Quand elles nous parlent de leur projet...


Quand elles parlent...

comment les écouter ?
comment accueillir ce que j’entends dans la foi, dans l’espérance ?
comment vivre cette relation dans la fidélité, dans la patience ?.. ;

Dans le bulletin trimestriel des "Services des Vocations de la région parisienne", une religieuse et un prêtre apportent leur témoignage. (n° 17 - janvier 1972

En l’exprimant ainsi, ne nous aident-ils pas a écouter... à "être" ?

TEMOIGNAGE D’UNE RELIGIEUSE

En contacts fréquents avec des jeunes que, avec quelques soeurs de ma Communauté, nous accueillons, soit pour des journées d’études et de réflexion en groupes, soit pour des retraites ou récollections individuelles, je suis souvent amenée à partager leurs recherches au niveau de la Foi ou de leurs engagements de chrétiens...

Ainsi, il m’arrive de rencontrer des jeunes filles qui se posent la question de la vie religieuse.
Ce rôle de "témoin" et d’accompagnatrice dans l’intimité et la prière qu’elles me demandent alors, est aussi passionnant qu’exigeant.

Chaque fois, c’est pour moi l’occasion d’une expérience dans la Foi, c’est-à-dire d’un départ dans l’inconnu, sur une route empruntée depuis déjà longtemps parfois par des jeunes, mais qu’elles désirent poursuivre avec d’autres pour discerner ensemble la présence de l’Esprit en elles et dans le monde, et la manière très personnelle dont elles cherchent à répondre à cette présence.

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Lorsque pour la première fois, une jeune fille me parle de ce qu’elle croit être un Appel à une vie consacrée, ma première attitude est le silence :

  • un silence d’écoute, d’abord, pour lui permettre d’aller jusqu’au bout de ce qu’elle porte en elle, dont elle a parfois peu parlé, et qu’elle a du mal à exprimer par émotion, peut-être ! ... Plus encore parce qu’il est difficile de formuler ce qui relève d’une expérience profonde
  • C’est aussi un silence d’effacement, de contemplation, qui a quelque chose à voir avec celui de la prière : seul il permet la véritable rencontre avec Dieu, ici, avec l’Esprit présent dans cette personne qui me parle.
  • Enfin, c’est le silence de celle qui n’a pas de solution toute faite, de réponse calculée d’avance, au risque de décevoir : "Je croyais que vous me diriez clairement si c’est bien cela ! ... "Que dois-je faire maintenant ? ..."

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Derrière ses requêtes illusoires, il y a beaucoup plus, même si la jeune n’en a pas conscience. Finalement, ce qu’elle attend de ce dialogue, après l’accueil et la compréhension, c’est une aide pour se préciser à elle-même le fond de sa question  : comment en est-elle arrivée là ? ... Qu’est-ce qui l’a mise en mouvement sur cette route souvent bien inconfortable ? ... Qu’est-ce que cela a à voir avec l’Evangile ? ... Est-ce vraiment la personne du Christ rencontrée dans sa vie qui fonde de telles aspirations ? ...

Nous essayons alors de lire son "histoire" passée st présente à la lumière de l’Evangile.

En lui posant des questions, mon souci plus ou moins explicite est de "sentir" si cette vie ainsi déroulée devant moi est bien vivante, consistante, à tous les niveaux : capacités humaines déployées à leur mesure, affectivité équilibrée dans une vie de relations (famille, amis, travail...), engagements et responsabilités assumées selon ses possibilités... Les conditions où elle se trouve sont-elles favorables à la croissance et à l’épanouissement de cette Vie ? ... Tout ceci dans le but de correspondre à ce désir du Bon Pasteur : "Je suis venu pour que les brebis aient la Vie et l’aient en abondance".

Alors dans ce terrain d’expérience humaine, la Parole de Dieu prend vie. Les idées ou les rêves laissent le pas à la personne de Jésus-Christ, fondement de l’existence. Le choix envisagé sera en continuité avec cette vie pleinement assumée, même si par la suite, il fera passer par des ruptures voulues ou librement consenties dans la ligne du choix.

Cela me paraît fondamental à l’heure où la vie religieuse est profondément ébranlée, mais, où, en même temps, elle retrouve ses dimensions essentielles, sources d’espérance et d’authenticité ; de plus en plus mêlées à la vie du monde, ces femmes doivent pouvoir tôt ou tard rendre compte de leur Foi et de engagement pour le Christ et cela ne s’improvise pas...

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Voilà finalement la requête essentielle de ces jeunes pour qui s’ouvre l’avenir : ayant rencontré le Christ et voulant lui référer leur existence, elles cherchent une aide pour grandir en liberté, et être en mesure alors de s’engager, lucidement et joyeusement là où il leur semblera découvrir sa présence et son appel.

