Problèmes de vie spirituelle dans les équipes de formation universitaire


Après deux ans de fonctionnement, les équipes de formation en université (G.F.U.) viennent d’essayer de faire le point dans un document intitulé : "L’enjeu des équipes de formation".

Une partie est consacrée aux problèmes de vie spirituelle. Il est important que les éducateurs responsables des différents modes de cheminement des adolescents soient . au courant des problèmes auxquels sont affrontés les jeunes qui passent par la vie universitaire pour cheminer vers le sacerdoce.

Il est urgent que soient mis en place partout où cela est nécessaire des moyens d’aider ces équipes à vivre, mais il est non moins urgent que soit pris au sérieux ce mode de cheminement qui n’est pas plus facile que les autres, et demande une compétence éducatrice de la part de tous ceux qui, à des titres divers, sont en contact avec ces jeunes.

J.P. MARCHAND

* * *

I - UNE CERTAINE FRAGILITE

Les exigences immédiates de la vie universitaire amènent le jeune à privilégier certaines urgences. Il doit, en effet, d’une part solliciter au plus vite toutes ses facultés d’adaptation et toute son intelligence, d’autre part définir son attitude face à l’alternative politique : deux domaines où il est invité à une maturité précipitée. Ainsi est remise à plus tard l’étude des domaines qui peuvent attendre : la vie affective et la réflexion sur l’attitude chrétienne.

Mais il faut vivre, et souvent les éléments dominants de la vie spirituelle antérieure du jeune bachelier ne sont pas balayés d’un seul coup. Le procès que le monde étudiant fait à la foi chrétienne ne réduit pas si facilement à rien le désir d’annoncer Jésus-Christ ou l’exigence spirituelle.

Alors s’élaborent certaines formes "sentimentalo-nystiques", d’expression personnelle ou collective, de la vie spirituelle :

  • le besoin de petits groupes chauds et fraternels, à expression religieuse libre. C’est l’occasion d’un partage, en toute sincérité et vérité, où le psychologique risque parfois de prendre le pas sur une expression exigeante de la foi en Jésus-Christ.
  • le besoin de se donner des règles personnelles et exigeantes conformes à un idéal à satisfaire. La poursuite de telles aspirations conduit à des attitudes volontaires ou du moins velléitaires.
  • le besoin d’entretenir une vision idéaliste de l’Eglise et de sa responsabilité dans le monde. Il faut s’engager aujourd’hui pour l’aider à parvenir à une situation reconnue demain. Il faut lui donner un nouveau visage.

II - DEUX PISTES JUGEES INSUFFISANTES

Une sanctification par l’insertion dans le monde. Une sanctification par un repli spirituel.

a) La spiritualité de la présence au monde.

Le fait d’aller au monde n’a pas de signification chrétienne aujourd’hui et ne porte pas en soi de qualification spirituelle : la situation normale du chrétien n’est-elle pas d’être dans le monde ? Son mérite n’est plus d’affronter la vie du monde mais "d’y être signe visible de Jésus-Christ et du Salut.

L’ensemble des jeunes du G.F.U. n’ont pas de gros efforts à faire pour être présents à la vie des autres jeunes, mais ils ont à mesurer qu’ils ne seront sources de conversion à une vie de foi, d’espérance et d’amour que s’ils refusent de s’aligner sur les autres qui ne témoignent pas. "Que votre lumière brille devant les hommes pour qu’ils voient vos bonnes oeuvres et glorifient votre Père qui est aux cieux". (Mat. 5, 1-16).

b) Le spirituel avant tout.

On est tenté de dire : "Repliez-vous sur la vie spirituelle si vous êtes engagés dans une vie profane et sécularisée ! L’important est bien d’assurer votre vie sacramentelle, votre vie de prière, votre direction spirituelle, votre révision d’équipe."

Mais s’agit-il d’un repli, et même d’une pratique religieuse respectée dans un règlement interne. Beaucoup de jeunes voient un refuge, une sécurité dans ces cadres d’activité spirituelle. La vie spirituelle authentique se pose en termes de cohérence entre la vie profane du chrétien et les exigences de son témoignage, comme entre la compréhension de l’homme et la signification de la foi.

Nous sommes en réalité tous heurtés au problème de la prière personnelle. Il y a sur l’ensemble des G.F.U. une carence reconnue. Il serait facile de s’abriter derrière les insuffisances des "spiritualités" précédentes pour se dispenser de prier. Il serait facile aussi de se contenter ici d’appuyer sur la nécessité de la prière ou de donner mauvaise conscience à ceux qui ne prient plus. Dans l’un et l’autre cas ce serait, pensons-nous, éluder une question plus profonde. Ce qui est en cause ce n’est pas seulement la volonté de prier, c’est le sens de la prière, et son articulation dans une vie quotidienne harcelée de préoccupations intellectuelles, humaines, politiques.

