourd’hui sont pauvres, ne serait-ce que parce que ces jeunes, s’ils existent, ne sont pas légion ! Et s’il est des diocèses ou des régions qui peuvent se permettre une "pédagogie de luxe", il en est bien d’autres où il faut penser et agir avec tout son esprit et tout son coeur... mais "avec les moyens du bord".

Ceci dit, à cette, question, "qu’est-ce qui est mieux ?", il n’est pas de réponse théoriquement idéale. Il y a des modes d’accompagnement différents, et, selon les cas, c’est l’institution permanente ou la diaspora, c’est le groupe de recherche ou un cheminement plus individuel, qui sera le lieu privilégié où un jeune pourra "grandir" à sa manière et à son rythme, où son projet de vie prendra corps, où il pourra en préciser et en vérifier la véritable signification.

Un mode d’accompagnement doit donc être choisi

pour un jeune ... en tenant compte, dans toute la mesure du possible,

- de ce qu’il est,

- de ce que sont sa famille, son milieu,

- des expériences que déjà à son niveau il a vécues,

- de ce qu’il vit maintenant là où il est, comme relations, comme engagements ...

- de la consistance de son projet de vie,

- surtout de ce qu’il peut et doit vivre pour mûrir comme homme et comme croyant, pour élucider ce projet de vie à travers lequel peut se préciser un appel du Seigneur.

pour un temps ... Une décision prise doit être parfois remise en cause.
Par exemple, Bernard me semble s’attarder et s’installer au foyer et gagnerait à "prendre l’air" en vivant quelque temps un cheminement en diaspora, je le crois, mais pourquoi ? Dois-je l’amener à en prendre conscience ? Comment ?...
Par contre, Yvon, en diaspora depuis deux ans, demande à entrer au foyer : il le souhaite, mais pourquoi ? ... Carmen qui, depuis trois ans appartient à un groupe de recherche auquel elle est effectivement très liée, pense devoir se démarquer pour un meilleur discernement... Bien des exemples nous invitent à de telles remises en question... Y sommes-nous habitués ? Ne sommes-nous pas à priori "pour le statu-quo".. ou au contraire pour les "changements d’air" ? ...

en dialogue.... Une décision doit être prise ou remise en cause en dialogue avec ^
ce jeune, mais aussi avec ceux qui le voient vivre et l’accompagnent maintenant. Nous pouvons les éclairer sur ce qui est vécu par les uns ou les autres en des situations diverses de cheminement, mais ils demeurent les mieux placés pour savoir qui sont ces jeunes et ce qu’ils vivent. On a besoin du regard des autres pour mieux lire leur vie, leurs motivations, leurs projets.

Bref, il ne s’agit pas d’engager et de guider des jeunes sur des rails, sur nos rails ! il s’agit d’inventer jour après jour - pour eux - avec eux - un accompagnement qui aujourd’hui leur convienne.

2° - Si nous voulons répondre à l’attente de ces jeunes, des "lieux de rencontre" semblent nécessaires.

Pendant longtemps, pour ces jeunes, les seuls modes de regroupement furent les séminaires de jeunes, les foyers, les juvénats religieux. Peu à peu sont nés, commandés par la vie, d’autres modes de cheminement : la diaspora scolaire qui prend de multiples formes, des plus structurées aux plus informelles - des groupes de recherche dans les divers milieux de vie - des groupes de recherche pour jeunes filles...

En effet, d’une part nous constatons que beaucoup de jeunes, s’ils refusent qu’on les embarque en des groupes où ils seraient étiquetés et manoeuvrés, attendent et demandent des occasions d’en rencontrer d’autres, de cheminer avec d’autres qui ont le même projet. Et cela, parce que, disent-ils, "on ne peut pas en parler ailleurs, on se sent seul là-dedans., on est paumé ! " Il y a là un cri qu’il nous faut entendre.

