La "Messe qui prend son temps", source et accompagnement de l’appel


Jean-Marc Furnon
jésuite,
chapelain de l’église Saint-Ignace


La « Messe qui prend son temps »

La Messe qui prend son temps (la MT) est fondamentalement une eucharistie adossée à une lectio. Le cardinal Martini, dans les années 80, a initié ce mode de lectio qu’il a appelé « L’Ecole de la Parole ». Dans la célébration de la messe, après le psaume, un lecteur lit, de sa place, l’Evangile. La lectio nécessite de faire attention aux paroles de l’Evangile, donc d’écouter. « Lire », ne pas partir tout de suite dans les idées, « mes » idées sur le texte, mais lire en faisant attention d’abord à ce qui est dit dans ce récit ou cet enseignement de Jésus ; écouter, lire ensuite. Découvrir « concrètement » le texte. Les participants se livrent en silence à cet effort d’appropriation personnelle de la Parole du Seigneur : que dit le texte ? Et non pas « qu’est-ce que nous allons dire sur le texte ? »

Et puis, qu’est-ce que le texte nous donne comme message ? Celui qui préside la célébration livre pendant sept à dix minutes sa propre recherche sur un point de l’Evangile : il désamorce un contresens possible, il éclaire un arrière-pays biblique qui aide à comprendre l’Evangile du jour, il développe une expérience existentielle qui permet de mesurer l’enjeu de la situation que rencontre Jésus. Il ne cherche pas à faire une homélie classique et renonce à toute parénèse (1). Il ne cherche pas à commenter plusieurs points de l’Evangile car il faudrait alors plus de temps et sa parole pèserait trop sur ceux et celles qui ensuite s’engageront dans leur propre méditation.

Après la proclamation de l’Evangile par le président, vingt minutes de prière en silence s’ouvrent. Silence complet sans musique de fond ni refrains chantés. Rien que du silence. Du silence pour que chacun continue selon ce que l’Esprit lui donne, à la suite de la meditatio commencée par le président. Du silence adossé à la présence de l’Eglise réunie à l’écoute de la Parole de son Seigneur. De cette méditation peut naître une prière qui s’adresse au Seigneur dans l’intimité du cœur. Celui ou celle qui prie peut ainsi se laisser conduire par l’Esprit dans la contemplation de l’œuvre de Dieu en demeurant simplement sur un geste de Jésus. « Qu’est-ce que je dis à Jésus qui me parle dans ce texte ? » Contemplation.

Pour proposer ce silence, il faut croire que c’est dans le silence que l’Esprit se révèle. Autoriser les disciples de Jésus à entrer dans ce silence, les y accompagner soi-même, les y aider (2). Ceux qui l’ont vécu pour eux-mêmes avec joie sont poussés à inviter les autres (3).
Le président invite l’assemblée à proclamer la foi de l’Eglise. Puis prière universelle, procession des dons. Les participants quittent à nouveau leur place pour entourer l’autel et l’offertoire commence. A la fin de la MT, il y a des annonces, une quête et tous sont conviés à se retrouver autour d’un pot dans une salle attenante.


La source de l’appel

La source de l’appel se manifeste de deux manières. D’une part l’amour de Dieu, un amour de Dieu sans cause, qui rend joyeux : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force » (Dt 6, 4-5) et d’autre part, le pôle de l’amour du prochain en ce monde : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19,18).

Ces pôles parlent du désir profond d’une personne. Ils se manifestent à travers des comportements. Le pôle mystique de l’amour de Dieu se traduit de diverses manières : prier seul, aller à la messe en semaine, goûter le silence et la vie de prière des moines ou des moniales, parler au Seigneur dans son cœur, adorer. « Le matin, bien avant le jour, il se leva, sortit et s’en alla dans un lieu solitaire, et là il priait » (Mc 1, 35). Le pôle charité de l’amour du prochain se manifeste par la générosité et la compassion. Par exemple : être chef scout ou animateur MEJ, membre de l’hospitalité de Lourdes, donner des cours gratuitement à des jeunes en difficulté, évangéliser, partir en coopération dans un pays pauvre. C’est l’Esprit qui pousse le « bon » Samaritain (Lc 10, 29-37).