III - QUELQUES LIGNES DIRECTRICES POUR UN ACCOMPAGNEMENT SPIRITUEL

a) Unité de l’homme croyant.

La vie spirituelle, c’est essentiellement la référence - consciente, personnelle et communautaire - à Jésus-Christ de toute une vie, dans ses orientations fondamentales et dans le détail de son déroulement quotidien.

C’est un engagement conscient, coopérant, personnel et communautaire dans un Salut qui advient, donné par un Autre.

Les exercices "spirituels" quels qu’ils soient - traditionnels ou renouvelés - ne peuvent être que des moyens pour atteindre ce but. Il semble donc nécessaire d’aider les jeunes à trouver leur manière originale de vivre avec le Christ et de prendre conscience de cette relation. La conversion spirituelle de la vie -au plan personnel comme au plan de l’équipe - doit porter sur ce point centrali : à chacun et à chaque équipe de se donner les temps forts nécessaires pour approcher de ce but jamais totalement atteint.

Cette Unité exige donc tout ensemble :

  • Une analyse précise de ce que les jeunes vivent, des acquisitions intellectuelles, de l’évolution affective, des actions menées, des courants qui les marquent...
  • Un effort d’expression de la foi qui oblige à dépasser les formes héritées du langage chrétien pour arriver à une expression personnelle de "la Bonne Nouvelle du Salut".
  • Une attitude fondamentale de pauvreté qui permet à chacun de prendre conscience que la vie spirituelle est de l’ordre d’une expérience : l’homme croyant s’il est disponible et accueillant reconnaît au coeur de sa vie que finalement le salut ne vient pas de lui mais d’un autre.

b) Une réévaluation permanente.

Cette unité est toujours précaire et toujours à refaire. C’est une "marche en avant". Sinon le risque est certain de voir apparaître un décalage entre ce qu’on vit et ce qu’on croit : c’est la condition même du vivant.

Nous sommes donc conviés à provoquer en permanence un ajustement entre notre compréhension de l’homme et celle que requiert l’homme sauvé en Jésus-Christ.

Un tel ajustement et son expression religieuse vivante permettront seuls d’entrer dans une démarche authentique de découverte et d’assimilation de ce qu’est le ministère. Parce qu’ils n’auront pas vécu cet effort permanent, bien des candidats hésiteront à s’engager plus avant.

c) Une recherche personnelle et collective.

Dans le jeu de cette unité à promouvoir et de cette réévaluation constante à faire, la vie d’équipe joue un rôle d’interpellation capitale.

  • Il n’est pas possible de faire ce travail individuellement même en tête à tête avec un conseiller spirituel dont le rôle, autre et complémentaire, reste cependant capital.
  • Il n’est pas possible non plus de faire ce travail au sein d’une équipe isolée. Il faut l’accueil et la contestation d’un groupe plus large. La dialectique entre ces deux types de groupe est essentielle : ils ont besoin de se renvoyer l’un à 1’autre.
  • Si la recherche collective ne permet pas d’aller jusqu’à une reformulation de la foi au cours des années de formation universitaire, il est à craindre que les candidats ne trouvent pas un terrain d’entente et de confrontation avec leurs collègues venus au sacerdoce par un autre chemin.

IV - DES ROLES A COORDONNER

a) On est en présence d’une diversité de lieux, de situations, et d’interventions, qui ne peuvent se permettre de s’ignorer, de se confondre ou de s’opposer. Et cependant, il est impensable de structurer une organisation sous peine d’enlever à cette forme de cheminement la souplesse et la liberté qui en sont les caractéristiques.

b) Au cours de son temps de formation en G.F.U., un jeune est en contact avec plusieurs prêtres ou institutions d’Eglise qui interviennent dans sa vie :

- Le Mouvement ou l’équipe de base dans son insertion apostolique.

- L’aumônier de son équipe de formation.

- Le "conseiller spirituel personnel"(ex directeur de conscience)

- Les intervenants théologiques et les animateurs des sessions régionales et nationales.

c) Pour que l’animation spirituelle ne soit pas coupée du réel et aide à l’unification de "l’homme croyant" il faut que les divers rôles soient coordonnés souplement ce qui demande de la part de tous :

- une information générale réciproque

- une éventuelle correction des orientations

- une confrontation des points de vue .......