Mais d’autre part nous constatons aussi que certains jeunes - notamment certaines jeunes filles - à cause de ce qu’ils sont, de leur réseau de relations ou de la qualité de leurs engagements - peuvent et doivent vivre, peut-être pour un certain temps, un cheminement individuel. Par ailleurs, certaines institutions permanentes, certaines équipes de diaspora, certains groupes de recherche... risquent de devenir des lieux où l’on est trop "bien au chaud", où l’on se sécurise ensemble, où l’on piétine sous prétexte qu’il faut encore patienter, où l’on se coupe du réel et des autres, où l’on s’enferme dans un projet ... Il y a là des écueils qu’il faut éviter.

Aussi, personnellement, je soulignerais plutôt les trois convictions suivantes :

1 - le "lieu" que primordialement ces jeunes doivent rejoindre, c’est un groupe de jeunes là où ils vivent. Peut-être d’ailleurs est-ce leur passage en une équipe de diaspora ou en un groupe de recherche qui les aidera à prendre conscience que c’est pour eux primordial, et à faire ce pas qui souvent les sauve.

2 - pour procurer à ces jeunes, en réponse à leur attente, un accompagnement à la fois assez souple et assez ferme - sans parler trop vite, trop uniformément, trop catégoriquement, d’équipes ou de groupes - il faut essentiellement prévoir avec eux et pour eux des "lieux" qui soient

- lieux de rencontre de jeunes ayant le même projet

- lieux de partage et de lecture de ce qu’ils vivent,

- lieux d’écoute des signes de Dieu dans leur vie de jeunes,

- lieux de recherche de Jésus-Christ au coeur de leur vie.

3 - Enfin, de tels "lieux de rencontre" doivent devenir des lieux où l’on se provoque, où l’on s’interpelle, pour s’aider à vivre les "pas" qui engagent et qui éclairent... bref, des lieux où l’on avance ensemble.

Restent, bien sûr, le problème des formes concrètes que peuvent emprunter ces lieux, et surtout le problème primordial de ce qui s’y vit. Car il faut que ce soit sérieux ! ...

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II - LA PEDAGOGIE DE L’ACCOMPAGNEMENT

Pour des jeunes différents, les modes d’accompagnement seront donc différents : une telle diversité est certes onéreuse, elle est une nécessité, elle peut être une richesse.

- Chacun de ces modes de cheminement doit conquérir une véritable originalité, ce qui n’est pas chose faite : les difficultés rencontrées par certains "foyers" ne viennent-elles pas de ce qu’ils sont nés des séminaires de jeunes ? peut-être en ont-ils trop hérité pour devenir vraiment un mode nouveau de cheminement. De même les difficultés rencontrées par certains groupes de diaspora ne viennent-elles pas de ce que, d’une manière ou d’une autre, ils demeurent trop liés à une institution dont ils sont un prolongement et une excroissance ?

- De même chacun de ces modes de cheminement doit acquérir une réelle fermeté : chacun d’eux a ses valeurs et ses limites : il doit avoir aussi ses exigences - c’est-à-dire que nous devons d’abord prendre conscience de ce qu’il nous faut exiger... de nous !

Nous accompagnons des jeunes "en recherche". Je me méfie de ce mot : comme bien d’autres, il est piégé ! Etre en recherche, ce n’est pas chercher à percer un avenir mystérieux, à découvrir une insondable volonté de Dieu : on ne cherche pas ce qui est ; or, une vocation, en tant qu’appel et en tant que réponse, se fait et s’invente dans le déroulement d’une histoire. Et puis, avec quoi va-t-on "chercher" ? Avec sa raison ? c’est tellement décevant ! avec son coeur ? c’est tellement dangereux ! Enfin, rien n’est plus traumatisant pour un jeune que de vivre ainsi devant un point d’interrogation, d’avancer à tâtons dans un tunnel dont on ne voit pas le bout ! Nous ne pouvons pas engager des jeunes en une "recherche" ainsi comprise.

Mais, pour un jeune, être en recherche, n’est-ce pas plutôt

- se chercher soi-même, pour se connaître et se construire : en sa vie réelle, en son milieu, avec ses valeurs, ses limites, ses possibilités...

- chercher le visage du Seigneur, car il appelle à lui ceux pour qui il devient quelqu’un...

- chercher ce que le Seigneur accomplit, révèle, demande dans la vie de ce jeune, dans la vie de son milieu, dans la vie du monde, en ce bel aujourd’hui où son Esprit parle et agit.