Tout ceci ne se fait pas au cours d’une seule rencontre ! ... Mais ce canevas est déjà là, au premier échange au terme duquel je propose une .suite si la jeune fille le désire. Mais je lui laisse l’initiative, pour respecter sa liberté et éviter toute pression ou influence néfastes. La tâche reste délicate ; la crainte des jeunes de "se faire avoir" ou de se laisser prendre au jeu des religieuses qui "travaillent au recrutement"de leur communauté est parfois encore justifiée, alors que l’expérience de notre propre choix suivie de celle de notre vie religieuse vécue au jour le jour dans la simplicité et la joie nous rend particulièrement proches sur une route qui, de toutes façons, conduit à Dieu et aux autres.

Pour cela, elle exige des femmes enracinées dans la Foi, libres dans leurs choix, capables d’assumer des responsabilités.

Soeur Jeanne THOUVARD
Auxiliatrice

TEMOIGNAGE D’UN PRETRE

Ma tâche sacerdotale actuelle m’appelle souvent à rencontrer des jeunes filles venant me parler de leur projet de vie consacrée.

C’est le plus souvent pour moi un temps de grâce, une rencontre du Seigneur  : Il est toujours assez fort, assez vivant et séduisant" dans le coeur des jeunes pour que quelques-unes d’entre elles pensent sérieusement lui consacrer leur vie, leur projet, leur raison d’être !

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D’emblée, je veux les prendre au sérieux quel que soit le bien fondé ou les raisons plus ou moins construites de leur projet.

Et j’écoute - comme dans une sorte de prière d’accueil - ce qu’elles me disent de l’origine : et de l’histoire de l’appel qu’elles pensent .entendre. Cela confirme le plus souvent cette certitude de foi que je- crois avoir : acquise : c’est dans le tissu humain, dans l’histoire humaine, à travers des hommes et des femmes bien concrets, dans des événements précis, tout naturels, que Dieu rejoint les personnes et les interpelle.

D’où l’attention primordiale qu’il me faut porter a tout ce qui a formé et construit cette jeune qui est là..

C’est dans son "histoire" (sainte) que Dieu aujourd’hui lui fait signe.

D’où l’importance de son milieu social, de sa famille, de tout son "environnement" .

Mais ce n’est pas seulement pour comprendre cette fille par son passé. C’est pour essayer de percevoir comment dans sa "VIE A ELLE", aujourd’hui, elle rejoint le Seigneur.

Sa fidélité à l’Appel de demain est fonction de sa réponse à l’Appel d’aujourd’hui.

Comment vit-elle ses relations dans les différents aspects de sa vie ? Comment rejoint-elle les appels de son "Monde" à elle ? Comment accepte-t-elle aujourd’hui sa vie telle qu’elle est : famille, études, travail, toutes les personnes rencontrées ? Comment accepte-t-elle les nécessaires compromissions de son propre milieu ?

Quelle est sa prise en charge des autres ?

Comment se sait-elle interpellée par eux ? .

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Contemplant son "histoire" et sa "réponse" actuelle, je pense aussi à la MISSION DE L’EGLISE DU XXe SIECLE.

De quelle religieuses, de quels laïcs consacrés, l’Eglise a-t-elle besoin aujourd’hui, aura-t elle besoin demain ?

Sans jouer les prophètes, je sais que le Monde et l’Eglise ont besoin de FEMMES DE FOI.

DES FEMMES : c’est-à-dire des personnes acceptant bien leur féminité, assumant leur affectivité, se situant bien à l’aise devant la nature masculine, sans complexe, ni agressivité, maîtresses d’elles-mêmes.

Qu’elles soient femmes, ACCUEILLANT les autres, PORTANT les autres, et DONNANT le meilleur de leur coeur aux autres.

Et cette fille qui est là, devant moi : quelles seraient les étapes à lui faire franchir encore pour qu’elle soit bien cette femme dont l’Eglise et le monde ont besoin ? Quelle route devra-t-elle prendre pour faire mûrir toute la richesse qui est en elle, et qui doit encore grandir ?

DES FEMMES DE FOI : vivant solidement d’un amour réaliste de Jésus-Christ sans faux mysticisme, plus ou moins exalté ! Dans le concret d’une vie donnée, dans la rencontre de Dieu, dans la vraie solitude où Jésus-Christ se révèle et renvoie aux autres.

Et cette fille qui est là devant moi, où en est-elle de son amour de Jésus-Christ ?

Comment aujourd’hui le Vit-elle ?

Assume-t-elle la solitude, la prière ?

Est-elle passionnée du Royaume à construire AUJOURD’HUI là où elle est providentiellement enracinée ?

Quelle est sa fidélité ? ... à l’écoute de Dieu, la reprise de sa vie, et aux sacrements ?

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Plus tard viendront les questions sur la forme d’une vie consacrée. Il faudra INCARNER le projet.

Mais il faudra pour cela qu’elle se dise à elle-même qui ELLE EST, qu’elle découvre son appel à travers ce QU’ELLE EST, ce qu’elle VEUT être, ce qu’elle PEUT être -rejoignant ainsi ce que Dieu a fait d’elle et ce qu’il veut faire à l’avenir.

Alors tout s’éclaire PROGRESSIVEMENT dans la PATIENTE FIDELITE.

… Il faudra du temps !

Jean-Marie REVILLON