Ces deux désirs, mystique et charité, prennent corps lorque nous trouvons les moyens de les vivre. Notre chemin nous apparaît progressivement en marchant, comme les points d’un canevas dont la figure apparaît une fois reliés. L’itinéraire n’est jamais tout à fait donné d’avance. En s’investissant quelque part selon l’un des deux pôles, une personne découvre davantage la joie qu’elle a à vivre ainsi et peut prendre conscience de ce qu’elle porte en elle. La vie se charge souvent de lancer ses propres appels sans prévenir (4). Mais il est possible, dans la communauté chrétienne, d’indiquer ce chemin : « Nous cherchons un animateur pour le camp MEJ de mi-juillet en Dordogne, veux-tu venir avec nous ? », « Veux-tu venir avec l’aumônerie à un week-end au monastère de Tamié dans quinze jours ? » Vivre une telle expérience permettra, si la paix et la joie sont au rendez-vous, d’en risquer une autre et d’avancer dans un discernement. Une personne peut être davantage touchée par un aspect plutôt que par l’autre mais dans toutes les formes de vocations, les deux pôles sont présents.

Il s’agit d’un appel de Dieu. Sûrement. Un appel à la conversion, un appel à vivre en disciple de Jésus, radicalement. Mais un appel à quelle forme de vie ? C’est cela qui est aussi à discerner peu à peu. Le discernement peut prendre du temps et peut conduire à différents états de vie, mais l’écoute de la source est à soutenir quelque soit le moment du discernement.

Evidemment il n’y a jamais de vocation « chimiquement pure », pas plus à la vie religieuse qu’au ministère ordonné ou à la vie laïque dans le mariage. « Dieu écrit droit avec des lignes courbes » a-t-on dit ; c’est vrai. Il passe par nos dons, nos charismes, nos limites et nos pauvretés. Cela ne doit pas nous inquiéter outre mesure.


La célébration de la « Messe qui prend son temps » comme source de l’appel

La MT convient à des chrétiens qui ont le désir d’entrer plus profondément dans l’écoute de la Parole de Dieu, le silence et la communion au Christ.

La connaissance intérieure du Seigneur

Si un chrétien porte en lui, qu’il le sache ou non, un appel à suivre le Christ de plus près, qu’il soit plus affecté au pôle mystique ou à celui de la charité, la connaissance intérieure de son Seigneur passe par l’écoute profonde de la parole de Jésus dans l’Evangile. La MT aide cette écoute en permettant une entrée progressive dans la Parole : l’écouter, la lire, recevoir la méditation du prêtre, entrer dans la rumination personnelle de la Parole, l’aimer. Celui ou celle qui est appelé par le Christ trouvera sa joie à demeurer avec son Seigneur en méditant sa Parole, en contemplant ses gestes et toute sa vie jusque dans le mystère pascal. L’Evangile nous dit que, des apôtres, Jésus en appela douze « pour qu’ils soient avec lui et pour les envoyer prêcher » (Mc 3, 14). Entrer en familiarité avec la personne de Jésus, demeurer avec lui, y trouver joie et paix, voilà qui aide quelqu’un dans le discernement patient d’une vocation. Et cela passe par le corps, s’inscrit dans le temps, la patience et la fidélité des « rendez-vous ».

L’ouverture à l’Esprit dans le silence

Dans le silence. Vingt minutes de silence complet avec la Parole dans une grande ville ce n’est pas rien ! Enfin seul avec Jésus ! Quelle joie, quelle chance ! Ce désir éprouvé de demeurer seul avec le Seigneur est souvent difficile à vivre dans le silence de sa chambre. A la MT on est en Eglise : on est porté dans ce silence par l’Eglise qui se tient elle-même en prière à l’écoute de la Parole. Comment pourrions-nous le connaître, l’aimer et devenir ses amis et le suivre si nous n’écoutons pas sa Parole ? Dans ce silence, non dénué de combat spirituel, l’Esprit Saint visite les cœurs. C’est son mystère et leur secret.

L’expérience d’Eglise

Les mouvements et les déplacements au cours de la MT permettent d’habiter l’église et de consentir à « faire Eglise » : entourer l’ambon, trouver un endroit dans l’église pour prier, se joindre à un groupe pour partager, entourer l’autel à l’offertoire. Autant de manières d’éprouver que l’Eglise est un corps vivant, que j’en fais partie, que je la constitue avec d’autres, fidèles et ministres.

Il y a aussi cette expérience de rejoindre l’Eglise en prière, de s’appuyer sur l’Eglise qui prie, sur ses ministres qui prient pour entrer soi-même dans ce chemin. La MT « socialise » la vie de prière. La communauté de Taizé l’a largement socialisée à sa manière, les groupes charismatiques selon la leur.