Alors, accompagner des jeunes en semblable recherche, qu’est-ce que cela veut dire ?

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1° - Accompagner ces jeunes, c’est les rejoindre tels qu’ils sont.

a) Ces jeunes sont d’une génération, et il nous faut en prendre et en garder conscience. Même s’ils nous paraissent parfois plus "classiques" que d’autres jeunes, plus "réformistes" que "révolutionnaires", ils sont mêlés à d’autres jeunes dont ils partagent la vie, la psychologie, les valeurs, les contradictions, le langage... Si non, cela doit nous poser question. Si oui, de tels contacts les marquent, et notre relation, notre pédagogie, notre attitude doivent en tenir compte.

En particulier, ils appartiennent à une génération de jeunes marquée par "la crise du sens" et par l’incroyance, en un temps où sous leurs yeux la foi de beaucoup de croyants est souvent remise en cause, ébranlée, égarée. Nécessairement cela a de l’impact sur leur recherche - ou plutôt leur recherche se situe en profondeur à ce niveau-là : ils s’interrogent bien souvent, non pas sur leur avenir, mais essentiellement sur leur foi en Jésus-Christ : pour eux comme pour beaucoup, croire en Jésus-Christ, aujourd’hui, "cela ne va pas de soi" ! Je pense à ces jeunes de terminales, fidèles aux rencontres de diaspora, appelés à préciser leur orientation pour l’année prochaine, qui posaient d’abord les questions suivantes : "Y a-t-il des structures, des recettes, pour trouver Dieu ?... Comment, quand on a été élevé dans la foi, ne pas se laisser porter ?..." Parmi eux, un jeune lycéen disait : "Vous comprenez, on passe toute l’année avec Marx, Hegel, Nietzsche, ça décape drôlement la foi qu’on croyait avoir !" Et un autre résumait ainsi sa recherche : "Hier je cherchais ce à quoi Jésus-Christ m’appelait, maintenant, je cherche qui est ce Jésus-Christ qui hier m’appelait ! "

Ces réactions de jeunes risquent de dérouter ceux qui les accompagnent. Mais si leur recherche se situe à ce niveau-là, mieux vaut que nous nous efforcions d’en prendre acte. Le Seigneur n’appelle pas des "croyants-tout-faits", il appelle un "croyant-en-marche" au coeur d’un dialogue où il se livre.

b) Ces jeunes sont d’un peuple, il nous faut les amener à prendre conscience de leur enracinement, en particulier de leur appartenance à un "milieu. Je sais que j’aborde ici un problème délicat : mieux vaut l’aborder franchement.

Je constate ici ou là un certain agacement, une certaine irritation devant une "priorité" accordée à l’Action Catholique spécialisée, devant la pédagogie jugée "trop structurée" de certains mouvements, devant le "sectarisme" de certains aumôniers... Je crains que cela ne nous empêche de découvrir les efforts entrepris par ces Mouvements pour la naissance et la croissance de l’Eglise en divers milieux de vie, les efforts accomplis par ces Mouvements pour l’éveil et l’accompagnement des vocations. J’ai peur également que cela ne nous bloque au point de nous rendre incapables d’aider un jeune à prendre conscience de son appartenance à un peuple. Or, on ne peut faire l’économie d’une telle prise de conscience : un jeune qui découvre ses racines s’affermit et mûrit ; de plus, il ne pourra se sentir appelé par un peuple et envoyé à un peuple que s’il a lui-même pris conscience qu’il est d’un peuple.

Notre souci doit être, non seulement d’aider des jeunes à s’ouvrir, à agir... mais d’abord de les amener à "s’identifier", en découvrant qu’ils sont d’un , milieu dont ils portent les valeurs et dont ils sont solidaires. Ce n’est pas par des discours, mais bien plutôt au coeur d’une action vécue en solidarité avec d’autres, qu’une telle prise de conscience peut s’affermir.

c) Ces jeunes ont un projet, il nous faut l’accueillir. Ce n’est pas respecter un jeune que de dire - ou de penser, pour quelque raison que ce soit - "sois d’abord un bon militant, et on verra après". Le respecter, c’est accueillir son projet et le prendre au sérieux, tel qu’il est : Dieu n’attend pas le maturité d’un être pour se révéler à lui, et l’appeler. A travers le projet d’un jeune peut passer un appel de Dieu,, même s’il s’en faut de beaucoup qu’il soit totalement dit et parfaitement reçu.