Tout cela dans la discrétion et le respect des rôles de chacun.

d) La responsabilité s’étend à trois domaines importants :

- la vie et le cheminement personnel du jeune

- l’engagement ecclésial et apostolique

- la formation au sacerdoce.

e) A chaque région de voir ce qu’il importe de faire dans le détail. L’essentiel est que chacun ait conscience qu’il ne fait pas cavalier seul. Il fait partie d’un tout où chacun est solidairement responsable.

V - LES FORMES CONCRETES DE CETTE VIE SPIRITUELLE

En évoquant plus haut deux pistes insuffisantes pour une vie spirituelle de qualité, nous laissons entendre que des écueils sont possibles :

  • - on peut croire en effet que la vie "dans" le monde est spirituelle, de soi, c’est-à-dire par le fait même de la solidarité avec d’autres hommes.
  • on peut aussi plaquer artificiellement des "exercices spirituels" à côté de sa vie et, sur la foi des anciens, leur prêter une vertu magique.

Il doit pourtant y avoir un passage possible entre les écueils, la démarche fût-elle en forme d’oscillation de l’un à l’autre !

CONSTAT

a) Ce que vivent les équipes

  • La réunion régulière avec sa révision de vie permet d’une part de se situer dans une rencontre en toute vérité avec Jésus-Christ et d’autre part de se remettre en état d’accueillir un Salut qui vient.
  • Les cours bibliques, les week-ends trimestriels et les sessions d’été assurent une formation intensive.
  • La lecture de la Parole de Dieu (Psaumes, Evangiles, Epîtres) fait une nourriture habituelle.
  • La participation à l’Eucharistie demeure le centre de la vie spirituelle en dépit du manque d’intérêt de la part de beaucoup de ces jeunes pour des célébrations qui n’offrent pas une expression assez adaptée à ce qu’ils vivent.

b) Ce qui reste en souffrance au coeur de chacun.

Il faut évoquer ici des besoins reconnus, voire unanimement souhaités, mais si difficiles à intégrer dans une vie quotidienne en université :

  • La prière personnelle régulière, qui ne tourne pas à la routine. La fréquentation de la Parole, et même la prière commune des jours de session, réclament une imagination créatrice et un temps de préparation que la vie moderne ne laisse pas toujours.
  • Les récollections où l’on dispose de silence extérieur et intérieur, de temps de recul et de larges moments de prière.
  • Le sacrement de pénitence et la "direction de conscience". On trouve bien des confusions à ce sujet. La vie d’équipe, la pratique occasionnelle des célébrations pénitentielles, apparaissent comme des moyens de suppléance qui "sauvegarderaient mieux la liberté du sujet". Le conseiller spirituel (quand il existe) ne sait pas toujours bien quel est son rôle.

APPEL DE NOUVEAUX MOYENS

L’expérience invite à considérer d’abord qu’il y a des conditions préalables à toute démarche spirituelle sérieuse :

  • Une unité de temps assez longue conduisant a un climat de paix intérieure. Pour prier il faut avoir dormi et jouir d’un état psychologique solide : c’est une question d’hygiène.
  • Un cadre calme favorisant un silence qui permet de prendre du recul et fait accéder à une relation personnelle vraie avec Jésus-Christ.
  • Une aptitude à situer les difficultés de sa vie dans leur contexte psychologique, affectif, politique, culturel, philosophique, quelles que soient leur ambiguïté et leur complexité.
  • Une habitude de mettre les personnes rencontrées et aussi les événements personnels et collectifs en relation avec le salut offert par Jésus-Christ. L’éclairage théologique devrait favoriser cette dimension théologale.

Les contestations qui sont faites sur les "pratiques" spirituelles traditionnelles et les besoins qui s’expriment ça et là laissent percevoir qu’il y aurait à chercher du côté de nouveaux relais spirituels dont le rythme serait à établir - trimestriel par exemple -.

Quand un homme prend ainsi le temps de resituer les éléments essentiels de sa psychologie, de sa relation avec les autres et de sa conscience de fils de Dieu, il y a lieu d’espérer qu’il se donnera même des jalons intermédiaires plus courts, plus nombreux, appuyés sur la référence aux "relais" : on verrait renaître des attitudes plus spontanées d’action de grâce, un contrôle plus régulier de soi-même, peut-être même une restauration des célébrations sacramentelles. Les rythmes sont refusés quand ils deviennent des habitudes vides ou des accessoires, ils ne le sont jamais quand c’est une exigence intérieure de la relation à Jésus-Christ qui les requiert.