La charité

Au cours de la MT, le pôle charité est moins signifié. Il y a cependant l’invitation à partager gratuitement avec d’autres ce que j’ai moi-même reçu gratuitement dans le silence. Il s’agit de laisser monter en moi la Parole et, dans ma liberté, la laisser passer par ma bouche pour d’autres. Là est un vrai engagement de la foi. C’est peut-être la plus grande charité à laquelle un chrétien est appelé que ce témoignage de la foi.

Il y a la quête, plus spécialement destinée, à l’Avent et au Carême, à soutenir des actions de solidarité. Il y a la parole adressée à d’autres, connus ou inconnus, lors du pot qui suit.
Il y a aussi l’ouverture du cœur qui, dans la prière, prépare un disciple à recevoir les appels des frères du Seigneur. Et l’on s’étonne de découvrir qu’une quinzaine de membres de la MT animent la messe chaque mois à la prison de Fleury-Mérogis (Essonne), que d’autres vont régulièrement partager un week-end avec des jeunes ayant un handicap grâce à l’association « A bras ouverts », que d’autres encore sont très engagés avec « La politique une bonne nouvelle » ou à l’AJE pour aider des jeunes du XXe arrondissement dans leur scolarité. Alors l’envoi, « Allez dans la paix du Christ », porte tout son sens.



L’Ecole de la Parole (1980) puis la MT (1999) aident des disciples de Jésus à entrer dans une écoute profonde de sa parole au cours d’une liturgie de la Parole déployée dans le cadre d’une célébration eucharistique dominicale joyeuse. Le seul but est d’indiquer aux disciples du Seigneur un chemin pour rejoindre Marie de Béthanie, elle « qui, se tenant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole » (Lc 10,39).

A la suite des propositions du Synode sur l’Eucharistie et en préparation du prochain Synode, le Pape Benoît XVI nous a rappelé la « meilleure méthode » pour lire l’Evangile : la lectio divina. « La lectio divina constitue un véritable itinéraire spirituel par étapes. De la lectio, qui consiste à lire et relire un passage de l’Ecriture Sainte en en recueillant les principaux éléments, on passe à la meditatio, qui est comme un temps d’arrêt intérieur, où l’âme se tourne vers Dieu en charchant à comprendre ce que sa parole dit aujourd’hui pour la vie concrète. Vient ensuite l’oratio, qui nous permet de nous entretenir avec Dieu dans un dialogue direct, et qui nous conduit enfin à la contemplatio ; celle-ci nous aide à maintenir notre cœur attentif à la présence du Christ, dont la parole est une “lampe brillant dans l’obscurité” (2 P 1, 19) (5). »

Cette expérience est fondamentale dans la relation personnelle d’un disciple à son Seigneur. Elle est le lieu d’une consolation profonde. Quelque soit l’âge de la vie, c’est cette expérience d’une rencontre personnelle de Dieu qui met dans la joie, la paix et l’allégresse. Ce fut l’expérience de l’aveugle de Jéricho et l’Evangile de Marc nous dit : « Aussitôt l’homme se mit à voir, et il suivait Jésus sur la route » (Mc 10, 52).



Notes
(1) La parénèse (du grec parainesis, exhortation) est une prédication de type moral.
(2) L’expérience vécue à travers les exercices spirituels de saint Ignace et, plus largement, la vie d’oraison pratiquée en solitude et les fruits reçus, encouragent à oser proposer à d’autres cette expérience.
(3) Pour ceux que cela aide à méditer, des pistes de méditation sont proposées sur la feuille distribuée à l’entrée. Il y a aussi, pour ceux qui le préfèrent, une méditation guidée dans une chapelle latérale sur l’évangile du jour à partir des mêmes pistes. http://www.stignace.net/SiteMT/accueilMT.htm
(4) Dans son commentaire du Samaritain, le pape Jean-Paul II parle de « l’appel de la souffrance ». Cf. lettre apostolique Salvifici doloris sur le sens chrétien de la souffrance humaine.
(5) Du Vatican, le 22 février 2006, fête de la Chaire de saint Pierre Apôtre. Message du Saint Père Benoît XVI aux jeunes du monde à l’occasion de la XXIe Journée Mondiale de la Jeunesse 2006 : « Une lampe sur mes pas, ta parole, une lumière sur ma route » (Ps 118 [119], 105).