Parfois, ces projets de jeunes nous paraissent bien fragiles, inconsistants. Mais, que de jeunes, dynamisés par un projet de vie, se sont révélés capables de faire des pas, de vivre des démarches qui les .ont grandis, mûris, engagés ! Alors, avons-nous le droit, au départ, de nous dire : "Ce n’est pas avec des gars et des filles comme ça qu’on va faire des prêtres et des religieuses pour le monde de demain" ?...

Sans doute, un discernement est nécessaire, surtout pour les aînés : accompagnber un jeune, c’est aussi discerner avec lui et l’aider à discerner la valeur de son projet. Mais cela ne peut se faire que " dans le temps", en jugeant de "la cohérence qui s’établit entre le projet et la vie, en appréciant les pas qu’un projet permet de faire.

Enfin, à partir d’un projet initial, c’est à travers une histoire, dans la vie, que se précise un appel de Dieu et que se formule uns réponse. Alors, accompagner un jeune, n’est-ce pas l’amener à découvrir et à vivre ce qu’il doit vivre, pour que Dieu dise son nom, éclaire ses signes, précise ses appels ?

2 - L’accompagnement doit être vécu dans la fidélité à la vie de ces jeunes.

Quel que soit le mode choisi, l’accompagnement doit permettre

- Un partage de ce qu’ils vivent, notamment

  • leur présence dans un milieu (familial, scolaire, professionnel) : solidarités, attitudes et engagements...
  • leur relation à Jésus-Christ, dans le concret de leur vie et à partir de ce qu’ils vivent...
  • leur projet d’avenir, avec les questions qu’il soulève, le cheminement qu’il provoque, les choix qu’il entraîne.

Ils découvrent ce qu’ils vivent quand ils sont ainsi amenés à le partager. Ils ont besoin du regard des autres pour le découvrir, de la confiance des autres pour le dire. Souvent, un tel partage les révèle à eux-mêmes et les o libère.

- Une lecture chrétienne de ce qu’ils vivent (1)

  • pour y chercher Jésus-Christ qui s’y révèle, agit, appelle.
  • pour éduquer à percevoir les appels actuels du Seigneur : appels à la conversion, au dépassement, au don de soi, :à l’engagement. La lecture chrétienne de la vie est le lieu où, les uns grâce aux autres, ils peuvent discerner ce qu’aujourd’hui ils sont appelés à vivre.
  • pour s’entre aider à répondre aux appels concrets du Seigneur : n’est-ce pas ainsi, au cœur d’un constant dialogue entre un Seigneur qui appelle et un croyant qui essaye de répondre, que "s’éveille" une vocation ?

Si vraiment nous croyons que Jésus-Christ est à l’oeuvre avant nous dans la vie de ces jeunes, les accompagner en croyants, c’est poursuivre un accompagnement qui cherche à aller jusque là. Mais cela suppose :

  • que le partage da vie mène à l’accueil de la Parole de Dieu qui l’éclaire,
  • que la lecture de la vie suscite la prière de louange, d’action de grâces, de repentir,
  • que ce qui est vécu par ces jeunes, dans la vie quotidienne et dans leurs rencontres, soit célébré dans l’Eucharistie, en vérité et dans leur langage.

Les accompagner, c’est, tout en acceptant les lenteurs d’un cheminement, vouloir du moins aller jusque là. C’est cela que, plus ou moins consciemment, ces jeunes attendent, c’est cela que le respect de leur projet de vie et de leur recherche réclame.

"Accompagner un jeune ou un adulte, c’est l’aider à faire, en réponse à l’appel du Christ, un choix personnel qui s’appuie sur la foi en Lui. Il s’agit de lui apprendre à relire sa vie en croyant, à y découvrir le Christ vivant, à le rejoindre dans la prière" (2)

- Une "expérience" de l’Eglise :

Bien des rencontres, des conversations, des enquêtes prouvent que ces jeunes ont leurs "images" de l’Eglise : elles révèlent ce qu’ils découvrent, ce qu’ils regrettent ou refusent, ce qu’ils cherchent et espèrent. Ces images qu’ils ont, ne viennent-elles pas du visage qu’elle leur présente., elle, c’est à dire, nous ? Et donc, vient l’heure où jaillissent les questions : "quelle est sa crédibilité ? quel est son rôle ? telle qu’elle est, peut-elle encore signifier quelque chose ? a-t-elle encore quelque chose a dire à ce monde ? peut-elle, sait-elle le dire ?.."

Evidemment, de telles questions nous interpellent ! Un jeune qui s’interroge ainsi sur notre Eglise peut-il se sentir appelé à servir sa mission, d’une manière ou d’une autre, et trouver en ce service le sens de son existence ?

N’est-ce pas à cause de cela que certains hésitent, attendent, se découragent, quittent l’Eglise en claquant la porte ou sur la points des pieds ? "J’espère en Jésus-Christ" écrivait un jeune, "je désespère de l’Eglise : ce n’est pas là que je le retrouve".

Mais malgré la pesanteur d’une Eglise qui peine à se convertir, malgré la ténacité des images que l’histoire et les témoignages ont imprimées en eux, n’est-il pas possible de les aider à découvrir

  • comment, ici et là, naît et grandit au coeur des réalités humaines, une Eglise qui veut être signe de salut,
  • comment, ici et là, des communautés (équipée sacerdotales, communautés religieuses, équipes apostoliques, communautés neuves ou renouvelées...) témoignent d’une Eglise qui se convertit, se renouvelle.
  • comment, ici et là, prenant conscience des besoins d’un peuple, des laïcs, des religieuses, des prêtres vivent, témoignent et travaillent ensemble pour que naisse et grandisse l’Eglise.
  • Mais, "tout cela qui est l’Eglise", ils ns peuvent le découvrir que s’ils sont amenés à vivre une action apostolique, avec d’autres, d’abord dans leur milieu, au nom de Jésus-Christ.

    "Accompagner un jeune, ou un adulte, c’est l’amener à s’engager au service de ses frères au nom du Christ et d’abord dans le milieu où il vit" (3)

    - Une découverte des besoins d’un peuple.

    S’il faut accueillir et respecter un projet qu’un jeune formule, il faut aussi lucidement reconnaître que souvent un tel projet demeure "subjectif", fort dépendant de sa psychologie et de son histoire, des quelques expériences humaines et apostoliques déjà vécues. Il s’agit donc d’aider un jeune à bien situer et à élargir son projet en prenant progressivement conscience des besoins réels et divers de tout un peuple. Ici encore, c’est au coeur d’une expérience d’Eglise, vécue et relue en Eglise, grâce à. des rencontres et à des engagements plus diversifiés, qu’un jeune prend conscience de l’attente, de l’espérance d’un peuple.

    "Une vocation mûrit par la découverte des besoins des hommes et de la mission de l’Eglise dans le monde" (4)

    3 - L’accompagnement doit être poursuivi en référence au projet de ces jeunes.

    C’est au nom d’un projet de vie que ces jeunes attendent un accompagnement et que, d’une manière ou d’une autre, ils se regroupent. Si, en prenant au sérieux leur projet, nous voulons les respecter, l’accompagnement doit être vécu en référence à ce projet. C’est d’ailleurs primordial si l’on veut que semblable accompagnement garde sa spécificité et demeure légitime.

    1) Quelques réserves

    - Il est des jaunes chez qui - surtout à certaines étapes de leur cheminement - un projet provoque une recherche qui risque d’être surtout réflexion sur des questions. Nous n’avons pas le droit d’éluder leurs questions, pas plus que nous n’avons le droit de leur prêter les nôtres. Ces questions, il nous faut les accueillir, les aborder en elles-mêmes et pour elles-mêmes, mais aussi amener ces jeunes à découvrir quel sens elles prennent pour leur vie d’aujourd’hui.

    - Il est des heures où il ne faut pas énerver une recherche en accentuant cette référence à un projet d’avenir. C’est vrai notamment auprès de certains adolescents, petits ou grands, dont on risque parfois de fausser le cheminement par une insistance inopportune : ils demandent parfois qu’on les laisse vivre, se démarquer, "prendre l’air" - et il est parfois : bon de laisser dormir le projet. L’essentiel est que, dans un climat de respect devant le mystère d’une vocation, l’éducateur ait "une mémoire" !

    - Il est des jeunes enfin qui risquent de se laisser enfermer dans leur projet. Il s’agit peut-être alors de les amener à rencontrer des personnes et à vivre des démarches qui vont élargir l’horizon et assainir le climat de la recherche : la découverte des projets poursuivis et vécus par d’autres les aide à élucider leur propre projet - une vocation personnelle s’éclaire à la lumière de celle des autres.

    2) Une conviction fondamentale

    Aux diverses étapes d’un accompagnement, la pédagogie ne doit pas être déterminée par le projet : ce qui la détermine, _c’est la condition baptismale de ces jeunes. Mais la pédagogie doit être exercée en référence constante à ce projet. Il faut donc que soit poursuivi un double mouvement :

    - le mouvement "vie et projet" : "ce que je vis, ce que je découvre... quelles incidences cela a-t-il sur le projet que j’ai ?..."

    - le mouvement "projet et vie" : ce projet que j’ai, quel retentissement a-t-il sur ma vie ? quels pas m’amène-t-il à faire ? quelles conversions m’appelle-t-il à vivre ? ..."

    C’est, il me semble, ce qu’il y a de plus rude dans la mission de celui qui accompagne, en particulier auprès de jeunes qui "sortent" les problèmes que suscite leur projet : problèmes de "leur" vocation, de l’identité du prêtre ou de la religieuse, de l’évolution du sacerdoce et de la vie religieuse... On comprend qu’ils se posent de telles questions et on ne peut les éluder.

    Mais le rôle de l’accompagnateur, tout en participant avec eux à cette recherche, est de les amener patiemment à revenir à ce qu’ils vivent, à remettre en cause leur vie d’aujourd’hui, à l’occasion de leurs questions, à partir de leurs découvertes.

    Pour un accompagnement en Eglise ....

    C’est un service d’Eglise que nous accomplissons, pour elle, mais aussi en elle.

    1°) Alors, pour nous, accompagner, c’est peut-être surtout veiller à ce que ces jeunes soient accompagnés là où ils vivent, et aider d’autres - personnes ou communautés - à remplir cette mission auprès d’eux. En effet, ceux et celles qui vivent près de ces jeunes sont les mieux placés pour les aider à découvrir ce qu’ils vivent, à le relire dans la foi, à y discerner les signes de Dieu. En sommes-nous persuadés ? ...

    De plus, il est des prêtres, des religieux, des religieuses, qui ne se sentiront concernés par une pastorale des vocations que s’ils rencontrent et accompagnent un jeune qui vit semblable cheminement. Alors, pour nous, les questions primordiales sont peut-être celles-ci : ce jeune, avec qui est-il en lien ? avec qui peut-il entrer en relation ? qui peut l’accompagner ? comment vais-je rejoindre celui qui près de lui remplira cette mission ?

    2°) Enfin, n’est-ce pas aussi notre rôle que de permettre à d’autres de découvrir que ces jeunes existent - et de faire connaître leurs efforts, leurs questions leur attente ? Ces jeunes sont les premiers témoins des appels de Dieu, de la fidélité de Dieu. Peut-être nous revient-il d’orchestrer leur voix ! ...

    III - L’ATTITUDE DE CELUI QUI ACCOMPAGNE

    Accompagner, c’est plus qu’exercer une pédagogie, c’est surtout se convertir à une certaine attitudes

    1 - Une attitude d’attention, à ce que sont ces jeunes - à ce qu’ils disent (leurs aspirations, leurs refus, leur langage) - à ce qu’ils vivent - aux projets qu’ils ont, aux questions qu’ils posent.

    Etre attentifs, ce n’est pas seulement regarder et écouter : c’est aussi accueillir leurs questions, non pour y apporter nos réponses d’adultes, mais pour les aider à les affronter, pour partager leur recherche - c’est aussi interpeller en posant à bon escient les questions qui les aideront à découvrir ce qu’ils vivent, à le relire, à en saisir la véritable signification.

    Dans le contexte actuel, peut-être nous faut-il, de façon privilégiée, prêter attention :

    - à ceux qui refusent et à ce qu’ils refusent : ceux qui refusent une certaine Eglise, laquelle ? pourquoi ?... ceux qui refusent un certain sacerdoce, une certaine vie religieuse, lesquels ? pourquoi ?

    - à ce qu’ils cherchent et inventent qui soit neuf, non pour tout admirer, canoniser, défendre, mais pour chercher humblement l’oeuvre de l’Esprit qui, dans la nouveauté d’un temps, témoigne de façon nouvelle de sa fidélité.

    2 - Une attitude de partage. Les jeunes souhaitent, selon un mot qui leur est cher, que nous " partagions" avec eux. Mais ils n’acceptent pas, et nous ne pouvons pas accepter n’importe quel partage. Comment vivre avec eux un véritable partage, en adultes que nous sommes ? Il s’agit de :

    - partager leur recherche, en acceptant de cheminer avec eux, mais en nous faisant solidaires de cette recherche.

    - partager et remettre en cause notre propre vie d’hommes, de croyants, de prêtres ou de religieuses.

    Mais, ils attendent de nous que nous demeurions nous-mêmes, témoins de notre foi d’adultes, témoins d’un engagement déjà pris. Nous ne pouvons d’ailleurs vivre en vérité un partage qu’à cette condition.

    3 - Une attitude de patience.
    Parfois le manque de maturité de ces jeunes, la fragilité de leur foi, l’inconsistance de leurs projets nous incitent à patienter. Nous prenons conscience qu’ils peuvent et doivent vivre d’abord une expérience humaine, ecclésiale, apostolique… Bref, il nous paraît "urgent d’attendre".

    Mais, être patient, ce n’est pas "attendre" et "faire attendre" : s’il est des jeunes qui sont pressés (et ce n’est pas toujours bon signe ! ) il en est qui s’enferment, s’installent, piétinent dans une recherche... qui n’en est plus une. Etre patient, c’est plutôt aider un jeune à avancer comme Abraham dont Paul nous dit "qu’il ne savait pas où il allait", mais n’est-ce pas en marchant qu’il a perçu où il était appelé à aller ? il s’agit d’amener un jeune à faire les pas, à poser les choix, à franchir les seuils qui mûrissent et éclairent.

    Une vocation se définit dans le temps, au coeur d’un dialogue entre un Seigneur qui peu à peu se révèle et appelle - et un croyant qui cherche son visage et ses signes. La vraie patiences, pour ces jeunes et pour ceux qui les accompagnent, est une expression de la foi en un Seigneur qui agit dans le temps.

    4 - Une attitude de contemplatifs.
    Le Seigneur est à l’oeuvre - avant nous - dans la vie de ces jeunes : il intervient en leur vie, il y travaille, il se révèle, il appelle. C’est lui d’abord qui éveille et qui accompagne. On ne le devance pas, il nous précède toujours, à sa manière, à son heure, par ses chemins.

    En nous confiant la mission d’accompagner ces jeunes, il nous invite à le contempler dans leur vie : actif mais respectueux, patient mais obstiné, déroutant mais fidèle. En leur vie comme en toute l’histoire de son peuple, il se révèle à nous pour nous appeler è contempler ses merveilles.

    Alors - plus d’un en a fait l’expérience - accompagner, c’est peut-être une expérience qu’il nous permet de vivre.

    Michel VENIMIN

    NOTES -----------------------------------

    (l) cf. en ce dossier l’article du Père J.M. REVILLON sur "La lecture chrétienne de la vie" [ Retour au Texte ]

    (2) Les évêques de France : "L’esprit, le sens et les moyens d’une pastorale des vocations" - Lourdes 1971. [ Retour au Texte ]

    (3) les évêques de France - op. cit. [ Retour au Texte ]

    (4) les évêques de France - op. cit. [ Retour au Texte ]